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La représentation précoce de l'ordre des mots et la fixation du paramètre tête-complément

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Master

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La représentation précoce de l'ordre des mots et la fixation du paramètre tête-complément

SCHENKER, Laura

Abstract

L'acquisition de l'ordre des mots de sa langue est une étape importante dans le développement du langage chez l'enfant. Deux approches tentent d'expliquer les mécanismes sous-jacents à la détermination de l'ordre des mots : l'approche constructiviste ou lexicale suppose que l'enfant possède tout d'abord des représentations lexicales spécifiques aux verbes et acquiert graduellement une représentation abstraite de l'ordre des mots par analogie entre les représentations spécifiques tandis que l'approche générativiste ou grammaticale postule une représentation abstraite précoce sur la base de la fixation du paramètre tête-complément, qui régit l'ordre des éléments à l'intérieur des constituants syntaxiques. En utilisant le paradigme du regard préférentiel intermodal, nous avons tenté de déterminer si les enfants francophones de 19 mois ont déjà une représentation abstraite de l'ordre des mots. Nous leur avons montré deux vidéos simultanément, l'une représentant une action causative et l'autre représentant une action non causative, tout en leur présentant une phrase contenant un [...]

SCHENKER, Laura. La représentation précoce de l'ordre des mots et la fixation du paramètre tête-complément. Master : Univ. Genève, 2010

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12157

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La représentation précoce de l’ordre des mots et la fixation du

paramètre tête-complément

Mémoire de recherche pour le Master Universitaire en Logopédie

Laura Schenker

Sous la direction du Dr. Julie Franck

Août 2010

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier chaleureusement tous les parents et leurs enfants qui ont aimablement accepté de participer à cette recherche. Je dis aussi un grand merci à Séverine Millotte et Alain Perruchoud dont l’aide, la guidance et les conseils ont permis de construire cette étude et de réaliser les passations dans de bonnes conditions. Je remercie également les membres du jury, Hélène Delage et Ulrich Frauenfelder, pour l’intérêt qu’ils portent à cette recherche, et Catherine, pour sa relecture éclairée. Enfin, ma plus grande gratitude va à ma directrice, Julie Franck, pour les heures passées à mener la recherche, pour ses conseils et ses commentaires précieux, sans qui, finalement, ce mémoire ne serait rien.

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TABLE DES MATIÈRES

I. Résumé ... 4

II. Introduction ... 5

III. Revue de littérature ... 7

1. L’approche constructiviste ou lexicale ... 7

1.1. Le paradigme de l’ordre des mots bizarre (Weird Word Order) ... 7

1.2. La compréhension de l’ordre des mots et des marqueurs de cas ... 9

1.3. Les failles et critiques des arguments de l’approche lexicale... 10

2. L’approche générativiste ou grammaticale ... 17

2.1. Comment les enfants peuvent-ils fixer le paramètre tête-complément ? ... 18

2.2. La compréhension précoce de l’ordre des mots ... 21

2.3. Notre étude sur la fixation du paramètre tête-complément ... 22

IV. Partie expérimentale ... 23

1. Méthode ... 23

1.1. Participants ... 23

1.2. Variables et plan expérimental ... 23

1.3. Matériel ... 24

1.4. Procédure ... 26

1.5. Hypothèses opérationnelles ... 27

2. Résultats ... 28

3. Discussion ... 30

V. Conclusion ... 35

Annexes ... 40

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I. RÉSUMÉ

L’acquisition de l’ordre des mots de sa langue est une étape importante dans le développement du langage chez l’enfant. Deux approches tentent d’expliquer les mécanismes sous-jacents à la détermination de l’ordre des mots : l’approche constructiviste ou lexicale suppose que l’enfant possède tout d’abord des représentations lexicales spécifiques aux verbes et acquiert graduellement une représentation abstraite de l’ordre des mots par analogie entre les représentations spécifiques tandis que l’approche générativiste ou grammaticale postule une représentation abstraite précoce sur la base de la fixation du paramètre tête- complément, qui régit l’ordre des éléments à l’intérieur des constituants syntaxiques. En utilisant le paradigme du regard préférentiel intermodal, nous avons tenté de déterminer si les enfants francophones de 19 mois ont déjà une représentation abstraite de l’ordre des mots.

Nous leur avons montré deux vidéos simultanément, l’une représentant une action causative et l’autre représentant une action non causative, tout en leur présentant une phrase contenant un pseudo-verbe. Les résultats montrent que les enfants regardent plus longtemps l’action causative en entendant une phrase grammaticale de type NVN, mais n’ont aucune préférence lorsqu’ils entendent une phrase agrammaticale de type NNV. Ce profil soutient l’hypothèse selon laquelle le paramètre tête-complément est déjà fixé à 19 mois et offre une preuve de l’abstraction précoce de l’ordre des mots.

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II. INTRODUCTION

L’acquisition du langage oral est un des plus grands défis qui se présente à l’enfant en développement. Les compétences à acquérir dans ce domaine sont nombreuses, en allant du répertoire phonologique de la langue jusqu’à l’accord des verbes et des adjectifs. L’ordre des mots est également un facteur capital à fixer. La linéarité du langage, c’est-à-dire le fait que les mots s’organisent temporellement, les uns après les autres, est une des propriétés fondamentales de toutes les langues humaines, et l’enfant en développement doit donc certainement être sensible à cette linéarité (Lust & Wakayama, 1981). En effet, bien que, dans toutes les langues, les mots soient émis et reçus dans un ordre précis, chaque langue possède un ordre des mots propre. Cet ordre de base peut subir des mouvements ou des transformations selon le contexte d’utilisation. En français par exemple, on retrouve un ordre SoV lorsque le pronom clitique objet est utilisé (« Le chat la mange ») ou un ordre OSsoV lorsqu’est produite une topicalisation de l’objet, à l’oral, pour ajouter des effets d’emphase (« La souris, le chat, il la mange »). Néanmoins, on peut souvent attribuer un ordre canonique de base à chaque langue. Certaines langues supposent un ordre SVO, comme le français ou l’anglais par exemple, tandis que d’autres ont une construction habituelle SOV, comme le japonais ou le turc (Christophe, Nespor, Guasti & Van Ooyen, 2003).

Mais comment l’enfant en développement peut-il acquérir cette compétence syntaxique ? Pour ce faire, l’enfant doit être capable d’extraire une régularité d’un certain nombre de phrases pour en déduire une structure de base qui sera toujours valable dans sa langue. En comprenant « il ferme la porte », « le chat mange la souris », et ainsi de suite, on peut se rendre compte qu’en français, le verbe est avant son complément. Pour comprendre ces phrases, encore faut-il pouvoir segmenter la phrase en mots distincts et associer chaque mot à son sens : le verbe « fermer » doit représenter l’action de « fermer », et pas

« toucher/claquer/bouger/pousser » et le groupe nominal « la porte » doit correspondre à l’objet « porte » en question, et non la poignée, la fenêtre, etc. Or comment procéder à cette analyse si l’on n’a pas les compétences syntaxiques permettant de connaître les catégories syntaxiques des mots ? « Les enfants qui n’ont pas encore acquis la grammaire ne peuvent pas analyser une phrase dans le but d’acquérir la grammaire » (Mazuka, 1996). Les éléments nécessaires pour acquérir la syntaxe d’une langue sont en effet plus difficiles à acquérir en l’absence de connaissance de cette syntaxe. On peut décrire ce cercle vicieux comme un problème d’initialisation ou « bootstrapping problem » (Christophe et al., 2003).

