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Conception, synthèse et caractérisation de vecteurs pour la nanomédecine : applications en thérapie
anticancéreuse
Adrien Grassin
To cite this version:
Adrien Grassin. Conception, synthèse et caractérisation de vecteurs pour la nanomédecine : applica- tions en thérapie anticancéreuse. Médecine humaine et pathologie. Université Grenoble Alpes, 2015.
Français. �NNT : 2015GREAV004�. �tel-01179814�
THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ GRENOBLE ALPES
Spécialité : CHIMIE ET SCIENCES DU VIVANT
Arrêté ministériel : 7 août 2006
Présentée par
Adrien GRASSIN
Thèse dirigée par Pascal Dumy et codirigée par Didier Boturyn
préparée au sein du Département de Chimie Moléculaire dans l'École Doctorale Chimie et Sciences du Vivant
Conception, synthèse et
caractérisation de vecteurs pour la nanomédecine : applications en thérapie anticancéreuse
Thèse soutenue publiquement le 5 Mai 2015, devant le jury composé de :
Mr, Benoit, FRISCH
Directeur de Recherche, Université de Strasbourg, Rapporteur
Mr, Gilles, SUBRA
Professeur, Université de Montpellier 1, Rapporteur
Mr, Arnaud, FAVIER
Chargé de recherche, INSA Lyon, Examinateur
Mr, Fabrice, THOMAS
Professeur, Université Grenoble-Alpes, Président
Mr, Didier, BOTURYN
Directeur de recherche, Université Grenoble-Alpes, Examinateur
Mr, Pascal, DUMY
Remerciements
Remerciements
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier le Prof Pascal Dumy, Directeur de l’École nationale supérieure de chimie de Montpellier, de m’avoir accueilli au sein du laboratoire à Grenoble.
Je tiens également à remercier tout particulièrement le Dr Didier Boturyn de m’avoir dirigé, conseillé et accordé sa confiance pendant ces trois années.
Je souhaite remercier la région Rhône-Alpes pour le financement de ces travaux
Je souhaite également remercier vivement les personnes d’avoir accepté d’examiner et d’évaluer ce travail :
- Prof Fabrice Thomas - Dr Arnaud Favier - Prof Gilles Subra - Dr Benoit Frisch
Je tiens à remercier le Dr Jean-Luc Coll et toute son équipe à l’Institut Albert Bonniot de Grenoble de m’avoir accueilli et encadré pour les évaluations sur cellules. Je tiens à remercier tout particulièrement Maxime Henry d’avoir pris le temps de me former, et Thibault Jacquet de nous avoir aidé par la suite, mais aussi Laetitia, Sandrine, Victor, Tao, Anastasia et Yoon pour leur accueil et leur disponibilité.
Je tiens également à remercier le Prof Patrick Couvreur pour son accueil chaleureux, ainsi que toute son équipe à l’Institut Galien de l’Université Paris Sud pour la formulation des nanoparticules de squalène. Je tiens à remercier tout particulièrement Simona Mura de m’avoir encadré au long de ces deux mois, ainsi que mes collègues de bureau pour leur aide précieuse : Dunja, Nadia et Alice, mais également Julie Mougin.
Je tiens aussi à remercier le Dr Arnaud Favier et Damien Duret pour la collaboration et les
Remerciements
Je souhaite également remercier tous le laboratoire I2BM, en particulier le Dr Muriel Jourdan pour son aide très précieuse sur la modélisation. Mais aussi tous les membres du laboratoire que j’ai rencontrés et qui m’ont aidé tout au long de ma thèse, en particulier Christopher, Michaël, Émilie, Nabil, Baptiste, Romaric, Morgane, Dhruv, Hugues, Marie, Damien, Fabien, Marc et Carlo.
Je souhaite aussi remercier tout le personnel du DCM, en particulier le plateau de spectrométrie de masse et le plateau de spectrométrie RMN.
Je souhaite enfin remercier ma famille et mes proches, Hélène, Bérenger, Mathias, Cyrielle,
mes sœurs Mathilde et Julie, et enfin mes parents Antoine et Evelyne pour m’avoir soutenu tout
au long de mes études.
Table des matières
Table des matières
Table des matières
Abréviations ... viii
INTRODUCTION ... 1
1 Préambule ... 2
2 Le développement de la nanomédecine ... 3
3 Vectorisation ... 5
3.1 Effet EPR ... 6
3.1.1 Limitations de l’effet EPR et améliorations ... 7
3.1.2 PEGylation ... 7
3.2 Utilisation de ligands ... 11
3.2.1 Cell penetrating peptides (CPP) ... 12
3.2.2 Acide Folique (vitamine B9) ... 12
3.2.3 Acide Hyaluronique ... 13
3.2.4 Anticorps ... 14
3.2.5 Aptamères ... 16
3.2.6 Sucres ... 18
3.2.7 Transferrine ... 19
3.2.8 Peptides ... 19
3.2.9 Interactions avec le micro environnement de la tumeur ... 21
3.2.10 Avantages et limitations des ligands ... 22
4 Nanoparticules ... 23
4.1 Nanoparticules Lipidiques ... 23
4.1.1 Micelles ... 23
4.1.2 Liposomes ... 24
4.1.3 Nanoparticules à base de lipides solides – Lipides nanostructurés ... 25
Table des matières
4.2.2 Polymères ... 28
4.2.2.1 Poly(alkyl cyanoacrylate) ... 28
4.2.2.2 Acide hyaluronique ... 28
4.2.2.3 Chitosane ... 29
4.2.2.4 Acide lactique / glycolique ... 30
4.3 Nanoparticules inorganiques ... 31
4.3.1 Or ... 31
4.3.2 Oxyde de fer ... 33
4.3.3 Quantum Dots ... 34
4.4 Nanotubes de carbone ... 36
5 Objectifs des travaux ... 38
CHAPITRE I OPTIMISATION DU VECTEUR PEPTIDIQUE ... 40
1 Introduction ... 41
1.1 L’interaction RGD-intégrine ... 41
1.2 Résultats antérieurs du laboratoire ... 42
2 Conception et synthèse ... 44
3 Résultats et discussions ... 53
3.1 Déroulement des tests biologiques ... 53
