• Aucun résultat trouvé

De la prise en compte du temps familial

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "De la prise en compte du temps familial"

Copied!
5
0
0

Texte intégral

(1)

De la prise en compte du temps familial In Gwiazdzinski L., 2003, La ville 24h/24,

La Tour d’Aigues, L’Aube, pp.193-197 Élisa Terrier (*)

Femme – Mène de front plusieurs vies Alain Schiffres

Dans les discours et les textes réglementaires, la conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle a été remplacée par l'articulation du temps professionnel et du temps familial. Ce changement sémantique semble traduire la fin d'une opposition. Par contre, la neutralité de genre continue à être proclamée, bien que l’on sache que cette articulation est avant tout à la charge des mères. L'évolution des rythmes urbains et le développement des horaires atypiques questionnent à nouveau le temps familial, la notion de qualité de vie et le vivre-ensemble.

Approche difficile

Le temps familial transcende les catégorisations habituelles. La mesure du temps humain, celle que le fait par exemple l'Insee, est découpée en temps de travail, temps physiologique, temps domestique, temps de transport, le reste étant le temps libre. Le temps familial est un amalgame de temps contraint mais aussi de temps libre (vacances, sorties familiales, repas de familles ... ). La frontière entre les deux n'est pas toujours très nette: les repas de famille peuvent être tantôt une obligation, tantôt un loisir !

Le temps familial traverse les différents registres d'activités des personnes (domestique, transport, travail) mais de manière indirecte et parfois cachée. Le temps familial peut à la fois relever du temps passé en famille et du temps séparé. Prenons l'exemple d'une mère de famille qui, par téléphone, organise depuis son lieu de travail des prises de rendez-vous chez le pédiatre, le dentiste ... , coordonne à distance les activités de ses enfants, prend des nouvelles de ses parents ... Ce temps familial, qui s'infiltre partout, est, par nature, difficile à mesurer.

Ce n'est que très récemment qu'une équipe de recherche a introduit la notion de temps parental [Dares, enquête Matisse, 2000], temps parental qui n'est qu'une partie du temps familial puisque le temps avec la famille élargie n'est pas compté. Le temps parental hebdomadaire a été défini comme la somme de quatre temps : le temps de sociabilité parentale (19 heures 56), le temps parental domestique (10 heures 12), le temps parental « taxi » (5 heures 20) et le temps parental d'aide aux devoirs (3 heures 49). La durée hebdomadaire totale est de 39 heures 18 minutes [ibidem].

Au-delà de sa quantité, le temps parental correspond à une aspiration des Français. D'après un sondage Bates-Ipsos de janvier 2000, 78 % des Français déclaraient qu'ils allaient utiliser le temps libéré par le passage aux 35 heures pour s'occuper davantage de leurs enfants [Mermet, 2001J. Cela correspond à la perception dominante de la famille comme une entité relationnelle, où les uns et les autres contribuent à leur épanouissement mutuel. Cela reflète aussi la culpabilité des parents. Dans le cadre des réseaux d'écoute, d'appui et

(2)

d'accompagnement des parents, elle s'exprime régulièrement, culpabilité de ne pas consacrer assez de temps à ses enfants ou de ne pas être conforme au modèle des années cinquante de la bonne mère dévouée au foyer. On est loin de l'image des parents démissionnaires régulièrement évoquée.

Stratégie de conciliation

Jusqu'à ce jour, ce sont les femmes qui se sont chargées, avec prouesse [Fagnani, 2000], de concilier temps familial et temps professionnel. Cela explique sans doute que les premières expérimentations

autour de l'articulation des temps sociaux aient souvent été lancées à l'initiative de femmes dans les différents pays d'Europe [Méda, 2001). Cette conciliation s'est faite selon différences modalités :

