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La métapsychologie et la question du sujet

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La métapsychologie et la question du sujet

La métapsychologie freudienne

L’âme ou la psyché est, pour Descartes, le seul objet de la psychologie.

Elle se définit par la conscience inhérente au « je pense ». Le psychique est donc tautologiquement conscient. Le conscientalisme, comme identité du psychique et du conscient, semble dominer toute la philosophie à partir de Descartes notamment. Cette doctrine philosophique est en contradiction flagrante avec l’affirmation freudienne d’un psychique inconscient et, dans son oeuvre, Freud ne citera jamais Descartes à l’exception d’une réponse à une lettre de Maxime Leroy, philosophe français, lui demandant d’interpréter les trois rêves de Descartes (dans la nuit du 10 au 11/1619). Quelles que soient ses attirances pour les questions philosophiques, Freud ne pouvait manquer d’affirmer son opposition à cette philosophie dominante, voire à toute philosophie. Dès la naissance de la psychanalyse, la psychologie est reléguée pour faire place à une doctrine psychique construite à partir de l’inconscient. Le terme

« psychologie » est encore employé en octobre 1895 dans l’Esquisse d’une psychologie1, écrite quelques mois après le rêve inaugural de la psychanalyse, le rêve de l’injection faite à Irma. Mais dès février 1896, Freud remplace le terme de psychologie par métapsychologie2. La métapsychologie est la pratique du savoir du psychique qui tient compte de l’inconscient. Comment commencer cette approche du psychique si ce n’est pas le « je pense » cartésien ? Tout à la fin de l’avant-dernier chapitre de la Traumdeutung, Freud affirme que l’essence du rêve n’est ni le contenu conscient, ni le contenu inconscient, mais le travail du rêve. Ce travail du rêve est très éloigné du penser conscient : « il ne pense, ne calcule, ne juge absolument pas, mais se borne à ceci : donner une autre forme »3. On peut parler ici de cogito freudien, qui s’appréhende comme le travail de transformation essentiel pour le rêve. Mais cette transformation se joue d’abord pour l’inconscient, à l’endroit même où la conscience du

« je pense » est mise de côté. Le cogito freudien apparaît en dehors de toute personnalité (unité de l’âme) et de toute personnalisation : c’est un cogitatur, il est cogité. Il ne peut s’en déduire qu’un ça, ça pense. Ce

« ça » signe simplement la mise en question radicale du sujet, telle qu’elle était développée par Kant dans les paralogismes de la raison pure.

Cogitatur, mais il ne s’en suit aucune position substantielle. L’inconscient reste quelque chose de problématique qui permettrait de donner un point d’appui à ce travail de transformation qu’on retrouve non seulement dans les rêves, mais dans toutes les formations de l’inconscient (lapsus, mots d’esprit, symptômes, etc.). L’inconscient joue bien le rôle de la condition

1 C’est Strachey qui a cru bon de préciser dans sa traduction que cette psychologie serait « scientifique ».

2 Lettres à Wilhelm Fliess, lettre du 13/02/1896, p.222.

3 OC IV p.558.

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inconditionnée de la vie psychique. Et il se dégage de l’affirmation de l’existence (du sum cartésien) pour ne laisser que la question du sujet qui n’implique aucune doctrine ajoutant l’une ou l’autre connaissance, mais une discipline remettant sans cesse en question les notions supposées établies.

C’est dans le cadre de cette remise en question qu’apparaît L’introduction du narcissisme (1914). Il ne s’agit pas d’introduire une nouvelle pathologie dans la panoplie des diagnostics « psychanalytiques ». Il s’agit de faire entrer le narcissisme dans la théorie psychanalytique pour questionner cette dernière, pour la faire travailler. Avec le narcissisme, nous sommes bien dans un schéma réflexif : un sujet se prend lui-même pour objet. Mais quelle est cette réflexion ? Et quel est ce sujet qui se prend lui-même pour objet ? À cette dernière question, on répondrait le moi. Aurait-on trouvé une substance simple, personnalisée, condition de possibilité de tout le reste ? Aurait-on trouvé la condition inconditionnée catégorique ? Non ! Le moi lui-même n’est rien sans le développement du moi : « le moi doit subir un développement »4. Et ce développement consiste en un aller-retour : sortir de soi pour revenir à soi. Sortir de soi c’est choisir un objet extérieur qui correspond à l’idéal du moi et revenir à soi c’est en tirer les bénéfices narcissiques. Alors que le moi semblait s’imposer comme l’intérieur même du psychique, il ne se développe que par la sortie vers l’extérieur et le développement réflexif du couple intérieur/extérieur. Ce développement réflexif (correspondant au troisième couple des concepts de la réflexion) remet en question la pulsion, troisième concept fondamental de la psychanalyse (correspondant à la relation). La pulsion ne peut plus être pensée en terme de « pulsion sexuelle » ou « pulsion du moi et d’autoconservation du moi » ; car le moi en lui-même est la réserve de la pulsion sexuelle. Et l’introduction du narcissisme conduira aux écrits métapsychologiques (1915) qui commence précisément par l’étude des pulsions, puis à une révision complète de la pulsion chez Freud et à l’introduction de la pulsion de mort opposée à la pulsion de vie (Au-delà du principe de plaisir, 1920). Alors que l’inconscient dénonçait radicalement le conscientalisme, c’est-à-dire l’égalité du psychique et du conscient pour saisir un cogitatur plus radical que le cogito, le moi freudien introduit une mécanique d’échange entre l’intérieur et l’extérieur ; ce moi n’existe que par le développement vers l’extérieur, dans l’espace du sens externe. C’est le va-et-vient du mouvement pulsionnel qui introduira la pulsion de mort en même temps que la deuxième topique freudienne.

Dans la deuxième topique freudienne, le moi se construit comme l’interface entre un extérieur et un intérieur ; le moi règle les échanges entre le ça intérieur à l’appareil psychique et la réalité extérieure. Cette situation d’entredeux propre au moi est potentiellement conflictuelle. Sous l’action d’un traumatisme psychique, le moi « se trouverait au service d’une puissante revendication pulsionnelle qu’il est habitué à satisfaire, et il est soudainement effrayé par une expérience vécue qui lui enseigne que la continuation de cette satisfaction aurait pour conséquence un danger

4 OC XII p.221.

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réel difficilement supportable »5. Le moi est ainsi fondamentalement clivé entre la prolongation de sa satisfaction et la prise en compte de la réalité.

