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ÉTUDIANTS DE PARIS. Paris voit tous les jours de ces métamorphoses Dans tout le Pré aux Clercs, tu verras mêmes choses

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ÉTUDIANTS DE PARIS

I

L A C I T É

Il y avait à Paris, au temps de Saint-Louis, vingt-cinq mille étudiants et cinq mille gradués. La ville comptait alors, dans ses remparts, soixante quinze mille habitants. Cité de clercs, pré aux clercs, quartier latin, écoliers et écolâtres, tout, autour de l'Ile Saint Louis, dans la brume argentée des matins du Moyen Age, énorme et délicat, appartenait aux hommes du livre. L'effectif des étudiants du degré supérieur, régulièrement immatriculés, dépasse aujourd'hui les quatre-vingt mille, la France en comp- tant deux cent quarante mille. Et, vers 1970, nous prédisait l'autre jour M. Joxe, nous serons au demi million, la capitale seule en absorbant gaillardement plus d'un tiers. Eclatant de toute part, elle jette ses tentacules et, rien qu'à Antony, sur la route d'Orléans, loge trois mille garçons et filles, au Parc Montsouris cinq mille. Pour les autres ? La crise de l'habitat commença, pour les écoliers, sous Charlemagne. Mal dégagée de ses chau- mines et barcasses premières, la ville de Sainte Geneviève fut toujours telle que nous la décrit Corneille dans le Menteur.

Paris voit tous les jours de ces m é t a m o r p h o s e s Dans tout le Pré aux Clercs, tu verras m ê m e s choses

Et plus loin.

Toute une ville entière avec pompe bâtie Semble d'un vieux fossé par miracle sortie...

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Débordant ce vieux fossé, il y avait, en 1927, à Paris, 26.208 étudiants inscrits. Parmi eux 18.893 français et 7.315 étrangers.

A l'heure actuelle Paris seul reçoit deux fois plus d'étrangers que toutes les Universités de Grande-Bretagne réunies. Cosmo- polis digne du temps d'Abélard et de Guillaume de Champeaux.

Les étrangers en 1900, étaient à peine un millier. En 1922, le coup de fouet de la victoire, la secousse guerrière, en rabattent vers la colline Sainte Geneviève 3.564. En juillet 1932, le flot montant est de 33.821 jeunes gens et jeunes filles inscrits. Car voici le bataillon enchanteur des demoiselles, entrant dans la fournaise du gay savoir, et même du savoir douloureux. A Paris, au lendemain de chaque crise, après chaque grande douleur fran- çaise, se déchaîne, plus urgent, la suprême exigence, celle de l'esprit.

Où loger tout ce monde ? M. Robert Garric, délégué général du gouvernement à la Cité Universitaire, à qui nous demandons :

« Quel est le problème le plus urgent ? » nous répond sans hésiter :

« l'habitat ».

Au temps de Saint Louis, qu'était l'Université ? Une corpo- ration des maîtres et élèves, une confrérie de personnes, l'Aima Mater. Dans ce quartier latin la nationalité comptait peu, toute science s'ofîrant en une seule langue, la romaine, le latin sésame ouvrant toutes les portes de la chrétienté occidentale. Sans doute y avait-il des nations d'étudiants, Ecossais, Espagnols, Floren- tins, mais les passeports étaient inconnus, parce que la seule qua- lité d'étudiant valait tous les sauf-conduits. Ces Messieurs, s'ils étaient besogneux, se groupaient en popotes, se plaçaient chez des basochiens comme commis aux écritures, voire comme lar- bins. Le copiste, évidemment, était, comme en Chine d'hier, le mieux traité, la calligraphie étant bon brevet. Tous n'étaient pas comme Panurge, pourvus de soixante et trois moyens de se procurer quelques écus (dont le « larcin furtif ») mais l'étudiant en quête d'un gîte était un cas, ce que nous appelons un problème.

Ainsi était né, au x ne siècle déjà, le Collège, ou abri pour les professeurs et disciples qui ne pouvaient se payer chevaux et valets. Ainsi Robert de Sorbon fonda-t-il au coin de la rue Coupe- Gueule, une maison pour les jeunes clercs à la bourse plate. Cette Sorbonne, édifiée par un chapelain de Saint Louis, ce n'est pas une boîte à bachot, c'est une pension de famille, quelque chose qui ressemble fort aux Fondations du Parc Montsouris, de la Cité Universitaire, imaginée, en 1920 par André Honnorat, député

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des Basses-Alpes, ministre de l'Instruction Publique et dont les ,33 collèges ou fondations abritent aujourd'hui 5.400 étudiants, tantôt 6 mille, le maximum que ces 43 hectares peuvent contenir.

En 1920 c'était beaucoup. En 1970 ce ne sera qu'un grain de la grenade.

Oxford et Cambridge ont gardé leurs collèges ou gîtes, Baliol, Magdalen, Christ Church, Trinity, chacun maintenant ses privi- lèges et ses rites, ses disciplines et ses jeux, sa bibliothèque, son écusson, sa cravate. Aux favorisés de la fortune les meilleures chambrettes. Les autres sont boursiers. Maisons pieuses dont les noms seuls sont déjà tout un programme. Maisons studieuses aussi et tapageuses, aux débuts modestes. Il faudra quelques siècles pour que l'auberge de potaches de Robert de Sorbon devienne l'illustre Sorbonne, avec les défauts de ses qualités, les défauts de la lumière, attirant la trop grosse foule. Au grand guide de l'Histoire, l'imprimeur de service lui décerne quatre étoiles, cinq étoiles, privilège de Paris. Un Anglais de haute culture nous disait l'autre jour : « Sans doute Londres aussi possède-t-elle son quar- tier latin dans Bloomsbury. Il y a une London University et l'excel- lente London School of Economies. Mais elle est bien jeune. Et en Angleterre rien ne compte qui n'ait trois siècles derrière soi... » A Paris non plus. La rue des Ecoles et la rue Saint-Jacques, la rue Cujas et les jardiris du Luxembourg sont une Jérusalem, ou une Acropole, un haut lieu où le Panthéon voisine avec des bouibouis sordides, Auguste Comte avec les Reines de France, des étudiants camerounais aux fortes trognes et des mignonnes qui préparent une thèse sur Ronsard en avalant un café crème à la sauvette, debout, un expresso. La grisette a disparu, avec la cocarde de Mimi-Pinson. Les Sorbonnards prennent des pots de bière avec des copines en anoraks et chandails, coiffées à la bolée. Lisez l'article de Bernard Simiot dans la Revue des Deux Mondes du 1e r février 1961. Mais tout ce monde pirouette et faran- dole autour de la Sorbonne. Tous les grands carrefours histori- ques, Cité de Londres, Bruges, Salamanque, Nuremberg, Athènes, sont grands comme des mouchoirs de poche. Au Moyen âge, dans chaque collège, nous dit F. Strowski, chaque étudiant, à tour de rôle, a pour mission de surveiller la cuisine et « le principal fait les grandes provisions et en a la garde : vin, bois, sel, pois, fèves, verjus, lard ».

Trouvez donc, dans Paris d'aujourd'hui, chaque matin que

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Dieu fait, verjus et lard pour quatre vingt mille garçons et filles dont les cours de M M . Lévi-Strauss et Merleau-Ponty creusent l'appétit.

