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Les paraboles - ou comment annoncer Dieu sans parler de Dieu?

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Les paraboles - ou comment annoncer Dieu sans parler de Dieu?

DETTWILER, Andreas

Abstract

Introduction générale au langage des paraboles du Jésus historique.

DETTWILER, Andreas. Les paraboles - ou comment annoncer Dieu sans parler de Dieu? Cours biblique par correspondance , 2015, p. 1-11

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:97602

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opf Cours Biblique par Correspondance 2015-2016-Première étude Curieuses paraboles - Période du 1"' au 10 octobre 2015

Les paraboles- ou comment annoncer Dieu sans parler de Dieu ?

1. Les paraboles- pourquoi ce langage est-il tellement important pour Jésus?

Jésus de Nazareth n'était pas seulement un prédicateur itinérant qui sillonnait la Galilée et les environs, un guérisseur apparemment talentueux, un poète et un prophète des derniers temps : quelqu'un qui avait le sens de la formule, avec un~ parole incisive, parfois provocatrice et étrange. Les trois premiers évangiles du Nouveau Testament, à savoir les évangiles selon Matthieu (Mt), Marc (Mc) et Luc (Le), contiennent un nombre élevé de petits textes à caractère narratif que nous appelons communément des paraboles. Même si le nombre exact de ces textes varie selon les chercheurs (cela dépend de la définition que l'on adopte du terme parabole), voici une liste qui se base sur un comptage

plutôt prudent : ·

- quatre textes chez Mt, Mc et Le (triple tradition): les paraboles des terrains ensemencés (Mc 4,3-9// - NB: le signe

«Il»

indique qu'au moins un autre évangile contient le même texte), de la graine de moutarde (Mc 4,30-32//), des vignerons homicides (Mc 12,1-12//) et du figuier (Mc 13,28-29//) ;

- deux textes dans Mc seulement : la parabole de la semence qui pousse d'elle-même (Mc 4,26-29) et du maître de maison qui rentre tard (Mc 13,33-37);

- douze textes environ dans Mt et Le (double tradition), dont la parabole des enfants qui jouent (Mt 11,16-19//Lc 7,31-35), les invités au festin (Mt 22,1-14//Lc 14,16-24) ou encore la brebis perdue (Mt 18,12-14//Lc 15,4- 7);

- neuf textes environ dans Mt seulement, dont la parabole du bon grain et de l'ivraie (13,24-20), du débiteur impitoyable (18,21-35) ou encore des ouvriers de la 11e heure (20,1-16);

- dix-sept textes environ dans Le seulement, dont la parabole du bon Samaritain (10,30-37}, du riche insensé (12,16-21), du fils -perdu et retrouvé (15,11-32) ou encore de l'intendant habile (16,1-8).

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- A cela s'ajoute Je fait que Yévangile de Thomas (EvTh) - un texte chrétien ancien datant du 2e siècle ap. J.-C. qui n'a pas été intégré dans le canon du Nouveau Testament- contient non seulement seize paraboles que nous trouvons également dans les évangiles dits synoptiques (Mt, Mc et Le), mais huit autres textes à c.aractère parabolique qui ne se trouvent nulle part ailleurs.

Cela fait au minimum 44 textes au total à caractère parabolique (sans cpmpter les textes qui se trouvent dans des écrits chrétiens en dehors du Nouveau Testament, comme par exemple l'évangile de Thomas). C'est un chiffre très important, vu la longueur relativement limitée des trois évangiles synoptiques du Nouveau Testament. A cela s'ajoute le fait que ces textes apparaissent dans toutes leurs traditions textuelles, comme le montre la liste : triple tradition (Mt, Mc, Le), double tradition (Mt et Le), biens propres à Mc, à Mt et à Le. Ces traditions narratives sur Jésus constituent ainsi une mémoire importante et précieuse de l'homme de Nazareth.

Pourquoi cette passion du Nazaréen pour le langage en parabole ? Les raisons en sont multiples. La première réponse à donner est d'ordre culturel. Jésus appartient à la culture méditerranéenne de YAntiquité, plus précisément à la tradition du judaïsme palestinien du Proche-Orient. Transmettre un message, essayer de convaincre le public du bien-fondé de ses opinions en se servant constamment des comparaisons, des proverbes, des paroles-images

èl

des paraboles fait partie intégrante de l'art de communiquer. N'oublions pas non.

plus que nous avons ici affaire à une culture orale. Le savoir ne se transmet pas par de longs traités écrits à caractère philosophique ou théologique, mais par une culture de la transmission orale. Les paroles doivent être brèves, évocatrices et incisives pour laisser une empreinte auprès des destinataires et pour être mémorisées facilement.

