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Pouvoirs de police propres du préfet en matière d'ouverture des débits de boissons, note sous CAA Bordeaux 15 fév. 2011

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POUVOIRS DE POLICE PROPRES DU PRÉFET EN MATIERE D’OUVERTURE DES DÉBITS DE BOISSONS

Commentaire sous CAA Bordeaux 15 février 2011, n° 10BX01551 Préfet de la Haute-Garonne

Résumé : Le préfet est compétent pour édicter des restrictions dans les horaires d’ouverture nocturne des établissements vendant des boissons alcoolisées, ces mesures étant légales car n’instituant pas un régime d’autorisation préalable, ne méconnaissant pas le principe de sécurité juridique et ne portant pas atteinte au principe de la liberté du commerce et de l’industrie, n’étant pas disproportionnées par rapport aux nécessités de protection de l’ordre, de la tranquillité et de la sécurité publics.

Par

Jean-Marie Pontier

Professeur à l’Ecole de Droit de la Sorbonne

Les décisions prises par le préfet, comme par toute autorité administrative, sont évidemment de nature à donner lieu à contestation, mais une situation particulière est particulièrement source de contentieux, c’est celle des mesures de police pour lesquelles les requérants contestent à la fois la compétence du préfet et, sur le fond, le contenu des mesures édictées.

Cette situation peut se présenter parce que la France est l’un des rares pays dans lesquels le maire se voit reconnaître, parallèlement au représentant de l’Etat, un pouvoir de police, c’est même le maire qui dispose au premier chef du pouvoir de police à l’échelon de sa commune, l’article L. 2212-1 du CGCT disposant que le maire est chargé, sous le contrôle du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes qui y sont relatifs.

Ce pouvoir de police du maire remonte en fait à l’époque révolutionnaire, avec la loi du 14 décembre 1789, dont l’article 50 dispose : « Les fonctions propres au pouvoir municipal sont (…) de faire jouir les habitants d’une bonne police ». Les auteurs débattront beaucoup, par la suite, du point de savoir si le maire exerce ce pouvoir au nom de la collectivité locale ou au nom de l’Etat, avant que le juge ne tranche la question.

Quoi qu’il en soit de ce débat, nombreux sont les cas dans lesquels l’hésitation est permise sur la détermination de l’autorité de police apte à intervenir, parce que les textes applicables sont complexes, du fait de la pluralité des hypothèses envisageables. L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 15 février 2011, Préfet de la Haute Garonne, est une illustration de plus de ce partage des attributions et de la légalité, en l’espèce, de la mesure prise par le préfet.

Le préfet de Haute-Garonne a pris le 20 janvier 2009 un arrêté fixant les horaires d’ouverture et de fermeture pour tous les établissements ouverts au public dans lesquels sont servies des boissons à consommer sur place, titulaires d’une licence de première, deuxième, troisième ou quatrième catégorie, ainsi que pour les restaurants et établissements assimilés et ayant une petite licence de restaurant ou une licence de restaurant. Précisons, pour ne plus avoir à y revenir, car cela n’a pas d’incidence sur la solution adoptée, que les différentes licences relatives aux établissements qui vendent des boissons alcoolisées sont prévues par des dispositions faisant autrefois partie du « code des débits de boissons et des mesures contre

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l’alcoolisme » (code institué en 1954, et qui est la référence dans les décisions, citées plus loin, de 1992 et 1993), intégré, en vertu de l’ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000, et à partir de 2003, dans le code de la santé publique, aux articles L. 3331-1 et s.

Cet arrêté a été contesté devant le juge par toute une série d’établissements, et, en première instance, le tribunal administratif l’a annulé. Le préfet a fait appel, la cour administrative d’appel de Bordeaux lui donnant satisfaction dans l’arrêt du 15 février 2011.