Je veux bien que les deux tiers de cette grande armée sont « Pari- siens ». Entendons ce mot au sens large, celui de dépendant de l'Académie de Paris, de Meaux à Chartres. Les purs Parigots ne sont certainement pas majorité. La grande colline reste bien Ville-Lumière. Et quelquefois miroir aux alouettes. Le Moyen Age, à côté des internes, admettait les Martinets, surnommés ainsi parce que, telles les hirondelles, ils passaient. Les autres étaient « portionnaires » à la portion congrue. Tous devaient être

« nés de légitime mariage ». (Notre temps est moins cruel). Pour la cuisine, le régime, comme à Oxford et Cambridge, différait de collège à collège. A Montaigne jamais de vin ni de viande, saui à la table des théologiens, en raison de « leur labeur aux études ».

Et la pomme de terre attendant, pour être connue, la découverte du Nouveau Monde et la propagande de Parmentier, les gens studieux, pour assouvir leur fringale, s'en tenaient aux choux et aux haricots, les « racines ». Si coûteuse était la chandelle qu'il fallait s'en montrer avare et se précipiter au travail de l'aurore au crépuscule, du moins en hiver. L'été, plus généreux, permet- tait de plus longues lectures. Dès octobre on se couchait, tôt, à moins que l'on ne discutât, et l'on discutait énormément, tout étant matière à débat. « Pour l'homme médiéval, nous dit M. Ste- phen d'Irsay, ce qui importait le plus, c'était l'acquisition d'une solide Weltanschauung, d'une vue d'ensemble du monde ; il n'avait pas cette adoration pour le Fait qu'a « l'homme moderne ».

Revenons au Fait n° 1, au pain quotidien, au logis. Le collège, sous M. Honnorat, est revenu au Parc Montsouris et chaque grande fondation doit lutter contre l'invasion du « coucou », celui qui, en l'absence d'un camarade, vient prendre sa clef pour nicher à sa place. Sur ces terrains de la « zone » occupés en 1920 par les dépôts de remonte et l'école de dressage de Montrouge, puis par un « Centre d'hébergement des réfugiés et des sans-abris », un industriel, Emile Deutsch de la Meurthe, obtint une première concession. Il fallut la conjonction d'André Honnorat, qui n'avait jamais franchi le seuil du bachot, et du savant linguiste et lexico- graphe Bruneau, maire du x i ve arrondissement, pour que le minis- tère de la Guerre concédât les trois « bastions », 81, 82 et 83, un kilomètre de « fortifs » qui n'avaient plus servi depuis Gambetta et Trochu, enfin démantelés. Quartier de clochards, de marlous et

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ETUDIANTS DE PARIS 617

de pierreuses, Paris insolite. L'intéressant ouvrage de M. Lucien Maury nous dit qu'il était hanté, voici quarante ans, par les tondeurs de chiens, les tireuses de cartes, les brocan- teurs.

Il est évident que l'arrivée massive des escholiers a dérangé quantité de petits métiers réfugiés en ruelles, de bidonvilles et baraquements borgnes de campeurs. Le bastion 81 surtout se faisait remarquer par son peuple fier de pouilleux abrités en wagons et bagnoles aux yeux crevés, d'omnibus enfin débarrassés de leurs roues et rendus à la vie privée, à l'obscure solidité des existences casanières. « A l'est de la future Cité, les réfugiés espagnols sont en majorité : un bistrot français corpulent et prospère, s'avoue leur banquier et dissimule sa fortune sous une tonnelle mal close » Tantôt bourbier tantôt bocage, la zone Montsouris faisait rêver les amateurs d'émotions fortes, ceux qui cherchent le « grand frisson » jusqu'au printemps, quand ce coin de zone disparais- sait « sous un nuage rose et blanc de pétales de pruniers et de grappes de lilas ».

Ces zoniers, en 1961, ne sont pas tous partis. Plusieurs sont plus conservateurs qu'on ne pense et ces coquillards, demeurés .compagnons de la cloche, errent encore, videurs de poubelles

et ravitailleurs de matous. Il y a des « mémères » aux chats qui, chaque soir, en face du Bureau des longitudes, leur distribuent du mou, des blanchailles, des choses fétides, en gestes touchants.

Il y a des squatters que ces établissements studieux importunent depuis un gros quart de siècle. Au lieu du Paradou de Zola (et de Pot-Bouille avec F Assommoir, voici les jardins d'Akademos.

Tout cela pour les loqueteux de vocation, est bien gênant. Aussi bien la ville de Paris s'acharna-t-elle pendant de longs mois à défendre ses taudis. Quand André Honnorat céda ses pouvoirs à Léon Bérard, ce grand lettré béarnais se heurta une dernière fois à une Lutèce routinière et maquignonne, réclamant de ce bled la bagatelle de 18 millions. Alexandre Millerand, hôte pas- sager de l'Elysée, prit parti pour les étudiants en mal d'un foyer.

On transigea à 13 millions et demi. Si vif était le scepticisme pari- sien que Paris réclamait un retour, une restitution des terrains si la Cité Universitaire ne pouvait les utiliser. Paris de 1920 dou- tait de sa propre éternité. Paris de 1920 ne croyait pas à l'éblouis- sant rayonnement de 1961, à son propre éclatement. Il est des femmes qui n'arrivent pas à croire qu'elles sont jolies.

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* *

L'étudiant sorbonnard du Moyen âge était, le plus souvent, pendant le cours, assis à même le sol, celui-ci garni de paille. Le professeur occupait une chaire. Contre l'exiguïté du logis chacun luttait de son mieux. Le drame n'est donc pas nouveau. Il arrive simplement qu'après certaines crises l'humanité, réclamant plus de lumière, sacrifie au démon de la connaissance. La station de métro Cité Universitaire, boulevard Jourdan, a toute son élo- quence. Quel tumulte studieux de filles et garçons aux bras chargés de cahiers èt bouquins, aux propos qui font vibrer les toits et cloi- sons des voitures ! Entre Arcueil et Gentilly, sur l'autoroute du Sud, la fondation Deutsch de la Meurthe est doyenne d'âge. Puis sont venus le Canada, la Belgique. Révolution dans l'urbanisme : 43 hectares sont actuellement occupés par ces phalanstères. Il a fallu, au début, la constante pression d'organismes étrangers, de bonnes volontés étrangères, pour venir à bout de la mauvaise volonté des administrations locales. Le comte Ehrensvârd, ministre de Suède, allié au romaniste Erik Staaf et à leur compatriote Anton Blanek durent prendre d'assaut la citadelle de messieurs les ronds de cuir parisiens pour que leurs boursiers suédois pussent enfin se parisianiser en une maison fraîche dont je connais bien le café au lait du matin. Un étudiant suédois m'y recevait l'autre jour.

Il revenait d'une excursion à Moscou au volant d'une deux-che- vaux, vacances d'un jeune homme sage qui, à Paris,«se spécialise dans l'étude des Hittites et des Sumériens. Après Ehrensvârd vint l'Honorable Philippe Roy réclamant pour son Canada un foyer pour vingt boursiers. Un Hollandais, Hubert Bierman, marié en Belgique et enrichi prodigieusement au Canada dans la pâte à papier, fonda la maison belge et ce mécène, entré comme petit mécano dans l'industrie du rail sans peau d'âne aucune, fait le bonheur aujourd'hui de la fondation Biermans Lapôtre dirigée incomparablement par un romaniste namurois, M. Brauns, sous un comité que préside de droit l'ambassadeur de Belgique, baron Jaspar, ancien condisciple à Lakanal de M. Louis Joxe. Enfin l'Europe sans frontières.

