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COMMENT WOODY ALLEN PEUT CHANGER VOTRE VIE

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Academic year: 2022

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Éric VarTzBEd

COMMENT WOODY ALLEN PEUT CHANGER

VOTRE VIE

ÉdiTiONs du sEuiL

25, bd romain-rolland, Paris XiVe

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isbn 978-2-02-104849-0

© Éditions du Seuil, mars 2011

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www.seuil.com

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On ne pénètre un secret que par son propre secret.

Julien Green, Journal.

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Comment Woody Allen a changé ma vie

Les rencontres importantes sont le sel de la vie.

Souvent fortuites, elles ont de puissants effets : elles élargissent l’horizon, réorientent l’existence. En 1933, André Breton s’y intéressa. Il posa la question suivante à trois cents personnes :

Pouvez-vous dire quelle a été la rencontre capitale de votre vie ?

Pour l’un, ce fut la découverte de son idéal de révolte, figuré sous les traits d’Arthur Rimbaud ; un autre parla d’une liaison amoureuse et de la lecture de Marx ; pour un troisième, ce fut Dieu ; un quatrième rendit hommage à la femme qui l’avait révélé à lui-même, à des aspects troubles de sa jouissance : non un râle convenu, mais une initiation ; un cinquième répondit… Chacun peut ici compléter la liste selon son expérience.

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Pour ma part, un amour de jeunesse a pesé lourd dans mon évolution. Je ne l’évoquerai qu’indirectement et par détour. J’ai aussi éprouvé un choc, un saisissement, lorsque je vis une autre femme, un film dramatique de Woody Allen. En sortant de la salle, je flottais un peu, en proie à une impression étrange. Ce film me mit face à des difficultés personnelles, qui appelaient un travail de compréhension.

Professeur et essayiste reconnue, Marion, l’héroïne du film jouée par Gena Rowlands, prend quelques semaines de congé en vue de rédiger son prochain ouvrage de phi- losophie. Elle s’isole dans un appartement de location, organise ses journées selon un plan de travail rigoureux.

Ses travaux sont interrompus par une rumeur sourde, une voix d’abord indistincte, un murmure qu’elle distingue à travers la paroi de la pièce. Pour demeurer au calme, elle bouche le conduit d’aération. Un jour, par hasard, le dis- positif cède. Elle entend alors un monologue, une sorte de confession. La pièce contiguë appartient à un psycha- nalyste, et c’est la voix d’une patiente que Marion perçoit.

Ce film onirique brouille nos repères, il est difficile de donner un statut précis à la voix entendue : il s’agit autant de celle d’une jeune femme en difficulté que d’un murmure surgi d’une autre scène, du tréfonds de Marion.

À l’image du voyage entrepris par la patiente du psy- chanalyste, Marion plonge en elle-même, exhume une multitude de souvenirs. Des fragments de passé ressur- gissent, lui soufflent qu’elle a sans doute fait de mauvais

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choix. Elle se trouve aujourd’hui prisonnière d’une exis- tence rigide, froide et cérébrale. Elle prend la mesure de son isolement, d’une certaine dureté, et de la trop grande place qu’elle accorde à la logique et à la raison. Elle a tourné le dos au grand amour, fui la passion et déserté la vie. « Je me demande souvent, dira-t-elle, ce qu’est le vrai amour. Ou plutôt, je m’empêche d’y penser. » Bien que mariée, entourée d’élèves et d’admirateurs, elle res- semble aux vrais solitaires, à ceux qui, au cœur d’une foule animée, traînent avec eux leur désert.

Elle réalise que sa rationalité, sa froideur, son « système de protection », utiles en leur temps, jouent maintenant contre elle. Ce qui jadis l’a sauvée aujourd’hui la perd.

Ses anciennes planches de salut sont devenues sa potence.

Ce film m’a fait l’effet d’un miroir grossissant. Il a donné forme à un chaos d’impressions, m’a permis de mettre une histoire sur quelque chose qui me concernait à mon insu. Un voile s’était déchiré, j’entrevoyais désormais le tour déplaisant qu’avait pris ma vie… Au sortir du film, passé ce choc, une intense activité psychique s’ensuivit.