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Lesquelles des connaissances lexicales spécifiques ou des règles grammaticales abstraites viennent en premier ? Ce problème d’initialisation de l’ordre des mots peut être résolu de deux manières : soit l’enfant acquiert d’abord des connaissances lexicales et s’en sert pour construire par la suite la compétence syntaxique régissant l’ordre des mots, soit l’enfant détermine l’organisation syntaxique des phrases de sa langue sur la base de l’input, sans compréhension préalable nécessaire, et se base sur cette structure pour acquérir le sens des mots. Deux approches s’opposent donc quant à la résolution de ce problème. Pour la première, l’approche constructiviste ou lexicale, l’enfant acquiert tardivement une représentation abstraite de l’ordre des mots, en procédant par généralisation entre les structures lexicales spécifiques qu’il a déjà apprises (Matthews, Lieven, Theakston &

Tomasello, 2007). Pour la seconde, l’approche générativiste ou grammaticale, une représentation abstraite de l’ordre des mots s’acquiert rapidement, en extrayant les régularités d’organisation de sa langue et en faisant un choix parmi des possibilités restreintes et innées (Rizzi, 2007). Un des choix les plus importants à faire en ce qui concerne l’ordre des mots de sa langue est de décider si l’objet précède ou suit le verbe dans les phrases : c’est ce qu’on appelle le paramètre tête-complément.

L’approche constructiviste s’appuie principalement sur des études investiguant la production dans le paradigme de l’ordre des mots bizarre (Abbot-Smith, Lieven &

Tomasello, 2001 ; Akhtar & Tomasello, 1997 ; Akhtar, 1999 ; Matthews et al., 2005, 2007).

Ces études montrent que le jeune enfant tend à reproduire les modèles de phrases agrammaticales, en particulier pour les verbes de basse fréquence, soutenant une acquisition graduelle de l’ordre des mots qui se base tout d’abord sur les verbes connus. Mais on peut relever des failles méthodologiques, telles que l’exclusion abusive de sujets ou de non réponses et l’interprétation des résultats est contestable, par exemple, l’effet de fréquence présent chez l’enfant plus âgé est ignoré (Franck & Lassotta, en préparation). Il est alors important de se pencher sur d’autres types d’études, qui se concentrent sur le versant réceptif et mettent en évidence des compétences abstraites précoces. Nous détaillerons la sensibilité des tout jeunes enfants aux indices prosodiques (Christophe et al., 2003) et leur préférence pour un ordre relatif des mots fréquents et peu fréquents reflétant l’ordre des mots de leur langue (Gervain, Nespor, Mazuka, Horie & Mehler, 2008). Nous parlerons ensuite des études utilisant le paradigme du regard préférentiel intermodal (Gertner, Fisher, Eisengart, 2006), initié par Hirsh-Pasek et Golinkoff (1996) qui étudient l’interprétation précoce des phrases.

Notre étude s’inscrit dans le cadre de l’approche générativiste et explore la manière dont les

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enfants francophones de 19 mois interprètent des verbes inconnus, dans des phrases grammaticalement correctes ou agrammaticales, en utilisant le paradigme de regard préférentiel intermodal.

III. REVUE DE LITTERATURE

1. L’approche constructiviste ou lexicale

Cette théorie postule que les énoncés de plusieurs mots produits par les jeunes enfants s’appuient tout d’abord non pas sur une représentation syntaxique abstraite mais sur une représentation lexicale concrète (Tomasello & Abbot-Smith, 2002). L’enfant acquiert des

« îlots verbaux », c’est-à-dire des verbes qu’il comprend et qu’il est capable d’utiliser dans des phrases en suivant des règles spécifiques à ces verbes.

(1) Jean pousse Marie.

(2) Jean embrasse Marie.

Ainsi, dans les phrases (1) et (2), l’enfant interprète la position de Jean et Marie par rapport aux mots « pousse » et « embrasse » et non pas par rapport à un concept abstrait de

« verbe ». La compréhension de l’enfant est d’abord spécifique à chaque phrase entendue, puis il généralise la construction de la phrase de manière spécifique à chaque verbe. L’enfant sait que le nom précédant « pousser » est celui qui pousse, soit l’agent de l’action, et que le nom suivant « pousser » est celui qui est poussé, soit le patient de l’action. On pourrait résumer cette représentation sémantique de l’enfant, spécifique aux verbes, à « Agent Pousse Patient », « Agent Embrasse Patient », et ainsi de suite, pour chaque verbe qu’il connaît. La représentation « Sujet Verbe Objet » n’apparaît que tardivement, une fois que l’enfant possède suffisamment d’îlots verbaux pour en déduire, par analogie entre des verbes qui apparaissent dans des phrases similaires et qui ont des sens similaires, l’ordre des mots de sa langue de manière abstraite. (Matthews et al., 2007).

1.1. Le paradigme de l’ordre des mots bizarre (Weird Word Order)

Pour soutenir l’approche lexicale, de nombreuses études utilisent le paradigme de l’ordre des mots bizarre, ou « Weird Word Order » (Abbot-Smith et al., 2001 ; Akhtar &

Tomasello, 1997 ; Akhtar, 1999 ; Matthews et al., 2005, 2007). Ce type d’études présente généralement aux enfants des vidéos où deux personnages sont impliqués dans une action causative (un personnage actif réalisant une action sur l’autre, passif). Un expérimentateur

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modèle alors, avec plusieurs vidéos, une construction agrammaticale décrivant l'action, par exemple « Oh ! Regarde : (...) Renard Canard pousse ! », puis demande à l'enfant de décrire à son tour la vidéo. Les auteurs utilisent trois variables indépendantes : l'âge des enfants (un groupe jeune vs un autre plus âgé), la fréquence des verbes présentés (haute vs basse ou pseudo-verbe) et l'ordre des mots modelé (selon les études, SOV, VSO et SVO par exemple).

Le type de réponses de l’enfant est alors analysé : les proportions des phrases reprenant l’ordre modelé et celles le corrigeant sont prises comme variables dépendantes. Deux prédictions principales découlent de l’approche lexicale : premièrement, les jeunes enfants, n’ayant pas de représentation abstraite de l’ordre des mots tendront à reproduire le modèle agrammatical plus que les enfants plus âgés, deuxièmement, les jeunes enfants reproduiront moins l’ordre agrammatical avec les verbes de haute fréquence que de basse fréquence (puisqu’ils ont une connaissance lexicale spécifique aux verbes connus). Pour résumer les résultats de ces études, nous pouvons relever que les auteurs trouvent généralement que, premièrement, les jeunes enfants corrigent moins et reprennent plus l’ordre bizarre modelé que les enfants plus âgés, et, deuxièmement, les jeunes enfants sont plus soumis à l’effet de fréquence (c’est-à-dire qu’ils reprennent plus l’ordre agrammatical pour les verbes de basse fréquence que pour les verbes de haute fréquence) que le groupe plus âgé.

Matthews et al. (2007) ont utilisé ce paradigme avec des enfants francophones de 2;10 et 3;9 ans. Les phrases modelées par l’expérimentateur sont soit SOV, par exemple « Renard Canard pousse ! », soit VSO, et la fréquence des verbes présentés est soit haute soit basse.

Un des buts de l’étude est de montrer que les enfants francophones reproduiront plus l’ordre des mots bizarre lorsque le verbe est de basse fréquence que s’il est de haute fréquence.

L’autre but se rapporte à une particularité de la langue française. En effet, en français, la position de l’objet par rapport au sujet et au verbe varie beaucoup selon le type de phrases : l’utilisation du groupe nominal ou du pronom clitique (« le chat mange la souris » ou « le chat la mange »), la possibilité de topicalisation de l’objet (« la souris, le chat, il la mange »), la création de proposition relative objet (« la souris que le chat mange ») ou encore la formulation de question (« la mange-t-il ? »). Etant donnée la variabilité de la position de l’objet en français, une approche constructiviste prédit donc une plus grande difficulté des enfants français à généraliser, par analogie, des constructions lexicales spécifiques vers une forme transitive abstraite. Les enfants francophones devraient avoir plus de difficultés à généraliser l’objet de manière abstraite et devraient donc l’utiliser avec moins de réussite que les enfants anglais (pour qui l’objet a une position beaucoup plus régulière).