Freud prend pour exemple l’homme aux loups (sans le citer) ; à l’âge de trois ans, il avait été séduit par sa soeur aînée et avait prolongé par la masturbation (satisfaction de la pulsion) ; jusqu’au jour où il fut surpris pas sa gouvernante qui le menaça de castration, un danger pour lui bien réel puisqu’il avait pu observer l’anatomie de sa mère. Le moi devrait choisir : arrêter la masturbation ou risquer la castration. Au lieu de ce choix, le moi dénie la réalité de la « castration » de sa mère et la remplace par l’investissement d’une perception qui a précédé la perception de la castration maternelle, le fétiche. Le moi est dès lors clivé entre une position de déni et une position de reconnaissance du danger. Par le déni, le moi donne toute sa place au ça ; par la reconnaissance du danger, le moi donne toute sa place à la réalité. Dans cet exposé du moi clivé entre le ça et la réalité, il s’agirait de phénomènes parfaitement descriptibles, même s’ils ne sont pas reconnus par le sujet conscient. De ce point de vue, on comprend qu’il soit possible d’espérer une explication du ça en termes physico-chimiques. Mais si le clivage du moi en ça et réalité est compris comme une structure, le ça vaut comme la condition inconditionnée de tout phénomène psychique et il n’est réductible à aucun phénomène et le moi n’est alors que le développement de la question du sujet comme l’introduisait le narcissisme. C’est ce fil que Lacan suivra : le clivage du moi, c’est le clivage du « sujet » irréductible à tout phénomène, c’est le sujet divisé6.

La question du sujet reprise par Lacan.

Contrairement à Freud, Lacan cite abondamment Descartes7. On peut distinguer dans la reprise du cogito cartésien par Lacan, quatre opérations8. 1) Pour soutenir la question du sujet dans le champ de l’inconscient, Lacan reprend d’abord à son compte la critique freudienne du conscientalisme : le psychique ou le « je pense » ne peuvent pas être assimilés à la conscience. Autrement dit, Lacan restitue au Cogito une certaine forme d’opacité. 2) Le cogitatur opaque implique la mise en question radicale du raisonnement qui conclut à la substance du sujet (ergo sum). 3) Il faut distinguer un « je suis » d’existence effective (ontologique) et un « je suis » qui n’est qu’une pensée logique, qu’un sens où l’existence est simplement supposée par la pensée. L’existence effective d’un sujet devrait dès lors toujours impliquer le corps, ou la substance étendue, comme le remarquait Kant9. 4) Du côté de la pensée

5 Freud, Le clivage du moi dans le processus de défense (1938, publié en 1940), GW XX p.221

6 Cf. Subversion du sujet et dialectique du désir.

7 Cf. les pages de Guy Le Gaufey consacrées à Descartes relu par Lacan, dans L’incomplétude du symbolique (p.174 et suivantes).

8 Michael Soubbotnik, Hobbes, Lacan, le cogito, in Le moment cartésien de la psychanalyse, sous la direction de Erik Porge et de Antonia Soulez, p.107 et suivantes.

9 “La détermination de mon existence dans le temps n’est possible que par l’existence de choses réelles, que je perçois hors de moi (...) c’est-à-dire

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« je suis », on doit écrire : « je pense “donc-je-suis” ». Et ce processus réflexif pourrait se poursuivre à l’infini : je pense que je suis, je pense que je pense que je suis, etc.

Le stade du miroir.

Du côté de Freud et l’introduction du narcissisme, le processus réflexif par excellence « moi, j’aime moi » ou « moi, un homme, je l’aime lui, un homme » est présenté comme le réservoir de toute libido. Comment ce narcissisme tournant parfaitement autour de lui-même peut-il être introduit dans le champ de la psychanalyse impliquant un sujet fondamentalement et radicalement remis en question ? Cette question est centrale dans le premier séminaire. Et elle suppose de remettre en question la réflexivité elle-même. Dans le miroir, l’image correspond point par point à l’objet réel. Mais déjà, le « stade du miroir » subvertit complètement cette réflexivité spéculaire : le supposé sujet, encore prématuré et incapable de survivre seul, se précipite à partir de cette anticipation vers « une forme que nous appellerons orthopédique de sa totalité »10 ; mais cette précipitation est proprement « dialectique » (au sens de la logique de l’apparence): en effet, ayant vu l’image de son corps unifié dans le miroir, il se retourne vers la mère symbolique et réelle qui le porte pour l’interroger sur le sens de cette apparence, de cette image.

Dans le stade du miroir, la réflexivité spéculaire se transforme en une réflexivité symbolique où la totalité du sujet est remise en question en même temps que la simplicité, la personnalité, l’animalité inhérente à cette image substantielle. Le moi apparu dans l’image n’est dès lors plus du tout une image, mais un processus d’interrogation symbolique qui pousse à produire un point de visée, qui échappe toujours et, avec lui, une dialectique kantienne (de l’apparence et de l’errance) qui dépasse toute réflexion symbolique. « Moi, j’aime moi » est bien une proposition réflexive, mais pas dans le sens spéculaire ; car le moi est un concept problématique impossible à résoudre de façon univoque. On peut déjà le lire dans l’introduction du narcissisme chez Freud.

L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud.

C’est pour poursuivre cette interrogation sur le sujet que Lacan fait appel au signifiant. Il s’agit bien de situer non pas simplement le processus imaginaire ou le processus symbolique en tant qu’il permettrait de produire et d’éclairer des significations. Si le signifiant est convoqué, c’est pour situer la question du sujet ; elle ne relève pas simplement de l’esthétique (l’espace) ni non plus simplement de l’analytique (l’entendement), mais de la dialectique et de la raison : L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud. J’ai la possibilité « de me servir de la langue pour signifier toute autre chose que ce qu’elle

que la conscience de ma propre existence est en même temps une conscience immédiate de l’existence d’autres choses hors de moi” (CRPu 957 ; B275-276).