La Grèce est là avec ses architraves et ses colonnes, le Japon en style de pagode, l'Arménie monastique, la Suisse et ses « louables cantons » ont eu recours à Le Corbusier tout comme le Brésil. Plus

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ÉTUDIANTS DE PARIS 619 loin les Provinces de France, avec 450 étudiants, ont reçu l'élégant appui de Murry Gugenheim. Le Centre, bibliothèque, théâtre, salle de conférences, restaurant, est dû à la munificence de la famille Rockefeller.., Cosmopolis où la France d'Outre-mer reçoit ses Malgaches, Camerounais, Soudanais, unis par le seul lien de la langue française.

Turbulente république, tumultueuse volière. En face de la station de métro, aux feux rouges, plein milieu de la descente vers Orly, deux écriteaux, à. droite et à gauche de la route, pro- clament la Défense absolue de traverser celle-ci avant le signal vert. Un bouton est là, à la disposition de chacun. Nul, bien entendu, ne consent à s'en servir et chacun traverse la chaussée au petit bonheur la chance, sans plus se soucier des voitures qui, natu- rellement, n'apercevant que feux verts, s'élancent comme des bolides. Certains soirs, au lieu de la station de métro, c'est la station de Croix Rouge qui a fort à faire. C'est que la jeunesse de la Cité occupe le haut du pavé. Les règlements, pitance bonne pour les bourgeois. Dans l'enceinte prévue par feu M. Hon- norat, la police ne pénètre que sur demande écrite d'une fonda- tion. Un seul exemple : le conseil de la fondation belge, l'autre jour, décommanda une semaine belge de beaux arts simplement parce que les voisins africains de la France d'Outre-mer, au len- demain de la mort de Patrice Lumumba, étaient prêts à une contre- manifestation, suite à certaine offensive manquee vers l'ambas- sade de Belgique de l'avenue Tilsitt. La Cité, comme les collèges du Moyen âge, se régit elle-même, sous un comité que préside le plus normalien des normaliens, l'ambassadeur François-Poncet, à qui rien de canular n'est étranger. La Cité peut faire appel à M. Papon. Si les hoplites de M. Papon lui déplaisent, ce sera tant pis pour elle.

Les étudiants ne vont plus, comme au Moyen âge, à Saint Denis, pour la foire du Landi, mais ils iraient volontiers décro- cher l'enseigne de la Truie qui file ou boire, comme François Villon,

« ypocras à jour et à nuytée ». Remarquons seulement qu'ils n'ont guère loisir de « boire pourpoint et chemises ». Les habitués du Boul'Mich' que nous voyons, sirotant des jus colorés aux terrasses, ils sont en tout trois mille. Ce sont toujours les mêmes, les mieux nantis. Sur ce souci du travail dur, de la course à l'emploi, nous reviendrons plus loin. On dirait que tous ont retenu la leçon

du pauvre Villon : 1

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Hélas ! si j'eusse étudié, Au temps de ma jeunesse folle Et à bonnes m œ u r s dédié, J'eusse maison et couche molle.

Retenons pour l'instant que la grande affaire est, en 1961, d'éviter le taudis et de gagner de quoi régler son ardoise à la café- téria. Amyot payait son écot en traduisant Plutarque. Amyot aujourd'hui se ferait pion dans un lycée, voire dans une école de quartier. Ou bien il ferait du baby sitting, le gardien des enfants quand les parents sont au cinéma.

Tous, bien entendu, se composent une « tête ». Anversois ou Iroquois, Patagons, Bourguignons ou Slovaques, tous tiennent à ressembler à Jacques Brel, à Yves Montand, Aznavour ou Sacha Distel. Jamais de chapeaux. Par les blue-jeans et le chandail ils se fabriquent un dénominateur commun. Aucun, pour rien au monde, ne voudrait coiffer le chapeau mou du temps de M. Honnorat.

Même souci chez .les filles. Que de Brigitte Bardot, que de Fran- çoise Sagan qui potassent la phénoménologie, la propédeutique, la physique nucléaire ! L'Ecole des Chartes est envahie par les fanas du rock and roll. On est de son temps. Admirons cette Bré- silienne qui étudie la chimie à Paris le lendemain d'une sauterie qui a tourné à la « surboum ». Voyons la dans le milieu parisien.

Sa mère, au même âge, à Sao Paulo, ne sortait jamais seule, sans sa duègne. Maintenant on sort avec les copains. Quels problèmes pour les maîtres ! Car les enseignants et les enseignés appartien- nent à des siècles différents. Voilà bien le moment climatique dont nous sentons la difficulté.

Sous mes yeux, au « Babel » du Parc Montsouris, un Bar-Tabac, un Vietnamien, un Targui aux cheveux de mérinos frisé, deux Camerounais aux crânes laineux et un Occidental blafard jouent au billard japonais avec de grands éclats de rire, dans le tapage des billes qui cognent, sous l'œil sagace du gérant. Ici c'est un Malgache barbu de vingt-deux ans à chandail épinard qui parle de la biosphère et du cinéma de Clouzot à une blonde au nez pointu, devant une carafe de rouge. Là, un quatuor eurasiatique discute la victoire de Lourdes sur le Racing en reconnaissant que la France battue par la Grande-Bretagne (27-8) a retrouvé son puncheur,

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É T U D I A N T S D E P A R I S 621 Pierre Lacaze. A l'entrée des vestiaires, les annuaires du télé- phoné, en bataillons serrés, comme carrés de Wellington à Water- loo, montent la garde, et quelquefois une négresse coiffée d'un mouchoir bleu ciel vient les maltraiter comme un fagot de vieux bois à qui l'on demanderait des secrets.

Et, tout contre moi, une grassouillette au teint crayeux fait les yeux doux à un Sénégalais, bel affranchi, sûr de son affaire, ministre demain, Othello d'aujourd'hui.

L'aventure des « Collèges » de la Cité aura un jour son his- torien. Gardons-nous de conclure trop vite que les cinq mille étudiants, garçons et filles (onze cents filles) de la Cité, donnent le ton et l'empreinte aux soixante-quinze mille camarades épar- pillés de Saclay à la Halle aux Vins. La Cité est simplement un signe des temps, un témoin plus ostensible de l'éclatement du vieux Paris sorbonnard. André Honnorat venait de la Vallée de l'Ubaye, ces Basses-Alpes qui envoyaient par delà les mers, des « Mexicains ». Du Villard Haut d'Allos à la Baumelle, il était allé « pour s'absorber sous la direction du pauvre curé de l'endroit, dans la lecture de quelques rares et vieux livres ». Journaliste à la Gazette de Lyon, il aimait citer cet évêque de Digne, sa capi- tale, terre « plus riche d'œuvres que de systèmes » qui réclama en chaire la suppression de l'impôt sur les portes et fenêtres qui privait « les paysans et les ouvriers d'air et de lumière ». De sa famille il n'hérita qu'une défaite industrielle et, plaie d'argent n'étant jamais mortelle, il apprit à lire en écrivant. Lanessan le nomma directeur de son cabinet à la Marine. Fonctionnaire, il fut le premier à créer, en 1901, une caisse de secours du per- sonnel subalterne. Quand il imagina son paradis de Montsouris, sur la ligne de Sceaux, les savants de Sorbonne le prirent pour un professeur Nimbus, lui, l'autodidacte. Lucien Poincaré était mort le 1e r janvier 1920 et à ce recteur mathématicien succéda un autre homme de chiffres, le recteur Appel. Ces calculateurs harmonieux des astres et des nombres, personnages du Bella de Giraudoux, surent comprendre son idée d'un « hameau » d'étudiants.

