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La Faculté de théologie: un anniversaire en mutation

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La Faculté de théologie: un anniversaire en mutation

GRANDJEAN, Michel

Abstract

Les grandes lignes de l'histoire récente de la Faculté autonome de théologie protestante (FT) de l'UNIGE (1959-2009). Les années 1970 apparaissent comme un tournant important, avec la création de l'Institut d'histoire de la Réformation (1968), la mise en réseau des Facultés de théologie protestante de Suisse romande (1973) et les débats, qui ont finalement fait long feu, en vue d'une réintégration à part entière de la FT au sein de l'Université.

GRANDJEAN, Michel. La Faculté de théologie: un anniversaire en mutation. In: Aubert, G.

Regards sur l'Université de Genève. Genève : Slatkine, 2009. p. 137-149

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:73180

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REGARDS

SUR

L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE

Contributions réunies par

GABRIEL AUBERT

Éditions Slatkine

GENÈVE 2009

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LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE : UN ANNIVERSAIRE EN MUTATION Michel GRANDJEAN

professeur à la faculté de théologie

1959 : la stabilité de la théologie

En 1959, l'Université célébrait avec ferveur les quatre premiers siècles de son existence. Marchait à la tête du cortège officielle recteur d'alors, le théologien Jaques Courvoisier, qui avait été choisi sans doute en raison de ses qualités d'homme et d'universitaire, mais surtout (disait-il lui-même avec humilité) parce qu'avec sa personne l'Université honorait sa faculté fondatrice. Courvoisier incarnait à la fois la permanence institutionnelle de la théologie au sein de l'l]niversité et sa stabilité scientifique. C'est à lui qu'on doit ces lignes qui, un demi-siècle plus tard, paraissent contenir leur propre réfutation :

·La ·Faculté de Théologie, de par sa nature même, a des enseignements stables qui, du plus au moins sont toujours les mêmes. Si l'on entend par théologie le lien qui unit la révélation de Dieu, telle qu'elle s'atteste dans l'Ecriture sainte, et l'homme ; si l'on voit en elle une fonction essentielle·

de l'Eglise qui se manifeste dans le témoignage chrétien, et d'une manière particulière dans la prédication, on concevra que ses différentes disciplines soient toujours les mêmes, au travers des âges, et que seule la manière de les envisager et de les traiter varie selon les écoles. Dans toute Faculté de Théologie digne de ce nom, il y a nécessairement des chaires d'Ancien Testament, de Nouveau Testament, de Systématique, d'histoire de l'Eglise et enfin de Théologie pratkr.ue, les chaires s'ajoutant ne pouvant que préciser, selon les moments, tel ou tel aspect des cinq premières1

1 Jaques Courvoisier, « La Faculté de Théologie de 1914 à 1956 », dans Histoire de l'Université de Genève, t. 4, Annexes, 1914-1956, Genève, Georg, 1959, p. 293 (cf Marco Marcacci, Histoire de l'Université de Genève. 1559-1986, Genève, Université de Genève, 1987, p. 220s).

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L'évidence d'alors - nature quasiment hypostasiée d'une faculté de théologie, immuabilité des enseignements - s'est progressivement effondrée au point que presque plus rien ne demeure aujourd'hui de cette profession de foi universitaire, toute marquée du sceau de la pensée barthienne.

Des chaires d'Ancien et de Nouveau Testament ? Les progrès de la critique textuelle, la mise en contexte des corpus, le renouvellement des approches historiques et littéraires rendent aujourd'hui problématique la définition même d'un Ancien et d'un Nouveau Testament. En d'autres termes, la question se pose de savoir dans quelle mesure une chaire peut encore recevoir sa délimitation d'une définition promulguée par une ii;tstance ecclésiastique (le canon, soit la table des matières de l'Ancien ou du Nouveau Testament, ne se trouve précisément pas dans le corpus biblique, mais provient de décisions externes, susceptibles de constituer autant d'objets d'enquête historique). A cet égard, la publication, la traduction et l'étude d'écrits dits, par commodité, apocryphes, témoigne d'une compréhension renouvelée des sciences bibliques, dont quelques figures de la Faculté de théologie de Genève (on pense à un François Bovon ou à un Enrico Norelli) auront été des acteurs de premier plan.