10 Lacan, Ecrits, p.97.

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dit »11. C’est ce qui définit un signifiant : il n’est signifiant qu’à la condition d’être différent de lui-même. C’est aussi la possibilité de me servir de l’entendement pour toute autre chose que ce que ce pour quoi il est fait, à savoir s’appliquer à l’intuition. Un tel usage de l’entendement en dehors de ses limites est le propre de la raison. Le signifiant, en tant que différent de lui-même, fonctionne dans le champ de la raison, vu comme dialectique de l’apparence et de l’errance. Cette place du signifiant dans le champ de la raison, c’est identiquement la place du sujet par rapport à la recherche du vrai et cette place du sujet sort du domaine du vrai. À partir de ce fonctionnement de la raison (et non de l’entendement), on peut donc « confondre provisoirement »12 la place du sujet avec la fabrique du sens telle qu’elle est développée par Freud dans le travail du rêve et par Lacan dans la métaphore et la métonymie. Lacan ajoute qu’il faut s’arrêter à cette place du sujet « parce qu’elle est au point crucial de notre problème ». Il relève le cogito ergo sum cartésien. Il cite l’« épuration extrême du sujet transcendantal » et prend bonne note que « dans cela qui pense (cogitans), je ne fais jamais que me constituer en objet (cogitatum) ». Malgré cette épuration extrême du sujet transcendantal, se pose la question de la place, de l’espace du sujet du signifiant : « “cogito ergo sum” ubi cogito, ibi sum », là où je pense je-pense-donc-je-suis, là je suis. Mais où se trouve le sujet par rapport au signifiant et à l’effet de signifiant dans le signifié ? « La place que j’occupe comme sujet de signifiant est-elle, par rapport à celle que j’occupe comme sujet du signifié, concentrique ou excentrique ? Voilà la question »13. Autrement dit la place du sujet (sujet de signifiant) est-elle à l’intérieur de la masse des pensées ou est-elle extérieure à ce monde des pensées ? On pourra bien dire : le sujet est le sujet, le moi est le moi (cf. l’interprétation spéculaire du narcissisme) ou encore je deviens ce que je suis. Je ne suis que dans l’acte de ce dire. La pointe active de ce jeu signifiant « clavette » – fixe et articule – « mon désir sur un refus du signifiant ou sur un manque de l’être » ; autrement dit sur un refus de l’analytique transcendantale phénoménale ou sur un manque de tout noumène au sens positif. La place du sujet est donc très particulière et négative : « Je ne suis pas parce que je ne peux pas m’y situer »14. En termes kantiens, on pourra dire que le sujet ne se situe pas parce qu’il est radicalement en dehors de l’espace.

La question de la place du sujet est donc paradoxale. Les pensées se déroulent dans un espace où je ne suis pas : « je pense où je ne suis pas » ; donc il est impossible de situer le « je » : « je suis où je ne pense pas »15. Je continue : « Mots qui à toute oreille suspendue rendent sensible dans quelle ambiguïté de furet fuit sous nos prises l’anneau du sens sur la ficelle verbale. Ce qu’il faut dire, c’est : je ne suis pas, là où je suis le jouet de ma pensée ; je pense à ce que je suis, là où je ne pense pas penser »16.

« Là où je ne pense pas penser », c’est le lieu où peuvent se dire les

11 Ecrits, p.505.

12 Ecrits, p.516.

13 Ecrits, p.516-517.

14 Ecrits, p.517.

15 Ecrits, p.517.

16 Ecrits, p.517.

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conneries, ce qui ne relèvent ni du vrai ni du faux, le champ dialectique de la raison qui nous branche sur la question du « noyau de notre être », Kern unseres Wesens17. Cette localisation reste paradoxale puisque le lieu de la raison ne relève pas de l’espace.

L’identification.

Les premiers séminaires de Lacan balancent autour de l’alternative signifiant/sujet (l’un et l’autre se définissent par l’acte du cogito). Au dire de Lacan18, la thématique du signifiant domine dans les séminaires I, III, V et VII (respectivement les écrits techniques, les psychoses, les formations de l’inconscient et l’éthique) et la thématique du sujet domine dans les séminaires II, IV, VI et VIII (respectivement le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, la relation d’objet, le désir et son interprétation et le transfert). La thèse avancée par Lacan dans L’identification, qui voit se rejoindre la thématique du signifiant et la thématique du sujet, est que « rien d’autre ne supporte l’idée traditionnelle philosophique d’un sujet, sinon l’existence du signifiant et de ses effets »19. On a bien vu dans L’instance de la lettre... comment la question du sujet est située par rapport au signifiant. Mais ici, Lacan affirme bien que cette position du problème est sous-jacente à l’idée philosophique traditionnelle du sujet ; elle est là à l’intérieur même de la philosophie du sujet, c’est-à-dire à l’intérieur de la psychologie rationnelle.

Il est bien clair pour Lacan « qu’il n’est absolument pas question de prétendre dépasser Descartes, mais bien plutôt de tirer le maximum d’effets de l’utilisation des impasses dont il connote le fond »20 et ces impasses sont analysées par Kant. Avec Lacan, reprenons pas à pas ces impasses du cogito cartésien qui conduisent à la thèse de l’identification du sujet par le signifiant. 1° Le « je pense », peut parfaitement rester inconscient : « Une pensée, pour tout dire, n’exige nullement qu’on pense à la pensée. Pour nous tout particulièrement, la pensée commence à l’inconscient »21. Avant la prise de conscience du « je pense », la pensée fonctionne au niveau de l’analytique transcendantale et il existe une place pour des représentations en deçà des perceptions. 2° « Il se pourrait que ce fût une parole qui s’avérât tout à fait insuffisante à soutenir en rien quoi que ce soit que nous puissions à la fin repérer de cette présence, je suis. C’est ce que je prétends »22. Malgré l’apparence du sujet produite par les paralogismes de la raison pure, Kant démontre que cette présence du

“je suis” est illusoire. 3° Comment peut-on éclairer ce propos qui disqualifie la présence du sujet ? Lacan se réfère ici au paradoxal « je mens » qui vient à la place du « je pense ». « Il est très facile de démonter cette prétendue difficulté logique et de montrer que la prétendue difficulté où repose ce jugement tient en ceci : le jugement qu’il comporte ne peut