Comme l’héroïne d’une autre femme, je fus submergé par un torrent de souvenirs, une cascade de réminiscences.

Éteindre le volcan

Le traumatisme a deux visages. Il peut prendre la forme classique d’un événement sordide, d’une agression

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qui déborde les capacités de traitement du sujet. Pris de court, désarmé, l’individu est confronté à une expérience intraduisible, qui le laisse sans voix. Il ne parvient pas à y penser, comme si la trame de sa vie psychique avait été déchirée.

La seconde forme de traumatisme ne relève pas d’un événement extérieur, mais tient au jaillissement d’une pulsion intérieure. Dans ce cas de figure, le sujet sen- sible est comme « passivé », « violé » par la force de son désir, attaqué par la « bête dans la jungle » (Henry James).

L’investigation freudienne est ici précieuse. Elle pointe que la naissance des désirs sexuels et agressifs est en elle- même dangereuse ; la violence des pulsions, traumatique.

Dans sexe et caractère, Otto Weininger cite l’exemple d’un adolescent qui vit sa puberté comme une effraction.

Cet adolescent, commente-t-il, vit « une crise où il sent pénétrer dans son être quelque chose d’étranger, quelque chose qui vient s’ajouter à ce qui était jusque-là sa manière de penser et de sentir, sans qu’il l’ait aucunement voulu.

C’est l’érection physiologique, sur laquelle la volonté n’a pas de pouvoir ; et c’est là la raison pour laquelle la pre- mière érection est chez tout homme ressentie comme quelque chose d’incompréhensible et de troublant ».

Ici, il ne s’agit plus de l’abolition de l’histoire, mais d’un débordement. Non d’un « trou », mais d’un « trop ».

La culpabilité, à cet égard, constitue une tentative de solution, un essai de mise en forme des forces. Le sujet traite ce danger par la pensée.

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C’est à ce niveau-là, me semble-t-il, que Marion se situe. Dans son histoire, nul drame manifeste, pas de souvenir sordide, mais un besoin de prévenir un chaos imminent, de contrôler tout ce qui peut jaillir et désor- ganiser. Il s’agit de museler Dionysos sous une chape de plomb apollinienne. Il faut endiguer l’affect dans la représentation, dompter la « bête », éteindre le volcan.

Lors d’un entretien, Allen nous livre une des clefs de son personnage : « Sa sensibilité est si profonde qu’elle n’a d’autre choix que de fermer la porte à ses sentiments sous peine de se laisser submerger. » Ainsi, les passions fortes sont redoutées. Elles déclenchent chez Marion des incendies que la froide raison, une vie rigide et réglée ont pour fonction, à défaut d’éteindre, du moins de contrôler *.

À l’époque où j’ai vu une autre femme, j’étais morose, en proie à une anxiété diffuse, une lassitude. Dans le film, un vers de Rilke résonne de manière lancinante dans l’esprit de Marion : « Il n’existe point là d’endroit

* Une croyance répandue identifie Allen à son personnage dans Man- hattan, annie Hall, etc. Allen n’aura de cesse de nuancer ces parallèles superficiels et insistera souvent sur la parenté psychologique qui le rap- proche de Marion, Eve (dans intérieurs) et Cecilia (de La rose pourpre du caire). Eve, pour son perfectionnisme, ses obsessions, sa propension à la mélancolie ; Cecilia, pour sa tendance à se réfugier dans l’imagi- naire, à s’abriter au cinéma, loin de la brutalité du réel. Il confiera dans un entretien que le tournage d’une autre femme l’a engagé de manière très intime et qu’il lui a fallu presque une année pour s’en remettre.

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qui ne te voie. Il faut changer ta vie. » Je reprenais ce vers à mon compte, il me fallait changer.

Un bon fauteuil

La possibilité de connaître des changements grâce au cinéma dépend bien sûr de la sensibilité du spectateur.

Toutefois, pour qu’un film suscite de précieux effets, il faut pouvoir s’y abandonner sans retenue. Du côté de l’œuvre, comme pour une intervention analytique, une forme de tact et de délicatesse est de mise… À ce titre, les films d’Allen me paraissent exemplaires. Leur forme est policée à l’extrême, civilisée, presque littéraire. Allen a commenté cet aspect. Ses principales sources d’inspi- ration furent des films italiens et suédois, des films sous- titrés : des productions qu’il a dû lire autant que voir.