Les textes des évangiles ne font pas exception. Ils sont truffés de traits d'oralité. Les textes narratifs, à savoir les paraboles, mais aussi les récits de controverse, de guérison, et d'autres, laissent de côté tout ce qui est superflu.

Ils contiennent une intrigue simple, un cadre spatio-temporel limité au strict minimum et une description des personnages assez stéréotypée, facile à mémoriser. Nous en tirons une première conclusion pour notre parcours de lecture: tous les détails du récit comptent, rien n'est superflu! Nous sommes invités à ralentir notre lecture, à aiguiser notre regard et à être attentifs aux détails. Mais ne cherchons pas,.trop vite un « message » abstrait en dehors de ces microcosmes narratifs ! Le « message

»

devient perceptible uniquement à condition de respecter le « monde du récit» que le texte déploie devant nous.

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Cette dimension culturelle, bien qu'elle soit importante, n'explique pas tout. La raison fondamentale de la passion de l'homme de Nazareth pour le langage en paraboles est en lien étroit avec ses convictions les plus profondes. Jésus est intimement convaincu que le Règne de Dieu est en train d'advenir « ici et maintenant », que Dieu se fait proche des ·humains et que les traces de cette proximité libératrice sont déjà perceptibles à travers ses paroles et son agir. Ses actes symboliques - ses repas communautaires avec les « collecteurs d'impôts », ses guérisons, etc. - en témoignent, tout comme ses paroles (les béatitud~, ne pas se soucier du lendemain, etc.) qui, sous l'horizon de la venue de Dieu, invitent à revoir la réalité existante sous une nouvelle lumière. C'est dans ce cadre qu'il convient de comprendre les paraboles. On ne saurait donc réduire les paraboles de Jésus à quelques récits plus ou moins amusants ou provocateurs pour divertir le public et proposer une morale à l'histoire. On ne saurait non plus les réduire à un langage purement didactique ou illustratif qui aurait pour but de renforcer un savoir (moral ou religieux) que nous connaîtrions déjà au préalable. Non, l'ambition des paraboles de Jésus est autre, elle va plus loin. Jésus, par le biais du langage en paraboles, ne transmet pas une vérité sur le Règne (ou le Royaume), mais tente de faire advenir le Règne de Dieu dans

et

par le biais du récit parabolique en tant que tel.

Autrement dit: dans l'écoute et la compréhension des paraboles, la venue de Dieu se fait événement. Les études suivantes le montreront.

2. Qu'est-ce qu'une parabole

?

Le mot « parabole » vient du terme grec parabolè dont le verbe grec paraballein signifie « placer ou jeter (l'un) à côté (de l'autre)», d'où

«juxtaposer», puis au sens figuratif« comparer». Dans la tradition rhétorique grecque (l'art de la persuasion), le mot «parabole» devient un terme technique qui désigne une forme narrative procédant par juxtaposition de deux phénomènes ou d'événements qui sont dans un rapport de similitude, le but étant de clarifier l'inconnu par le connu. Dans la Bible grecque (communément appelée La Septante)- texte d'autorité non seulement pour les juifs de langue grecque, mais aussi pour les premiers chrétiens -, le terme « parabole » apparaît souvent. Dans la majorité des cas, il est la traduction du terme hébreu mashal. Le terme hébreu contient un champ de significations très large : il peut signifier une simple affirmation, une énigme, une allégorie, un oracle, une fable, un proverbe, etc. Il ne nous aide donc pas beaucoup à comprendre le genre littéraire spécifique de. la parabole. Au lieu de nous concentrer sur l'utilisation du terme « parabole » dans la littérature antique (le Nouveau

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Testament inclus), essayons donc plutôt de comprendre le phénomène en tant quetel.

Ruben Zimmermann a proposé en 2007 une définition très condensée et bien utile qui contient six éléments distinctifs : « Une parabole est un bref texte à caractère narratif (1) et fictionnel (2} qui se réfère dans le monde du récit à une réalité connue (3}, mais qui [ ... ] donne à comprendre que la signification de la narration doit être distinguée de la formulation du texte [dimension métaphorique du texte] (4). A travers sa structure appellative {5}, il invite le lecteur, la lectrice à réaliser un transfert de signification métaphorique [ ... ] (6) » (2007, p. 25).