17 Ecrits, p.518 et 526.

18 L’identification, p.11 (15 novembre 1961).

19 L’identification, p.14 (15 novembre 1961).

20 L’identification, p.15-16 (15 novembre 1961).

21 L’identification, p.16 (15 novembre 1961).

22 L’identification, p.16-17 (15 novembre 1961).

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porter sur son propre énoncé »23. C’est un collapsus entre le sujet de l’énoncé et le sujet de l’énonciation. C’est exactement ce que dénonce les paralogismes de la raison pure : le moyen terme du « syllogisme » est un collapsus de deux termes radicalement différents, « sujet » est pris tantôt dans le sens phénoménal du sujet de l’énoncé, tantôt dans le sens nouménal du sujet de l’énonciation. Lacan vient de dire qu’il existe des paroles tout à fait insuffisantes à soutenir en rien quoi que ce soit d’un sujet en bonne et due forme, notamment les paroles inconscientes. Il n’y a pas de sujet de l’énonciation inconsciente sinon comme point d’interrogation insoluble. C’est déjà ce que Freud affirmait lorsqu’il écrivait que « le rêve ne pense pas, ne calcule pas, ne juge pas, il se contente de transformer ». C’est de l’absence de la distinction entre les deux plans de l’énoncé (phénoménal) et de l’énonciation (nouménale), c’est de l’absence de la distinction entre les phénomènes et les noumènes, que naît le paralogisme du « je mens ». On peut l’écrire : “Celui qui ment maintenant c’est le je (de l’énoncé). Or le je (de l’énonciation) dit toujours la vérité.

Donc celui qui ment maintenant dit toujours la vérité”. L’avantage du paralogisme du « je mens » par rapport aux paralogismes kantiens c’est qu’il produit une conclusion contradictoire qui dénonce d’elle-même le paralogisme. L’erreur consiste en la non-distinction des phénomènes et des noumènes ; les concepts de la réflexion sont court-circuités et la première idée transcendantale s’affirme comme la connaissance d’un nouvel objet, l’objet de la psychologie : ergo sum. On peut encore reporter ce paralogisme sur le graphe : les deux lignes de l’énonciation et de l’énoncé, qui sont parfaitement distinguées et qui ne se croisent nulle part dans le graphe, « s’embrouillent et se confondent » et c’est dans cette mesure « que nous pouvons nous trouver devant tel paradoxe qui aboutit à cette impasse du Je mens »24. Pourquoi insister sur cette fausse-route ? C’est en même temps la structure du « je pense » et la structure de l’association libre de l’analysant. Mais ne pourrait-on pas s’en passer et

« dire le vrai sur le vrai » comme le rêvait un analysant de Lacan25 ? C’est nécessairement que le « je pense » apparaît comme « sujet de l’énonciation ». Et ce sujet nécessaire est le prétendu fondement (fallacieux) non seulement de la psychologie, mais aussi de la science moderne qui vaut comme mathématique et système de transformation ; à rapprocher du travail du rêve qui ne pense pas, ne calcule pas (au sens intentionnel), ne juge pas, il se contente de transformer. La science moderne a eu la bonne idée de l’exclure par principe de son fonctionnement. « Il n’a jamais été, dans la lignée philosophique qui s’est développée à partir des investigations cartésiennes dites du cogito, il n’a jamais été qu’un (...) sujet supposé savoir »26. À comprendre comme fallacieux. C’est bien dire sa place hors la logique de la vérité (« je mens ») et dans le champ de la logique de l’apparence et de l’errance. Ce supposé savoir, « cela ne veut absolument pas dire que le sujet en sache un pépin de plus sur ce de quoi il retourne (...), mais l’Autre en sait encore moins

23 L’identification, p.17 (15 novembre 1961).

24 L’identification, p.19 (15 novembre 1961).

25 L’identification, p.14 (15 novembre 1961).

26 L’identification, p.20 (15 novembre 1961).

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que lui, pour la bonne raison justement qu’il n’est pas un sujet. L’Autre est le dépotoir des représentants représentatifs de cette supposition de savoir, et c’est ceci que nous appelons l’inconscient pour autant que le sujet s’est perdu lui-même dans cette supposition de savoir »27. Les représentants représentatifs ce sont les illusions de pouvoir représenter ce qui n’est pas représentable faute d’expérience empirique à quoi se raccrocher.

La deuxième leçon de L’identification évoque « l’express de 10 h 15 », expression reprise à Saussure : c’est quelque chose de parfaitement défini dans son identité, c’est l’express de 10 h 15, malgré qu’il s’agit manifestement de différents express de 10 h 15 qui se succèdent chaque jour. L’identification est ici une identification de signifiant : c’est l’express de 10 h 15. Cette identification est fondamentalement différente de l’identification imaginaire qui se fait point par point de façon univoque dans l’espace (comme on identifierait l’express par la locomotive et les wagons qui le composent). L’identification de signifiant se joue au niveau du concept : le premier couple des concepts de la réflexion (uniformité ou diversité) met en avant l’uniformité du trait « 10 h 15 » en écartant la diversité des composants du fameux train. L’identification imaginaire par le détail se joue au niveau de l’esthétique transcendantale. L’identification de signifiant au contraire se joue au niveau d’un trait. L’identification dans le stade du miroir se joue, semble-t-il, au niveau de la correspondance biunivoque entre l’image et le corps de l’enfant ; pourtant c’est la totalité du corps et non la diversité des parties du corps qui est fondamentale dans le stade du miroir, c’est là le trait de cet événement, qui vaut comme un trait unique. Dans l’expérience du cogito, nous avons bien la batterie complète de l’analytique transcendantale, mais elle est confrontée à un trait unique qu’est le « je pense ». Sans doute, le « sujet » n’a aucune consistance, c’est un sujet barré, évanouissant. Mais « ce que nous trouvons à la limite de l’expérience cartésienne comme telle du sujet évanouissant, c’est la nécessité de ce garant, du trait de structure le plus simple, du trait unique si j’ose dire, absolument dépersonnalisé, non pas seulement de tout contenu subjectif, mais même de toute variation qui dépasse cet unique trait, de ce trait qui est un d’être le trait unique »28. Voilà l’identification du sujet au signifiant radical, au « trait unique comme tel ». C’est seulement ainsi que « toute la perspective du sujet comme ne sachant pas peut se déployer d’une façon rigoureuse »29. Le sujet ne sachant pas n’est pas le sujet ignare, mais la position d’un sujet qui n’apporte aucune connaissance nouvelle et le « trait unique comme tel », c’est le trait sans aucun contenu empirique.