Précisons encore, parce qu’en filigrane d’autres préoccupations apparaissent, le domaine concerné est, au surplus, un domaine auquel les Français (mais aussi, semble-t-il, et comme nous allons le voir, le juge) sont de plus sensibilisés, celui des accidents de la route. Il n’en fut pas toujours ainsi et, dans les années 60, qui furent les plus « noires » de ce point de vue, le nombre des tués a pu frôler les 12 000 par an. Des progrès ont été accomplis et l’ambition des pouvoirs publics était de faire passer le nombre de tués sur la route sous le chiffre des 3000 morts par an. Il est vraisemblable, à l’heure actuelle, que cet objectif ne sera pas atteint. L’une des raisons, entre autres, qui freine les progrès et l’amélioration de ce bilan, voire qui a tendance, dans certains départements, à l’aggraver, est la consommation d’alcool, l’alcool au volant étant responsable d’environ un accident mortel sur trois.

On peut écarter immédiatement deux moyens avancés par les requérants, d’abord le moyen tiré du défaut de motivation et la méconnaissance des dispositions de la loi du 12 avril 2000, l’arrêté du préfet présentant, de manière peu discutable, un caractère réglementaire, et n’étant donc pas au nombre des décisions administratives devant être motivées, ensuite, le moyen tiré de l’absence de consultation préalable, aucune disposition n’imposant cette dernière dans l’adoption d’une mesure de police.

Restent les deux questions posées par l’arrêt, c’est-à-dire, d’une part, la question de la compétence du préfet à intervenir et, d’autre part, la question des atteintes éventuelles portées par la mesure de police à un certain nombre de principes et de libertés.

I – LA COMPÉTENCE DU PRÉFET À INTERVENIR

La cour administrative d’appel de Bordeaux reconnaît la compétence du préfet à édicter des restrictions quant aux horaires d’ouverture des établissements vendant des boissons alcoolisées en appliquant une disposition du code général des collectivités territoriales (CGCT), l’article L. 2215-1-3°.

1 – Les dispositions du code général des collectivités territoriales (CGCT)

La première autorité de police, dans la commune, est le maire, et il faut insister sur l’originalité de cette situation juridique par rapport à bien d’autres pays. Le maire se voit investi d’un pouvoir de police générale, qui résulte de l’article L. 2212-2 du CGCT en vertu duquel, et suivant la fameuse formule, « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques », auxquelles il convient d’ajouter la tranquillité publique et, dans une certaine mesure, étroitement contrôlée par le juge, la

« moralité publique ». La formule du premier alinéa de l’article L. 2212-2 doit être comprise d’autant plus largement que cette même disposition ajoute que la police municipale

« comprend notamment », avec une énumération très longue qui suit, mais qui de plus, compte tenu de l’adverbe utilisé, n’épuise pas le contenu du pouvoir de police du maire, pouvoir qui peut concerner toutes sortes d’activités, dont une jurisprudence abondance porte témoignage. A cela il faut ajouter tout un autre chapitre du CGCT intitulé « Pouvoirs de police portant sur des objets particuliers », lesdits objets particuliers étant représentés par la circulation et le stationnement des véhicules, les funérailles et les lieux de sépulture, les campagnes, et quelques autres objets comme les baignades ou les immeubles menaçant ruine.

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En ce qui concerne les débits de boissons, le juge a reconnu la compétence du maire sur le fondement de ce qui était, à l’époque, l’article L. 131-1 et l’article L. 131-2 du code des communes (CE 21 janvier 1994, Commune de Dammarie-les-lys, req. n° 120043 : légalité de l’arrêté municipal de fermeture d’un débit de boisson de 22h 30 à 5h pendant quatre mois, le magasin ayant été l’objet ou le cadre d’infractions fréquentes et graves, liées la plupart à son ouverture nocturne, au nombre desquelles figuraient cambriolages, dégradations, violences et tapages nocturnes). La police locale relève donc, au premier chef, du maire.

Le chapitre V du CGCT est intitulé « Pouvoirs du représentant de l’Etat dans le département », il est constitué des articles L. 2215-1 à L. 2215-8, mais seuls les articles L.