Prestige des mots de vieille France. La Cité actuelle avec ces cinq mille habitants, c'est le hameau étudiant des rêveries d'un

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journaliste besogneux. Avec David-Weil et Branet il sut garder un Trianon à l'échelon planétaire. Honnorat fut connu du grand public en 1921 parce qu'il établit l'heure d'été, le changement d'heure. Nul ne fut moins ponctuel et il arrivait toujours trop tôt ou trop tard, providentiellement secondé par Mme Honnorat, cette petite Béatrice Dussane, à la diction si pareille à celle de Dussane, compagne incomparable de ses travaux et qui occupe encore, veuve discrète, un appartement exigu à l'entrée de la Cité. C'est lui qui, un jour, chez Larue, rencontra Hubert Bier- mans, un Hollandais d'Herkenbosch, attablé avec l'Honorable Philippe Roy. La fondation Biermans-Lapôtre naquit ainsi autour d'une cassolette de bœuf bourguigon suffisamment arrosé.

— Mon mari est mort là, sur ce divan jaune, nous dit Mme Honnorat, de sa voix cristalline, que le Conservatoire ne peut donner et qui ne s'acquiert qu'en naissant. C'est pourquoi j ' y entasse toujours dossiers et papiers, pour empêcher les visi- teurs de s'y asseoir... Si Biermans avait l'accent flamand ? Non, je ne trouve pas. Il avait plutôt l'accent canadien. Il roulait ses R comme un Croué dans les rôles de valets de Molière. A tous propos les milliardaires Biermans, comme les Rockefeller, venaient nous prendre, dans notre appartement de la rue Le Peletier. Si mon mari était féministe ? Lui sans doute. Moi pas. Je sais bien que ces centaines de filles qui passent là, sous mes fenêtres, elles se marieront. A mon sens, il faut que, dans un ménage, chacun y mette du sien, et que la femme en mette un peu plus. Peut- être si mon mari avait été buveur ou coureur, eussé-je été fémi- niste. Mais, comme il n'était ni l'un ni l'autre, je lui disais sou- vent : « Tu es féministe, parce que je ne le suis pas... »

Elle parle adorablement, la petite dame de soixante treize ans, au milieu de ses fauteuils en peluche et de ses potiches japo- nisantes.

* *

Pour nous qui, aujourd'hui, tenons Orly pour une gare toute proche et la ligne de Sceaux pour un omnibus de quartier, la Cité n'est qu'un prolongement de la Sorbonne, un hameau de bache- liers, à six minutes de métro du Luxembourg. Ses fondateurs avaient mesuré, en 1920, les dimensions quantitatives de la France, calculé le vertigineux travail de la peau de chagrin planétaire.

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ÉTUDIANTS DE PARIS 623 Les Danois, posant, en 1927, la première pierre de leur Maison rappelaient qu'au x ne siècle, l'Archevêque Absalon, avant de fonder Copenhague, avait passé neuf ans à Paris. Le recteur Char- léty inaugurant, en 1930, la maison de l'Indochine avec ses laques et ses carmins, saluait, à côté de nos humanités, celles d'Orient.

La maison des Provinces de France est confiée à M. Henri vsn Efîenterre, professeur de littérature grecque en Sorbonne et ancien élève de l'Ecole d'Athènes. Curieuse maison de Provinces de France à propos de qui l'on redisait la phrase de Montaigne, bon Périgourdin de Paris : « Je ne suis Français que par cette grande Cité, grande en peuples, grande en félicité, mais surtout grande et incomparable en variétés et diversités... »

Dans cette gamme de toutes les couleurs humaines, d'une poussière dorée des esprits, nous découvrons des espèces d'autant plus inattendues qu'elles sont sans cesse renouvelées. Le Hollan- dais de Paris en 1961 se fait une toute autre idée de la France que son aîné de 1946-47. Quant à l'Allemand...

C'est lui peut-être qui, au cours de cette enquête, doit nous intéresser le plus. Voici un solide privat-docent de Berlin-Ouest que le lycée Henri IV a chargé d'un cours d'allemand et qui, rare faveur, partage le déjeuner des professeurs. Lui, qui a tâté du communisme, devient l'ami d'un collègue de cette grande mai- son qui, le café siroté, lui fait les honneurs d'une démolition bien articulée du marxisme et du déterminisme historique. Or le len- demain, avec une même virtuosité, et toujours le mégot fumant à la commissure des lèvres, le collègue étale un panégyrique de Marx... à la même heure. L'Allemand de Berlin-Ouest trouve que, décidément, ces Français ne sont pas sérieux.

Il y a l'Anversois, bon Huron, qui, à peine débarqué, après trois jours seulement de vie à Paris, s'en vient trouver son pro- viseur belge navré. Il n'en peut plus. Pour s'inscrire à telle faculté, de bureau en bureau, il s'est fait lanterner. Il n'a pas compris.

Une seule idée le possède : quitter ce Paris monstrueux, cette géhenne aux cent visages, retrouver le confort flamand, la douce Anvers, pluvieuse Carthage, où tout le monde connaît tout le monde. Le proviseur, point sot, lui dit simplement : « Accrochez- vous à une planche, puis à une autre. Quand vous en aurez réuni trois, cela fera un radeau. Et puis vous verrez... »

Un an plus tard, l'Anversois, après un examen brillant, s'en va, complètement conquis.

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Il y a le Chilien, artiste, un peu ingénu et qui, dans son esprit, a fait de la France un tel monde que d'abord il est déçu. Que de choses qui, chez nous, sont acquises et qui, chez lui, sont encore en cogitation!... Et tout ce monde s'abandonne au jeu facile des comparaisons. Comme Daninos a tort quand il accuse le Fran- çais en voyage de faire de ces comparaisons un travers de l'esprit français ! Que d'Argentins qui trouvent que Paris, décidément, ce n'est pas Buenos Ayres ! La comparaison faite, on passe heu- reusement au parallèle. Comparaison inutile. Parallèle fécond.

Placés en pareilles situations, comment faisions-nous à Stamboul, à Tokyo, à Brasilia ?

Il y a ceux qui viennent et ceux qui reviennent. Aux premiers jours de la Cité, un étudiant turbulent entre tous, maître conduc- teur de monômes et chahuts, s'appelait Pierre Hervé. Dans ce petit pavillon-là vécut une étudiante ravissante qui, aujourd'hui, est impératrice d'Iran. Et aux premiers jours de la Fondation Deutsch de la Meurthe, un bachelier tunisien se faisait remar- quer par son zèle. Il s'appelait Habib Bourguiba.

C H A R L E S D ' Y D E W A L L E , (A suivre.)

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QU'EST-CE QUE L'INFLATION ?