Dans la quatrième leçon, Lacan illustre le trait unaire par les encoches gravées régulièrement sur un os de cervidé qu’il a vues au musée de Saint-Germain-en-Laye. De ces encoches, Lacan ne sait absolument pas la signification. C’est bien pourquoi Lacan y lit la différence pure, le trait unaire délié de toute expérience phénoménale ; certes le trait lui-même

27 L’identification, p.21 (15 novembre 1961).

28 L’identification, p.32 (22 novembre 1961).

29 L’identification, p.33 (22 novembre 1961).

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est phénoménal, mais il ne renvoie à rien de phénoménal et c’est par là qu’il peut servir à l’identification du sujet (tout comme « je pense » est bien perceptible comme inscription tout en servant à l’identification du noumène). C’est là que gît la différence entre la parole d’un animal domestique (la chienne de Lacan dont il a longuement parlé dans la troisième leçon) et le langage humain : « ce signifiant (c’est-à-dire le trait unaire) dans sa fonction de différence (...) n’est point accessible à ma chienne »30. La chienne est bien capable de comprendre les significations des signifiants, mais pas le trait unaire ; elle est bien capable de croquer l’os du cervidé, mais elle n’est pas capable de saisir le trait unaire et de poser son cogito propre. L’opposition du trait unaire et du signifiant veut dire simplement que la signification du signifiant est effacée dans le trait unaire. Et c’est à partir de cet effacement que Lacan parle des

« effaçons ». C’est eux qui « nous donneront précisément les modes majeurs de la manifestation du sujet »31. Ici, la lecture de Kant peut nous donner une explicitation majeure. La manifestation du sujet c’est l’apparition du « je pense » comme condition inconditionnée, partagé entre sa question qui survient très concrètement au niveau de toutes les pensées pour peu qu’on y réfléchisse et son être substantiel qui se produit comme pure illusion. Cette manifestation se joue bien à partir du fonctionnement de la pensée en général (laquelle comprend encore la pensée de la chienne). Mais la question du sujet (à laquelle la chienne n’a pas accès) implique l’équivoque fondamentale, l’amphibologie des concepts de la réflexion : cf. « l’express de 10 h 15 » qui est pris comme parfaitement uniforme, même s’il est toujours très diversifié. C’est la question du sujet comme substance (troisième catégorie), simple (deuxième catégorie), unique (première catégorie) qui est introduite par le trait unaire, plus précisément que par un signifiant quelconque. Travailler l’équivoque fondamentale c’est donner tout son poids au trait unaire comme pure différence. Le signifiant pur en tant qu’il ne signifie rien,

« l’effaçon » ne peut dès lors se définir que par la différence et la coupure d’avec « un autre signifiant », lequel n’a pas plus de consistance imaginaire que le premier et il serait tout à fait vain de les illustrer par des exemples cliniques, pas plus que le trait unaire ; tout exemple reverse le trait unaire ou le signifiant pur, dans un trait de ressemblance où la question du sujet se perd radicalement. « Le signifiant, à l’envers du signe, n’est pas ce qui représente quelque chose pour quelqu’un, c’est ce qui représente précisément le sujet pour un autre signifiant. Ma chienne est en quête de mes signes et puis elle parle, comme vous le savez ; pourquoi est-ce que son parler n’est point un langage ? Parce que justement je suis pour elle quelque chose qui peut lui donner des signes, mais qui ne peut pas lui donner de signifiant. La distinction de la parole, comme elle peut exister au niveau préverbal, et du langage consiste justement dans cette émergence de la fonction du signifiant »32. Cette fonction du signifiant, qui est de représenter le sujet, n’est possible que par l’effacement de toute la dimension de signification phénoménale. On remarquera que le signifiant

30 L’identification, p.58 (6 décembre 1961) ; mes parenthèses.

31 L’identification, p.59 (6 décembre 1961).

32 L’identification, p.60 (6 décembre 1961).

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et le sujet se définissent par la même opération : « Le signifiant, c’est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant » et « Le sujet, c’est ce qui est représenté par le signifiant pour un autre signifiant ». On peut trouver des exemples de signifiant ; ainsi l’enfant qui promulgue « le chien faire miaou, le chat faire oua-oua » « en déconnectant la chose de son cri, élève le signe à la fonction de signifiant »33. Mais il serait erroné de penser qu’on puisse identifier le sujet par un signifiant avec sa signification (l’enfant qui s’identifierait au chien par le truchement du miaou ou au chat par le truchement du oua oua) ; une telle identification relève de la signalétique parfaitement assimilable par lesdits chien ou chat. Le sujet n’est autre que la question philosophique développée par Descartes, critiquée par Kant et poussée plus loin par Lacan.

La fonction du signifiant telle qu’elle vient d’être précisée dans son lien avec la question du sujet conduit Lacan à questionner la fonction du nom propre34. La définition de Russell (le nom propre est un démonstratif) s’écarte totalement de la fonction du signifiant (en tant que différent du signe) ; elle ne peut servir à poser la question du sujet. La définition de Gardiner (le nom propre est un matériel sonore particulier) ne pas servir davantage puisqu’ici le signifiant pur, le trait unaire au lieu de valoir comme signifiant pur est matérialisé en un son. À ces deux définitions, Lacan oppose le nom propre comme écriture. Non pas l’écriture comme transcription, mais l’écriture comme la poursuite d’une série de réponses- questions qui semble être infinie : je pense donc je suis, cette pensée (réflexion du premier « je pense ») engendre un nouveau je suis (réflexion du premier « je suis »), et ainsi indéfiniment35. Peut-on espérer arriver à un point idéal de convergence de la série (comme dans la série convergente qui définit le nombre d’or) ? Trouver une formule convergente pour la question du cogito, « nous intéresserait d’autant moins que cela voudrait dire que le sujet est une fonction qui tend à une parfaite stabilité »36. La stabilité du sujet qui n’est qu’un leurre est dénoncée en faisant appel à la démarche cartésienne qui sépare radicalement la substance étendue (stable) et la substance pensante (qui n’a aucun critère de stabilité) ; de la même façon qu’on peut séparer l’imaginaire du corps, stable dans le miroir ou la photo et le signifiant parfaitement instable.