2215-1 et L. 2215-3 nous intéressent ici. Ces deux dispositions prévoient toute une série d’hypothèses dans lesquelles le préfet peut intervenir, le premier alinéa de l’article L. 2215-1 rappelant cependant que « la police municipale est assurée par le maire », les hypothèses d’intervention du préfet étant donc des exceptions.

Le pouvoir du préfet interfère avec les attributions du maire – ce qui est à la source des difficultés que l’on rencontre – et il est d’une double nature, tantôt supposant qu’il y a eu, de la part de ce dernier, une carence dans l’édiction de mesures de police qui auraient dû être prises et qui ne l’ont pas été, tantôt appartenant en propre au préfet. Ce sont les quatre hypothèses de l’article L. 2215-1.

La première hypothèse est celle où le représentant de l’Etat est habilité à prendre pour toutes les communes du département, ou plusieurs d’entre elles, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques, « dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales ». L’article précise que ce droit ne peut être exercé par le représentant de l’Etat à l’égard d’une seule commune « qu’après une mise en demeure au maire restée sans résultat ».

La deuxième hypothèse est celle dans laquelle le maintien de l’ordre est menacé dans deux ou plusieurs communes limitrophes, le représentant de l’Etat dans le département pouvant alors se substituer, par arrêté motivé, aux maires de ces communes, mais seulement pour l’exercice des pouvoirs mentionnés aux 2° et 3° de l’article L. 2212-2 (soit, pour le 2°,

« le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique », et, pour le 3°, « le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ») et à l’article L.

2213-23, relatif aux baignades et aux activités nautiques.

La quatrième hypothèse, qui ne nous intéresse pas plus ici, est celle de l’urgence, qui permet notamment au préfet, si les moyens dont il dispose ne lui permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, de réquisitionner tout bien ou service et de requérir toute personne nécessaire au fonctionnement du service.

La troisième hypothèse est celle qui concerne l’affaire qui a donné lieu au présent arrêt de la cour de Bordeaux. Selon le 3° de l’article L. 2215-1 : « Le représentant de l’Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d’application excède le territoire d’une commune ». Cette disposition résulte de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, et de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

Elle institue une attribution propre au profit du préfet. L’une des difficultés qui apparaît dans la présente affaire, pour apprécier la compétence du préfet, est de savoir si les mesures excédaient le territoire d’une commune.

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2 – L’interprétation des dispositions du CGCT par le juge

Les requérants en première instance faisaient valoir que le préfet était intervenu pour prévenir des troubles nocturnes survenus dans des zones festives de la ville de Toulouse, par conséquent il était incompétent, il ne pouvait invoquer l’article L. 2215-1, 3°, les mesures prises n’excédant pas le territoire de la commune de Toulouse. Dans ce cas le fondement à agir du préfet aurait été le 1° (ou, à la limite, le 2°) de l’article L. 2215-1, ce qui supposait une autre procédure avec, notamment, mise en demeure au maire. Peut-être le juge de première instance a-t-il été sensible à cet argument mais, quoi qu’il en soit, l’arrêté du préfet a été annulé.

Deux affaires antérieures éclairent quelque peu la solution de la cour, bien que le préfet y soit intervenu dans le cadre de ce qui est aujourd’hui l’article L. 2215-1-1°. Dans une décision du 3 mars 1993 (CE 3 mars 1993, S.A. Carmag, req. n° 116550) le Conseil d’Etat a reconnu compétence du préfet, et la légalité de la décision qu’il avait prise, dans l’affaire suivante. Le préfet du Var avait interdit par arrêté, pour toutes les communes du département, la vente à emporter de boissons alcooliques telles que définies à l’article L. 1 du code des débits de boissons et des mesures contre l’alcoolisme (intégré depuis, comme il a été dit plus haut, au code de la santé publique), entre 22h et 5 h du matin. Le préfet s’était fondé sur une enquête de gendarmerie qui avait fait apparaître qu’au cours des mois précédents, sur 926 accidents corporels de la circulation survenus dans le département, 105 étaient liés à l’alcoolémie, et sur une enquête de police selon laquelle 62% des accidents dus à l’alcool se produisaient entre 22h et 6h du matin. Dans ces conditions, a considéré le juge, le préfet, dès lors qu’il a pris en considération des circonstances particulières au département concerné, tenait des dispositions de l’article L. 131-13 du code des communes – alors applicable (et devenu, avec quelques modifications de forme, l’article L. 2215-1, 1°, du CGCT) – le pouvoir de prendre ladite mesure.