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En mesurant la proportion de corrections (c’est-à-dire quand l’enfant produit une réponse qui modifie l’ordre modelé, le plus souvent pour transformer sa production en phrase correcte) et de conservations (c’est-à-dire quand l’enfant reprend le modèle de l’expérimentateur) par rapport au total des réponses, Matthews et al. ont trouvé un effet de fréquence : l’ordre des mots de phrases avec un verbe de basse fréquence est plus conservé et moins corrigé que l’ordre des mots de phrases avec un verbe de haute fréquence. Cela soutient la théorie d’un apprentissage graduel de l’ordre des mots, qui s’appuie sur une représentation de l'ordre des mots spécifique à chaque verbe connu, qui s’étendra par la suite à tous les verbes, de manière abstraite. Les auteurs comparent leurs résultats à ceux de l’étude équivalente réalisée avec des enfants anglophones (Matthews et al., 2005). Ils relèvent que les enfants francophones utilisent beaucoup moins d’objets lexicaux et pronominaux que les enfants anglophones. Cette différence dans l’utilisation de l’objet soutient l’hypothèse que le manque de recouvrement entre l’objet lexical et l’objet pronominal clitique en français ralentit l’acquisition de cette fonction.

1.2. La compréhension de l’ordre des mots et des marqueurs de cas

Dittmar, Abbot-Smith, Lieven et Tomasello (2008) ont mené une étude auprès d’enfants allemands pour investiguer la manière dont ils traitent l’ordre des mots et le cas des noms dans des phrases transitives. La langue allemande admet un ordre des mots plus variable que le français : l’ordre du verbe et du complément diffère selon le type de phrase (Christophe et al., 2006). De plus, trois genres (masculin, féminin et neutre) subissent quatre déclinaisons (nominatif, accusatif, datif et génitif). Ces deux indices fournissent des informations à propos de la structure syntaxique et sémantique de la phrase, c’est-à-dire où est le sujet, l’objet et qui est l’agent, le patient. Mais la disponibilité et la fiabilité de ces indices varient : c’est ce qu’ont tenté de synthétiser Dittmar et al. (2008) dans leur première étude, une analyse de corpus de la base de données CHILDES (langage spontané de six mères s’adressant à leurs enfants de 1;8 à 2;5 ans). Il en ressort que l’ordre des mots est toujours accessible dans la phrase, mais pas entièrement fiable (74% des phrases transitives ont une forme SVO mais 26% des phrases ont une forme OVS), tandis que les informations fournies par les cas ne sont pas toujours disponibles (11% des phrases contiennent des cas ambigus, c’est-à-dire pouvant correspondre à plusieurs genres ou déclinaisons) mais sont toujours fiables lorsqu’elles sont présentes.

Dans une autre étude, les auteurs ont proposé à des enfants de 2;7, 4;10 et 7;3 ans des phrases grammaticales de type NVN et leur ont demandé de pointer l’image correspondant à

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ce qu’ils comprennent. Les trois conditions expérimentales utilisaient des pseudo-verbes. Une des conditions utilisait des phrases prototypiques : le premier nom, dont le cas marquait de manière claire le nominatif, correspondait au sujet de la phrase et à l’agent de l’action et le deuxième nom, dont le cas marquait clairement l’accusatif, correspondait à l’objet de la phrase et au patient de l’action. Dans la deuxième condition, seul l’ordre des mots permettait de connaître le patient et l’agent de l’action, les cas (nominatif et accusatif du féminin et du neutre) étant marqués de manière identique. Enfin la dernière condition présentait des phrases dont l’ordre des mots et les marques de cas étaient en conflit : la phrase possédait des marques de cas visibles et fiables mais un ordre des mots atypique en allemand, bien que correct (c’est-à-dire une phrase dont le sujet et l’objet étaient inversés pour donner une forme OVS). Les résultats montrent que les enfants de 2;7 ans ne répondent correctement que pour les phrases prototypiques (dont les indices de l’ordre des mots et des cas sont redondants) et échouent aux deux autres types de phrases, y compris lorsque l’ordre des mots donne un indice fiable. Les enfants de 4;10 ans réussissent à choisir le bon agent pour les phrases prototypiques et les phrases donnant pour seule information utilisable l’ordre des mots, échouant aux phrases dont les deux types d’indices sont en conflit. Les enfants de 7;3 ans comprennent tous les types de phrases, y compris celles qui fournissent les marques de cas comme seul indice (inversion de l’objet et du sujet). Ces résultats montrent que seuls les enfants allemands de plus de 4 ans sont capables d’utiliser l’ordre des mots uniquement pour comprendre des phrases contenant des pseudo-verbes et seuls les enfants de plus de 7 ans se comportent comme les adultes allemands et savent interpréter une phrase contenant un pseudo-verbe sur la base seule des marqueurs de cas. De plus, on observe, chez les enfants de 4;10 ans et dans la condition « indices en conflit », une corrélation entre la performance à la tâche expérimentale et le niveau lexico-morphologique (mesuré à partir d’une adaptation allemande du « MacArthur Communicative Development Inventory »). Ces données montrent l’influence des compétences spécifiques lexicales sur la compréhension syntaxique d’une phrase et vont dans le sens d’une acquisition tardive et graduelle de la grammaire adulte, fondée sur le développement lexical.

1.3. Les failles et critiques des arguments de l’approche lexicale

Ces deux articles sont des exemples des arguments soutenant l’approche constructiviste, présents dans la littérature. Mais la méthodologie et l’interprétation des résultats sont critiquées, notamment par Fisher (2002) et Franck & Lassotta (en préparation).

Parmi les nombreuses critiques que l’on peut faire aux études utilisant le paradigme du Weird

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Word Order (WWO), nous allons détailler le problème des compétences mises en œuvre dans cette tâche, l’exclusion abusive des non-réponses et son influence sur l’effet de fréquence, la question de l’innovation et du conservatisme et la mise en évidence d’un effet d’amorçage syntaxique. Comme critique à l’article de Dittmar et al. (2008), on peut se poser la question de la pertinence de la condition « indices conflictuels » et relever des éléments soulignant la présence de représentation abstraite au sein même des résultats.

1.3.1. Le manque de transparence de la tâche « Weird Word Order »

Une des premières critiques que l’on peut faire sur l’utilisation du paradigme du

« Weird Word Order » est son « impureté » au niveau des compétences qu’il requiert chez l’enfant. En effet, les compétences linguistiques ne sont de loin pas les seules mises en jeu dans la réalisation de la tâche. Dittmar et al. (2008) soulignent dans leur article les importantes ressources cognitives, en termes de mémoire de travail et de fonctions exécutives, nécessaires pour accomplir une tâche de mime de type « act-out » (mimer à l’aide de marionnettes l’action comprise dans une phrase présentée) : la tâche requise dans le paradigme du WWO est encore plus gourmande en ressources cognitives ! Elle demande en effet d’utiliser un verbe inconnu, présenté quelques minutes ou secondes auparavant, dans une nouvelle phrase dont la structure est inconnue de l’enfant. La grande quantité d’informations à maintenir en mémoire et la difficulté de la planification s’ajoutent à la difficulté d’inhiber un ordre des mots que l’expérimentateur vient de modeler. Chan, Meints, Lieven et Tomasello (2010) ont testé des enfants anglophones de 2 à 3;5 ans et trouvent en effet des différences de performance entre une tâche de compréhension (regard préférentiel intermodal) et une tâche de type « act out ». Comme le souligne Rizzi (2007), « il est plausible que le système de production, qui demande l’activation de programmes moteurs complexes pour l’articulation et l’adaptation fine entre ces systèmes périphériques et les représentations mentales abstraites des expressions linguistiques, soit donc en retard par rapport au développement de la connaissance linguistique abstraite ». Ainsi, même si l’enfant a les compétences syntaxiques permettant de résoudre une tâche de production, ses ressources cognitives et ses capacités motrices pourraient entraver sa performance alors qu’il réussirait peut-être une tâche de compréhension mettant en jeu les mêmes compétences syntaxiques.