Subversion du sujet et dialectique du désir.

Il s’agirait de soutenir la question du sujet comme série, mais comme une série qui n’aboutit ni une convergence finie, ni à une convergence infinie.

Subversion du sujet et dialectique du désir nous en donne le schéma et ce schéma est un graphe, c’est-à-dire un parcours d’écriture. À partir de la ligne de l’énoncé, se pose la question du désir (comme on l’a vu) et la question du sujet en tant qu’il est articulé à l’objet voire au rien de l’objet ; cette dernière question est l’écriture du fantasme. Le sujet est ici déjà perçu sous l’angle « d’un fading ou éclipse du sujet, étroitement lié à la

33 Ecrits, p.805.

34 L’identification, p.74-75 (20 décembre 1961).

35 L’identification, p.99 (10 janvier 1962).

36 L’identification, p.101 (10 janvier 1962).

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Spaltung ou refente qu’il subit de sa subordination au signifiant » 37. « Ainsi se ferme la voie imaginaire, par où je dois dans l’analyse advenir, là où s’était l’inconscient ». L’articulation fantasmatique du sujet à l’objet est nécessaire pour « situer » le désir, pour lui servir de support sensible. Mais elle est paralogique puisqu’elle donne une image sensible, phénoménale du sujet nouménal. Reste entière la question du sujet de l’énonciation ; il fallait s’interroger « sur la fonction qui supporte le sujet de l’inconscient, de saisir qu’il soit difficile de le désigner nulle part comme sujet d’un énoncé, donc comme l’articulant, quand il ne sait même pas qu’il parle »38. Il faut donc supposer une autre ligne, la ligne du sujet de l’énonciation et, si toute chaîne signifiante doit boucler sa signification, ici le bouclage ne peut se faire que sur un manque de signification : pour être « le trésor du signifiant », le grand Autre doit est marqué d’un manque radical : il manque tout repère phénoménal pour situer le sujet. La définition du signifiant et du sujet s’éclaire d’un nouveau jour : le signifiant qui représente le sujet pour un autre signifiant « sera donc le signifiant pour quoi tous les autres signifiants représentent le sujet : c’est dire que faute de ce signifiant, tous les autres ne représenteraient rien »39. Quel est ce signifiant ? « C’est ce qui se produit chaque fois qu’un nom propre est prononcé »40, autrement dit chaque fois qu’est convoquée la question du sujet. « C’est ce qui manque au sujet pour se penser épuisé par son cogito, à savoir ce qu’il est d’impensable »41. Notre problème que suis-je ? reste donc entier. On peut tout juste en situer la place : « Je suis à la place d’où se vocifère que “l’univers est un défaut dans la pureté du Non-Être”.

Et ceci non pas sans raison, car à se garder, cette place fait languir l’Être lui-même. Elle s’appelle la Jouissance, et c’est elle dont le défaut rendrait vain l‘univers »42. Le graphe de Subversion met en page le sujet barré à deux endroits différents : d’une part dans le fantasme situé comme support du désir entre le sujet de l’énoncé et le sujet de l’énonciation, d’autre part à la place du non-être de la jouissance et cette dernière place est repérée dans la pulsion. D’où s’impose deux développements : l’examen de La logique du fantasme et l’examen de la jouissance dans Encore.

La logique du fantasme.

On a vu le rapport structural de la question du sujet avec la question de l’inconscient. « Le cogito cartésien (...) se présente comme une aporie, une contradiction radicale au statut de l’inconscient »43, c’est la raison première de la méfiance extrême de Freud par rapport à la philosophie (le conscientalisme). Mais il n’empêche qu’avec sa définition du sujet représenté par un signifiant pour un autre signifiant, Lacan reprend la question à l’envers et peut affirmer en même temps son exigence « de

37 Ecrits, p.815-816.

38 Ecrits, p.816.

39 Ecrits, p.819.

40 Ecrits, p.819.

41 Ecrits, p.819.

42 Ecrits, p.819.

43 La logique du fantasme, p.95 (14 décembre 1966).

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donner son statut structural à l’inconscient avec... avec quoi ? Avec le cogito cartésien »44. Le cogito est dès lors vu « comme étant exactement le meilleur envers qu’on puisse trouver, d’un certain point de vue, au statut de l’inconscient »45. Pour être l’envers l’un de l’autre, cogito et inconscient sont de la même étoffe.

Cogito ergo sum. Si le jugement conclu (ergo sum) est déjà enfermé dans le premier (cogito), l’inférence est immédiate, c’est une inférence d’entendement, ce n’est pas un raisonnement46. Contrairement à Descartes qui voyait le sujet comme une inférence immédiate, pour Kant, le sujet comme substance, simple personnelle et animée est la conclusion de raisonnements faux (les paralogismes). Le raisonnement est faux, ce qui ne veut pas dire que la conclusion soit fausse ; on verra d’ailleurs que la conclusion est vraie à partir du point de vue de la Critique de la raison pratique. La fausseté du raisonnement découlait de l’amphibologie des concepts définissant le sujet. Cette amphibologie est inhérente aux concepts fondamentaux. On ne saurait l’éviter. Les paralogismes mobilisaient chaque fois la première sous-catégories de chaque catégorie en partant de la troisième catégorie (substance, réalité, unité, possibilité) ; la critique des paralogismes montre chaque fois que cette première sous- catégorie est fondamentalement ambiguë (elle ne fait en cela que suivre ce qui a déjà été exposé dans l’analytique transcendantale). Ces syllogismes synthétisant un objet pour la psychologie sont attribués par Kant à la psychologie rationnelle de Descartes et ils ne sont effectivement pas concluants. Kant envisage ensuite la méthode analytique qui part d’emblée de l’existence (effective ou purement logique, peu importe), deuxième sous-catégorie de la modalité, que Kant analyse en convoquant les trois autres catégories47. Au-delà de Kant, à partir du fait de la deuxième sous-catégorie, on pourrait déduire analytiquement... des déterminations du sujet qui auraient cette particularité de ne plus correspondre aux premières sous-catégories : le sujet n’est peut-être pas une substance, ladite simplicité du sujet est décomposable et le sujet est incapable d’être un esprit insufflant la vie.