Le 30 Pluviôse An IV (19 février 1796), à neuf heures du matin, la foule parisienne, ironique et joyeuse, avait envahi la placé Ven- dôme pour assister au spectacle que le Conseil des Cinq-Cents lui avait promis depuis plusieurs mois. Attirée par une cérémonie inusitée, elle venait s'assurer de la destruction, par le feu, des formes, planches et matrices ayant servi à la fabrication des assi- gnats. Le déroulement des solennités fut émouvant. De hautes autorités prononcèrent des discours, à la fois éloges funèbres et actes de bons propos, car, sans renier le passé, on exaltait le rôle des assignats dans les conquêtes de la Révolution, mais, engageant l'avenir, on annonçait la reprise d'un culte que la Répu- blique, parant au plus urgent, avait négligé jusqu'alors, celui de 1' « ordre dans les finances ».

En fait, l'ordre ne revint pas immédiatement ; dès les semaines qui suivirent, le Directoire, sans ressources devant des difficultés croissantes, ressuscita le papier-monnaie sous un autre nom : celui du mandat territorial. La misère s'étendit encore, tandis que les spéculateurs, profitant de renchérissement général, poursuivirent leurs opérations lucratives. L'institution ressemblait, en effet, étrangement à la précédente ; avec moins d'ampleur et moins de notoriété, rapidement elle eut le même sort.

Quelques années plus tard, une monnaie qui se révéla l'une des meilleures que la France eût jamais connue faisait une entrée discrète. La loi du 17 Germinal An XI (7 avril 1803) précisait le statut du franc : « cinq grammes d'argent au titre de neuf dixièmes de fin ». La loi n'instituait pas de référence directe à l'or mais, du fait des relations existant entre les pièces d'or et d'argent, le franc représentait un peu plus de 290 mg d'or fin. Ce furent là les

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débuts du franc dit « de Germinal » et l'origine du système moné- taire qui accompagna l'extraordinaire développement économique du x i xe siècle.

Ce développement est souvent mésestimé. Dans le domaine purement matériel, il est pourtant incontestable ; mais, à l'excep- tion de quelques élites clairvoyantes et justes, les hommes respon- sables d'alors commirent la faute de négliger les aspects sociaux de l'expansion industrielle et ses conséquences parfois très graves sur la condition humaine. Il n'en reste pas moins que les régimes monétaires du x i xe siècle et du début du x xe étaient étrangers à la dureté des conditions du travail et que, sur le plan technique, ils ont montré leur efficacité.

C'est la première guerre mondiale qui, par l'ampleur de l'effort qu'elle imposa aux belligérants et par l'importance des destruc- tions qu'elle provoqua, a porté le premier coup aux conceptions monétaires classiques, en faisant passer au second plan des préoc- cupations les lois de la discipliné financière. Et de nos jours, le souci de soutenir, sans relâche, une expansion continue de la pro- duction, d'assurer le plein emploi des hommes et des machines, a posé de nouveaux problèmes. Ainsi, le danger de la dégradation monétaire, rapide ou lente, est un fait général, mais non exclusif, des pays de civilisation industrielle. A ce titre, il appelle des mesures de solidarité entre les nations ; mais cette solidarité même impose des devoirs à chaque pays envers sa propre monnaie.

Pendant de nombreuses années, et naguère encore, l'inflation a sévi en France avec vigueur. Ses manifestations ont été, jusqu'à une époque récente, indiscutables bien que — comme nous allons le voir — elles ne fussent pas toujours liées aux'phénomènes qui retenaient davantage l'attention. Ses causes sont nombreuses ; sans doute, il en est de purement monétaires ; mais il en est de plus profondes qui touchent à l'essence même de notre pays, à ses aspi- rations, à ses contradictions, voire à ses habitudes.

* * *

Parmi les maladies qui peuvent atteindre les organes écono- miques ou financiers d'un pays, l'inflation n'est pas de celles dont le diagnostic, sinon la médication, pose des problèmes particuliè- rement ardus. Toutefois, gardons-nous d'une facilité sans doute trompeuse. Les symptômes sont, en effet, divers, et si certains

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Q U ' E S T - C E Q U E L ' I N F L A T I O N ? 627 d'entre eux constituent un indice sûr, d'autres ne doivent être retenus qu'au prix d'interprétations délicates. Depuis l'époque du Directoire, les institutions se sont perfectionnées. Aux billets de banque, d'autres moyens monétaires sont venus s'ajouter : dépôts bancaires, comptes-courants postaux. Mais les questions fondamen- tales demeurent les mêmes.

L'expression de planche à billets, vestige d'une technique dépassée, est fréquemment utilisée pour évoquer les désordres monétaires et plus particulièrement ceux qui sont imputés à une gestion malsaine ou trop audacieuse des finances de l'Etat. En réalité, les phénomènes sont plus complexes. L'accroissement de la quantité de monnaie en circulation, même s'il est rapide et impor- tant, ne traduit pas nécessairement un accès de fièvre de l'orga- nisme économique.

La .circulation globale des billets de banque évoque très sou- vent, par sa grandeur même, une notion extraordinairement abs- traite. Lorsque le journal du matin ou du soir annonce une augmen- tation hebdomadaire d'un milliard de nouveaux francs, nous savons qu'il se réfère au bilan de l'Institut d'émission. Gomme nous tous, et avec une rigueur que nombre d'entre nous n'atteignent proba- blement pas, la Banque de France suit, en comptabilité, les entrées et les sorties de billets, de telle sorte qu'elle est en mesure d'indi- quer, de façon très précise, le montant total de la monnaie qui circule hors de ses caisses. Cette expression globale prend tout son sens si nous considérons qu'elle représente, de manière très simple et très concrète, la somme des billets détenus par l'ensemble des Français dans leurs propres portefeuilles ou dans leurs tiroirs caisses. En d'autres termes, l'information du journal s'éclaire si elle rappelle à chacun de nous la part que nous avons prise dans l'augmentation générale, part individuellement modeste quelle qu'en soit l'importance, mais qui, multipliée par le nombre des millions de personnes en âge de détenir une encaisse, conduit à ce chiffre tellement élevé qu'il excède, de loin, les limites de notre perception directe.

En dehors de tout climat d'inflation, la planche à billets peut fonctionner pour deux sortes de raisons. Elle peut fonctionner tout simplement parce que le pays s'enrichit, parce que le pouvoir d'achat des salariés se développe et que les quantités de marchan- dises vendues augmentent. Pour payer des salaires plus élevés, des revenus croissants, pour régler des transactions commerciales plus

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abondantes, il faut davantage de monnaie. C'est alors la prospérité de l'économie nationale elle-même qui provoque des émissions nouvelles.

Mais l'augmentation de la circulation des billets peut traduire autre chose ; elle peut avoir aussi pour origine une modification dans le comportement des individus. Avant d'en tenter l'analyse, sans doute pourrions-nous procéder à une comparaison. Le billet de banque joue, dans notre vie quotidienne, le rôle d'une sorte de véhicule ; c'est lui qui permet aux marchandises de se déplacer d'un patrimoine à l'autre ; c'est grâce à lui que le bien, l'objet que nous désirons, abandonne le rayon du libraire, l'étal du boucher, pour venir jusqu'à nous. Pour faciliter le raisonnement, j'essaierai donc un rapprochement entre le montant des billets de la Banque de France en circulation et le parc automobile de notre pays. L'emploi d'une automobile, plus précisément le nombre de kilomètres par- courus annuellement, est très variable d'un usager à l'autre, et aussi parfois, pour la même personne, d'une année à l'autre. La presse ne nous a-t-elle pas appris que depuis quelque temps le kilométrage annuel moyen de chacune des voitures en service tend à diminuer ? Pour des raisons qui ne sont pas de notre propos, les Français, ou du moins la majorité d'entre eux, tendent à laisser davantage leurs voitures au garage, à les utiliser moins souvent ou à les conduire moins loin. Le nombre total des kilomètres parcou- rus se développe parce que le nombre des véhicules augmente, lui aussi, mais la distance parcourue par chaque unité diminue.