Une autre compétence nécessaire à la réussite d’une tâche de WWO est la composante pragmatique (Franck & Lassotta, en préparation). L’enfant doit en effet inférer, sur la base de sa théorie de l’esprit, quel est le comportement qui est attendu de lui. Doit-il corriger la phrase modelée pour montrer à l’expérimentateur qu’il est capable de parler ou doit-il

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reproduire le modèle de l’expérimentateur ? Un adulte, dont les compétences syntaxiques sont évidentes, ne « réussirait » peut-être pas cette tâche, en inférant que le but de la tâche est d’imiter l’expérimentateur ! De plus, les enfants sont régulièrement en situation d’apprenant, et doivent se référer aux modèles de l’adulte, que ce soit à l’école, à la maison, dans un contexte social,… Il est donc plus « programmé » pour apprendre par imitation que pour contredire les adultes. Chang, Kobayashi et Amano (2009) ont repris et modifié la tâche de WWO pour explorer l’influence de facteurs sociaux sur les productions des enfants. Dans leur étude, des enfants japonais devaient guider un robot ne comprenant que des phrases ayant un ordre des mots bizarre. Les auteurs ont fait varier l’âge des enfants (3 vs 4 ans) et les verbes utilisés (pseudo-verbes vs verbes connus). Les résultats montrent que l’utilisation d’un ordre des mots bizarre dans ce paradigme augmente avec l’âge ! Il n’y a pas d’effet de fréquence des verbes. On peut supposer que cette augmentation de la production d’ordre agrammatical est due à une meilleure compréhension des attentes sociales chez les enfants plus âgés. Cette étude montre bien que les performances des enfants dans une tâche de WWO varient selon le contexte social et donc les attentes des interlocuteurs.

1.3.2. Le problème des données manquantes et l’effet de fréquence

La tâche de WWO est donc difficile et implique de nombreux processus cognitifs et sociaux, ce qui explique sûrement en partie l’important taux de non-réponses : Franck &

Lassotta (en préparation) relèvent que 20 à 30% des enfants ne produisent aucun verbe dans ce type d’expérience (Abbot-Smith et al., 2001 ; Akhtar, 1999 ; Akhtar & Tomasello, 1997 Matthews et al., 2005, 2007), et les enfants qui produisent des réponses ne le font que pour 18 à 48% des items dans l’étude de Matthews et al. (2007). Ces données manquantes ne se répartissent pas également entre les différentes conditions expérimentales, ce qui pose un problème méthodologique dans l’analyse des résultats. Comme le soulignent Franck &

Lassotta, les enfants de 2 ans de l’étude de Matthews et al. (2007) répondent à 18 % des items pour les verbes de basse fréquence et à 37% des items pour les verbes de haute fréquence.

Les enfants de 3 ans répondent respectivement à 25% et 48% des items. Les non-réponses ne sont pas symétriques dans les différentes conditions expérimentales et ne peuvent donc pas être ignorées dans les résultats, au risque de modifier la significativité des différences observées ou de changer l’interaction des variables. En incluant ces données manquantes, les résultats modifient complètement le profil de l’effet de fréquence. Si les non réponses des enfants sont inclues dans les résultats de Matthews et al. (2007), l’effet de fréquence s’annule pour les enfants de 2 ans et ne subsiste que pour les enfants de 3 ans : ceux-ci reprennent plus

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l’ordre incorrect avec les verbes de basse fréquence que de haute fréquence. En incluant les enfants qui n’ont répondu à aucun item, l’effet de fréquence s’annule pour les enfants de 3 ans mais s’inverse pour les enfants de 2 ans !

Franck, Millote et Lassotta (in press) ont proposé une étude utilisant le paradigme de WWO avec quelques modifications. Les variables indépendantes étaient l’âge (enfants de 2;11 ans et de 3;11 ans), la grammaticalité de l’ordre modelé (SVO vs WWO : SOV ou OVS), la lexicalité des verbes (4 verbes et 4 pseudo-verbes). Les enfants entendaient les phrases-modèles depuis l’ordinateur et devaient ensuite décrire les scènes à une marionnette ayant les yeux bandés. La consigne était de donner une description la plus correcte possible à la marionnette, pour qu’elle puisse imaginer la scène. En rendant ainsi la tâche plus fonctionnelle sur le plan de la communication, les auteurs supposent que les enfants seront plus prompts à répondre et à corriger le WWO que dans les études précédentes. En effet, les résultats montrent une réduction des non réponses, passant d’une amplitude de 46 à 99% dans les études précédentes à une moyenne de 22% dans la présente étude. Les auteurs mettent en évidence un effet de grammaticalité : les deux groupes d’enfants reproduisent significativement plus l’ordre grammatical que l’ordre agrammatical même lors de l’utilisation d’un pseudo-verbe. Ce résultat contredit fortement les prédictions de l’approche lexicale, selon laquelle les jeunes enfants n’ont pas de représentation abstraite et devraient donc reprendre l’ordre modelé si la phrase contient un verbe inconnu (qui ne peut donc pas avoir de représentation lexicale spécifique). Les données révèlent également un effet de fréquence, tant chez les jeunes enfants que les plus âgés : tous corrigent plus le modèle, produisent plus de pronoms (c’est-à-dire sont productifs et créatifs) et répondent plus souvent à un modèle contenant un verbe qu’un pseudo-verbe.

La théorie constructiviste, faisant l’hypothèse d’une abstraction graduelle des représentations, prédit que l’effet de fréquence doit apparaître uniquement (ou au moins de manière plus marquée) dans le groupe d’enfants plus jeunes. Or les données montrent que les enfants plus âgés sont eux aussi sensibles à la fréquence des verbes. « Puisque les enfants plus âgés, que l’on suppose avoir une grammaire, sont sensibles à la lexicalité, alors la lexicalité ne peut pas être utilisée comme preuve d’un manque de grammaire chez les enfants plus jeunes » (Franck et al., in press). De plus, l’effet de fréquence est un phénomène psycholinguistique connu et solide chez l’adulte : il n’est pas une preuve de manque de grammaire mais coexiste avec celle-ci. La prédiction des auteurs concernant l’effet de

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fréquence est ainsi non pertinente, puisque l’effet de fréquence est indépendant de la nature des représentations syntaxiques.

1.3.3. La difficulté d’innover dans l’utilisation des verbes

Fisher (2002) met en évidence une caractéristique des verbes qui ne doit pas être ignorée lors de l’interprétation de la réticence des enfants à produire une nouvelle structure lors de l’utilisation d’un verbe après un modèle agrammatical. En effet, certains verbes peuvent être utilisés de manière transitive et intransitive, comme « manger » dans les phrases (3), mais certains ne peuvent être utilisés que de manière transitive, comme « laver » en (4) et d’autres n’admettent qu’une structure intransitive, comme « partir » en (5).

(3) a. Jean mange une glace. b. Jean mange.

(4) a. Marie lave son chien. b. *Marie lave.

(5) a. *Pierre part le voyage. b. Pierre part.

Il y a donc des sous-catégories de verbes qui gouvernent les structures de phrases permises et la capacité de prédire l’utilisation d’un « verbe dans une structure non attestée dépend d’un apprentissage spécifique aux verbes » (Fisher, 2002). Ce n’est donc pas une représentation abstraite de l’ordre des mots qui permet seule d’utiliser un verbe dans une nouvelle structure, comme sous-entendu dans les études utilisant le WWO. Une structure de type « Renard Canard percute » (Matthews et al., 2007) peut être interprétée de manière intransitive, comme on pourrait dire « Renard et Canard jouent », en particulier pour les verbes de basse fréquence que l’enfant ne connaît peut-être pas du tout. Les enfants doivent en effet comprendre le sens du verbe et le lier à un type de structure syntaxique avant d’être capable de l’utiliser en production. Ainsi, pour des verbes de basse fréquence présentés dans une structure qui peut éventuellement être comprise de manière intransitive, innover dans une utilisation transitive de ce verbe est risqué. Cela peut expliquer le manque de corrections des phrases agrammaticales, tant chez les enfants jeunes que plus âgés.