On peut inscrire le tableau suivant :

3ième catégorie : « je pense », 4ime cat. « je pense donc je suis »

pas comme une substance pas comme une possibilité, mais une existence

1ière catégorie : « sujet identique » 2ième cat : le simple « je

44 La logique du fantasme, p.95 (14 décembre 1966).

45 La logique du fantasme, p.95 (14 décembre 1966).

46 Cf. CRPu 1019 ; A303 ; B360.

47 CRPu 1060 ; B419.

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suis »

dont l’identité est problématique mis en rapport avec la négation

Ce tableau part de la quatrième catégorie donnée comme existence, mais cette existence est problématique. De quelle existence s’agit-il ? Au début du séminaire sur la logique du fantasme, Lacan distingue l’existence de fait et l’existence logique, tout comme on peut distinguer la réalité et le fantasme. Le fantasme relève clairement de la logique. Mais quelle logique, la logique transcendantale aboutit, pour la question du sujet, à des paralogismes. En raison même de l’exclusion de l’expérience sensible, la question du sujet comme noumène ne pouvait aboutir qu’au court- circuit des concepts de la réflexion et à l’affirmation univoque des premières sous-catégories.

À partir de l’analyse kantienne des paralogismes de la raison pure, le « je suis » est mis en balance avec un « je ne suis pas ». Et Lacan de son côté remet en question le « je pense » : « je pense, c’est moi qui le dis ! Après tout, il se peut que je croie que je pense, mais que je ne pense pas. Ça arrive même tous les jours et à beaucoup »48. Ce n’est pas sans rapport avec le travail du rêve tel qu’il est défini par Freud, le « je pense » est mis en balance avec un « je ne pense pas, je ne calcule pas, je ne juge pas » propre au travail du rêve et à rapprocher de l’inconscient (« je pense » est la contradiction radicale du statut de l’inconscient). Troisièmement, je ne suis pas si sûrement identique, mon identité est problématique, je suis divisé, je ne suis pas sans le tranfert. Dans l’analyse proprement formelle de l’existence donnée de Cogito ergo sum, il faudra tenir compte de ces remises en question fondamentales de la première sous-catégorie.

Cogito ergo sum est au sens logique une implication matérielle (ce n’est pas un syllogisme). Ici, peu importe le contenu significatif de l’implication.

L’implication matérielle est toujours vérifiée si la condition est fausse : ex falso sequitur quod libet. L’implication du cogito ne pourra être fausse que si « je ne suis pas » alors que « je pense ». On pourrait compléter le tableau de vérité de l’implication matérielle Cogito ergo sum : dans tous les autres cas, elle sera vraie, l’implication est vraie lorsque « je ne suis pas » et « je ne pense pas », lorsque « je suis » et « je ne pense pas » et enfin lorsque « je suis » et « je pense ». Mais il faut analyser l’implication matérielle davantage et envisager toutes les possibilités logiques. Et de remettre en question l’usage exclusif de la première catégorie dans les formulations synthétiques et classiques des paralogismes tels qu’ils sont présentés par Kant. Il s’agit dès lors de partir de la négation (cf. la deuxième sous-catégorie de la deuxième catégorie), mais surtout remettre en question toutes les propositions à partir de la limite (cf.

troisième sous-catégorie). Il s’agit de tracer la limite qui sépare le « je

48 La logique du fantasme, p.102 (14 décembre 1966).

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suis » du « je ne suis pas » et la limite du « je pense » et « je ne pense pas ».

Et on se centrera sur les propositions qui mettent en question les évidences « je pense » et « je suis », c’est-à-dire sur les propositions « je ne pense pas » et « je ne suis pas ». Les raisonnements synthétiques étaient paralogiques, l’implication matérielle (la méthode analytique) a l’avantage « qu’il faut que ça fonctionne comme une moulinette, pas besoin de réfléchir ! Ça consiste à écrire : non-A ou non-B, voilà, c’est tout : non (A et B) égale non A ou non B »49. Ça fonctionne comme une moulinette : tel était déjà le fonctionnement du travail de l’inconscient. Et on pourra analyser « non (A et B) » comme l’impossibilité propre au cogito ergo sum : il se décompose en l’impossibilité d’un cogito, un je ne pense pas qui correspond au ça freudien et en l’impossibilité du ergo sum un je ne suis pas qui correspond à l’inconscient freudien. Mais cela ne suffit pas ; car il s’agit de remettre en question l’ensemble de cogito ergo sum comme conjonction du sujet et du nouveau savoir qu’il produit, c’est le

« sujet supposé savoir » qui sert à caractériser le transfert pour autant précisément qu’il est remis en question radicalement comme équivalent à rien, à l’objet a qui en tient la place.

D’où le tableau suivant50 :

Les quatre points de la méthode analytique de Kant ont été remis en question la première sous-catégorie qui était posée dans la méthode

49 La logique du fantasme, p.106 (14 décembre 1966).

50 La logique du fantasme, p.138 (11 janvier 1967).

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synthétique. L’existence du cogito est remplacée par sa remise en question qui s’analyse comme : « ou je ne pense pas ou je ne suis pas » ; la substance du “je pense” est remplacée par un « je ne pense pas » ; la simplicité du “je suis” est remplacée par un « je ne suis pas » ; l’identité problématique du sujet et du savoir est remplacée par un « sujet supposé savoir » où l’identité disparaît.

Le ça freudien et l’inconscient freudien ne se confondent pas puisque le premier est mise en question de la substance tandis que le second est mise en question de l’affirmation. « C’est à la place du “je ne pense pas”

que le ça va venir, bien entendu, le positivant en un “je suis ça” qui n’est que de pur impératif, d’un impératif qui est très proprement celui que Freud a formulé dans le Wo Es war, soll Ich Werden »51. La mise en question du sujet et de toute substance chez Lacan débouche sur l’éthique de la psychanalyse, tout comme la même question débouchait chez Kant sur la loi morale de la Critique de la raison pratique. Mais à la place même de l’immortalité, c’est-à-dire de la simplicité du « je pense » comme pure affirmation positive, vient l’inconscient qui ne connaît pas le principe de non contradiction.

Le même schéma va servir à caractériser l’acte psychanalytique (Séminaire XV). L’acte se définit par cette même structure de mise en question du cogito.