Le Conseil d’Etat a repris exactement cette formulation dans une autre décision rendue le même jour, sur requête de la même société, à propos d’un arrêté pris pour les mêmes raisons et dans les mêmes termes par le préfet du Nord, département où des études récentes avaient montré que 30% des accidents automobiles étaient dus à des conducteurs présentant un taux d’alcoolémie supérieur à 0,8 gramme par litre et que 86% des accidents de ce type s’étaient produits la nuit (CE 3 mars 1993, S.A. Carmag, req. n° 121008).

Cette solution pourrait paraître banale si elle ne présentait deux caractéristiques. D’une part, elle prenait le contre-pied d’une décision rendue l’année précédente. Dans une affaire très similaire aux deux qui viennent d’être citées, la même société Carmag avait demandé l’annulation d’un arrêté du préfet de Seine-et-Marne interdisant la vente de boissons alcooliques à emporter dans tout le département entre 22h et 6h du matin, soit des circonstances semblables à celles des affaires de 1993. Or en 1992 le juge déclare « qu’il ressort des pièces du dossier, notamment des mémoires présentés par le préfet devant les premiers juges et par le ministre en appel, que cette mesure n’a pas été prise en considération de circonstances particulières au département concerné » et que, « dès lors le préfet ne tenait pas des dispositions précitées le pouvoir de prononcer une telle interdiction de caractère général » (CE 3 juillet 1992, Société Carmag, req. n° 120448, Rec. Lebon p. 280). On remarque que, bien que s’agissant d’un revirement de jurisprudence, les décisions de 1993 n’ont pas été rendues par la Section du contentieux, mais par deux sous-sections, comme si le juge avait voulu atténuer ou occulter la portée du revirement.

Dans sa circulaire au préfet de police et aux préfets, en date du 4 avril 2005, relative à la

« Prévention des atteintes à l’ordre et à la tranquillité publics liées à la vente de boissons alcooliques à emporter et à la consommation d’alcool », le ministre de l’intérieur, évoquant le pouvoir du préfet sur le fondement de l’article L. 2215-1-3° du CGCT, déclarait que dans le

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cas de la restriction de la vente de boissons alcooliques à emporter, le recours à de tels arrêtés pris au niveau départemental paraît néanmoins devoir rester exceptionnel, compte tenu de l’encadrement strict de ce type de mesure par le juge administratif ».

En appel, la cour retient que le préfet « a entendu se placer dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés lorsque le champ d’application de la mesure de police en cause excède le territoire d’une commune », estimant qu’il résulte du dossier que la décision du préfet n’est pas intervenue pour prévenir exclusivement des troubles nocturnes survenus dans des zones dites « festives » de la ville de Toulouse : la décision a été prise, selon la cour, qui suit l’argumentation avancée par le préfet, pour remédier aux incidents liés à la consommation d’alcool et notamment les accidents de la circulation qui surviennent sur tout le territoire du département de la Haute-Garonne lors des déplacements nocturnes de véhicules sur le réseau routier de la Haute-Garonne pendant les nuits de fin de semaine.

D’où une question soulevée par la comparaison entre la décision de 1992 et les deux décisions de 1993 : qu’est-ce qui les différencie ? Le seul élément de différenciation est en fait constitué par les statistiques d’accidents de la route établissant de manière indéniable un lien entre la consommation d’alcool et les accidents corporels survenus la nuit. Mais il vient immédiatement à l’esprit que ce type de situation n’est pas propre à un département mais se retrouve dans bien des départements en fin de semaine, le vendredi et le samedi soir.