Une chaire de théologie systématique ? Certes, et c'est peu dire qu'elle fut illustrée, dans la période envisagée, par un Gabriel Widmer, que nombre de ses anciens étudiants, qu'ils soient ou non devenus pasteurs, considèrent comme un maître. Mais la définition qu'en donnait Courvoi- sier ne tient plus aujourd'hui, en une génération où s'expriment, animés tantôt par la nostalgie, tantôt par la volonté de répondre aux mutations du temps,<< les derniers témoins d'une certaine façon d'être chrétiens >>et où le caractère confessionnel de la théologie, enracinée dans une identité croyante, est parfois remis en cause2A Genève, vers la fin des années 1980, cette chaire s'est vu adjoindre une chaire d'éthique théologique, à laquelle son premier titulaire, Eric Fuchs, aura conféré une dimension de premier plan, en une époque où l'éthique n'avait pas encore dans les

2 La formule citée est de Jean-Marie Tillard (cf Bernard Rordorf, ~<L'enseignement de la théologie à l'Université : quelques enjeux actuels », dans Bulletin du Centre protestant d'études, 58/6 (2006), p. 5). Sur la remise en cause de la dimension confessionnelle de la théologie, cf Pierre Gisel, La théologie, P~s. PUF, 2007, pour qui la théologie doit rendre compte de l'humain en fonction du rapport à ce qui le dépasse (Dieu, les dieux, l'absolu ou l'absence de Dieu), non en appeler à un message révélé ou même à la vérité d'un Dieu.

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LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE: UN ANNIVERSAIRE EN MUTATION 139

autres facultés (en médecine notamment) la place qui est maintenant la sienne. Plus récemment (2004), une autre chaire est également issue de la théologie systématique, la théologie œcuménique et le dialogue interreli- gieux ; projetée depuis longtemps et créée au terme d'une réflexion approfondie sur le rôle spécifique de Genève en la matière, son avenir paraît pourtant incertain à l'heure où sont écrites ces lignes.

Une chaire d'histoire de l'Eglise ? Là encore, on peine à en discerner la permanence. L'historien rappellera que cette chaire ne fut créée à Genève qu'à la toute fin du XVII' siècle. En outre, les Facultés de théologie d'enracinement protestant préfèrent désormais parler d'histoire du christianisme (c'est le cas à Genève depuis Olivier Patio, qui fut le brillant successeur de Courvoisier) plutôt que d'histoire de l'Eglise, ne serait-ce que pour rappeler que l'Evangile n'a pas seulement donné naissance à une Eglise, mais qu'il a aussi contribué à dessiner des civilisations, et que l'étude d'une institution - fût-elle bimillénaire - ne peut pas rendre compte du donné chrétien dans son ensemble.

Une chaire, enfin, de théologie pratique ? Las ! Si le recteur de 1959 revenait aujourd'hui, il n'en trouverait tout simplement plus dans sa faculté. Synergie romande aidant, la théologie pratique, bénéficiaire (ou victime ?) de l'un de ces mécanismes de délocalisation dont notre époque a le secret, a été confiée depuis cinq ans à la Faculté de· théologie de Neuchâtel. A moins d'un renversement de la situation, Henry Mottn aura donc été le dernier professeur de théologie pratique à Genève.

L'image de stabilité qui régnait il y a cinquante ans fut ébranlée dans les années 1960 déjà. Dès 1967, et bien sûr au printemps de 1968, quand les étudiants de toute l'Université contestent l'institution, plusieurs théolo- giens comptent parmi les meneurs. C'est l'époque où les séminaires d'exégèse se donnent par exemple dans les bistrots enfumés de Plain pa- lais. Par la suite, la Faculté de théologie, changeant rapidement de visage, va se caractériser par la diversification croissante de ses publics, que n'habite plus dans la même proportion que jadis la vocation pastorale : aux étudiantes et étudiants de l'Institut œcuménique de Bossey vont s'ajouter ceux qui proviennent d'autres facultés et suivent, dans le cadre de leur propre plan d'études, tel enseignement donné en théologie (notamment l'hébreu ou la psychologie de la religion), ainsi que, depuis 1998, ceux qui reçoivent une formation à distance par Internet, ou encore les étudiants de l'Institut d'études supérieures en théologie orthodoxe de Chambésy ...