Et l’acte dans la dimension du signifiant s’appelle discours. C’est encore le même schéma qui va maintenant servir à mettre en forme le discours, à préciser les quatre places de chaque discours. 1) La première place est celle de la vérité, c’est-à-dire la place où pourra venir s’inscrire le vrai et le faux de chaque discours : c’est la place où « je ne suis pas », c’est la mise en question de la simplicité ; car le discours est toujours déjà en train de jouer avec la négation et la limite. 2) La deuxième place (“je ne pense pas”) est celle du semblant, semblant de penser alors qu’il ne pense pas ; ainsi le maître fait semblant de penser, c’est le philosophe (« je ne suis pas ») qui pense pour lui. 3) La troisième place est celle du travail de remise en question de ce cogito ergo sum : ou je ne pense pas ou je ne suis pas. Tout le travail des discours se résume à remettre en question le sujet. Et c’est bien aussi le travail du rêve, qui à partir de l’inconscient (1) et moyennant l’intervention d’un semblant (2) produit ce qui se donne à la quatrième place : la place du produit (4).

Ces places peuvent être occupée notamment par le sujet barré, le sujet en question (1), qui ne peut être que représenté par un quelconque signifiant semblant (2) pour un autre signifiant qui le met au travail (3) et de produire un reste, un objet (4). Tel est le discours du maître. Les discours ne fournissent pourtant pas une substance stable à la question du sujet.

La ronde des discours présente le sujet non seulement sous différentes facettes, mais le sujet n’est rien d’autre que le mouvement ou le changement de sa question dans la position des différents discours, il

51 La logique du fantasme, p.138 (11 janvier 1967) : la transcription donne

« c’est à la place du ‘je ne suis pas’… » ; nous avons corrigé.

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passe du sujet comme substantiel (hystérique) au sujet comme vérité (magistral) au sujet comme produit du discours (universitaire) et au sujet comme travail (psychanalytique).

Encore.

Il y a discours psychanalytique à chaque passage d’un discours dans un autre ou encore à chaque changement de raison52. Par là, le sujet comme substance est radicalement remis en question (c’était déjà le propos des paralogismes de Kant). Pour saisir le tournoiement de la question du sujet par rapport à la stabilité du sujet comme substance, il s’agissait de partir du signifiant comme changement, comme différence inhérente au signifiant, ce que Lacan appelait la « linguisterie ». L’association libre met en exercice la linguisterie : « dites des bêtises ». Dans le substantif « la bêtise », nous avons déjà supposé une « substance ». Des substances,

« nous n’en avons pas à la pelle. Nous avons la substance pensante et la substance étendue »53. À partir de cette dichotomie cartésienne, comment doit-on situer cette dimension du signifiant qui se définit comme substance changeante — un parfait oxymore — qui met radicalement la substance et le sujet en question ? Lacan précise bien que cette dimension est une dit-mension. Lacan rappelle qu’il a sensiblement modifié la substance pensante de Descartes. On a pu saisir une semblable modification chez Kant. Pour Lacan, la substance pensante, c’est l’inconscient, en tant que structuré comme un langage qui « change totalement la fonction du sujet comme existant »54 ; c’est de là que surgit un dire qui devrait pouvoir exister au dit, c’est-à-dire un sujet de l’énonciation irréductible à quelque énoncé que ce soit. La substance étendue est reprise par Lacan comme la substance de l’espace moderne qui « se fonde sur la notion de partie, à condition d’y ajouter ceci, que toutes à toutes sont externes – partes extra partes »55 – c’est la topologie présentée par Lacan comme la révision de l’esthétique transcendantale de Kant. Où situer le signifiant ? Bien sûr, on peut le situer dans la substance pensante ou dans la substance étendue modifiées toutes deux par Lacan.

Lacan introduit ici une troisième substance, la « substance jouissante » qui se définit comme substance du corps qui se jouit. « Propriété du corps vivant sans doute, mais nous ne savons pas ce que c’est d’être vivant sinon seulement ceci, qu’un corps cela se jouit. Cela ne se jouit que de le corporiser de façon signifiante. Ce qui implique quelque chose d’autre que le partes extra partes de la substance étendue »56. Cette autre chose que

52 Cf. à une raison de Rimbaud dans Illuminations : « Un coup de son doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.

Un pas de toi c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche. Ta tête se détourne : le nouvel amour ! ta tête se retourne : - le nouvel

amour ! ‘Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps’, te chantent ces enfants. ‘Elève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos vœux’, on t’en prie. Arrivée de toujours, qui t’en iras partout »

53 Encore, p.24.

54 Encore, p.25.

55 Encore, p.25.

56 Encore, p.26.

(17)

la substance étendue n’est pas la substance pensante bien sûr. Lacan l’explicite par la jouissance sadienne : « Jouir a cette propriété fondamentale que c’est en somme le corps de l’un qui jouit d’une part du corps de l’Autre » ; on ne peut pas jouir complètement de l’Autre, mais seulement d’une part de l’Autre. L’Autre, mais « pas-tout ». Ceci nous introduit déjà à la critique du tout, de l’univers, du monde et aux antinomies de la raison pure. La substance jouissante implique le passage de la psychologie à la cosmologie. Car la jouissance n’est pas le signe de l’amour ou de l’âme, elle sera aussi à soutenir au niveau de la jouissance phallique (où le phallique intervient comme la condition inconditionnée dans l’ordre du principe causal premier) et au niveau de la jouissance de l’Autre (où l’Autre intervient comme la condition inconditionnée dans l’ordre du principe disjonctif : il n’y a pas d’Autre de l’Autre). La question du sujet convoque ici tout à la fois les trois idées de la raison pure, le sujet, le monde et Dieu ; elle s’inscrit dans l’ensemble des trois idées qui constitue la logique de l’apparence ou de l’errance. Elle s’inscrit comme dit-mension imaginaire à côté des dit-mensions symbolique et réelle dans le noeud borroméen. « Il n’y a pas d’imaginaire qui ne suppose une substance »57. Par là, le sujet n’est l’objet d’aucune doctrine, mais d’une discipline, d’un faire, d’une éthique qui s’expose dans les trois dit- mensions du dit.

57 RSI, p.31 (17 décembre 1974).

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