L’arrêt rendu par la cour de Bordeaux présente une différence avec les affaires qui viennent d’être présentées, mais aussi une analogie, essentielle pour le fond de l’affaire, et qui soulève une interrogation.

La différence tient au fait que nous ne sommes pas, avec l’arrêt de la CAA de Bordeaux, sur le fondement de l’article L. 2215-1, 1° mais sur le fondement du 3° de ce même article.

Cependant l’analogie avec les affaires précédentes est flagrante, les motifs d’intervention du préfet sont les mêmes, à savoir les accidents corporels de circulation corrélés indiscutablement à la consommation d’alcool. Le préfet développe longuement son argumentation devant le juge. Un arrêté de 1970 permettait aux débits de boissons de fonctionner 72h sans interruption pendant les fins de semaine, et avait eu pour effet de générer, à des heures avancées de la nuit, des flux de véhicules en provenance des départements limitrophes dotés d’une réglementation plus sévère quant aux heures de fermeture, vers les établissements situés en Haute-Garonne. Et le préfet a fait valoir les

« résultats alarmants », les services des hôpitaux ayant attiré l’attention des pouvoirs publics sur une recrudescence des jeunes accueillis en coma éthylique d’une année sur l’autre. Les rapports de gendarmerie faisaient valoir que 34% des conducteurs en état d’alcoolémie impliqués dans un accident de circulation avaient consommé de l’alcool dans un bar ou une discothèque, ce pourcentage étant porté à 44% pour les accidentés de la seule tranche d’âge de 18 à 24 ans.

L’analogie est celle des « circonstances particulières », refusées en 1992, reconnues à partir de 1993. dans l’affaire n° 116550 le juge a considéré qu’en se fondant sur des circonstances particulières au département du Var, le préfet n’avait pas créé une discrimination illégale entre les établissements visés par son arrêté et ceux du même type situés dans des départements voisins, et que les débits de boissons, où ne se pratique pas la vente de boissons alcooliques à emporter, ne se trouvaient pas dans la même situation, au regard de l’objectif poursuivi par la mesure attaquée, que les établissements concernés par cette mesure.

La question que l’on peut se poser, et à laquelle il n’existe pas de réponse de principe, est relative à la notion de « circonstances particulières ». Car il faut reconnaître – ce qu’admet d’ailleurs l’arrêt de la cour de Bordeaux – que ces circonstances se retrouvent dans de nombreux départements (de nombreux jeunes gens et jeunes filles fréquentant les bars et discothèques en fin de semaine). Et si cela n’exclut pas, selon le juge, la spécificité de la

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situation d’un département, une autre préoccupation motive probablement et implicitement la solution du juge, préoccupation sur laquelle on reviendra in fine.

II – LA LÉGALITÉ DE LA DÉCISION DU PRÉFET

Le préfet était compétent pour édicter une mesure de police restreignant les horaires d’ouverture de certains établissements vendant des boissons alcoolisées, cela n’implique pas que la mesure soit légale. Cependant, les différents moyens invoqués par les requérants vont être rejetés par le juge.

1 – Les moyens relatifs à des atteintes à des principes juridiques

L’un des arguments intéressants, et nouveau par rapport aux affaires de 1992 et 1993, est le régime d’autorisation préalable qu’aurait institué le préfet par son arrêté, cet argument étant lié, dans la demande, à un autre argument plus classique sur les caractère général et absolu des mesures de police attaquées.