3.2 Résultats ... 54
3.3 Modélisation moléculaire ... 56
3.3.1 Introduction ... 56
3.3.2 Résultats et discussions ... 57
4 Conclusions et perspectives ... 62
CHAPITRE II DEVELOPPEMENT D’UNE STRATEGIE DE REACTION « ONE-POT » 63 1 Introduction ... 64
1.1 CuAAC ... 66
1.2 Thioacid-mediated amine acylation (TAA) ... 67
Table des matières
2 Optimisation de la TAA ... 68
2.1 Influence de la concentration ... 69
2.2 Effet du tampon ... 69
2.3 Effet du catalyseur ... 70
3 Étude de la réaction « one-pot » CuAAC + TAA ... 71
3.1 Objectif ... 71
3.2 Synthèse des composés ... 72
3.3 Cinétique ... 74
3.3.1 Réactions séquentielles CuAAC puis TAA ... 75
3.3.2 Réactions séquentielles TAA puis CuAAC ... 76
3.3.3 Réactions CuAAC/TAA simultanément ... 78
4 Couplage de composés d’intérêt biologique ... 78
5 Conclusion ... 82
CHAPITRE III SYNTHESE ET FONCTIONNALISATION DE NANOPARTICULES POUR LA THERAPIE ... 83
1 Introduction ... 84
2 Antécédents ... 84
2.1 Nanoparticules « squalénées » ... 84
2.2 Lipopeptides ... 88
3 Conception et Synthèse ... 88
4 Formulation et évaluation biologique des NP ... 94
4.1 Formulation ... 94
5 Conclusion et perspectives ... 99
CHAPITRE IV SYNTHESE ET FONCTIONNALISATION DE NANOPARTICULES POUR L’IMAGERIE ... 100
1 Introduction ... 101
Table des matières
2.1.1 Polymérisation RAFT ... 101
2.1.2 Copolymères NAM/NAS ... 101
2.1.3 Applications en imagerie ... 103
3 Conception et Synthèse ... 104
3.1 Introduction ... 104
3.2 Polymères linéaires ... 104
3.3 Nanoparticules polymériques ... 107
3.3.1 Conception ... 107
3.3.2 Avancement et perspectives ... 108
4 Résultats ... 108
5 Conclusions et perspectives ... 111
CONCLUSIONS GENERALES ET PERSPECTIVES ... 112
PARTIE EXPERIMENTALE ... 116
BIBLIOGRAPHIE ... 156
ANNEXES ... 168
Abréviations
Abréviations
Abréviations
ABC Accelerated blood clearance
Ac Acétyl
AcOEt acetate d’éthyl AcOH Acide acétique
ADN Acide Désoxyribonucléique AH Acide hyaluronique
Alloc Allyloxycarbonyl ARN Acide Ribonucléique ASGP-R Asialoglycoprotein receptor Boc Tertio-butyloxycarbonyl BSA Bovine Serum Albumine CDR Complementarity determining
region
CMC Concentration micellaire critique CNT Carbon nanotube
CPP Cell penetrating peptide
CuAAC Copper Catalyzed Azide-Alkyne Cycloaddition
DCC N,N’-dicyclohexylcarbodiimide DIPEA N,N-Diisopropyléthylamine DMF N,N-Diméthylformamide DMLA Dégénérescence maculaire liée à
l’âge
DMSO Diméthylsulfoxyde
DSC Differential scanning calorimetry EGFR Epidermal growth factor receptor EPR Enhanced Permeability and
Retention effect équiv. Équivalent molaire ESI Electrospray Ionisation Et2O Éther diéthylique
FR Folate receptor
HACA Human anti-chimeric antibodies
HATU
1-[Bis(dimethylamino)methylene]- 1H-1,2,3-triazolo[4,5-b]pyridinium 3-oxid hexafluorophosphate
HEK(293) Lignée de cellules embryonnaires de rein humain
HPLC High pressure liquid chromatography
IC50 Concentration inhibant un paramètre de 50%
IFN-α2a Interféron α2a
IRM Imagerie par Résonance Magnétique
KAHA Ketoacid-hydroxylamine MEC Matrice extracellulaire MET Microscopie électronique en
transmission MeOH Méthanol
MMP Matrix metalloproteinase MTT 3-(4,5-dimethylthiazol-2-yl)-2,5-
diphenyltetrazolium bromide NCL Native chemical ligation NHS N-hydroxysuccinimide NK Natural killer
NP Nanoparticule
ON Oligonucléotide
PACA poly(alkyl cyanoacrylate) PBS Phosphate Buffer Saline PCR Polymerase Chain Reaction PEG Polyéthylène glycol
Abréviations
PSMA Prostate specific membrane antigen
PyBOP
(Benzotriazol-1-
yloxy)tris(pyrrolidino)phosphoniu m hexafluorophosphate
QD Quantum dot
RAFT reversible addition fragmentation chain transfer
RMN Résonance Magnétique Nucléaire ROS Reactive oxygen species
RP-HPLC
Reverse Phase High- PerformanceLiquid Chromatography r.t. Room temperature
SELEX Systematic evolution of ligands by exponential enrichment
SLN Solid lipid nanoparticle
SPION Superparamagnetic iron oxide nanoparticles
SPPS Synthèse peptidique sur phase solide
SQ Squalène
t.a. Température ambiante
TAT Trans-Activator of Transcription t-Bu Tertio-butyl
TFA Acide trifluoroacétique TIS Triisopropylsilane
TNF-α Tumour Necrosis Factor α tR Temps de rétention
Trt trityl
UHPLC Ultra high pressure liquid chromatography
UV Ultraviolet
VEGF Vascular endothelial growth factor
Introduction
INTRODUCTION
Introduction
Introduction
1 Préambule
Le cancer est une maladie caractérisée par une prolifération non contrôlée de cellules anormales. C’est la première cause de mortalité dans les pays développés et la deuxième cause de mortalité dans les pays en voie de développement.
[1]On estime à 14,1 millions le nombre de nouveaux cas de cancer et à 8,2 millions le nombre de décès liés au cancer en 2012.
Le cancer du poumon est le plus diagnostiqué et celui avec le taux de mortalité le plus élevé chez l’homme. Le tabagisme entraine plus de 70% des décès par cancer du poumon. Chez la femme, le cancer du sein est le plus diagnostiqué et responsable du plus grand nombre de décès.
L’hérédité joue un rôle majeur chez 5% des patients seulement, et 30% des cancers sont causés par un style de vie peu sain : tabagisme, consommation d’alcool, surpoids, alimentation pauvre en fruits et légumes et exposition aux rayons UV.