-­‐ Le travail à temps partiel ou le retrait de l'activité professionnelle. Quatre femmes sur dix qui vivent en couple et ont des enfants de moins de 6 ans travaillent à temps partiel (enquête emploi Insee, 1999). Le temps partiel, parfois précaire et contraint à des horaires atypiques, ne simplifie pas forcément la question de la garde des enfants. -­‐ La « double journée ». Dans les couples avec enfants, pour un temps de travail

presque équivalent, les femmes effectuent plus du double d'heures parentales que leur conjoint. Les activités parentales domestiques restent l'apanage des mères, les pères tendant à s'impliquer plus dans les activités de sociabilité avec leurs enfants [Dares, enquête Matisse, 2000]. En 1999, les hommes en couple consacrent en moyenne chaque jour 2 heures et demi aux travaux domestiques contre 5 heures pour les femmes. Si l'on s'attache à une notion plus restreinte du temps domestique, c'est-à-dire qu'on enlève notamment le bricolage et le jardinage, les mères assurent 80 % du temps domestique. Le nombre d'enfants accroît le temps domestique: la présence d'au moins un enfant de moins de trois ans augmente de trois heures le temps domestique, comparativement à un couple sans enfant [lnsee, 1999-2000]. Ce sont aussi les mères qui font les courses et accompagnent majoritairement les enfants à leurs activités. On constate une surmobilité des femmes surcout entre 30 et 40 ans (enquêtes ménages déplacements, 1997, communauté urbaine de Strasbourg) [Adeus, 2001]. Cette conciliation des temps est encore plus problématique pour les familles monoparentales qui one moins de ressources tant humaines que financières.

-­‐ L'externalisation des tâches. L'autre solution, qui est plus souvent un appoint, est de confier à d'autres les tâches que l'on ne peut faire. Le recours à des services rémunérés pour les tâches domestiques reste très minoritaire pour des raisons financières mais aussi anthropologiques. Le recours à la famille élargie, notamment aux grands-parents, est également possible quand il y a proximité géographique.

-­‐ L’anticipation dans le choix d'un métier adapté avec des horaires plus faciles, comme l'enseignement, par exemple, est aussi une stratégie féminine.

Prise en compte du temps familial

La question de l'articulation vie familiale-vie professionnelle n'a pas été suffisamment prise en compte par les différences institutions concernées. Si des efforts très importants sont

(3)

consacrés par les CAF (caisses d'allocations familiales) et les collectivités territoriales par exemple pour le développement des modes de garde collectifs et individuels des jeunes enfants, certaines politiques familiales ont été instrumentalisées par les politiques de l'emploi et ont pu parfois perdre de leur efficacité.

À travers, par exemple, l'allocation de garde à domicile créée en 1986 et les réductions d'impôts, on a cherché avant tout à solvabiliser la création d'emplois, par le développement des emplois familiaux. Pour les ménages les plus modestes, ce mode de garde individuel n'est pas accessible financièrement et ne peut être une réponse. Autre exemple : l'allocation parentale d'éducation étendue en 1994 aux parents de deux enfants a conduit de nombreuses femmes à sortir du marché du travail pendant quelques années avec de réelles difficultés de réinsertion professionnelle.

Autre difficulté : la séparation entre sphère publique et sphère privée. Le fait familial est encore considéré comme relevant de choix privés donc la société n'a pas à se mêler. Or, la famille est anthropologiquement une institution sociale. Elle assure une fonction de socialisation majeure et crée des liens sociaux, différents de ceux fondés sur le travail ou sur la citoyenneté politique. Le temps familial est donc un temps social à part entière.

Actions à engager

Sensibiliser à un partage des tâches plus grand entre hommes et femmes

Pour Dominique Méda, des tendances concourent à un partage plus équitable du temps domestique et parental entre les hommes et les femmes : les hommes seraient plus enclins à consacrer du temps à leurs enfants, ils remettraient en cause le travail comme seul facteur d'identité et leur totale disponibilité au travail [Méda, 2001]. Des mesures incitatives sont à favoriser.

Développer des services adaptés aux temps des familles

Il s'agit de continuer à renforcer l'offre en modes d'accueil collectifs et individuels des petits enfants, les équipements multi-accueils, aux horaires souples et aux plages d'ouverture étendues, en veillant à leur accessibilité pour tous. Les orientations de l'action sociale familiale des caisses d'allocation familiales pour 2001-2004 vont dans ce sens. Elles disposent, pour développer de telles actions en partenariat avec les collectivités locales, de deux outils territoriaux: le contrat enfance et le contrat temps libre.