Quant au régime d’autorisation préalable, il est clair que si tel avait été le cas, la décision du préfet aurait été illégale. Un régime d’autorisation préalable porte presque inévitablement atteinte, en effet, à un doit ou une liberté, en l’espèce la liberté du commerce et de l’industrie et, dans un régime fondé sur le respect des droits et libertés, l’autorisation préalable doit être un régime d’exception (c’est pourquoi, d’ailleurs, les lois de simplification n° 2003-591 du 2 juillet 2003 et n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 ont habilité le gouvernement à substituer, par voie d’ordonnances, des régimes déclaratifs à certains régimes d’autorisation préalable). En raison de cette atteinte aux libertés, et en application de la disposition de l’article 34 de la Constitution selon laquelle « la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », un régime d’autorisation préalable ne peut être établi que par une loi, les autorités administratives étant incompétentes pour subordonner l’exercice d’une activité à une autorisation préalable, comme, du reste, à une déclaration préalable : l’application jurisprudentielle la plus célèbre en demeure la décision du CE du 22 juin 1951 à propos de l’activité de photographe filmeur, Daudignac (V. aussi CE 31 juillet 1996, Société France Affichage Vaucluse, req. n° 163790, où, s’agissant de l’application de la loi n° 79-1150 sur l’affichage, le juge déclare que si le maire pouvait déterminer des emplacements d’une surface suffisante réservés à l’affichage d’opinion et à la publicité des associations et s’il pouvait définir des modalités d’utilisation des panneaux prévus à cet effet, « il ne pouvait légalement, en introduisant un régime d’autorisation, porter atteinte au droit de libre affichage sur ces panneaux » en application de la loi).

Il était cependant difficile de soutenir, comme l’ont fait les requérants, qu’en édictant cette réglementation de police, le préfet aurait institué un régime d’autorisation préalable. Ce n’est pas l’exercice de l’activité qui est régi par l’arrêté, ce sont seulement les horaires d’ouverture des établissements. Ce n’est qu’indirectement que cette activité est touchée, et, par ailleurs et surtout, l’interdiction ne s’applique qu’à des moments précis et à des fins déterminées et précisées. Le juge n’a donc eu aucune difficulté à écarter le moyen, et il ne s’en explique d’ailleurs pas.

C’est le même raisonnement qui vaut pour le principe de proportionnalité qui s’applique aux mesures de police. Les requérants invoquent l’argument, classique et parfois justifié, selon lequel la mesure de police présenterait un caractère général et absolu et serait, de ce fait, illégale. Dans des situations qui paraissent très comparables, dans les affaires de 1992 et 1993 précitées, le juge considère que tel n’était pas le cas des mesures adoptées par le préfet.

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Cependant un doute pouvait surgir, ici, du fait que le préfet a pris un arrêté établissant des restrictions d’ouverture pour tous les établissements ouverts au public, dans lesquels sont servies des boissons à consommer sur place, titulaires d’une licence (allant de la première à la quatrième) ainsi que pour les restaurants et établissements assimilés et ayant une petite licence de restaurant ou une licence de restaurant. On peut s’étonner, notamment, que soient également concernés les établissements titulaires de la licence de première catégorie, qui est la « licence boissons sans alcool ». Le juge déclare que les mesures ont été prises par le préfet

« eu égard au caractère diffus de ces phénomènes (les accidents, l’atteinte à la tranquillité, les troubles engendrés par l’activité nocturne) dans le département de la Haute-Garonne et à l’objectif général de réduction du nombre d’accidents graves de la circulation concernant les jeunes et liés à la consommation d’alcool ».

Les requérants, « faisant feu de tout bois », et recherchant tous les moyens possibles d’annulation, ce qui est l’un des traits caractéristique des recours contentieux aujourd’hui, ont fait valoir également la méconnaissance du principe de sécurité juridique. Un premier argument, relatif à la réglementation antérieure demeurée en vigueur pendant plusieurs dizaines d’années, est écarté sans difficulté, les administrés ne pouvant se prévaloir, selon une jurisprudence bien établie, d’un droit au maintien d’une réglementation. Cela suppose naturellement que la mesure ait un caractère réglementaire, ce qui n’a pas posé non plus de problème, et l’on peut même trouver une certaine contradiction dans les arguments des requérants qui font à la fois valoir le caractère général de la mesure et invoquent des arguments ne pouvant valoir que pour des actes non réglementaires. Le second argument sur l’absence de dispositions transitoires est également écarté compte tenu du maintien de certaines dispositions de l’arrêté du 20 janvier 2009 jusqu’à leur terme.