Il existe 3 types de traitements :
- la chirurgie (ablation chirurgicale de la tumeur et, éventuellement, de ses extensions) - la radiothérapie (traitement par diverses sources et modalités de rayonnement)
- les traitements médicamenteux (chimiothérapie, hormonothérapie, immunothérapie...) Afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles, il est habituellement utilisé une combinaison de ces trois traitements. Dans la plupart des cas, une ablation chirurgicale est suivie d’une chimiothérapie ou radiothérapie afin d’éliminer les cellules cancéreuses restantes et d’éviter les récidives. Il est également important de préciser que chaque cas de cancer est unique. Ainsi, il n’existe pas de traitement universel, chaque patient doit recevoir un traitement choisi en fonction des caractéristiques de la tumeur.
Cependant ces traitements présentent plusieurs inconvénients. En effet la chirurgie est une approche très invasive et peut laisser des cellules tumorales résiduelles non détectables. La radiothérapie et la chimiothérapie sont deux techniques non sélectives, c’est-à-dire qu’elles détruisent les cellules tumorales comme les cellules saines, ce qui implique des effets secondaires très importants. La chimiothérapie peut aussi s’avérer inefficace lorsque les cellules cancéreuses développent une résistance aux principes actifs.
Les limites des traitements actuels ont conduit à la recherche de nouveaux traitements moins
invasifs et plus spécifiques. Depuis plus de 30 ans, l’explosion de la nanomédecine a permis de
développer de nombreux traitements alternatifs potentiels, mais seulement quelques-uns sont
actuellement disponibles sur le marché. Ceci témoigne de la difficulté rencontrée pour
Introduction
transférer les techniques développées en laboratoire à l'échelle industrielle pour la mise sur le marché, dans le cas des systèmes nanoparticulaires.
2 Le développement de la nanomédecine
Paul Ehrlich (1854-1915) est souvent considéré comme le père de la chimiothérapie, c’est-à- dire du traitement des maladies par des substances chimiques. Il a inventé en 1907 le premier agent chimiothérapeutique dans le cadre du traitement de la syphilis, le Salvarsan, puis a reçu le prix Nobel en 1908 pour ses recherches sur l’immunologie.
Figure 1 - Paul Ehrlich
Ses travaux sur les colorants lui ont permis de comprendre que l’effet biologique d’un composé chimique dépendait de sa composition, et de la cellule avec laquelle il interagissait. En observant la sélectivité de certains colorants pour certains organes il a émis l’idée d’une « magic bullet », un composé qui permettrait d’amener un principe actif sélectivement à la zone à traiter.
Il a ainsi relié la chimie à la biologie et la médecine.
[2]“In order to use Chemotherapy successfully we must search for substances which have an affinity to the cells of the parasites and a power of killing them greater than the damage such substances cause to the organism itself, so that the destruction of the parasites will be possible without seriously hurting the organism. To do this, we must learn to aim with chemical substances”
[3]- Paul Ehrlich
Près d’un siècle après ces premières découvertes, la communauté scientifique est toujours
activement à la recherche d’une « magic bullet » qui permettrait d’augmenter l’efficacité du
Introduction
utilise des systèmes nanoparticulaires : lipidiques ou polymériques et plus récemment inorganiques.
Les nanoparticules sont des particules mesurant de quelques nanomètres à une centaine de nanomètres. Elles sont entre 100 et 10 000 fois plus petites qu’une cellule humaine. Une échelle de taille est représentée dans la Figure 2.
Figure 2 - Échelle de taille allant de la molécule à la cellule
Le développement des nanoparticules (NPs) pour le transport de principes actifs a commencé pendant les années 1970, dans le laboratoire du Prof. Peter Speiser, à l’ETH Zürich, notamment avec l’aide du Prof. Patrick Couvreur.
[4]Dans le cadre d’un usage thérapeutique, les NPs permettent d’amener à la tumeur des composés lipophiles et/ou hydrophiles augmentant ainsi leur solubilité et leur biodisponibilité. Elles permettent aussi d’augmenter les doses limites de toxicité. Ces principes actifs sont généralement encapsulées dans la nanoparticule, par interactions hydrophobe ou hydrophiles.
Lorsqu’elles sont destinées à un usage diagnostique, les nanoparticules permettent d’amener à la tumeur des composés possédant des propriétés fluorescentes après excitation.
Afin de cibler préférentiellement le microenvironnement tumoral, les NPs peuvent être conçues pour s’accumuler dans les imperfections des vaisseaux sanguins irriguant la tumeur. Elles peuvent être également fonctionnalisées par des ligands spécifiques à certains récepteurs surexprimés à la surface des cellules tumorales. Les nanoparticules sont le plus souvent recouvertes de polyéthylène glycol (PEG) afin d’augmenter leur temps de circulation in vivo.
Les groupements PEG empêchent les NPs d’être reconnues par les protéines présentes dans le
Eau Glucose Anticorps Virus Bactérie CelluleNanomètres
Nano-objets : Micelles Liposomes Dendrimères Nanosphères Nanotubes etc.
Introduction
sang chargées d’éliminer les corps étrangers.
[5-7]Ces techniques constituent le concept de vectorisation.
Des milliers d’articles concernant le développement de NPs ont été publiés, mais seulement une poignée de systèmes nanoparticulaires ont été approuvés pour des applications cliniques.
[8]Plusieurs facteurs en sont la cause.
Tout d’abord, il est impossible de déterminer les caractéristiques (diamètre, forme, composition, etc.) de la nanoparticule idéale. Ceci doit être fait au cas par cas. Ensuite, les modèles animaux utilisés ne sont pas représentatifs des cas cliniques humains, et le comportement des nanoparticules in vivo est bien plus complexe chez l’Homme que chez les petits animaux (souris, rats, etc.). Les systèmes nanoparticulaires développés en laboratoire par les chercheurs sont souvent très complexes. Il est donc difficile et coûteux de les produire à grande échelle tout en obtenant une reproductibilité des formulations.
[9-10]De plus, il n’existe pas de standards concernant la caractérisation des nanoparticules (taille, dynamiques de relargage, etc.) ainsi que les tests in vivo et in vitro.