Il a donc été marqué par un cinéma qui le plaçait en position de lecteur autant que de spectateur. Selon lui, ce point explique peut-être pourquoi son cinéma fait une telle place au verbe, au travail de la lettre.

Dans ses films, les images sont toujours très pudiques.

Le sexe et la mort sont évoqués par allusions et détours.

En plus de quarante films, Allen n’a montré qu’une seule scène sexuelle et aucune de meurtre. Toutefois, il ne s’agit pas de tiédeur, car cette pudeur s’associe à des audaces formelles. Pas de sperme ni de sang, mais une manière de filmer novatrice, voire transgressive.

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Avec, par exemple, les faux-raccords dans le montage du gros plan de Dorrie (Charlotte Rampling) dans stardust Memories, un procédé qui rend palpable la psy- chose et ses ruptures dans le sentiment de continuité de l’existence. Dans plusieurs films, une voix off agit comme un fil conducteur, assure la cohérence de séquences qui se déploient sans queue ni tête, par associations d’idées.

Pour la bande-son de Match Point, Allen utilise un vieil enregistrement non restauré, une musique grésillante qui installe un climat étrange, situé comme hors du temps.

Dans Harry, il figure l’angoisse du héros en brouillant son image, en la rendant incertaine et floue. Dans annie Hall, il dissocie le visible du dicible, avec des dialogues hors champ, des scènes où le spectateur entend les personnages sans les voir. Ou alors, il divise l’écran afin de montrer deux points de vue sur une même réalité ; use de sous- titres pour indiquer l’arrière-pensée des personnages, etc.

Bref, ce mélange d’audace formelle et de classicisme inspire confiance et met le spectateur en mouvement.

Un film, soutenait Serge Lebovici, à l’opposé du cau- chemar, est un rêve qui fait rêver. Avec les vertus asso- ciées aux rêves : expansion des pensées, relance associative, libération de fantasmes, enrichissement de la sensation.

Par ailleurs, la plupart des films d’Allen sont visuel- lement très travaillés. Ils privilégient les rouges et les jaunes saturés, des couleurs chaudes, automnales, au service d’un climat volontiers nostalgique. Les scènes sont souvent éclairées par une lumière caressante et ambrée.

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Le cadrage est très précis, le montage fluide, exception faite, bien sûr, de quelques films, comme par exemple Maris et Femmes, qu’Allen a voulu nerveux et chaotiques.

Questionné sur ces points, il dit se sentir proche de Matisse, et cite le peintre : un tableau devrait être pour les yeux « aussi reposant qu’un bon fauteuil pour le corps ».

Dans ses entretiens, il revient à plusieurs reprises sur le conflit qui oppose la comédie et son projet esthé- tique : il déplore que la beauté nuise aux gags, que la perfection formelle neutralise le rire. Ses premiers films mettent la priorité sur le rythme et l’efficacité des plai- santeries, mais ses goûts le poussaient ailleurs : il aime l’harmonie et la douceur des images, l’élégance d’une construction fluide et classique.

À cet égard, il se situe aux antipodes d’un cinéma qui nous agresse, « chiffonne nos nerfs », vise l’exci- tation et le choc. Il cherche un plaisir subtil, parle du

« confort » visuel du spectateur, aime les images équi- librées et sensuelles, adhérerait sans doute à la défi- nition de la peinture proposée par Poussin comme l’« expression en forme et couleur sur une surface plate pour donner du plaisir ». Ainsi, en ajoutant la dimension propre au cinéma – le mouvement –, la caméra serait ses pinceaux et le plateau ses toiles *. Mais ne

* Bien entendu, cette qualité d’image est le fruit d’un travail d’équipe, mais Allen a su s’entourer des meilleurs chefs opérateurs : Gordon Willis (oscarisé pour Le Parrain), Carlo Di Palma et Sven Nykvist, respectivement directeur de la photographie d’Antonioni et de Bergman.