2 – L’argument d’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie

Dans l’affaire concernant l’intervention du préfet du Var, de 1993, le juge administratif a considéré que l’interdiction attaquée, qui ne portait que sur une tranche horaire déterminée et que sur certains des produits vendus par les commerces qu’elle concerne, ne présentait pas le caractère d’une interdiction générale et absolue, et que l’objectif visé par le préfet, « qui était d’empêcher la vente de boissons alcooliques à emporter durant la nuit de façon à réduire le nombre des accidents de circulation nocturnes dus à l’alcoolisme », ne pouvait être atteint par une mesure moins contraignante. Dès lors, le préfet n’avait pas porté une atteinte illégale à la liberté du commerce et de l’industrie.

L’argument le plus intéressant était le caractère disproportionné des mesures prises et les restrictions qui en résultaient, selon les requérants, pour la liberté du commerce et de l’industrie. Le juge répond assez longuement à ce moyen. On relèvera, sans développer ce point, que selon la cour le principe de la liberté du commerce et de l’industrie « résulte du préambule de la Constitution », ce qui ne va pas de soi, les auteurs ayant pu débattre longuement de la valeur de ce principe de liberté du commerce et de l’industrie, la plupart d’entre en en faisant un principe à valeur législative en le distinguant du principe de liberté d’entreprise qui, lui, a valeur constitutionnelle. Mais, quelle qu’en soit la valeur, constitutionnelle ou législative, cela n’a pas d’incidence sur la solution retenue.

Ce principe, déclare le juge, « n’implique pas que les activités commerciales des lieux de restauration et des débits de boissons, puissent fonctionner sans interruption en fin de semaine » : nous ne sommes pas dans le cadre d’un service public (s’il y a une activité pour laquelle cette qualification peut être écartée sans hésitation, c’est bien celle-là …), il n’y a pas d’exigence de « continuité » qui s’appliquerait, des restrictions peuvent être apportées par des mesures de police, à condition que celles-ci ne soient pas disproportionnées.

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Le juge considère que la situation du département de Haute-Garonne justifiait les restrictions nocturnes des établissements ayant une activité de vente de boissons alcoolisées, les éléments fournis par le préfet, et cités plus haut, plaidant effectivement pour des circonstances réellement particulières. Par ailleurs le juge relève que le préfet a limité les heures d’ouverture nocturne en distinguant les établissements selon qu’ils avaient ou non pour activité principale la vente de boissons alcoolisées, et en prévoyant des autorisations dérogatoires d’ouverture plus tardives sous conditions. Ce faisant le préfet a proportionné les restrictions « aux nécessités de l’ordre et de la sécurité publics ».

En arrière-plan des dispositions arrêtées par le préfet dans la présente affaire, et, encore plus, en arrière-plan de cet arrêt, qui se situe dans la ligne de décisions jurisprudentielles antérieures, et d’une évolution de la jurisprudence, une autre préoccupation transparaît, celle de la santé publique. Le juge a toujours considéré que l’intérêt public de la santé publique justifiait des atteintes à un certain nombre de libertés, notamment la liberté du commerce et de l’industrie. La préservation de la vie des hommes, dont la mort par accident est toujours insupportable, est quelque chose de suffisamment précieux pour que l’on n’approuve pas sans réserve la position du juge, consistant à faire prévaloir un véritable intérêt public sur des intérêts qui, quelque légitimes qu’ils puissent être, ne sont que des intérêts privés, et commerciaux.

Mots clés : préfet ; police ; circonstances particulières ; proportionnalité ; liberté du commerce et de l’industrie

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