[11-12]Malgré ces défis à relever, les NPs ont un avenir prometteur. Le marché de la nanomédecine était estimé entre 50,1 et 68 milliards de dollars en 2011 et devrait atteindre entre 97 et 129 milliards de dollars en 2016, selon un rapport récent de la société Bionest Partners. Les traitements à base de NPs disponibles aujourd’hui (Doxil
®, Abraxane
®…) ont permis d’assurer une place aux nanoparticules dans le combat contre le cancer, en permettant de diminuer les effets secondaires et dans certains cas d’augmenter l’efficacité thérapeutique par rapport aux traitements classiques.
[9]Enfin, le caractère versatile des NPs permet le développement de plusieurs techniques et stratégies novatrices. La théranostique personnalisée (diagnostic + thérapie) par exemple, permet de combiner la thérapie et l’imagerie non invasive, afin de valider puis d’optimiser le traitement pour chaque patient.
[13]Le traitement de cancers métastatiques peut être également développé grâce au temps de circulation plasmatique prolongé des NPs, combiné à différents modes d’injection pour cibler différents organes.
[14]3 Vectorisation
On rappelle qu'il existe deux approches pour la vectorisation de nanoparticules, souvent
Introduction
La première repose principalement sur l’accumulation de NPs dans les vaisseaux sanguins irréguliers qui alimentent les tumeurs. Ce phénomène appelé « effet EPR » peut être accompagné d’une fonctionnalisation des NPs par des groupements polyéthylène glycol hydrophiles. Cette technique permet d’obtenir des NPs « furtives » en augmentant leur temps de circulation dans le sang.
La seconde approche exploite le fait que les cellules cancéreuses surexpriment de nombreux récepteurs par rapport aux cellules saines. La fonctionnalisation des NPs par des ligands qui vont interagir avec leurs récepteurs correspondants permet de faciliter leur internalisation dans les cellules cancéreuses.
Ces deux concepts sont détaillés dans les paragraphes ci-dessous.
3.1 Effet EPR
Afin de permettre leur croissance rapide, les tumeurs ont besoin d’un apport élevé en nutriments et en oxygène. Pour cela, des vaisseaux sanguins sont créés rapidement. Ils se caractérisent par une structure irrégulière ainsi que des cavités allant de 200 à 2000 nm de large.
[15-16]Ces caractéristiques sont communes au processus de cicatrisation.
[17]Les nanoparticules possédant un temps de circulation in vivo élevé (d’une dizaine d’heures à plusieurs mois) vont alors s’accumuler dans ces cavités.
Puisque les tumeurs ne possèdent pas de vaisseaux lymphatiques fonctionnels
[18-19], les nanoparticules ne sont pas évacuées au niveau de ces cavités. Elles peuvent ensuite atteindre la tumeur par extravasation grâce à une pression favorable.
[15, 20]Les NPs biodégradables peuvent ensuite relarguer les composés d’intérêt après actions des diverses enzymes présentes dans l’environnement tumoral (cf. Figure 3).
Figure 3 - Effet EPR - théorie Figure 4 - Effet EPR – réalité
Introduction
Ce sont ces deux caractéristiques (perméabilité des vaisseaux et rétention des nanoparticules) qui composent l’effet EPR, décrit pour la première fois en 1986 par Maeda et al.
[21]La majorité des nanoparticules développées dans le cadre du traitement du cancer exploitent cet effet. De même, toutes les formulations nano approuvées par la FDA pour un usage clinique se basent sur l’effet EPR.
3.1.1 Limitations de l’effet EPR et améliorations
La majorité des études sont basées sur des rongeurs pour lesquels les tumeurs grandissent bien plus vite que chez l’Homme (quelques semaines contre quelques années). L’effet EPR est donc en général beaucoup moins prononcé chez l’humain, sauf dans certains cas particuliers, notamment le sarcome de Kaposi, qui répond assez bien aux traitements de ce type, tel que le Doxil
®, formulation liposomale encapsulant la doxorubicine, un agent anticancéreux (cf.
paragraphe 4.1.2).
Une autre limitation est que les nanoparticules doivent traverser plusieurs couches de cellules de péricytes, muscles lisses et fibroblastes pour atteindre leur cible (cf. Figure 4).
Il est possible en utilisant des nanoparticules chargées en agents d’imagerie de déterminer au cas par cas si la tumeur à traiter permet d’exploiter l’effet EPR, et d’adapter ainsi le traitement en fonction de ces résultats.
[9]Afin d’augmenter la perméabilité des vaisseaux et donc la rétention des nanoparticules, il est possible de traiter la tumeur avant l’injection de nanoparticules non ciblées. En utilisant des enzymes telles que la collagénase ou hyaluronidase
[15-16, 22]ainsi que des agents anti- inflammatoires tels que le facteur de nécrose tumorale-α (TNF-α) et l’histamine,
[9]l’étape d’extravasation peut être facilitée en dégradant les barrières stromales ou en augmentant la perméabilité des vaisseaux sanguins. Cependant, ces traitements peuvent également favoriser le développement de métastases.
[23]3.1.2 PEGylation
Afin d’exploiter pleinement l’effet EPR, il est nécessaire que les NPs possèdent un temps de
circulation dans le sang élevé. Pour éviter une élimination trop rapide par les macrophages, il
est possible de rendre les nanoparticules « furtives » en les fonctionnalisant par une couche de
Introduction
Ce n’est pas une technique propre aux nanoparticules, puisque sa première utilisation remonte à 1977 lorsque Abuchowski et al. ont décrit la PEGylation de l’albumine et de la catalase afin de rendre ces protéines non immunogènes et d’augmenter leur temps de circulation dans le sang.
[24-25]Le premier traitement PEGylé approuvé par la FDA, en 1990 est l’Adagen
®, une adénosine déaminase PEGylée pour le traitement du déficit immunitaire combiné sévère
[26]. Depuis, plusieurs traitements PEGylés, (protéines, liposomes) ont été approuvés pour applications cliniques.
Dans le cas des liposomes, il existe une technique antérieure à celle de la PEGylation, datant de la fin des années 80 : en s’inspirant de la composition des membranes cellulaires riches en sucres des globules rouges, Allen et al. ont fonctionnalisé des liposomes par des gangliosides (composés entre autres d’acide sialique), et ont rapporté un temps de circulation plasmatique prolongé.
[27]Au début des années 90, ces gangliosides ont ensuite été remplacés par des PEG, moins couteux, et qui apportent des performances similaires.