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poussons pas l’analogie trop loin ! Car même si les cou- leurs, la lumière et le cadrage d’un film comme Vicky rappellent « un bon fauteuil », ne perdons pas de vue que le peintre préféré d’Allen est Munch, le porte-voix du cri, le peintre de l’angoisse…

« Tu n’as aucune chance, mais saisis-la ! »

Dans radio days, un animateur radio raconte l’his- toire extraordinaire de Kirby Kyle, un joueur de base- ball promis à un grand avenir :

Mais voilà qu’un jour Kyle alla à la chasse. Traquant un garenne, il trébucha et le coup partit tout seul. La balle lui entra dans la cuisse et il fallut l’amputer. On disait qu’il ne pourrait jamais rejouer. Mais la saison d’après, il était de retour. Il n’avait qu’une jambe, mais, bien plus important… il avait du cœur.

L’hiver suivant, un autre accident lui coûta un bras.

Heureusement, pas son fameux bras gauche. Il n’avait qu’une jambe et qu’un bras… mais mieux que cela, il avait du cœur.

L’hiver d’après, dans une battue aux canards, son fusil explosa. Il devint aveugle. Mais, d’instinct, il sentait où lancer la balle. Instinct, donc, et cœur.

Dans l’année qui suivit, Kirby Kyle fut renversé par un camion, et tué. Au cours de la saison, il remporta dix-huit victoires dans la super-finale céleste !

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Durant les cures, le mouvement thérapeutique se déploie en mariant des aspects d’allures contradic- toires : une forme de lucidité déprimante et un désir vivifié. Sur ce point, Béla Grunberger a noté de pré- cieuses indications. Certes, la normalité consiste à recon- naître ses limites, mais la santé ne saurait s’y réduire.

Elle touche à un art subtil d’accepter sans se résigner.

En définitive, personne ne supporte ses limitations, et la frontière qui sépare la maladie de la santé est l’aptitude à mettre ses limites en travail, à s’ouvrir à quelque invention, à transformer l’impasse en issue.

« Qui accroît sa science, accroît sa tristesse », sou- pirait l’Ecclésiaste. À rebours de cette tendance, la psy- chanalyse se situe plutôt du côté d’un gai savoir : elle ne demeure pas fascinée par nos « castrations », mais cherche à y prendre appui pour en faire autre chose, à libérer une voie pour un désir désencombré. Il faut imaginer Kirby Kyle et Sisyphe heureux… À ce titre, bien que la philosophie d’Allen soit désespérée *, le dynamisme qui porte ses films me paraît exemplaire.

* En effet, nous le verrons plus en détail, sa conception de l’existence est sombre : un jeu de massacre éclairé par quelques traits d’humour. « La vie, dira-t-il, est le fruit du hasard, moralement indifférente, incroya- blement violente. » Il la décrit comme « une maladie sexuellement transmissible, avec un taux de mortalité de 100 % ». La vie lui donne la nausée, un malaise « qu’on ne peut soigner avec un banal Alka-Seltzer.

Il faut pour le moins un Alka-Seltzer existentiel, produit qu’on ne trouve que dans certaines pharmacies de la Rive gauche ».

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Dans zelig, Allen sollicite Bruno Bettelheim. Le psy- chanalyste fait une brève apparition pour commenter les frasques du héros. Invitons-le à notre tour car sa célèbre conception des contes de fées éclaire quelques caracté- ristiques « thérapeutiques » des films d’Allen.

Bettelheim distingue le mythe du conte. Dans les mythes, le héros croule sous les arrêts impitoyables du destin, et leur conclusion est souvent sanglante. En revanche, les contes rassurent, nourrissent de puissantes espérances. Ils figurent les angoisses, les aspirations, les difficultés du lien aux autres et indiquent des solutions possibles, une conclusion heureuse. Bien que pétris d’horreurs, ils sont sous-tendus par un courant opti- miste, source d’espoir. Souvent magiques (pensons à alice, zelig, etc.), les films d’Allen s’en rapprochent : même lorsque leur propos est grave et désabusé, leur ton est si roboratif, épicé, bondissant, que le spectateur quitte la salle en sifflotant, ragaillardi *. Ainsi, même si le fond de ses scénarios est plutôt sombre, l’esprit qui les anime dissipe leur noirceur, et ils constituent de vivi- fiants viatiques. Ce cinéma sait marier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté.