Des expériences innovantes existent déjà sur le territoire français dont il faudrait tirer les enseignements [le Furet, n° 32]. Quelques exemples: « Bambino service plus », dans Je Morbihan, emploie des intervenantes spécialisées, éducatrice jeunes enfants ou auxiliaires de puéricultrice qui se déplacent au domicile des parents pour des gardes temporaires lorsqu'ils n'ont pas trouvé de place dans les autres modes de garde ou lorsqu'ils sont confrontés à des horaires atypiques, à un départ en formation ... « lnnov-enfance », à Lille et Roubaix, regroupe plusieurs services: un service d'accueil et d'orientation des parents, un service prestataire de garde à domicile « Domicil'enfance » (il répond à des besoins de garde ponctuels : enfant malade, déficience du mode de garde habituel, hospitalisation ou formation du parent ... ), deux crèches, deux haltes-garderie et une halte-garderie itinérante.

(4)

La situation de jeunes mères seules en grande difficulté sociale et économique est aussi à considérer. Leur insertion professionnelle ne sera possible que si des structures peuvent accueillir -en urgence ou de façon temporaire -leurs enfants, afin de faciliter Je déplacement à un entretien d'embauche, l'accès à un travail intérimaire, à une formation, à une hospitalisation ... « Baby-loup » à Chanteloup-les-Vignes propose ce type d'accueil d'urgence et temporaire et un accompagnement à l'insertion.

Le développement d'horaires élargis ou atypiques des modes de garde ne devrait pas se faire au détriment de la qualité. Dans une société en mutation, la nécessité de l'éveil, de la socialisation des enfants et de l'accompagnement des parents demande, au contraire, une plus grande professionnalisation des accueillants. Or, on court toujours le risque que ces nouveaux services aux familles soient confiés aux structures d'insertion par l'économique pour en diminuer les coûts.

En plus de l'engagement des collectivités territoriales, celui des entreprises est indispensable. La ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, Ségolène Royal, annonçait différences mesures visant à mobiliser les entreprises. Une convention-cadre était signée entre la ministre, la Fédération des entreprises du commerce et de distribution et l'Association nationale de développement des emplois de services pour favoriser l'expérimentation de structures d'accueil pour les enfants scolarisés ou non, sur le lieu de travail des parents, notamment en entreprise, en zone d'activités et en centre commercial. Ces structures d'accueil devront également être ouvertes aux enfants de la population environnante. Un chèque-enfance, qui pourrait être utilisé pour le paiement des frais de crèches, de centres de loisirs ... est à l'étude. Inspiré des titres restaurants, il permettrait de favoriser l'accès à diverses solutions, lorsque, pour des raisons de taille de l'entreprise, de diversification des temps de travail et d'éloignement trop important du domicile, une crèche d'entreprise n'est pas possible. Faciliter le temps passé en famille

Le temps passé en famille correspond à un souhait. Si les contraintes horaires des parents sont à intégrer dans les loisirs de proximité et dans les activités périscolaires (centres de loisirs des enfants, activités organisées par différentes associations, accompagnement scolaire), on ne doit pas se limiter à cela. Au-delà de l'adaptation aux horaires de travail des parents, il s'agit de favoriser les activités parents-enfants et de revisiter la notion de loisir familial. Pour rompre avec une certaine spécialisation des lieux d'activités en fonction des âges des enfants qui implique une gestion des temps de loisirs difficiles, une réflexion sur des loisirs individualisés en famille est à mener.

Le monde associatif des spores et loisirs a certainement à apporter des réponses adaptées à ce sujet, au risque qu'elles soient confisquées par les clubs privés. Les CEL (contrats éducatifs locaux) devraient également davantage intégrer ces aspirations.

Ce soutien au temps libre passé en famille va de pair avec le soutien au processus d'autonomisation des enfants, par exemple

dans les déplacements. Dans certaines villes, se développent des « bus pour piétons » qui proposent un accompagnement sécurisé des enfants pour se rendre à l'école.