[28]Dans le cas de liposomes, le temps de demi-vie est multiplié par 8, passant de 2,5 heures à 20 heures.
[29]Un chapitre de livre de Harris et al. rapporte l’effet de la PEGylation sur le temps de demi-vie de différentes protéines thérapeutiques.
[30]Figure 5 - Liposomes PEGylés et liposomes conventionnels
[28]Les groupements PEG hydrophiles apportent à la surface du liposome une concentration locale en molécules d’eau élevée, qui va créer une gêne stérique et empêcher les interactions avec une variété de protéines du sang, telles que les opsonines (cf. Figure 5).
[31]Une opsonine est une protéine qui va se fixer sur un agent pathogène pour faciliter sa phagocytose.
Cette technique peut être appliquée à tous types de nanoparticules fonctionnalisables : NPs
lipidiques, NPs polymériques, nanotubes de carbone,
[32-33]etc.
Introduction
Lorsque la densité de PEG en surface d’une NPs est faible, les PEG adoptent une configuration
« champignon », c’est-à-dire qu’ils sont repliés sur eux-mêmes. Lorsque la densité est élevée, les groupements PEG vont adopter une configuration « brosse », les chaines étant étirées (cf.
Figure 6).
Figure 6 - A gauche, configuration « champignon » - A droite, configuration « brosse »
[34]L’interféron, une glycoprotéine de la famille des cytokines est utilisé dans le cadre du traitement de l’hépatite C. Sa variante PEGylée, Pegasys®, permet d’effectuer des injections hebdomadaires plutôt que toutes les 48 heures (cf. Figure 7). Son élimination rénale est diminuée par un facteur 100.
[35]Figure 7 - Effet de la PEGylation sur la pharmacocinétique de l'interféron IFN-α2a
[35]Couvreur et al. ont également décrit l’effet bénéfique des groupements PEG sur la biodisponibilité de nanoparticules de polycyanoacrylate s’accumulant dans la rate. 30% des NPs PEGylées étaient présentes dans le plasma 6 heures après injection chez la souris, contre moins de 1% pour les NPs non PEGylées.
[36]Malgré cette amélioration très importante de la pharmacocinétique des NPs apportée par les
groupements PEG, Ishida et al. ont observé un effet de mémoire : une première injection de
nanoparticules PEGylées accélère l’éliminations de ces mêmes NPs lors des injections
suivantes (cf. Figure 8).
[37-38]Cet effet est baptisé effet ABC pour « accelerated blood
Introduction
Figure 8 - Effet ABC lors d'injections répétées de NPs PEGylées
[39]Après la première injection, un anticorps spécifique anti-PEG (IgM anti-PEG), c’est-à-dire qui reconnait les groupements -(O-CH
2-CH
2)
n-, est produit en quelques jours dans la rate.
L’effet ABC est visible lorsque la deuxième injection est effectuée entre 5 et 21 jours après la première injection. Lors de la seconde injection, si les IgM anti-PEG sont toujours présentes dans le sang, elles vont pouvoir complexer les groupements PEG, activer l’opsonisation et l’élimination des NPs PEGylées (cf. Figure 8). En revanche, l’injection d’une troisième dose donne lieu à un effet ABC plus faible voire nul, ce qui serait dû à une saturation des macrophages à cause des injections répétées des NPs PEGylées.
Cet effet dépend cependant de plusieurs paramètres tels que les caractéristiques de la nanoparticule (taille, composition, dose d’agent cytotoxique contenue dans la NP), des groupements PEG utilisés, de la voie d’administration des NPs et du type d’animal sur lequel les tests sont effectués. Ces études prouvent que les NPs PEGylées ne sont pas si « furtives » et déclenchent une réponse du système immunitaire.
[39]Cependant, cet effet concerne principalement les liposomes pas ou très faiblement chargés en
agents cytotoxiques. En effet, plusieurs publications décrivent que les liposomes contenant de
la doxorubicine ou de la mitoxantrone ne déclenchent pas l’effet ABC. Ces agents cytotoxiques
pourraient inhiber la prolifération de lymphocytes et de macrophages, empêchant ainsi la
synthèse d’anticorps anti-PEG.
[40-42]Cependant, ceci concerne les agents cytotoxiques non
spécifiques du cycle cellulaire. Les liposomes contenant du topotecan (agent spécifique du
cycle cellulaire, de la phase S, c’est-à-dire lors de la duplication du matériel génétique)
déclenchent l’effet ABC. Ceci pourrait également être dû au fait que le topotecan est plus
lipophile que la doxorubicine par exemple, et donc est expulsé du liposome beaucoup plus
rapidement. Ainsi, au moment où le liposome arrive dans la rate, l’effet de l’agent cytotoxique
sur les macrophages et lymphocytes est moindre.
[43]Introduction
L’effet ABC n’est donc à priori pas à prendre en compte dans le cadre d’un traitement anticancéreux à base de NPs, mais doit être considéré pour des applications comme la théranostique, où les NPs sont moins chargées en agents cytotoxiques.
3.2 Utilisation de ligands
À cause de leur besoin de croissance continu, les cellules cancéreuses surexpriment un certain nombre de récepteurs par rapport aux cellules saines. Ces récepteurs peuvent être ciblés en utilisant divers ligands tels que des peptides, sucres, anticorps, aptamères ou de petites molécules. Le ciblage peut servir à améliorer la concentration locale en agents cytotoxiques, et permettre ou améliorer leur entrée dans la cellule, mais aussi dérégler la signalisation cellulaire.
Les premières nanoparticules fonctionnalisées par des ligands de ciblage remontent à 1975. Les travaux de Gregoriadis sur des liposomes présentant des anticorps
[44]ont ainsi permis de décrire l’internalisation des liposomes via une endocytose récepteur dépendant.
Figure 9 - Ciblage - théorie Figure 10 - Ciblage - réalité
L’utilisation de ligands n’est cependant pas une stratégie de ciblage en soi, elle est en fait complémentaire à l’effet EPR. En effet, l’utilisation de ligands ne permet pas d’amener directement les NPs aux cellules surexprimant ces récepteurs (cf. Figure 9). L’accumulation des NPs par effet EPR aux abords de la tumeur est une première étape nécessaire. Le ciblage permet ensuite d’améliorer l’internalisation cellulaire (cf. Figure 10).