Les contes, précise Bettelheim, ne mettent pas en scène un héros, mais un anonyme, dans lequel l’enfant impuissant peut se reconnaître. Cette position rappelle la situation du

* Il va de soi que dans le foisonnement de sa production, certains films font exception : Match Point, september, etc.

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personnage principal souvent joué par Allen. Si, malgré un certain élitisme, ses films ont trouvé un large écho dans le public, c’est sans doute parce que le spectateur se retrouve dans son personnage : un petit homme chiffonné, mala- droit, laminé par des complexes, et qui, pourtant, va de l’avant, persévère, connaît l’amour, surmonte des obstacles.

Et même s’il échoue, le souffle qui dynamise le personnage et la vivacité de son intelligence portent une sorte de pro- messe. Les gens modestes et les « sans-grades » l’aiment bien, et lorsque le biographe d’Allen demande son avis à un chauffeur de taxi, celui-ci répond : « Eh bien, regardez- le. Il est petit et perd ses cheveux. Il est laid et n’arrive pas à s’envoyer en l’air. Il est exactement comme moi ! »

En outre, si le mythe raconte l’histoire d’un héros tendu vers une exigence souvent inatteignable, le conte, lui, rapporte l’histoire d’un anonyme dont les épreuves sont formatrices. De même, les scénarios d’Allen font réfléchir, proposent différentes voies possibles pour s’orienter dans la jungle des rapports amoureux, pro- fessionnels ou politiques. Ils constituent des balises, des repères pour une sorte d’« éducation sentimentale ».

À titre personnel, il m’est arrivé de regarder ses films dans cet esprit, comme des Bildungsroman, des romans de formation. Ils m’ont soutenu, éclairé et guidé. Je repense à l’exemple d’Allan Felix (dans Play it again, sam !), lequel veut séduire, cherche son style, explore toutes sortes de voies, s’appuie sur la figure d’Hum- phrey Bogart ; ou alors à Jerry, écrivain en herbe, le héros

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d’anything else. Jerry se lie à son double, Dobel, lequel lui enseigne l’autonomie. Dobel, un éducateur au sens fort, libère le jeune homme de sa copine hystérique, de son parasite d’agent, de son psychanalyste et, habileté suprême, l’affranchit de lui-même, afin qu’il grandisse et mette le cap vers son rêve. Bref, dans l’esprit des contes, Allen a construit une figure qui nous touche, populaire et positive *.

Analyse ou lobotomie ?

Dans Play it again, sam !, le héros joué par Allen se questionne sur l’échec de son mariage. Son psychana- lyste lui avait suggéré que le problème avec sa femme était d’ordre sexuel. « C’est ridicule, répond-il, comment notre problème aurait-il pu être sexuel, nous n’avions pas de rapport ** ! »

* En 1976, le personnage d’Allen apparaît dans une bande dessinée.

Il devient alors le héros d’une fiction graphique (signée par Stuart Hample, et traduite dans le monde entier). Par ailleurs, un peu par hasard, Dee Burton, une chercheuse en psychologie, remarqua qu’Allen apparaissait souvent dans les rêves des New-Yorkais. Elle entreprit alors une recherche universitaire. Dans ces rêves, conclut Dee Burton, les hommes placent volontiers Allen dans une position de compagnon sécu- risant ; les femmes, dans celle d’un amant attentif et sensible.

** Se doutait-il que Jacques Lacan reprendrait la formule à son compte en affirmant dans un célèbre aphorisme qu’ « il n’y a pas de rapport sexuel » ?…

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Son personnage ne trouve guère de secours dans sa cure. Sa femme le quitte, son psychanalyste s’absente pour les vacances. Découragé, il commente : « Je ne pense pas qu’une analyse puisse m’aider, il me faudrait une lobotomie… »

Joël Birman a étudié la manière dont les psychanalystes apparaissent au cinéma. Il observe que les analystes sont en majorité présentés comme des criminels ou des pervers.