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Les pages qui suivent n'ont pas pour dessein de retracer l'histoire du dernier demi-siècle de la Faculté. Cela étant dit, si l'on tente de prendre quelque recul, une période charnière, le tournant des années 1970, parait devoir être marquée d'une pierre blanche : 1968 voit en effet naître l'Institut d'histoire de la Réformation, 1973 se constituer le réseau des facultés de théologie de Suisse romande, enfin toutes ces années sont marquées par des débats sur la place de la Faculté au sein de l'Université.

Le rappel de ces trois éléments va permettre d'évoquer la Faculté d'aujourd'hui, et pent-être aussi celle de demain.

1968 : la création de l'Institut d'histoire de la Réfonnation

Humble faire-part de naissance, que ces lignes de la Revue de théologie et de philosophie de 1972 :

En 1968, la Faculté de théologie de Genève s'est proposé d'organiser un enseignement de troisième cycle d1histoire de l'Eglise et des doctrines chrétiennes du XV" au XVIII" siècle. A la même époque, un groupe de chercheurs attachés au Musée historique de la Réformation, et travaillant pour la plupart avec l'aide du Fonds national suisse de la recherche scientifique, s'est préoccupé de donner plus de continuité et plus d'exten- sion aux travaux poursuivis au Musée. C'est à ce double vœu qu'arépondu la fondation d'un Institut d'histoire de la Réformation.

Structure tout informelle en ses débuts, hébergée dans une pièce obscure et poussiéreuse que la Bibliothèque publique avait mise à la disposition du Musée historique de la Réformation, l'Institut d'histoire de la Réformation s'est rapidement construit une réputation que les années n'ontjamais démentie: travaux d'édition de textes dont la liste couvrirait plusieurs pages, études d'histoire de l'exégèse qui font autorité, colloques où les chercheurs d'Europe et d'Amérique s'honorent d'être invités à présenter leurs travaux. Incapable d'assurer la pérennité de l'Institut, la Faculté s'est rapidement tournée vers l'Université, qui a défini en 1973 la nouvelle entité en tant que centre travaillant en lien avec les Facultés des lettres et de théologie, et qui en assume depuis lors le budget. Si le fondateur et premier directeur de l'Institut, Pierre Fraenkel, n'était à l'origine qu'un simple chargé de recherches et s'il n'était quasiment secondé que par un maître-assistant ou une maître-assistante, l'Institut a progressivement accru ses ressources, jusqu'à comprendre aujourd'hui trois professeurs, dont les compétences, reconnues loin à la ronde,

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LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE : UN ANNIVERSAIRE EN MUTATION 141 couvrent largement l'histoire religieuse et cnltnrelle des XVI", XVII" et XVIII' siècles. Tout en assumant régulièrement un certain nombre de tâches d'enseignement de base, tant pour la théologie que pour les lettres, l'équipe de l'Institut d'histoire de la Réformation a surtout dans son cahier des charges •une responsabilité au niveau de la recherche et de la formation post-grade.

Dans l'actuelle reconfiguration du paysage universitaire, remodelé d'un côté par la loi sur l'Université de 2008, de l'autre par les transformations en cours des Facultés de théologie de Suisse romande dont il va être question plus loin, l'un des enjeux cruciaux sera vraisemblablement de garantir à l'Institut sa place en tant que centre de recherche de pointe.

Tant il est vrai que ce laboratoire, unique en son genre dans le domaine des sciences humaines, contribue bien davantage qu'on ne le croit souvent au rayonnement international de l'Université de Genève.

1973 : la mise en réseau des facultés romandes

A une époque où il n'était pas rare qu'un professeur de Genève ignorât encore le nom de son homologue vaudois, les trois Facultés de théologie protestante de Suisse romande, Genève, Lausanne et Neuchâtel, signaient en 1973 une convention de collaboration. Elles s'engageaient, sans doute encore timidement, à se consulter pour toute nomination de professeur et à harmoniser les cursus d'études. Durant une trentaine d'années, cette convention, qui fut deux fois revue, a régi les rapports entre les trois facultés : leurs doyens se réunissaient régulièrement, des discussions s'ouvraient lors de chaque vacance de poste, des dispositions communes étaient adoptées pour la reconnaissance des titres obtenus à l'extérieur, des Instituts de recherche à dimension romande étaient mis en place3