Une stratégie multi-étapes peut alors être utilisée : des ligands PEG sont utilisés pour prolonger
la circulation plasmatique de la NP, puis ceux-ci se décrochent aux environs de la tumeur pour
faire apparaitre des ligands de ciblage et ainsi favoriser l’internalisation de la particule. (cf.
Introduction
3.2.1 Cell penetrating peptides (CPP)
Les CPP sont des peptides courts (en général moins de 30 a.a.) utilisés pour leur capacité à passer la membrane cellulaire. Ils sont la plupart du temps chargés positivement.
Le premier usage de CPP remonte à 1988 lorsque deux groupes décrivent indépendamment l’internalisation cellulaire de la protéine TAT
[45-46], protéine de 86 acides aminés impliquée dans la transcription du virus du VIH. Neuf ans plus tard, Vivès et al. isolent la plus petite séquence nécessaire à l’internalisation cellulaire, constituée de 13 acides aminés : GRKKRRQRRRPPQ.
[47]La plupart des CPP traversent les membranes via des interactions ioniques (poly arginine) avec la surface des cellules chargées négativement. Les résidus tryptophane des peptides peuvent également interagir avec les résidus tryptophanes présents à la surface des cellules.
Ces interactions sont donc non spécifiques et les CPP interagissent potentiellement avec toutes les cellules qu’ils rencontrent. En thérapie anti-cancéreuse, cela implique des effets secondaires importants. Pour éviter cet inconvénient, il est possible de créer des NPs furtives dont les PEG se détachent aux environs de la tumeur, exhibant ainsi les CPP uniquement autour de cellules tumorales (cf. paragraphe 3.2.9).
3.2.2 Acide Folique (vitamine B9)
Toutes les cellules vivantes nécessitent un apport en vitamines. Les cellules tumorales, à division rapide, ont un besoin particulièrement élevé en vitamines. C’est pourquoi elles surexpriment les récepteurs correspondants.
[48]L’acide folique, aussi connu sous le nom de vitamine B9, est une petite molécule (441,4 g/mol) nécessaire aux cellules eucaryotes pour la synthèse des nucléotides.
Figure 11 - Acide folique
La survie et la prolifération des cellules dépendent de la capacité de la cellule à capter cette molécule.
[49]Il a été décrit au début des années 90 que les deux principaux récepteurs à acide folique, FR-α
et FR-β sont surexprimés à la surface de certaines cellules cancéreuses, notamment dans le cas
Introduction
des cancers de l’ovaire, utérus, endomètre, cerveau, rein, voies aérodigestives supérieures et mésothélium pour le récepteur FR-α, et leucémie et sarcome pour le récepteur FR-β.
[50-52]L’endocytose de l’acide folique – ainsi que des conjugués de l’acide folique – donne lieu à une internalisation dans l’endosome, suivi d’une sortie de l’endosome vers le cytoplasme par un mécanisme encore inconnu.
[49, 52-54]Ceci représente un grand avantage par rapport aux autres ligands de ciblage qui amènent les molécules dans le lysosome.
3.2.3 Acide Hyaluronique
L’acide hyaluronique est un polysaccharide naturel, alternant entre 250 et 25 000 motifs d’acide D-glucuronique et de N-acétyl-D-glucosamine (cf. Figure 12). Il fait partie de la famille des glycosaminoglycanes.
Figure 12 - Acide hyaluronique
Il est présent dans la matrice extracellulaire (MEC), le liquide synovial (liquide qui lubrifie les articulations), et de l’humeur vitrée des yeux. Il joue un rôle dans l’hydratation des tissus, puisqu’il fixe des molécules d’eau par ses groupements polaires et retient des cations hydratés.
De plus, l’AH adopte une structure rigide très hydratée qui peut occuper en solution un volume près de 1 000 fois supérieur au volume occupé à l’état sec. Ainsi les solutions d’acide hyaluronique peuvent être très visqueuses, c’est pourquoi il est également impliqué dans l’absorption des chocs. L’AH est dégradé par l’hyaluronidase, qui hydrolyse les liaisons β(1→4).
[55-56]L’acide hyaluronique est également impliqué dans l’adhésion, la mobilité et la prolifération
cellulaire par le biais de plusieurs récepteurs cellulaires dont CD44 et RHAMM qui sont
surexprimés à la surface de certaines cellules cancéreuses. Le récepteur CD44 est également
exprimé au niveau de la cornée et de la conjonctive. Ainsi les NPs constituées d’AH peuvent
être utilisées pour le traitement de maladies oculaires.
[57]Introduction
Une fois à l’intérieur des cellules, les NPs sont dégradées par les hyaluronidases présentes dans le cytosol des cellules cancéreuses.
3.2.4 Anticorps
Les anticorps sont des glycoprotéines de la superfamille des immunoglobulines synthétisés par les lymphocytes B, qui neutralisent les éléments étrangers ayant pénétré dans l’organisme, en reconnaissant des antigènes. L’anticorps se fixe sur l’antigène, puis le complexe anticorps- antigène est reconnu à son tour par les cellules du système immunitaire (lymphocytes NK, macrophages, protéines du complément), qui induisent la mort de l’élément étranger.
Tous les anticorps monoclonaux spécifiques d’un antigène ne reconnaissent qu’un épitope de cet antigène, alors que les anticorps polyclonaux sont un mélange très hétérogène d'anticorps monoclonaux reconnaissant tous le même antigène, mais sur des épitopes différents.
Les anticorps sont formés de 4 chaines polypeptidiques : - Deux chaines lourdes identiques d’environ 50 kDa - Deux chaines légères identiques d’environ 25 kDa
Ils adoptent une structure en Y. Un anticorps est composé de 2 parties : le fragment Fab et le fragment Fc, liés entre eux par une région charnière flexible (cf. Figure 13).
1 - Fragment Fab
2 - Fragment Fc (deux chaines lourdes (CH2, rouge foncé et CH3, rouge clair))
3 - Chaine lourde (bleu) avec une région variable (VH, bleu clair) suivie d'une région constante (CH1, bleu foncé)
4 - Chaine légère (vert) avec une région variable (VL, vert foncé) et une région constante (CL, vert clair) 5 - Site de fixation à l'antigène (Paratope)
6 - Régions charnières
Figure 13 - Composition d’un anticorps
[62]La synthèse d’anticorps monoclonaux grâce aux hybridomes fut décrite en 1975
[63]par Kohler
et al. Les premières thérapies à base d’anticorps ont rapidement rencontré un obstacle majeur
lorsqu’il a été découvert que les mAb murins engendraient une réponse immunitaire chez
l’Homme via la production d’anticorps anti-mAb murins (Human anti-murine antibody,
Introduction
HAMA).