Tout d'abord, la parabole est un récit à caractère fictionnel. Il transmet donc son message non pas par un discours argumenté, mais en racontant une courte histoire. L'histoire dont il est question est inventée, elle est de l'ordre de la fiction. L'histoire sollicite donc l'imagination de l'auditoire, faisant appel à sa créativité et lui permettant de prendre distance par rapport à la réalité.

Pourtant, Je matériau du récit relève sans exception du monde connu de J'auditoire (élément 3 de la définition). Aucun trait de la narration ne dépasse Je monde des humains. Il n'est pas question d'entités surnaturelles (anges ou démons), ni d'animaux qui commencent à parler (comme c'est le cas dans les fables). Nous reviendrons sur Je caractère réaliste des paraboles de Jésus au point quatre.

Pourtant, tout récit n'est pas encore une parabole! Pour qu'il y ait parabole, il ~

faut que J'auditoire soit invité à mettre en relation l'histoire racontée avec une·

autre dimension. Cette autre dimension est, dans le cas des paraboles de Jésus, J'avènement du Règne de Dieu. Ou pour Je dire dans le langage un peu technique de Zimmermann : J'auditoire doit être invité, à travers la lecture attentive de la parabole, à réaliser ùn << transfert de signification métaphorique » (élément 6 de la définition). Nous sommes donc ici dans Je domaine du langage indirect; la parabole << constitue un langage indirect, qui n'est ni scientifique ni philosophique

l--1

parler en paraboles, ce n'est pas simplement dire ou raconter une histoire, c'est la raconter de façon à faire comprendre qu'on parle d'autre chose en racontant cette histoire-là»

(Delorme et Thériault 2012, p. 11). Il est important de voir que ce transfert de signification « n'affecte pas telle ou telle partie de l'histoire mais le récit pris comme un tout, et qui devient de cette manière une fiction capable de redécrire la vie » (Ricœur 2005, p. 201).

Mais quels sont les signaux textuels qui permettent à J'auditoire de changer de niveau de signification? Ils sont multiples. L'élément le plus explicite est la formule introductive qui se trouve au seuil de plusieurs paraboles : « A quoi

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allons-nous comparer le Règne de Dieu ? », ou : « Il en va du Règne de Dieu comme ... » (Mt 13,24; etc.), ou encore: « Le Règne du Père est semblable à ... » (EvTh 57; etc.). Dès le début, le lecteur est invité à mettre en relation la totalité J'histoire qui va suivre avec le « Règne de Dieu ».

3. Parabole, allégorie, allégorisation

Jusqu'à l'époque moderne, les paraboles ont été presque systématiquement lues et comprises comme des allégories. C'est seulement grâce aux travaux d'un certain Adolf Jülicher (1857-1938, son œuvre majeure sur les paraboles de Jésus fut publiée entre 1886 et 1899) que les choses ont changé et que J'on a commencé à distinguer entre parabole et allégorie.

De quoi s'agit-il et comment comprendre Je phénomène de l'allégorie? Le terme vient d'un verbe grec qui signifie << parler (ou dire) autre(ment) ».

Quelque chose est dit et autre chose est signifié en même temps. Dans le cas de J'allégorie, virtuellement tous les traits narratifs (personnages, événements, etc.) doivent être << décodés » puisqu'ils pointent, chacun en soi, vers une autre réalité qui se cache derrière le premier niveau de signification du texte. Le lecte.ur est donc invité à quitter relativement rapidement ce premier niveau pour rejoindre un « arrière-sens » qui constitue Je << vrai sens » du récit.

L'allégorie (ou parabole allégorisée) du bon grain et de l'ivraie (Mt 13,24-30) en est une bonne illustration parce que le texte lui-même nous offre l'explication allégorique du récit (Mt 13,36-43), dans un enseignement à part adressé aux seuls disciples : Je semeur = le Fils de l'homme; Je champ = le monde; etc. Des exemples d'une communication indirecte en mode allégorique dans la littérature moderne existent : La peste d'Albert Camus (1947) dénonce en filigrane l'idéologie nazi des années trente et quarante du 20e siècle, tandis que le tout aussi célèbre récit Animal Farm de George Orwell (1945} se moque du totalitarisme stalinien de la même époque.