1.3.4. L’effet d’amorçage syntaxique

Fisher (2002) cite une étude de Brooks & Tomasello (1999) dans laquelle des enfants de moins de 3 ans ont appris des pseudo-verbes soit dans la voix active soit dans la voix passive. Une première étude utilise un dessin expérimental inter-sujets (chaque enfant apprend les deux pseudo-verbes sous forme passive ou sous forme active) et l’étude 2 utilise un dessin expérimental intra-sujets (chaque enfant apprend un pseudo-verbe sous forme active et l’autre sous forme passive). Les enfants sont ensuite incités à réutiliser ces verbes

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soit par des questions portant sur l’agent, soit par des questions portant sur le thème, soit par des questions neutres. Les résultats, synthétisés dans le tableau I, montrent que les enfants produisent plus de phrases passives utilisant un verbe appris en voix active (et sont plus nombreux à le faire), lorsque l’entraînement utilise les deux voix (dessin expérimental intra- sujets) que lorsque l’entraînement n’utilise que la voix active (dessin expérimental inter- sujets). De même, ils produisent plus de phrases actives utilisant un verbe appris en voix passive, et sont plus nombreux à le faire, lorsque l’entraînement utilise les deux structures que lorsqu’il n’introduit que des structures passives. Ces données mettent en évidence un effet d’amorçage syntaxique : les enfants de 3 ans sont plus prompts à utiliser un pseudo- verbe dans une nouvelle structure s’ils ont été exposés à ce type de structures pendant l’entraînement. Cet effet d’amorçage syntaxique, bien connu chez l’adulte, laisse supposer que les enfants de moins de 3 ans ont une notion des constructions de phrase transitive active et passive suffisamment abstraite pour être amorcée avec des verbes récemment appris (Fisher, 2002).

Tableau I. Nombre moyen de phrases actives et passives produites et pourcentage d’enfants les ayant produites selon le type d’entraînement et le dessin expérimental utilisé.

Production de phrases actives Production de phrases passives Inter-sujets

(étude 1)

Intra-sujets (étude 2)

Inter-sujets (étude 1)

Intra-sujets (étude 2) Entraînement actif 14,5

100%

5,15 90%

0,12 12%

0,8 40%

Entraînement passif 0,5 20%

0,8 35%

9,15 85%

4,85 75%

Dans la même idée, l’analyse de Matthews et al. (2007) sur le type de phrases produites par les enfants en fonction du type de phrases modelées montre que, dans la condition « verbe de haute fréquence », les enfants, aussi bien le groupe « jeune » que « plus âgé », tiennent compte du type de modèle proposé pour produire leurs réponses. Un modèle VSO (où l’objet est après le verbe, sa place canonique en français) incite plus à produire un Objet (de 46 à 61%) qu’un modèle SOV (de 21 à 24%). De manière symétrique, un sujet lexical (et non pronominal) est plus produit après des modèles SOV (40% des réponses) qu’après des modèles VSO (22%). Un sujet ou un objet situé à la bonne place selon l’ordre des mots en français amorce donc la production d’un sujet ou d’un objet respectivement dans la réponse de l’enfant, tandis qu’un sujet ou un objet à la « mauvaise » place n’amorce pas sa

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production. Tout se passe comme si les constituants qui sont positionnés à une place valide activent les structures syntaxiques abstraites correspondantes. On observe donc ce qui ressemble à un effet d’amorçage syntaxique, qui pousse l’enfant à opter pour la structure grammaticale la plus proche du modèle entendu. Un tel effet met en évidence la présence de structures grammaticales sous forme abstraite.

Franck et Lassotta (en préparation) relèvent également que dans toutes les études utilisant une condition « grammaticale » (Akhtar, 1999 ; Abbot-Smith et al., 2001), les enfants, même les plus jeunes, reprennent les modèles grammaticalement justes quatre à cinq fois plus que les modèles WWO. Cette observation est également valable dans l’étude de Franck et al. (in press), où les enfants reproduisent plus l’ordre correct que l’ordre bizarre, même avec des pseudo-verbes. Comme le note Fisher (2002), un apprentissage avec un ordre des mots SVO plus fructueux qu’avec un ordre des mots agrammatical suggère que les systèmes de traitement du langage des enfants sont déjà fondés pour prendre en charge un ordre SVO. La difficulté des enfants à reproduire l’ordre des mots bizarre, comparativement à leur aisance à reproduire l’ordre grammatical, montre bien que les enfants font appel à une représentation abstraite de l’ordre des mots dans la condition SVO mais sont beaucoup plus en difficulté pour reprendre un ordre qu’ils ne connaissent pas. Cette observation contredit les hypothèses de l’approche constructiviste qui prédit que les enfants, sans représentation abstraite, reproduiront plus l’ordre des mots bizarre qu’ils ne le corrigeront, lorsqu’on leur propose un verbe qu’ils ne connaissent pas.

1.3.5. Dittmar et al. (2008) : des résultats soutenant une représentation abstraite

A la fin de leur article, Dittmar et al. remettent eux-mêmes en cause la pertinence de l’utilisation des phrases OVS dans leur étude (grammaticales en allemand). En effet, ces phrases apparaissent généralement en contexte pragmatique marqué (accentuation prosodique de l’objet en tant que premier nom) qui attire l’attention de l’enfant sur la particularité de cette phrase et contiennent souvent des indices sémantiques (un des noms se réfère à un concept animé et l’autre non) facilitant l’attribution du rôle de patient au premier nom et le rôle d’agent au deuxième nom. Finalement, les enfants allemands n’entendent que 1% de phrase OVS (avec sujet et objet lexicaux) où l’ordre des mots et les marques de cas sont en compétition, comme dans la condition « conflit » de l’étude. Les enfants de leur étude sont donc confrontés à une forme presque inconnue, qu’ils n’ont pas encore pu représenter de manière abstraite, étant donné que cette forme entre en contradiction avec l’ordre SVO, plus

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courant. Cette condition ne reflète donc pas le type de représentations, abstraites ou lexicalisées, que l’enfant de 2;7 ans peut posséder.

Les résultats de Dittmar et al. offrent d’ailleurs une preuve du type de représentation de l’ordre des mots des enfants de 2;7 ans puisque ceux-ci sont capables de comprendre une phrase SVO canonique contenant un verbe inconnu, où l’ordre des mots ainsi que les marques de cas sont disponibles et fiables. On note tout de même qu’ils échouent à cette tâche avec des phrases ne donnant qu’un seul indice, à savoir l’ordre des mots. Cet effet peut trouver une piste d’explication dans le fait que la langue allemande admet un ordre des mots variable : ainsi les enfants seraient contraints de ne pas se baser sur ce seul indice mais de tenir compte des autres indices saillants tels que les marques de cas.