[64-65]Ce phénomène a conduit à la production d’anticorps chimériques dans un premier temps, puis humanisés dans un second temps (cf. Figure 14).
Figure 14 - Anticorps murin, chimérique, humanisé et humain
La chimérisation consiste à remplacer les domaines constants d’un anticorps murin par des fragments humains sans altérer sa spécificité. Les anticorps chimériques peuvent tout de même générer des réponses immunitaires, appelées HACA (Human anti-chimeric antibody).
Afin de diminuer davantage les réponses immunitaires, les anticorps humanisés ont été développés. L’anticorps est dit humanisé lorsque les fragments de chaines hypervariables (appelées CDR pour « complementarity determining regions ») sont dérivés d’anticorps de murin, et que le reste de l’anticorps est d’origine humaine.
[66](Tableau 1)
Tableau 1 Anticorps chimériques et humanisés – chronologie Anticorps chimérique Anticorps humanisé Premier anticorps chimérique, 1984
[67]Premier anticorps humanisé, 1986
[68]Abciximab, ReoPro
®, 1993 Contre la formation de caillots lors
d’angioplasties
Daclizumab, Zenapax
®, 1997 Contre le rejet lors de transplant de
reins Rituximab, Rituxan
®, 1997
Lymphome non Hodgkinien
Trastuzumab, Herceptin
®, 1998
Cancer du sein métastasé
Introduction
approuvé par la FDA en 2000, le Gemtuzumab ozogamicin (Mylotarg
®, laboratoires Wyeth) pour le traitement de la leucémie aigüe myéloïde,
[70]avant d’être retiré en 2010.
Ils ont ensuite été conjugués à des nanoparticules, dès le début des années 90 pour l’imagerie de tumeurs
[71-72], pour la mise en place d’essais immunologiques plus sensibles
[73], pour la thérapie photodynamique en utilisant des NPs d’or
[74], pour l’imagerie et la thérapie avec des liposomes.
[75]Une revue de Friedman et al. regroupe différents exemples d’applications de nanoparticules fonctionnalisées par des anticorps.
[76]L’utilisation d’anticorps comme ligands de ciblage comporte cependant plusieurs inconvénients par rapport à la façon dont l’anticorps est greffé à la nanoparticule. De par la présence de nombreux groupements fonctionnels, la plupart des techniques de ligations, notamment celle dépendant des chaines latérales de lysine et cystéine, ne permet pas de contrôler l’orientation de l’anticorps sur les NPs. En résultent alors des NPs hétérogènes avec des pharmacocinétiques variables. Dans certains cas, les NP-mAb peuvent même être éliminées très rapidement de la circulation.
[76]De même, puisque les anticorps ont une taille de l’ordre de la dizaine de nanomètres, ils peuvent augmenter de façon conséquente la taille de la NP sur laquelle ils sont greffés et changer son comportement.
3.2.5 Aptamères
Les aptamères sont des oligonucléotides (ON) simple brin (ADN ou ARN) adoptant des configurations tridimensionnelles uniques par le biais d’interactions intramoléculaires. Ils sont capables de lier spécifiquement des cibles biomoléculaires allant des petites molécules aux protéines (récepteur à transferrine, HER2, MUC1, PSMA, E-Selectine, intégrine α
vβ
3, VEGF, protéine MMP-9, etc.) avec une forte affinité. Ils possèdent entre 20 et 100 résidus et un domaine constant pour leur reproduction enzymatique. Le terme « aptamère » est un mot inventé combinant le mot latin « aptus », pour « adapté à, attaché à » et le suffixe de grec ancien
« -mer », pour « part, portion ».
Les aptamères sont créés via le processus SELEX (pour Systematic evolution of ligands by
exponential enrichment).
[77]La SELEX a été développée en 1990 par Tuerk et Gold
[78]. Elle
consiste à mettre une banque combinatoire d’oligonucléotides synthétiques en présence d’une
cible définie. Après élimination des ODN non fixés, les ODN fixés sont élués, récupérés et
amplifiés par PCR. Ce processus de sélection et d’amplification est répété jusqu’à obtenir une
spécificité satisfaisante. Les séquences d’aptamères sont ensuite identifiées par séquençage.
[79]Introduction
Figure 15 - Processus SELEX
La contre-SELEX a été développée en 1994 par Jenison et al.
[80]pour augmenter la spécificité de l’aptamère. Les aptamères sont incubés avec des analogues de la cible, puis avec la cible, ce qui permet d’éliminer les aptamères qui se sont liés en premier lieu aux analogues.
Le Macugen® (Pegaptanib) est le premier traitement à base d’aptamères qui a été approuvé par la FDA, en 2004, dans le cadre de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) sous sa forme « humide », qui correspond à la création de vaisseaux sanguins sur la paroi du globe oculaire, troublant ainsi la vue. En ciblant VEGF, ces ODN empêchent la formation de nouveaux vaisseaux. Ce traitement a ensuite été remplacé par Lucentis® (ranibizumab), un traitement plus efficace, à base d’anticorps monoclonaux.
[77]Il existe aujourd’hui 10 traitements à base d’aptamères en phase clinique, dont deux contre le cancer (leucémie, myélome et cancer du rein métastasé), et de nombreux traitements sont à l’étude au stade préclinique.
[81]Les aptamères sont souvent comparés aux anticorps. Les traitements à base d’aptamères présentent plusieurs avantages, puisqu’il est possible de les produire à grande échelle et qu’ils
Banque d’ODN
Cible Incubation
Élimination des ODN non liés Amplification des
ODN liés Clonage et
séquençage
dernière étape
Répétition
Introduction
et il est facile de modifier leur extrémité afin de les conjuguer à d’autres molécules ou à des NPs, sans problèmes d’orientation, contrairement aux anticorps.