Ce qu'ils font avec leur voiture, les Français ont la faculté de le faire avec leurs billets de banque ; ils peuvent les conserver, plus longtemps et en plus grande quantité, dans leurs portefeuilles ou leurs caisses. S'ils gardent une partie de leurs billets au lieu de les dépen- ser tous, le nombre des transactions réglées par chaque unité moné- taire diminuera. Mais la Banque de France, pendant ce "temps, sera sollicitée de fournir les moyens de paiement nécessaires aux règle- ments des salaires et des transactions commerciales ; elle sera appelée à développer ses émissions, en contrepartie des crédits qu'elle accorde ou des devises étrangères qu'elle achète. Et ainsi que verrons-nous ? Une accélération sensible de la « fabrication » des billets, c'est-à-dire une augmentation du montant total de la monnaie émise, mais une augmentation qui n'apportera aucun témoignage inflationniste. Elle signifiera simplement que la plu- part d'entre nous tendons à épargner des billets, à en conserver

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Q U ' E S T - C E Q U E L ' I N F L A T I O N ? 629 davantage en réserve dans notre portefuille ou dans notre caisse.

De telles considérations ne sont pas de simples vues de l'esprit.

Pour prendre un exemple relativement récent, la stabilité des prix, qui s'est maintenue de 1952 à 1957, s'est accompagnée d'une très forte poussée de la circulation des billets. Que se passait-il donc ? Une chose très simple que nous comprendrons tout de suite en puisant dans nos propres souvenirs. Tant que les prix montaient, nous nous hâtions de dépenser notre argent à mesure de la percep- tion de nos rémunérations ou de nos gains. Envisagions-nous d'acheter un réfrigérateur, une machine à coudre, un objet quel- conque? Dès que nous avions rassemblé les fonds nécessaires nous procédions à l'acquisition projetée, de crainte de subir une nouvelle hausse des prix. A partir de 1952, et dans les années qui suivirent, notre état d'esprit s'est modifié. Nous n'étions plus aussi impa- tients. Nous pensions que, peut-être, les modèles allaient recevoir des perfectionnements et que nous avions intérêt à attendre. En outre, nous estimions raisonnable de garder quelque argent devant nous. Bref, des billets en plus grand nombre restaient dans notre caisse et lorsque chaque mois l'on calculait le montant de la circu- lation fiduciaire, en d'autres termes, lorsqu'on établissait le total des encaisses détenues par chaque Français, on trouvait un mon- tant accru de billets. La planche fonctionnait, mais parce que nous le voulions ainsi. Faisons un saut de deux ou trois ans et tout près de nous, en l'année 1960 même, la circulation reprend sa montée parce que, de nouveau, les Français laissent croître leurs encaisses de billets.

Je viens de citer deux époques, l'une proche, l'autre que nous vivons, pendant lesquelles les billets sortent largement des presses de la Banque de France. Une autre période est, à cet égard, extrê- mement significative ; elle est ancienne mais elle est remarquable : c'est celle qui couvre les années 1879 à 1914. Pendant ces trente- cinq années de progrès industriel, la circulation des billets n'a cessé de se développer suivant une ligne extraordinairement continue, parce que, d'une part, le niveau de vie de la population s'élevait et que, d'autre part, les Français augmentaient progressivement leurs encaisses. Au cours de cette longue période, l'inflation demeu- rait un phénomène oublié depuis plusieurs générations ; seuls, les ouvrages d'histoire en transmettaient le souvenir, sans apporter le moindre trouble dans les esprits.

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Si l'inflation n'est pas simplement l'expansion rapide des billets en circulation, qu'est-elle donc ? Interrogez un économiste, il répondra que l'inflation consiste en un excédent de l'ensemble des demandes solvables sur la valeur globale des offres de biens et de services. En termes plus clairs et plus accessibles, cela signifie ceci : à un moment donné, il existe dans tout pays une certaine organisation — spontanée, ou dirigée par les pouvoirs publics, peu importe — selon laquelle des marchandises, des produits et des services divers sont offerts à des prix déterminés ; si les per- sonnes désireuses et capables d'acheter ces marchandises, produits et services, aux prix courants, sont en nombre tel que les approvi- sionnements ou les possibilités de production ne pourront permettre de les satisfaire toutes, l'inflation se déclare. Cet afflux d'acqué- reurs agira sur les prix ; nous parvenons ainsi à la seule manifes- tation certaine, et malheureusement trop connue, de l'inflation : la hausse généralisée ou, pour employer une expression un peu rebattue, la flambée des prix.

Cette montée des prix, lente ou rapide selon la gravité du mal.

entraîne dans son sillage, avec plus ou moins de vigueur selon le pouvoir d'adaptation des diverses forces actives, les salaires et les profits. Restent en arrière les revenus de la plupart des rentiers ou des créanciers, et, plus douloureusement, les ressources des épargnants qui avaient compté sur eux-mêmes pour assurer leur vieillesse. Dans ce qu'on a appelé la course des salaires et des prix, qui est aussi la course des salaires et des profits, la hausse des salaires est souvent une confirmation pure et simple, une manifestation seconde, du mouvement d'inflation ; elle procède d'une simple réaction de défense contre la diminution du pouvoir d'achat.

En d'autres circonstances, les liens de causalité sont moins nets ; hausses des salaires, hausses des prix se succèdent à un rythme plus ou moins rapide. Où est la cause, où est l'effet ? Dans ce domaine des salaires qui touche à tant d'intérêts, et des plus légitimes, l'interprétation objective et sereine est difficile ; pour demeurer juste, l'analyse doit être très nuancée.

En réalité, la hausse des salaires est dépourvue de tout carac- tère inflationniste dans la mesure où elle représente les gains de la productivité, c'est-à-dire lorsqu'elle suit ou stimule même les progrès de la technique. Grâce à un perfectionnement ou à un

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ÔU'EST-CE QUE L'INFLATION ? 631 meilleur emploi des machines, chaque heure de travail correspond à une production accrue. Telle usine qui produisait cent objets manufacturés en mille heures de travail, en produit désormais cent dix. Dans une telle hypothèse, la hausse des salaires n'est pas considérée comme un indice d'inflation ; elle représente pour les travailleurs de meilleures conditions de vie sans risque de hausse de prix.

Rampante, si elle demeure peu sensible dans la vie quotidienne, rapide, telle que nous l'avons connue en France à diverses reprises, ou galopante, comme elle s'est' manifestée en Allemagne et en Autriche après la première guerre mondiale, l'inflation ne limite pas ses désordres à l'intérieur du pays ; elle s'accompagne, à plus ou moins brève échéance, de difficultés parfois très graves dans les relations commerciales avec l'étranger, et met ainsi en péril la vie économique même de la nation.

Tous ceux qui ont connu les troubles monétaires consécutifs à la première guerre mondiale se rappellent l'empressement inquiet avec lequel la foule parisienne guettait chaque jour, dans la presse du soir, le cours du dollar ou de la livre à Paris. De nos jours, la réglementation des changes fait que le public ne ressent plus, comme il la percevait à cette époque, la gravité des problèmes financiers internationaux. Pourtant, le temps est encore proche où, à la fin de 1957, les réserves de la France en moyens de paie- ment étrangers se réduisirent à un degré tel que l'industrie natio- nale fut menacée d'un arrêt d'approvisionnement des produits les plus indispensables à son activité. Le chômage, le dénuement allaient saisir le pays et mettre fin à une fallacieuse prospérité.