Pour perpétrer leurs forfaits, ils utilisent les secrets et le lien de dépendance du patient. Il n’en va pas de même dans le cinéma d’Allen. Les personnages de psychana- lystes sont en général des êtres droits, moraux, irrépro- chables, mais impuissants, inaptes à induire le moindre changement. Les héros alléniens sont ambivalents à leur endroit. Ils leur vouent une déférence sacrée et moquent leur inefficacité. Dans Manhattan, Ike (Allen) raconte sa fascination pour la beauté de Jill (Meryl Streep), sa future ennemie, qui le quittera pour aller vivre avec une femme.

Il veut l’épouser, et quand son analyste le met en garde, il change d’analyste ! Bref, les thérapeutes sont perspi- caces et bons, mais faibles et, finalement, inutiles. D’où le climat de mélancolie lucide qui se dégage parfois des films d’Allen : une fatalité pèse sur les êtres, la conscience est impuissante, le changement n’est guère possible.

À ce sujet, Erich Fromm écrit :

On observe souvent un accord tacite entre le malade et l’analyste : aucun des deux ne veut être réellement

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ébranlé par une expérience fondamentalement nouvelle.

Tant que le malade vient, parle et paie, et que l’analyste écoute et « interprète », les règles du jeu sont observées, et le jeu convient aux deux partenaires. Inconsciemment, les protagonistes de ce gentleman’s agreement ne dési- raient même pas vivre un défi, puisque rien ne devait faire tanguer la barque de leur « paisible existence ». […]

Cette description implique-t-elle que la psychanalyse n’a pas opéré chez les gens de changements essentiels ? Nullement. De nombreux malades ont fait l’expérience d’une vitalité et d’une aptitude au bonheur complè- tement nouvelles, et aucune autre méthode que la psy- chanalyse n’aurait pu produire de tels changements.

Les symptômes sont-ils solubles dans la parole ?

Un des problèmes notoires à propos de la cure psychiatrique est que, puisque au fond on ne désire pas être guéri, on s’emploie à dénicher parmi les praticiens de cette délicate science ceux qui seront le moins aptes à vous guérir, et ceux-là, je me permets de le faire remarquer, ils ne manquent vraiment pas.

George Sanders, Mémoires d’une fripouille.

Comment Freud concevait-il le changement dans les cures ? Par son contraire, les résistances aux changements, la volonté de statu quo. « Tout n’arrête pas de bouger

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sans arrêt, se lamente Kleinman (Allen) dans Ombres et Brouillard. Tout est perpétuellement en mouvement.

Pas étonnant que j’aie la nausée. » Oui, la vie est mou- vement, impermanence angoissante, anatta selon l’ex- pression bouddhiste. L’inconnu et les deuils associés au changement sont rarement accueillis de bonne grâce.

Emporté par le fleuve du devenir, l’être humain cherche un îlot de permanence, résiste, s’accroche à la bouée de son symptôme.

Outre ce besoin de permanence, les résistances ont, selon Freud, diverses sources. Par exemple, la maladie peut offrir des avantages, certains « bénéfices ». Il existe aussi un besoin de punition, un goût pour l’échec vu comme le revers d’une culpabilité inconsciente *. À la fin de sa vie, il constata un fait navrant : s’il arrive aux hommes d’aimer le changement, ils chérissent la répé- tition. Ce qui rendait sa tâche laborieuse…

Dans son œuvre, la notion de changement a évolué et recouvre grosso modo trois conceptions. Dans un premier temps, il considéra que les sujets guérissaient lorsqu’ils s’étaient purgés de la charge affective liée à un souvenir écarté de la conscience. Le patient change lorsqu’il revit une peur, une colère, une fascination en lien avec un

* Dans stardust Memories, Allen propose cette lecture pour rendre compte de l’attirance de son héros pour les femmes « kamikazes ». Secrè- tement culpabilisé par le sexe, il éprouve chaque mois le besoin d’expier, vingt-huit jours durant, les délices goûtés les deux jours restants…

Références

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Il fut aussi chroniqueur dans Les Lettres françaises et le Magazine du mystère et enfin traducteur de l’américain vers le français : il a ainsi traduit les écrits de Woody Allen

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