Le principal frein au développement des aptamères a été le brevet qui protège la technique SELEX. Sa tombée dans le domaine public en 2008 devrait augmenter la productivité dans ce domaine. Les aptamères sont également rapidement éliminés de la circulation sanguine :
- lorsqu’ils ne sont pas modifiés, ils sont facilement dégradés par les nucléases - de par leur petite taille, ils peuvent être éliminés par les reins
Une technique permettant de pallier à ces désavantages est de les coupler à une petite molécule, un polymère ou une nanoparticule.
[77]Les premiers exemples de NP-aptamères pour cibler le cancer ont été publiés il y a environ 10 ans par le laboratoire de Robert Langer, au MIT.
[82]Ils décrivent l’utilisation de nanoparticules d’acide polylactique PEGylées contenant du docetaxel et décorées par des aptamères ciblant les cellules épithéliales de la prostate.
[83-84]Ont suivi ensuite de nombreux articles aussi bien pour la thérapie à base de nanoparticules polymériques
[85-89]que pour l’imagerie à base de nanoparticules métalliques (SPION, Au)
[90-93], en grande partie concernant le cancer de la prostate.
3.2.6 Sucres
Les lectines sont des protéines qui interagissent spécifiquement avec certains complexes osidiques issus de glycolipides ou de glycoprotéines. Cette interaction peut être aussi spécifique qu’une interaction antigène-anticorps ou substrat-enzyme. Elles sont impliquées dans plusieurs processus biologiques tels que la reconnaissance, la croissance, la signalisation, l’apoptose, la migration et l’adhésion des cellules, les interactions cellule-MEC, l’inflammation, etc.
[94]L’équipe de Benjamin Davis a publié un exemple de NPs fonctionnalisées par des sialyl- LewisX ciblant les Selectines DC62, protéines de la famille des lectines, surexprimées lors d’inflammations. Ces NPs d’oxyde de fer permettent la détection de maladies neurologiques par IRM, telles que la sclérose en plaque et la maladie de Parkinson.
[95]Figure 16 - Sialyl-LewisX
Introduction
Plusieurs exemples décrivent leur application en thérapie
[96-97]et en imagerie
[98]dans le cas du cancer du foie. En effet, de par leur interaction avec les ASGP-R (asialoglycoprotein receptor), protéines de la famille des lectines présentes à la surface des hépatocytes, les NPs fonctionnalisées par des D-Galactose et/ou D-Galactosamine peuvent cibler spécifiquement les cellules parenchymales du foie.
3.2.7 Transferrine
La transferrine est une glycoprotéine responsable du transport des ions de fer dans les cellules via les récepteurs à transferrine, ou TfR. Il existe deux types de récepteurs, TfR1 et TfR2. Le premier est présent en faible quantité sur de nombreux tissus sains, notamment la peau, le pancréas, le foie, le cerveau, les testicules. Le second, un récepteur analogue, est quant à lui exprimé par les hépatocytes sains. Il a 25 fois moins d’affinité pour la transferrine que le récepteur TfR1.
Les deux récepteurs sont surexprimés par certaines cellules cancéreuses,
[99]notamment dans les cas du cancer du côlon, du sein, du rein, du poumon, du rein, de l’estomac et de l’ovaire.
[100]Plusieurs stratégies permettent le ciblage de ces récepteurs : par l’utilisation de la transferrine, d’anticorps anti-TfR, de fragments d’anticorps ou de peptides reconnaissant les TfR. Les fragments d’anticorps de plus petite taille que la transferrine sont plus faciles à produire en grande quantité avec une bonne reproductibilité.
[101]De plus, ils ne possèdent pas le fragment constant de l’anticorps et sont donc moins rapidement reconnus par le système immunitaire.
De nombreux exemples décrivent le couplage de ces ligands directement à des principes actifs ou à des cargos transportant des principes actifs.
[102]La majorité des nanoparticules ciblées à usage thérapeutique contre le cancer en phase clinique utilisent la transferrine comme ligand, du fait de son abondance et de son faible coût.
[100-101]3.2.8 Peptides
L’utilisation de peptides comme ligands de ciblage présente plusieurs avantages. Ils sont de
plus petite taille que les anticorps et sont facilement synthétisés en grandes quantités. Il est
possible d’identifier et sélectionner des peptides spécifiques d’une cible définie en utilisant le
phage display. L’esprit de cette technique est similaire à celui de la SELEX (cf. paragraphe
3.2.5). Des phages sont modifiés pour exprimer à leur surface des peptides, mais aussi des
Introduction
par infection de bactéries. Ce cycle est répété plusieurs fois, puis les phages sélectionnés sont analysés et testés pour l’activité recherchée. La séquence du peptide (ou de la protéine ou de l’anticorps) est obtenue par séquençage du brin d’ADN correspondant.
Cette technique peut être effectuée in vitro, mais aussi in vivo, comme décrit par Ruoslahti et al. pour la première fois en 1996.
[103]Après injection intraveineuse d’une librairie de phage à une souris, les différents organes de l’animal sont broyés et les phages correspondants amplifiés. Cette technique a permis d’identifier des peptides qui présentent une forte spécificité pour le cerveau.
Puisqu’il existe un très grand nombre de séquences peptidiques pouvant être utilisées pour cibler les tumeurs, nous dressons ici une liste non exhaustive d’exemples de littérature.
Le peptide cyclique c[-RGDfK-] est le peptide le plus utilisé pour la fonctionnalisation de NPs dans le cadre du ciblage des cellules cancéreuses. Il permet de cibler les intégrines α
vβ
3, récepteurs transmembranaires surexprimées à la surface de certaines cellules endothéliales autour de la tumeur. Son utilisation sera plus détaillée dans le l’introduction du Chapitre I.
Le peptide ATWLPPR est spécifique de la neuropiline-1, qui est un récepteur du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF). Benachour et al. ont rapporté l’utilisation de NPs de silice-gadolinium fonctionnalisées par ATWLPPR pour la photothérapie dynamique chez le rat exprimant un glioblastome.
[104]LyP-1 (CGNKRTRGC) est un nonapeptide cyclique découvert par phage display en 2002 par l’équipe d’Erkki Ruoslahti
[105]ciblant la protéine p32, surexprimée à la surface de certaines cellules tumorales, dans les vaisseaux lymphatiques associés aux tumeurs. L’expression de cette protéine dans les zones hypoxiques permet d’amener des composés au cœur de la tumeur.
[106]L’équipe de Weiyue Lu a fonctionnalisé des NPs de PLGA
[107], puis des liposomes PEGylés
[108]