2. L’approche générativiste ou grammaticale

Au vu des failles de l’approche lexicale et des preuves de la présence de représentations abstraites contenues dans les résultats mêmes des études soutenant cette approche, il est indispensable de trouver une autre piste explicative que celle proposée par la théorie constructiviste. Il est intéressant de noter que lorsque l’enfant commence à combiner des mots (entre 18 et 24 mois), il ne produit presque pas d’erreur dans l’ordre des mots : 95%

des productions respectent l’ordre des mots de la langue (Pinker, 1999). Ce fait suggère que l’ordre des mots est déjà en place à cet âge et a donc été acquis très précocement. La théorie générativiste décrit des principes, communs à toutes les langues du monde, et des paramètres, qui expriment les variations entre les langues (Mazuka, 1996). Cette approche paramétrique suppose que l’acquisition d’une langue consiste à en fixer les paramètres. Ainsi, « la tâche de l’apprenant consiste à déterminer, sur base des données linguistiques accessibles, quelles options a pris la langue à laquelle il est exposé, et à fixer les paramètres en conséquence » (Rizzi, 2007). Un des paramètres majeurs à fixer en ce qui concerne l’ordre des mots de sa langue est le paramètre « tête-complément ». Ce paramètre concerne l’ordre des éléments dans toutes les unités syntaxiques d’une langue donnée, chaque unité étant composée d’une tête, X, qui peut être par exemple, un nom, un verbe ou une préposition, et de ses compléments et spécificateurs (Christophe et al., 2003). On peut donc séparer les langues en deux catégories : celles qui ont une structure « tête-complément » et celles qui ont une structure « complément-tête ». En français et en anglais, qui sont des langues « tête- complément », le complément du verbe, c’est-à-dire l’objet, suit le verbe, le complément de nom suit le nom et ces langues utilisent des prépositions (têtes). A l’inverse, le turc et le

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japonais, des langues « complément-tête », voient leurs objets précéder les verbes, le complément de nom précéder le nom et ces langues utilisent des postpositions (têtes). Ainsi, l’acquisition de l’ordre des mots peut se résumer à la fixation du paramètre « tête- complément ». A quel âge et par quel moyen les jeunes enfants fixent-ils ce paramètre ? Nous allons tout d’abord détailler deux études mettant en évidence des indices, disponibles dans l’input linguistique, qui peuvent être utiles à la fixation du paramètre tête-complément puis deux études montrant une compréhension précoce de l’ordre des mots.

2.1. Comment les enfants peuvent-ils fixer le paramètre tête-complément ? Afin de fixer le paramètre tête-complément, l’enfant a besoin de détecter et d’utiliser des informations qui corrèlent avec l’ordre relatif de la tête et du complément dans les langues. Il est également nécessaire, pour déterminer l’ordre tête-complément dans les constituants, que ces constituants soient perceptibles dans le flux de parole. Nespor (2001) décrit l’influence de la syntaxe sur la prosodie : les constituants syntaxiques sont en effet alignés avec les unités prosodiques, que sont la phrase phonologique et la phrase intonative.

Les phrases phonologiques, reflétant les unités syntaxiques telles que le nom et son déterminant, le verbe et son auxiliaire par exemple, se regroupent en unités plus grandes, les phrases intonatives, qui représentent généralement le groupe nominal sujet, le syntagme verbal, etc. Dans l’exemple (6), les phrases phonologiques sont notées f et les phrases intonatives sont notées I (exemple inspiré de Nespor, 2001). Les frontières sont marquées dans la prosodie par des pauses, l’allongement des voyelles finales, des augmentations ou des diminutions de la fréquence fondamentale aux limites des constituants. De plus, il a été montré que les adultes, mais aussi les enfants de 9 mois, réagissent à ces frontières prosodiques (Gerken, Jusczyk, Mandel, 1994). Les enfants ont donc à disposition un indice leur permettant d’avoir accès aux limites des différents constituants de la phrase. Or rappelons que l’ordre tête-complément est le même dans presque tous les constituants syntaxiques. Nous allons détailler deux types d’indices que l’enfant pourrait potentiellement utiliser afin de déterminer l’ordre tête-complément dans les constituants de la phrase.

(6) [(Les étudiants)f (de sa classe)f]I [(ont lu)f (tous les romans)f (de Zola)f]I 2.1.1. Les indices prosodiques de l’ordre tête-complément

Christophe et al. (2003) font l’hypothèse d’un « bootstrap prosodique » pour fixer l’ordre des mots d’une langue. Pour que cette hypothèse soit valable, il faut que la prosodie offre effectivement des informations quant à l’ordre tête-complément dans les constituants et

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que les enfants soient sensibles à cet indice. Nespor (2001) explique que la proéminence prosodique tombe systématiquement sur le complément, c’est-à-dire à droite pour les langues tête-complément (anglais, français, italien,…) et à gauche pour les langues complément-tête (turc, japonais,…). Christophe et al. ont utilisé le paradigme de la succion non-nutritive avec des bébés âgés de 6 à 12 semaines et de langue maternelle française auxquels ils ont fait écouter des phrases resynthétisées (les indices phonétiques ont été supprimés afin de ne conserver que la prosodie initiale). Ces phrases proviennent du français et du turc, car ces deux langues sont semblables sur tous les facteurs influençant la prosodie (accentuation des mots, structure syllabique et réduction des voyelles) excepté le paramètre tête-complément.

Les participants ont subi deux changements d’échantillon de phrases : un changement expérimental, c’est-à-dire un changement des phrases françaises vers les turques ou inversement, et un changement contrôle, c’est-à-dire un changement intra-langue, du français au français ou du turc vers le turc. La déshabituation des bébés est significativement plus grande pour le changement inter-langue que intra-langue, ce qui prouve la sensibilité à la proéminence de l’objet dès 2 mois. La proéminence prosodique initiale vs finale constitue donc un indice disponible et fiable pour fixer le paramètre tête-complément, auquel les enfants de 2 mois sont sensibles. De plus, Mazuka (1996) souligne qu’une des caractéristiques de la parole des parents s’adressant à leur enfant (Child Directed Speech) est l’exagération de la prosodie et que les enfants prêtent plus attention à la parole lorsque celle- ci a une prosodie exagérée.

2.1.2. L’ordre relatif des mots fréquents et peu fréquents

Gervain et al. (2008) ont fait l'hypothèse d'un autre indice corrélant avec l'ordre des mots et pouvant être utilisé pour fixer celui-ci : la position relative des mots grammaticaux et de contenu. Les auteurs ont tout d’abord confirmé que les mots grammaticaux étaient significativement plus fréquents que les mots de contenu dans le Child Directed Speech en japonais et en italien. Puis ils ont isolé les deux premiers et les deux derniers mots des phrases provenant des mêmes corpus de Child Directed Speech. Chaque mot peut être un mot de haute fréquence (MHF) ou un mot de basse fréquence (MBF) : les paires de mots aux deux extrémités des phrases peuvent donc être soit [MHF-MBF], soit [MBF-MHF], soit des paires de mots de même fréquence (ces dernières paires ne sont pas prises en considération). Les auteurs calculèrent alors le pourcentage de « mots fréquents initiaux » (paires de mots [MHF-MBF]) et « mots fréquents finaux » (paires [MBF-MHF]) en japonais et en italien et ont trouvé des patterns inverses pour ces deux langues. En effet, le japonais présente

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significativement plus de mots fréquents en fin de phrases qu’en début et l’italien présente plus de mots fréquents initiaux que finaux. Cette distribution corrèle avec le paramètre tête- complément de ces langues : le japonais a une tête finale et l’italien une tête initiale dans leurs constituants. A partir de ces deux observations, Gervain et al. (2008) ont voulu tester le comportement des bébés japonais et italiens de 8 mois. Une grammaire artificielle composée de deux mots monosyllabiques fréquents (mimant les mots foncteurs) et de dix-huit mots monosyllabiques peu fréquents (mimant les mots de contenu) a été construite. Les bébés ont été familiarisés pendant près de 4 minutes à une suite continue d’alternance mot fréquent/mot peu fréquent. Puis, en utilisant le paradigme de conditionnement de la tête (Head-turn Preference), les auteurs ont testé leur préférence pour des stimuli de cette grammaire comprenant des mots fréquents initiaux vs finaux. Les résultats montrent une distribution inverse : les bébés japonais écoutent significativement plus longtemps les stimuli « mots fréquents finaux » que les stimuli « mots fréquents initiaux », et inversement pour les bébés italiens. Les bébés de 8 mois semblent non seulement être sensible à la position relative des mots fréquents et peu fréquents dans les unités de parole, mais semblent aussi préférer des stimuli reproduisant le pattern de distribution mots fréquents-peu fréquents de leur langue.

Cet indice peut donc également être utilisé pour fixer le paramètre tête-complément et les résultats de l‘étude montrent que les enfants de 8 mois semblent avoir déjà fixé la composante formelle du paramètre tête-complément. Cette composante formelle sera étendue en composante interprétative à 20 mois ou peut-être plus tôt (voir section 2.2) ce qui permettra à l’enfant d’interpréter les rôles thématiques (agent et patient) associés aux positions syntaxiques dans la phrase (Franck et al., in press).

