Billet d’humeur
Luc Ferry réinvente « l’entreprise » et le « marché »
Qui a inventé l’école ? Ce n’est pas ce sacré Charlemagne mais probablement Luc Ferry en personne… On aurait du mal à le croire mais cela n’empêche pas l’ancien ministre de l’Education Nationale de Jean-Pierre Raffarin de tenir des propos non moins grotesques dans le journal « l’Expansion » (31 mai 2006) lorsqu’il affirme : « les programmes d’économie me semblent, en effet, hors du monde, bourrés d’idéologie. Je n’ai pas réussi à les changer autant que je l’aurai voulu, mais j’y ai quand même introduit des notions aussi extravagantes
« qu’entreprise » ou « marché », qui étaient absentes des textes avant mon arrivée ».
Et pourtant, qui sait lire les programmes depuis la naissance des sciences économiques et sociales sait aussi que ces notions y ont toujours été ancrées. La circulaire du 12 octobre 1967 donnant des instructions relatives à l’enseignement de l’initiation aux faits économiques et sociaux encourage même (en seconde) l’étude de monographies d’établissements qualifiées « d’indispensables à la description des activités ». Les visites d’établissements sont conseillées : « le représentant d’une entreprise peut présenter un dossier qui oriente la curiosité de la classe et guide son intérêt ». En première B (l’ancêtre de la première ES), l’entreprise fait l’objet de la première des trois parties du programme et le fonctionnement du marché y est traité dans la troisième. Dans un manuel de terminale datant de 1969 (Ed. Nathan) et largement utilisé à l’époque, on peut lire (leçon 16, tome I) : « Dans la société, l’entrepreneur joue un rôle tout à fait fondamental. C’est lui qui décide de créer l’entreprise ; c’est lui qui est à l’origine des innovations ; c’est lui qui effectue les calculs de rentabilité ; et c’est lui qui organise la combinaison des facteurs de production de façon à maximiser les gains […] Son pouvoir ne peut être partagé ou contesté car il implique des responsabilités qui se soldent éventuellement par la faillite en cas d’échec ; une sanction aussi sévère ne se conçoit que comme corollaire d’une liberté absolue ». C’est sans doute l’idéologie que dénonce M. Ferry !
Les propos de l’ancien ministre pourraient prêter à sourire s’ils ne s’inscrivaient pas dans un procès en sorcellerie mené depuis plusieurs années par une certaine presse « spécialisée » et « bien pensante », par des représentants du Medef et par nos ministres de l’Educations Nationale, MM. Ferry et de Robien, procès dont l’objectif est de dénoncer l’enseignement des SES comme idéologique parce qu’il prétend rendre compte des différentes théories et développer l’esprit critique des élèves.
Certes, on aurait pu faire davantage pour « l’entreprise » et le « marché », qui ont été présents dans tous les programmes depuis la naissance des SES, en créant par exemple une option intitulée « Approches économique et sociologique de l’entreprise ». Une telle option avait effectivement été mise en place en terminale ES par le gouvernement qui a perdu les élections législatives de 1993 et supprimée immédiatement par la nouvelle équipe gouvernementale qui venait de nommer un certain Luc Ferry président du Conseil National des Programmes…
M. Ferry a donc raison de prétendre dans « l’Expansion » que « la droite républicaine reste indigente sur le plan intellectuel » qu’elle « n’aime pas les idées » : il y est pour quelque chose !
Georges Ortusi