* * *

Hausse générale des prix, perte des réserves de change, telles sont donc les manifestations les plus frappantes de l'inflation.

Mais la cause ou les causes de cette évolution, quelles sont-elles ? Si l'on s'en tient aux facteurs d'ordre monétaire, on pense en général que l'inflation procède de la distribution de revenus supplémentaires entraînée par une création de monnaie plus rapide que la produc- tion de nouveaux biens. Cette explication est vraie en partie seu- lement, car — et c'est là l'un des paradoxes qui compliquent l'analyse — on a vu que le développement de la circulation moné- taire n'exerçait pas d'action sur les prix, même si aucune augmen-

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tation de la production ne l'accompagne, lorsque les individus accroissent d'autant leurs encaisses. Mais quel que soit le nombre des Harpagons modernes, l'accumulation des billets de banque, parmi les piles de linge ou dans les compartiments de coffres-forts, a des limites. Dès que les consommateurs utilisent les suppléments de revenus pour dépenser davantage, les prix commencent à mon- ter. Tel est le mécanisme proprement monétaire qui met l'inflation en mouvement.

La quantité de monnaie peut devenir excessive, non seulement par la voie des avances de la Banque d'émission à l'Etat, mais aussi par celle des crédits bancaires aux entreprises ou aux particuliers.

Toutefois, les premières ont été plus souvent que les secondes fac- teurs d'inflation, pour des raisons complexes qui tiennent, avant tout, à la puissance de l'Etat. En s'afïranchissant des contraintes de la fail- lite, l'Etat se trouve en mesure de supporter des dérèglements finan- ciers que ne souffrirait aucune autre entreprise et qui, par l'impor- tance même des sommes en jeu, sont de nature à compromettre profondément la tenue de la monnaie.

La gravité de la situation nationale a justifié, en certaines cir- constances, le financement des dépenses publiques par l'émission de papier-monnaie. Le Ministre des Finances du Directoire, Ramel, le rappelait déjà, au moment de la destruction des matériels d'im- pression, en expliquant que les assignats avaient permis à la Révo- lution de sortir victorieuse des guerres menaçantes pour son inté- grité. A l'autre extrémité de cette très longue période de stabilité monétaire, qui a couvert tout le x i xe siècle et les premières années du x xe, nous trouvons les avances que les gouvernements de la République demandèrent à la Banque de France pour financer la première guerre mondiale. Si, au lendemain des hostilités, le franc perdit les quatre-cinquièmes de sa valeur, du moins le pays fut-il en mesure de fournir le plus grand effort qui lui eût été jamais imposé au cours de son Histoire. Depuis lors, après une seconde guerre mondiale et l'apparition de nombreuses charges nouvelles, les émissions monétaires étaient devenues, à travers des vicissitudes nombreuses, un procédé fréquent, sinon normal, du financement de l'Etat. Et le franc, à la suite de dégradations successives, est devenu une fraction extraordinairement réduite du franc de Ger- minal.

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Q U ' E S T - C E Q U E L ' I N F L A T I O N ? 633 Pour ces raisons, en dernière analyse, l'inflation est le résultat ou le signe d'une disproportion entre l'ampleur des objectifs que s'est fixés la nation et la volonté de les atteindre. Les ressources matérielles commandent l'accès des objectifs, mais le degré de volonté trace les moyens d'accès ; le manque de détermination conduit aux solutions de facilité dans le domaine financier. Objec- tifs nombreux ou ambitieux, volonté insuffisante, ce diptyque contient le drame de l'inflation française, le drame de la faiblesse du franc qui se manifestait encore à une date récente.

André Siegfried aimait citer la phrase par laquelle Michelet commençait son cours au Collège de France : « Messieurs, l'Angle- terre est une île ; vous en savez maintenant autant que moi sur son histoire ». La France n'est pas une île, aussi ne se prête-t-elle pas à une formule aussi lapidaire, mais cette évocation me porte loin en arrière, au cours de géographie, sur les bancs du lycée.

Combien nous étions fiers, avec notre patriotisme orgueilleux et naïf, d'appartenir à un pays doté d'une situation aussi privilégiée ! Cet hexagone, objet de l'admiration de nos professeurs et commenté élogieusement dans nos ouvrages scolaires, quelle merveille ! Mais aussi, devrait-on ajouter à la lumière des difficultés françaises, quelle terrible source de dispersions et de choix déchirants ! Et quel danger, d'autant plus redoutable désormais que l'importance relative de la France diminue dans l'échelle des puissances mondiales !

Les vocations suscitées par sa position géographique ont valu à notre pays, depuis quinze ans, de multiples charges qui ont pesé sur son redressement. L es gouvernements successifs ont dû financer outre-mer des actions militaires destinées à sauvegarder, dans la mesure qui paraissait possible, des intérêts séculaires. Ils ont dû financer aussi de nombreux et coûteux travaux d'équipement : routes, installations portuaires, aérodromes, bâtiments adminis^

tratifs et hospitaliers. Par la suite, avec la formation d'Etats indé- pendants, ils se sont trouvés dans le cas d'assumer de l'aide tech- nique, particulièrement à l'égard des pays d'outre-mer d'expression française ; à ce„titre, la France est la nation qui supporte, par habi- tant, le poids le plus lourd.

Sur le plan politique, par ses ambitions souvent les plus légi- times et par le souci de garder son rang parmi les nations, la France s'impose une œuvre d'autant plus lourde qu'elle doit déjà entretenir une armée pour remplir ses engagements internationaux et exécuter des missions immédiates.

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Dans les domaines économique et social, les tâches sont égale- ment nombreuses. Alors même que la réparation des dommages de guerre et la reconstruction des usines et des habitations détruites étaient à peine amorcées, de nouvelles nécessités apparaissaient : moderniser l'industrie et l'agriculture et alléger le réseau commer- cial des biens de consommation, en vue d'améliorer le niveau de vie de la population et de mettre le pays en mesure de lutter à armes égales avec la concurrence internationale ; assurer l'emploi et le bien-être des générations montantes, pa» l'éducation d'abord, par les installations industrielles et les constructions de logements ensuite. Une telle énumération n'est pas exhaustive. Il faudrait ajouter encore bien d'autres travaux, ne pas omettre que le pays

^doit entreprendre et poursuivre un vaste programme de recherche scientifique et de prospection des ressources naturelles, qui dépasse, ici encore, le cadre de la métropole.

Nos dirigeants doivent ainsi mener de front des tâches immenses, dans la ligne du passé national, et soutenir par là même une lutte constante contre les aspirations immédiates de l'ensemble de la population. De pareilles tâches exigent un effort collectif perma- nent.