Les deux études précédentes montrent que les jeunes enfants perçoivent la proéminence prosodique et préfèrent l’ordre relatif des mots fréquents et peu fréquents correspondant à leur langue maternelle, deux indices qui corrèlent avec l’ordre tête- complément d’une langue. Bien sûr, le fait qu’ils perçoivent ces informations n’est pas une preuve qu’ils les utilisent pour fixer le paramètre tête-complément (Mazuka, 1996), mais étant donné que ce paramètre est utile pour l’acquisition du langage et qu’ils ont une compétence permettant de l’acquérir, on peut supposer que les deux indices ci-dessus sont à la base de la fixation du paramètre tête-complément.

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2.2. La compréhension précoce de l’ordre des mots

2.2.1. L’étude princeps de Hirsh-Pasek et Golinkoff (1996)

Hirsh-Pasek et Golinkoff furent les premiers à utiliser le paradigme de regard préférentiel intermodal avec de jeunes enfants. Dans leur étude princeps de 1996, les auteurs placèrent des enfants de 17 mois devant deux écrans, munis d’un haut parleur au centre et d’une caméra dissimulée, permettant de coder le temps de regard vers chaque écran. Après une phase de familiarisation durant laquelle les enfants se sont montrés capables de reconnaître les personnages (un oiseau nommé « Big Bird », plus loin BB) et un monstre nommé « Cookie Monster », plus loin CM), les phrases expérimentales ont été présentées auditivement en même temps que deux vidéos. Ces phrases étaient transitives et exprimaient une action causative effectuée par l’un des deux personnages sur l’autre. Par exemple, pour la phrase « Look ! Cookie Monster is tickling Big Bird ! » (CM chatouille BB), une des deux vidéos présentées simultanément montrait CM chatouillant BB et l’autre montre BB chatouillant CM. Les résultats ont montrés que les enfants regardent significativement plus la vidéo correspondante à la phrase. De plus, en séparant les enfants en deux groupes selon qu’ils produisent ou non des combinaisons de mots, on ne trouve pas d’effet et aucune interaction de ce facteur avec le temps de regard vers la « bonne » vidéo. Cette étude prouve que les enfants de 17 mois sont capables d’interpréter des phrases de type SVO et de se comporter différemment selon le sens qui en émerge. Mais les résultats de l’étude de Hirsh- Pasek et Golinkoff sont aussi bien compatibles avec la théorie constructiviste que générativiste : les enfants peuvent en effet avoir une représentation abstraite de l’ordre des mots, mais peuvent aussi avoir compris les phrases sur base de représentations lexicales spécifiques aux verbes utilisés (tickle, feed, wash et hug). Il est donc nécessaire de mettre en évidence que les jeunes enfants sont capables de montrer des compétences de compréhension précoce avec des verbes qu’ils n’ont jamais rencontrés, et qui ne peuvent donc pas être représentés sous forme lexicale.

2.2.2. La représentation abstraite de l’ordre des mots

C’est ce qu’ont fait Gertner et al. dans leur étude de 2006. Les auteurs ont testé des bébés anglophones de 21 à 25 mois dans quatre expériences utilisant le paradigme de regard préférentiel intermodal. Deux vidéos montrant des personnages effectuant des actions causatives ont été présentées aux bébés en même temps qu'une phrase transitive contenant un pseudo-verbe. Par exemple, pour la phrase « le lapin gorpe le canard », l'une des vidéos expérimentales représentait un canard agissant sur un lapin, et l'autre, un lapin faisant une

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action sur le canard. Les auteurs ont ensuite mesuré le temps de regard sur chaque vidéo et ont trouvé une préférence significative pour la vidéo correspondant à la phrase entendue et ce dès les 2 premières secondes. Ce même effet a été observé pour des phrases dont le sujet était pronominalisé (par exemple, « il gorpe le canard »). Les bébés de 21 mois peuvent interpréter une phrase en se basant sur une représentation abstraite de l'ordre des mots, sans avoir de représentation spécifique du sens et de l'utilisation syntaxique du verbe de cette phrase. Ainsi, les enfants peuvent interpréter le premier nom entendu comme un sujet mais aussi le deuxième nom entendu comme l’objet du verbe.

Mais, à travers le monde, le sujet arrive très souvent avant l’objet dans une phrase transitive : près de 96% des langues sont de type SVO, SOV ou VSO (Tomlin, 1986).

L’attribution au premier nom de la phrase le rôle d’agent et au deuxième nom de la phrase de rôle de patient pourrait donc être due à une préférence naturelle pour cet ordre. Les résultats de Gertner et al. (2006) pourraient alors être interprétés à la lumière de cette préférence : l’enfant attribuerait par défaut le rôle d’agent au premier nom entendu (A dans une phrase de type « A pseudo-verbe B ») et le rôle de patient au second (dans l’exemple, B). Ce ne serait peut-être pas l’ordre VO qui guiderait l’enfant dans son choix mais l’ordre d’apparition des protagonistes dans la phrase. Les résultats peuvent donc être interprétés de deux manières différentes et ainsi ne prouveraient pas la fixation du paramètre tête-complément. Une nouvelle étude est donc nécessaire pour contourner cette double explication : c’est un des objectifs de notre étude sur la compréhension précoce de l’ordre des mots.

2.3. Notre étude sur la fixation du paramètre tête-complément : buts et hypothèses théoriques

Nous avons repris le même dessin expérimental que Gertner et al. (2006) afin de tenter de répliquer leurs résultats, mais nous avons fait quelques modifications. Tout d’abord, les enfants de notre étude sont plus jeunes que ceux de l’étude de Gertner (19 mois au lieu de 21 à 25 mois) afin d’explorer à quel âge le paramètre tête-complément se fixe. Si le paramètre tête-complément est déjà fixé à 19 mois, les enfants francophones interpréteront des phrases Nom+Pseudo-verbe+Nom comme reflétant l’ordre des mots de leur langue, c’est- à-dire en attribuant le rôle d’agent au premier nom de la phrase et le rôle de patient au second. En revanche, si les enfants de 19 mois n’ont pas de représentation abstraite de l’ordre des mots, comme le suggère l’approche constructiviste, ils ne sauront pas interpréter ces phrases, car elles contiennent un verbe inconnu, qui ne fait donc pas partie de leur inventaire de représentations lexicales spécifiques.

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Mais une interprétation correcte de phrases NVN peut aussi bien être due à la fixation du paramètre tête-complément qu’à la préférence pour l’ordre SO quasi-universel, comme mentionné plus haut. Pour trancher entre ces deux explications, nous nous pencherons sur la manière dont les enfants interprètent une autre structure, de type Nom+Nom+Pseudo-verbe, également introduite dans notre matériel. Si le choix des enfants lors de l’interprétation d’une structure NVN n’est guidé que par la préférence pour l’ordre SO, alors ils interpréteront une structure agrammaticale de type NNV en attribuant le rôle d’agent au premier nom et celui de patient au second, créant ainsi une représentation SOV de la phrase (suivant un ordre des mots qui existe dans certaines langues, le turc et le japonais par exemple, mais en violation avec l’ordre des mots du français). En revanche, si ce n’est pas cette préférence qui guide leur choix, deux possibilités s’offrent à nous : soit ils ne sauront que faire de cette phrase car elle viole les règles syntaxiques françaises et ne montreront pas de préférence (ce comportement soutiendrait alors la présence d’une représentation abstraite de l’ordre des mots, car l’agrammaticalité leur poserait problème), soit ils considèreront que deux noms qui se suivent peuvent refléter un sujet coordonné et créeront une interprétation (S+S)V de la phrase proposée. Ici encore, une approche constructiviste prédirait que les enfants ne sauront pas interpréter ces phrases agrammaticales contenant un pseudo-verbe et se comporteront de la même manière qu’avec les phrases NVN.