(5)

Tenir compte des cycles de vie des familles

Du fait de l'arrivée tardive sur le marché de travail et de la naissance plus tardive des enfants, c'est au moment où l'on a le plus besoin de temps pour ses enfants que l'on travaille le plus longtemps. Le temps libre a en effet considérablement augmenté puisqu'il compte aujourd'hui pour 29 % du temps éveillé d'un Français cout au long de sa vie contre un dixième au début du siècle [Mermet, 2001]. Cependant, l'essentiel de ce temps libre n'est « utilisable » qu'au moment de la retraite. Il ne profite donc pas forcément aux parents de jeunes enfants et ne se traduit pas dans la vie quotidienne : si globalement le temps de travail a diminué, la journée de travail des salariés à temps plein, et notamment des cadres, a augmenté (chiffres Insee comparés entre 1986 et 1999).

Il faut réfléchir à un temps de travail différemment réparti sur le cycle de vie. Les jeunes seraient intégrés plus vite dans la vie active et l'âge de la retraite serait plus élevé. Le tout permettant une décompression entre 30 et 50 ans.

Les congés spéciaux sont aussi une aide appréciable. Après la mise en place récente du congé enfant malade, il faudrait sans doute étudier la pertinence d'un congé parental fractionné.

Une régulation des temps qui ne passe pas que par le marché

Afin de favoriser le « vivre-ensemble », il est plus que jamais nécessaire de trouver un équilibre entre temps non marchands basés sur les notions de don, de dette et de contre-don, qui s'expriment dans les activités amicales, amoureuses et familiales, et entre activités marchandes [Méda, 1999]. En effet, si la socialité primaire est basée sur des temps d'activités non marchands, ces dons de temps sans calcul ne sont pas pour autant « gratuits ». Un jour ou l'autre, on sait que l'on pourra compter sur tel ami, tel membre de la famille pour sa disponibilité. C'est cette dette à durée indéterminée qui est créatrice de lien social. C'est pourquoi les banques de temps telles qu'elles sont expérimentées en Italie ont coute leur place dans des politiques d'articulations temporelles. Les banques du temps sont en effet des réseaux d'échanges réciproques qui permettent la reconstitution des liens de solidarité pour faire face à des besoins ponctuels. En Italie, on compte environ 300 banques du temps avec 20 000 membres. En France, de nombreux SEL (systèmes d'échanges locaux) qui utilisent une monnaie-temps (par exemple 60 grains de SEL = une heure de garde d'enfants, une heure de bricolage = une heure de ménage ... ) s'inscrivent dans cette philosophie1.

Quelle place pour les familles dans l'espace public ?

Le temps familial est enchevêtré avec d'autres temps liés aux transports, aux loisirs, au travail, à l'éducation. Il est donc indispensable que les familles (parents, enfants, grands-parents ... ) soient associées clans le cadre des concertations locales visant à mettre sur pied des politiques temporelles. Cela présuppose, pour mener ces débats, de reconnaître que le temps du parent, comme celui du citoyen n'est pas celui de l'élu, ni celui du technicien. (*) Chargée de mission, Union départementale des associations familiales du Bas-Rhin (+)                                                                                                                

1 Pour en savoir plus sur les banques des temps, consulter le dossier« Temps et territoires », Urbanisme, n° 320,

Références

Documents relatifs

Quand je suis né, j’ai été tellement surpris que j’ai été incapable de parler pendant un an et demi (Gracie Allen, WS).. Il est tellement fier de lui et imbu de sa personne

En effet, lorsqu’une personne suisse demande le regroupement familial en faveur d’un·e ressortissant·e d’État tiers, des conditions strictes s’appliquent (regroupement

Son enjeu, pour les années à venir, est assez simple : soit la réduction de la durée du travail renoue avec sa fonction historique de diffusion des gains de productivité, soit

5 allée du Général rouvillois sTrasbourG Colloque organisé par le CRESS (Centre de Recherche et d’Études en Sciences sociales)..

(jeunessejecoute.ca) met de nombreuses res- sources à la disposition des jeunes.  Plusieurs professionnels offrent aussi des services virtuels. Vous pouvez aussi consulter vos

suivi post (nouveau dispo) Stages test Concre sa on Transmission Accompagnement (ancien dispo) suivi post (ancien

Cette étude soulève l’importance de mettre en place une organisation adaptée aux enjeux collectifs de l’accueil familial, fournissant aux assistants familiaux et

Dans cette étude, qui porte sur l’accueil familial géré directement par les services départementaux, l’ONED poursuit deux objectifs : établir un état des lieux de