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* *

Depuis quarante-cinq ans, c'est-à-dire depuis les débuts de la première guerre mondiale, cette volonté a souvent manqué de vigueur. N'a-t-on pas dit que les bourgeois français offraient plus facilement leur vie que leur or à la patrie ? Comme toutes les for- mules trop brèves et par conséquent sans nuances, celle-ci est évidemment exagérée, non que les Français aient refusé de donner leur vie, mais parce qu'ils ont aussi livré leur or. Il n'en demeure pas moins que l'inflation qui s'est développée pendant la première guerre mondiale signifiait ceci : le Gouvernement se trouvait dans l'obligation de restreindre considérablement le niveau de vie de la population pour dégager les ressources, en biens et en travail, néces- saires à la poursuite de la guerre et à l'obtention de la victoire ; or, ni l'impôt, ni l'emprunt, ni les contributions volontaires ne suffirent pour donner à l'Etat les moyens de raidir sa politique dans la mesure souhaitée, et c'est ainsi que l'inflation s'est mani- festée avec les conséquences que l'on connaît sur la répartition des sacrifices.

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Q U ' E S T - C E Q U E L ' I N F L A T I O N ? 635 Pour prendre un exemple plus récent, de magnifiques réalisa- tions ont transformé la France, depuis 1945. L'appareil économique s'est considérablement renforcé par l'édification de centrales hydro-

électriques, la modernisation des transports, la mise en place d'usines atomiques et, d'une manière plus générale, par des instal- lations industrielles qui ont profondément rénové et fortifié la structure des moyens de production du pays. Mais ces réalisations ont été financées, du moins en partie, par l'inflation. Ici encore, les volontés individuelles ou gouvernementales n'ont pas toujours atteint les niveaux qu'aurait commandés l'ampleur des objectifs fixés.

Le manque de volonté individuelle s'explique sans doute parce que nous n'avons pas suffisamment conscience de l'importance de nos propres décisions, de nos propres attitudes sur le plan national.

Et pourtant, la volonté d'une nation ne peut prendre corps que par la somme des volontés des millions d'individus qui la compo- posent.

Mais il est d'autres causes. Le défaut de résolution peut tra- duire tout simplement le refus d'adhérer à la politique du gouver- nement, soit dans son ensemble, ou seulement pour certains de ses aspects. Il procède souvent aussi d'une intime protestation contre la répartition des charges, en d'autres termes, d'un senti- ment de frustration et d'injustice sociale. Il représente certainement, en maintes occasions, une méfiance plus ou moins sincère à l'égard des gouvernants, méfiance qui s'exprime par les réflexions souvent entendues : « les impôts sont lourds parce qu'il y a trop de fonc- tionnaires », ou — variante plus générale — « parce que les services de l'Etat sont mal gérés ». Même lorsqu'elles sont fondées sur quelques imperfections, inhérentes d'ailleurs à toute activité humaine, de telles réflexions expriment souvent chez ceux qui les énoncent une propension à n'accepter qu'avec mauvaise grâce, certaines obligations telles que la nécessité de supporter l'impôt ou de payer les services à leur prix ; elles conduisent à sou- haiter d'être bien logé mais à ne pas admettre l'augmentation des loyers, à prétendre être transporté avec rapidité et confort, mais, à protester contre l'application de tarifs rémunérateurs.

Il faut reconnaître aussi que les pouvoirs publics, dans les années qui ont suivi le dernier conflit mondial, n'ont guère fourni le modèle de l'action continue et de la ténacité dans la discipline financière, qu'une telle attitude ait été ou non le résultat d'un choix.

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Dans l'accomplissement de nos propres tâches, nous sommes tous extrêmement conscients de la nécessité de l'effort personnel ; ce n'est qu'au prix d'une volonté constante — nous le savons — que nous pouvons espérer obtenir les résultats visés, pour peu qu'ils soient teintés d'ambition. La gestion méthodique de l'Etat a aussi ses exigences. La pérennité de l'expansion ne peut être assurée que par un effort continu, écartant les à-coups et mettant le pays à l'abri des menaces de cessation de paiement dans ses relations commerciales avec l'étranger. Les intentions politiques, sociales, économiques étant arrêtées, les pouvoirs publics ont deux rôles, l'un d'action, l'autre de persuasion. C'est par leurs décisions con- cernant la dépense publique, la fiscalité, les prix, les salaires, le commerce extérieur, que les dirigeants marquent leur volonté.

La plupart de ces décisions sont impopulaires parce qu'elles sont contraignantes. Aussi pour obtenir, au maximum, l'adhésion de la population, appartient-il au gouvernement non seulement de répartir les charges avec équité, mais encore d'expliquer les buts fixés, en montrant leur nécessité ou leur intérêt.

Pendant de nombreuses années, la vie politique française a donné un exemple d'instabilité extrêmement nuisible à l'expres- sion d'une volonté nationale forte et continue. Si bien disposées que pouvaient être les énergies individuelles, leur coordination, leur impulsion, leur orientation demeuraient insuffisantes. Et si forte que pouvait être la résolution d'un gouvernement, non seu- lement le temps lui manquait pour, mener à bonne fin un programme cohérent, mais la perspective même d'une existence trop brève nuisait à l'élaboration d'un plan soumis aux dures disciplines de l'équilibre financier.

Ce manque apparent de conviction devant l'ampleur des objec- tifs que s'imposait la nation donnait à l'étranger une idée fausse de la situation économique réelle du pays. Son vigoureux redresse- ment n'est devenu sensible qu'avec le retour à la stabilité du franc.

* * *

La recherche d'une bonne monnaie ne répond pas seulement au vain souci de la rigueur comptable. Si l'inflation des assignats alarmait le Directoire, c'est que ses ravages menaçaient gravement l'ordre public. La montée continue des prix est à la source de

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Q U ' E S T - C E Q U E L ' I N F L A T I O N ? 637 découragements et de conflits sociaux ; elle entraîne des appau- vrissements immérités mais favorise des enrichissements sans cause.

La dépréciation monétaire met obstacle, par son caractère impla- cable et aveugle, à une répartition équitable des efforts à accom- plir ; elle désorganise l'économie en altérant les prix de revient et en faussant l'orientation des investissements. Sur le plan inter- national, elle alourdit les dettes envers l'étranger et risque de livrer le pays au chômage et à la misère en le privant d'approvisionne- ments indispensables à son activité. D'un point de vue politique, la bonne monnaie est essentielle au prestige d'une nation, au maintien ou au développement de son influence dans le monde.

Certes, si elle apparaît nécessaire, la stabilité de la monnaie n'est pas suffisante pour répondre à de telles préoccupations. Après l'apogée économique de 1929 qui marqua longtemps le point cul- minant de la production nationale, et jusqu'aux approches de la deuxième guerre mondiale, la France, retranchée derrière un vaste réseau de protection, voyait son économie s'affaiblir à mesure que l'or s'accumulait dans les caves de la Banque d'émission. Cette santé monétaire n'était pas tant le résultat d'une forte discipline nationale que le signe d'un redoutable repliement, celui d'une excessive timidité dans l'établissement des moyens d'action poli- tique et des objectifs économiques du pays.

Depuis la guerre, la France a retrouvé de lourdes obligations poli- tiques, économiques, sociales ; ces obligations peuvent paraître excessives. Devant de telles charges, notre nouveau franc résistera- t-il ? Par chance, des perspectives nouvelles se font jour. Même limité aux six pays de la Communauté économique, notre conti- nent représente le génie éprouvé d'une civilisation qui assemble aujourd'hui 165 millions d'habitants. La position géographique de la France, qui fut parfois une source de dispersion et d'affaiblis- sement, devient, dans l'association européenne, un remarquable atout. Elle facilitera nos efforts qui maintiendront — si nous le voulons — la vigueur de notre monnaie.

P I E R R E B E R G E R .

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