En revisitant les paraboles de Jésus dans cette perspective, nous constatons que quelques paraboles ont résisté à une lecture allégorisante. C'est par exemple le cas de la semence qui pousse d'elle-même (Mc 4,26~29) que nous discuterons lors de la deuxième étude. En fait, il est très difficile de faire entrer ce petit texte dans un modèle de lecture allégorique. Mais il est vrai aussi que la majorité des paraboles de Jésus ont été - tôt ou tard lors de leur processus de transmission- relues et interprétées en tant qu'allégories. Nous avons donc ici affaire à un phénomène d' allégorisation secondaire.

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A mentionner encore que seulement deux textes à caractère parabolique des évangiles canoniques sont des

allégories explicites,

à savoir des textes qui sont suivis d'un texte explicatif qui fournit la « solution allégorique » : la parabole des terrains ensemencés {Mc 4,3-9, puis l'explication allégorique aux v.l3-20) et celle du bon grain et de l'ivraie que nous venons de mentionner. Toutes les autres paraboles contiennent ici ou là des éléments textuels qui nous invitent à penser que nous avons affaire à un

processus d'allégorisation.

Selon les textes, ce processus est plus ou moins fortement développé et donc plus ou moins difficile à identifier. Le cas extrême est la parabole des invités au festin qui, au sein du Nouveau Testament, nous est transmise en deux versions très différentes. Nous verrons dans l'étude quatre que la version lucanienne (Le 14,16-24) peut très bien être comprise comme parabole, tandis que la version matthéenne {Mt 22,1-14) reste totalement incompréhensible si on la comprend uniquement comme parabole ! Dans ce cas, une lecture allégorique s'avère nécessaire pour bien comprendre le sens du texte.

4. la prise au sérieux du monde ordinaire

Revenons à l'originalité des paraboles de Jésus et essayons d'en comprendre plus en détail le fonctionnement et les enjeux. La force de persuasion des paraboles naît du fait qu'elles nous confrontent à la tension

entre le rée4et le possible,

entre le monde ordinaire, familier et bien connu et un monde jusqu'à présent inconnu, surprenant, extravagant. Commençons avec le premier trait constitutif, à savoir le

caractère réaliste

des paraboles (nous l'avons déjà évoqué brièvement) et ce que nous pourrions appeler son

intelligibilité

naturelle. ·

Le récit parabolique s'inscrit dans le monde bien familier (principalement agricole) de l'époque: un homme qui travaille son champ; un repas festif avec beaucoup d'invités; quelqu'un de terriblement endetté; des ouvriers qui, très tôt le matin, attendent un maître sur la place publique du village dans l'espoir d'être engagés au moins pour un jour; un fils qui réclame sa part d'héritage déjà du vivant de son père, puis s'en va. Et ainsi de suite. Certes, la suite des récits réserve des surprises et incite l'auditoire à changer de perspective. Mais insistons sur le côté réaliste des récits : à aucun moment, le récit n'invite son auditoire à quitter son monde pour adhérer à un autre qui serait humainement totalement inaccessible. De ce point de vue, la parabole doit être distinguée d'autres genres littéraires, comme par exemple celui du mythe, du conte de fée ou de la fable.

C'est dans ce monde-ci et non

pas

dans un autre que le Règne de Dieu s'approche.

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S'y ajoute un autre point, tout aussi important. Le langage parabolique de Jésus possède

sa propre intelligibilité.

Sa configuration narrative est en principe compréhensible en tant que telle. Il ne s'agit pas d'un langage pour un petit cercle d'initiés qui présupposerait un savoir ésotérique, une clef d'interprétation quelque peu mystérieuse pour déchiffrer le sens du texte.

Formulé autrement: il n'existe pas de conditions préalables spécifiques à remplir pour pouvoir comprendre les paraboles. L'acte de compréhension en matière de parabole est un acte indépendant de toute prédisposition particulière, que ce soit un niveau social ou culturel particulier de la part du lectorat, une conviction religieuse spécifique, ou autre.

S. Quand apparaissent des fissures dans le monde ordinaire

Tout à coup, au sein du monde ordinaire et bien connu, des choses étranges et imprévisibles se passent. Quel est l'effet de ces traits extravagants sur le lecteur? Nous en voyons deux. D'une part, le texte permet au lecteur de

découvrir une autre réalité,

un autre comportement possible, une nouvelle

« possibilité d'exister». Encore une fois : ces traits paraboliques se situent sans exception dans le cadre de l'humainement possible. Mais ils sont toujours si extravagants que l'auditoire est amené à se demander: «comment? c'est étonnant, voire incroyable ! Pourtant, nous aurions pu nous imaginer que ça puisse exister ... ». D'autre part, le surgissement de l'imprévu crée un

effet de distanciation

par rapport au monde familier et bien connu. Cet effet de distanciation met en question l'image habituelle que le lecteur a du monde et de lui-même. L'effet de déplacement de la perspective, puis souvent de mise en question du monde familier, est un trait récurrent des paraboles.