IV. PARTIE EXPERIMENTALE 1. Méthode

1.1. Participants

Les participants étaient vingt-cinq enfants âgés de 19 mois et 8 jours à 20 mois et 5 jours (moyenne 19 mois et 23 jours), dont au moins l’un des parents parle français. Cinq enfants ont été exclus de l’étude à cause d’un manque de données enregistrées (pleurs, problème de calibration, problème technique). Pour treize des vingt participants, les parents ont rempli et renvoyé l’Inventaire Français du Développement Communicatif « mots et phrases » (Kern, 2003) ce qui nous a permis de mesurer la taille du lexique expressif : les enfants produisent de 8 à 389 mots (moyenne 95 mots).

1.2. Variables et plan expérimental

Dans cette expérience, nous allons présenter aux participants des items constitués de vidéos de marionnettes réalisant des actions et de phrases orales contenant des pseudo-verbes

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(pour plus de détails quant aux items, se référer à la partie « Matériel » et à la partie

« Procédure »). Ces phrases peuvent être grammaticales (Nom + Pseudo-Verbe + Nom) ou agrammaticales (Nom + Nom + Pseudo-verbe) : ce sera notre première variable indépendante que nous appellerons VI1 « grammaticalité ». Pour chaque phrase expérimentale, deux vidéos seront présentées simultanément. L’une mettant en scène une action dans sa version causative (un personnage, l’agent, réalisant une action sur le second personnage, le patient) et l’autre vidéo mettant en scène la même action dans sa version non causative (chacun des deux personnages réalisant une action sur eux-mêmes). Ces deux types de vidéos constitueront les deux conditions de notre deuxième variable indépendante, VI2 « type d’action ». Nous analyserons le temps de regard sur chaque vidéo : la variable dépendante que nous choisirons sera la proportion de temps de regard vers les deux types de vidéos. On obtient donc le plan expérimental par sujet suivant : Sujet20XGrammaticalité2XType d’action2. Le plan expérimental par item est : Item3(Grammaticalité2)XType d’action2.

Plusieurs facteurs seront contrôlés, pour éviter des biais expérimentaux. La durée des films (7s ou 5s), la durée totale de l’expérience (environ 3 minutes pour conserver l’attention des tout-petits), le côté d’apparition des vidéos (les vidéos présentées simultanément apparaîtront à gauche ou à droite), la fréquence d’apparition des marionnettes (en phase de test, chaque marionnette apparaîtra deux ou trois fois par exemple), l’alternance des deux types de pseudo-verbes, le choix des actions associées aux pseudo-verbes feront partie des variables contrôlées.

1.3. Matériel

1.3.1. Vidéos

Les six marionnettes (un âne, un cheval, un chien, un lion, un mouton et une vache) ont été filmées devant un fond blanc. Nous avons créé deux types de films : des films de 7 secondes, qui serviront à familiariser l’enfant avec les personnages, et des films de 5 secondes qui seront utilisés pendant la phase de test. Les six films de 7 secondes montrent chaque marionnette, seule, de face et de profil selon une séquence de mouvements identiques.

Les films de 5 secondes sont au nombre de seize et montrent deux marionnettes effectuant des actions. Pour notre phase de test, nous avons besoin de deux actions différentes qui seront associées aux deux pseudo-verbes des phrases orales. Nous avons choisi « mettre une passoire sur la tête » et « mettre une couronne sur la tête » car aucun verbe français ne décrit la première et on peut supposer que, pour la seconde, le verbe « couronner » ne fait pas partie

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du vocabulaire de l’enfant de 19 mois. La moitié des seize vidéos utilise l’action

« couronner » et l’autre moitié montre l’action avec la passoire. Pour chaque action, nous avons tourné deux types de films : quatre vidéos avec une utilisation causative de l’action (l’agent couronne le/met une passoire sur la tête du patient) et quatre vidéos avec une utilisation non causative (les agents se couronnent/se mettent la passoire sur la tête).

L’étape du montage permet d’incruster les vidéos sur un fond noir, pour qu’elles apparaissent à gauche et à droite de l’écran. Pour certaines séquences, une seule vidéo apparaît à droite ou à gauche de l’écran noir. Ce montage de « double-films », illustré à la figure 1, conserve la durée des vidéos (5 ou 7 secondes).

Vidéo G (ou noir)

Vidéo D (ou noir)

Figure 1. Montage des vidéos (une ou deux vidéos par séquence montée)

1.3.2. Stimuli audio

Les phrases enregistrées seront présentées auditivement pendant les séquences vidéo.

Elles sont produites par une femme, avec une prosodie variée et un contour intonatif adapté (interrogatif, exclamatif ou affirmatif selon la situation).

Pendant les phases de familiarisation (cf. partie « Procédure »), elles peuvent servir à présenter les personnages (« Oh regarde le lion ! Tu as vu le lion ? C’est le lion ! »), à inciter l’enfant à faire un choix quant au côté qu’il regarde (« Tu as vu le mouton ? Où est le mouton ? ») ou à attirer son attention sur la vidéo (« Regarde ! Qu’est-ce qu’il se passe ? »).

Les phrases expérimentales utilisent les pseudo-verbes « pouner » et « daser », qui respectent les contraintes phonotactiques françaises. Ils seront par la suite respectivement associés à l’action de mettre une passoire sur la tête et de couronner. Pour le pseudo-verbe pouner, les phrases sont grammaticales, de type Nom-Verbe-Nom (par exemple, « Le lion poune le cheval ») et pour le pseudo-verbe daser, elles sont agrammaticales, de type Nom- Nom-Verbe (par exemple, « L’âne le chien dase »). Les vidéos représentant l’action de

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mettre une passoire sur la tête seront donc par la suite associées aux phrases grammaticales utilisant le pseudo-verbe pouner et les vidéos représentant l’action de couronner seront associées aux phrases agrammaticales utilisant le pseudo-verbe daser, afin de ne donner qu’une structure argumentale possible pour chaque pseudo-verbe.

1.4. Procédure

Nous avons utilisé le paradigme expérimental du regard préférentiel intermodal. Les enfants étaient placés sur les genoux de leurs parents, devant un écran muni d’un eye-tracker à infrarouge de type « Tobii » pour mesurer les mouvements oculaires. Afin de ne pas influencer l’enfant, les parents portaient un casque qui leur permettait d’écouter de la musique durant toute la durée de l’expérience. A intervalle régulier (tous les deux ou trois items), nous pouvions présenter à l’enfant une séquence vidéo attractive (générique de début du dessin animé « Télétubbies ») qui avait pour but de recapter son attention si celui-ci était distrait ou lassé des vidéos de test. L’expérience comportait quatre phases, séparées entre elles par une présentation de l’élément attentionnel cité précédemment.

1.4.1. Familiarisation aux personnages

Pour familiariser les participants aux marionnettes, nous avons utilisé les six films de présentation des animaux. Ceux-ci étaient montés un à un sur fond noir (tel que décrit dans la partie « Vidéos ») et le côté d’apparition sur l’écran était contrebalancé. Pour chaque marionnette, la bande audio nommait l’animal de manière répétée (« Oh regarde le lion ! Tu as vu le lion ? C’est le lion ! »). Cette phase durait 42 secondes (six items de 7 secondes) et comprenait un élément attentionnel éventuel placé après trois items.

1.4.2. Familiarisation au regard préférentiel

Cette phase permettait d’habituer l’enfant à regarder deux films présentés simultanément et à faire un choix entre les deux côtés. Les mêmes films que dans la phase de présentation des personnages apparaissaient deux à deux, accompagnés de phrases incitant à regarder un des deux personnages (« Tu as vu le mouton ? Où est le mouton ? »). Pour chaque item, il y avait donc un film cible (le côté d’apparition étant contrebalancé), un film distracteur (l’animal était différent à chaque fois) et un stimulus audio nommant l’animal cible. Cette phase avait la même structure (trois items, un élément attentionnel puis trois items) et donc la même durée que la précédente, soit 42 secondes.

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