L'expérience de la parabole permet de jeter un nouveau regard sur la réalité, un regard plus aiguisé. Paul Ricœur a parlé de «

réorientation par désorientation

» du lecteur dans sa perception du monde, de lui-même et de Dieu (2005, p. 262-265).

Illustrons brièvement cet aspect central par quelques exemples.

- La parabole des invités au festin (cf. étude 4): on s'attend à ce que les invités s'excusent à temps et, en cas d'absence de la majorité d'entre eux, que le repas soit annulé. Le récit parabolique prend pourtant une tournure imprévue: le maître de maison change ies critères d'invitation et s'adresse à d'aUtres totalement inconnus. Ce qui surprend ainsi l'auditoire, c'~st à la fois le comportement des premiers invités et celui du maître de maison.

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- La parabole du

débiteur impitoyable

(cf. étude 5): l'attitude normale entre.

partenaires du monde économique, c'est de payer les dettes. Pourtant, de manière imprévue, le roi remet les dettes du serviteur, attitude d'autant plus étonnante que la somme en question est tout simplement énorme. C'est précisément cette attitude extravagante initiale du roi qui invite l'auditoire à évaluer J'attitude subséquente du serviteur à l'égard de son débiteur- une attitude d'ailleurs tout à fait plausible et << normale » dans le contexte de l'époque- de manière très critique.

- La parabole des

ouvriers de la onzième heure

(cf. étude 6) : on s'attend à ce que le montant du salaire se mesure en proportion des heures de travail;

l'auditoire est donc surpris de voir que le maître de maison paie la même somme à tous les ouvriers, indépendamment du principe élémentaire de proportionnalité. Ce comportement étrange du maître de maison provoque la protestation de ceux qui ont travaillé toute la journée et déclenche une réflexion sur la « bonté » du maître.

- La parabole du

fils perdu et retrouvé

(cf. étude 10): on considère habituellement que celui qui s'est comporté de manière insensée doit en subir les conséquences ; un principe important de plusieurs traditions religieuses du Proche-Orient ancien stipule que chacun subit les conséquences de ses actes. Le récit parabolique de Le 15 met en question ce rapport, puisque la figure narrative du père n'agit pas conformément aux attentes. JI n'est donc pas surprenant que ce comportement extravagant provoque la résistance de l'aîné.

6. Comment parler de Dieu au sein du monde profane

?

Le langage des paraboles, comme acte de communication indirecte, est

un langage profane.

Son cadre de compréhension- initial chez Jésus, puis repris et explicité ultérieurement par les évangiles- est certes << religieux » puisque le langage parabolique s'inscrit dans le cadre de l'attente de la venue du Règne de Dieu. L'originalité et la force de persuasion de ce langage résident précisément dans Je fait qu'il ne se sert pas d'un vocabulaire explicitement religieux pour annoncer Dieu, et même pour faire advenir Dieu au sein de la réalité humaine.

Autrement dit, il ne veut pas amener l'auditoire vers un ailleurs ou un << au- delà» encore inconnu et donc l'éloigner de ses expériences de vie ici et maintenant. Sa dynamique est inverse : le langage des paraboles inscrit J'expérience de la proximité dé Dieu - une proximité à la fois critique et salvatrice-, au sein même de la vie concrète de ses destinataires. Le champ de

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l'expérience religieuse n'est pas un monde autre, un monde métaphysique ou spirituel, mais précisément ce monde-ci. Le caractère

profane

de ce langage exprime adéquatement l'expérience du

sacré

dont témoigne la tradition relative à Jésus de Nazareth, à savoir l'événement de la venue de Dieu au sein de l'humanité.

7. Pourquoi expliquer une parabole

?

Abordons une dernière question. Une parabole a-t-elle besoin d'être explicitée et commentée ? Evidemment que oui, dirions-nous ! Mais, en la soumettant à un travail exégétique, ne détruisons-nous pas précisément ce qu'elle est censée produire comme effet sur le lecteur ? Ne comporte-t-elle pas en elle- même les conditions de sa compréhension de sorte que tout travail d'analyse deviendrait insignifiant, voire contre-productif?

Méfions-nous des réponses hâtives. Dans un premier temps, la

nécessité d'un travail d'interprétation

des paraboles semble évidente. Les paraboles de Jésus s'inscrivent dans la tradition rurale du judaïsme palestinien de l'époque, qui n'est, en partie en tout cas, plus totalement compréhensible pour le lecteur moderne. Un travail de reconstruction socio-culturel au sens large est donc bienvenu, voire nécessaire. Il permet de mieux comprendre tel ou tel trait narratif, pour identifier avec plus de précision les fameux traits

<< extravagants » des paraboles ou encore pour préserver le récit de possibles surinterprétations ou contresens.

Le travail de l'exégète consiste ainsi à jouer le rôle de

l'avocat

qui, en resituant la parabole dans le contexte socio-culturel de l'époque, permet de mieux l'entendre et la comprendre. Ensuite, il s'agit de décrire avec soin la construction du récit. Ici, les outils mis à disposition par l'analyse narrative sont d'une aide importante pour aiguiser notre regard. Il convient d'être attentif au cadre spatio-temporel, à la construction des personnages narratifs et à leur interaction, à l'intrigue (ou à la trame) du récit, etc. Ce travail d'analyse met en avant le «monde du récit», monde qu'il s'agit de respecter aussi longtemps que possible comme entité en soi et de ne pas le confondre avec le << monde historique ». Analyse narrative et travail de reconstruction du monde socio- historique vont de pair pour comprendre les paraboles avec plus d'acuité et de profondeur.

Ceci dit, dans la recherche contemporaine sur les paraboles et notamment à la suite de Paul Ricœur (2005, p. 217), nous sommes devenus plus attentifs à la

dimension poétique

des paraboles. Qui dit poétique dit non seulement

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pluralité et (relative) indétermination du sens, mais aussi sollicitation de l'imagination du lecteur. Encore une fois, la parabole n'est pas un simple outil didactique dont le contenu pourrait être formulé par un langage totalement différent. Là aussi, forme et contenu vont ensemble. Autrement dit, la forme du langage parabolique est intimement liée au contenu (ou à son« message»), à savoir l'avènement du Règne de Dieu, compris comme événement qui surprend. la parabole contient donc une dimension intraduisible et un potentiel de sens inépuisable. En effet, vouloir transposer le récit parabolique en un autre mode de langage - par exemple celui du commentaire exégétique - relève non seulement de l'impossible, mais risque de détruire l'effet recherché par la parabole. la différence entre la parabole et son interprétation est irréductible.

L'interprétation limite toujours la richesse de sens des paraboles. Jean Delorme (1989) a insisté avec perspicacité sur ce problème: « Récit-parabole et interprétation ne sont pas en rapport d'équivalence statique et la seconde ne peut se substituer au premier » (p. 137). « Plutôt que de tirer du récit-parabole une uleçonn qui dispense de la relire, il convient de lui laisser le pouvoir et le temps d'interroger et d'éveiller l'auditeur ou le lecteur» (p.138). La parabole

« entretient toujours quelque inadéquation entre ce qu'elle raconte et ce qu'on lui fait dire en l'interprétant. Elle maintient sa capacité de faire sens autrement, même dans le cadre que les rédactions évangéliques lui donnent ou que les restitutions historico-littéraires lui prêtent » (p. 150). "'i

Deux lectures pour accompagner le cours :

DELORME, Jean, THERIAULT Jean-Yves, Pour lire les paraboles (Lectio divina 254), Paris

1

Montréal, Cerf

1

Médiaspaul, 2012

GETTY-SULUVAN, Mary Ann, Les paraboles du Royaume. Jésus et le rôle des paraboles dans la tradition synoptique (Ure la Bible 165), traduit de l'anglais par Jean-Bernard Degorce, Paris, Cerf, 2010

Pour aller plus loin :

DELORME, Jean, « Récit, parole et parabole», in: Les paraboles évangéliques.

Perspectives nouvelles. Xtf congrès de I'ACFEB, Lyon (1987) (Lectio divina 135), Jean Delorme (éd.), Paris, Cerf, 1989, p.123-150

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Kompendium der Gleichnisse Jesu, Ruben ZIMMERMANN (éd.), en collaboration avec Detlev Dormeyer, Gabi Kern, Annette Merz, Christian Münch, Enno Edzard Popkes, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 2007

MARGUERAT, Daniel, Parabole (cahiers Evangiles 75), Paris, Cerf, 1991

RICŒUR, Paul, L'herméneutique biblique, présentation et traduction par François-Xavier Amherdt, Paris, Cerf, 2005, p. 147-255 (première publication en anglais en 1975)

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