Dans les années 1990 pourtant, divers signaux commencent à alerter les facultés de théologie. Le nombre de leurs étudiantes et étudiants reste stationnaire, tandis que l'effectif global de l'Université connaît parallèle- ment. une croissance spectaculaire. On chuchote dans les couloirs qu'il ne sera probablement pas possible de maintenir indéfiniment trois institutions

3 Furent fondéS l'Institut romand des sciences bibliques (Lausanne), l'Institut romand de pastorale (Lausanne), l'Institut romand d'her!T!éneutique et de systématique (Neuchâtel), l'Institut romand d'éthique (Genève). L'inauguration de ce dernier, en 1996, fut marquée par une conférence de l'ancien premier ministre français Michel Rocard. De ces instituts, seul demeure aujourd'hui dans sa forme originelle celui des sciences bibliques.

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aux buts équivalents, chacune de taille modeste au regard des autres facultés, dans un périmètre aussi étroit que les cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel - sans compter la Faculté catholique de Fribourg. Les plus avisés d'entre les professeurs ne craignent pas d'attirer l'attention de leurs collègues sur le fait que les Facultés de théologie, aux taux d'encadrement exceptionnels (trop peu d'étudiants pour trop d'enseignants), vont être de plus en plus considérées comme des anomalies. Et ces Cassandre d'exhor- ter les Facultés à prendre les devants en proposant, avant qu'·on ne la leur impose d'en haut, une meilleure organisation des tâches. Les années 1990 consacrent, hélas, l'échec des idées simples : redistribuer l'enseignement en passant de trois à deux professeurs par discipline ; créer une seule faculté, dotée d'un unique doyen mais dispensant des cours sur les trois sites ; profiler les trois institutions de façon plus nette, avec une Faculté de théologie à Genève, une Faculté de sciences des religions à Lausanne, une Haute Ecole pastorale à Neuchâtel4

Fin 2000, les doyens des Facultés de Genève, Lausanne et Neuchâtel recevaient un mandat signé conjointement de leurs trois recteurs. Désireux de donner aux Facultés de théologie les moyens de << bénéficier d'un avenir à la mesure de leur passé », mais constatant, en termes choisis, que

<< le seuil critique pourrait ne pas toujours être atteint >>, les recteurs demandaient qu'on leur propose diverses <<mesures restructurantes >>. Ce courrier inaugurait la période des mandats successifs, des commissions, des rapports, des conversations secrètes ou publiques sur l'avenir des facultés. Fallait-il imaginer un pool des trois facultés ? une Faculté de théologie protestante de Suisse romande, établie à Genève ? ou à l'inverse le regroupement de toute la théologie et des sciences des religions à Lausanne ? Les Facultés lémaniques pouvaient l'une et l'autre exciper du caractère originel de la théologie dans l'histoire de leur Université. Mais si chacune des deux Facultés de Genève et Lausanne a toujours vu très clairement les arguments spécifiques qui militaient en faveur du maintien de la théologie dans son Université (pour Lausanne : caractère central sur la carte géographique romande et forte présence des sciences des religions ; pour Genève : dimension internationale et figure tutélaire du

4 Ces projets, parmi d'autres, furent agités dans les années 1997-1998. Le premier émanait de Pierre-Luigi Dubied (Neuchâtel), le deuxième d'Olivier Patio, le dernier- que le recul permet peut-être d'estimer le plus réaliste - du regretté Klauspeter Blaser (Lausanne). Les auteurs de ces projets n'auront récolté que la maigre satisfaction d'avoir eu probablement raison trop tôt.

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LAFACULTÉ DE THÉOLOGIE: UN ANNIVERSAIRE EN MUTATION 143

fondateur), aucun de ces a~guments n'a jamais été de nature à convaincre le partenaire.

C'est ainsi que fut retenue en 2003. la formule d'une fédération des trois facultés, assurant 1' enseignement du baccalauréat sur les sites de Genève et de Lausanne, puis celui de la maîtrise, en fonction des disciplines librement retenues par les étudiants, sur les trois sites de Genève, Lausanne et Neuchâtel, la théologie pratique étant exclusivement confiée à cette demière5. Cette Fédération, qui présentait l'avantage de passer sans moyens supplémentaires sous les fourches caudines du système de Bologne, allait être portée sur les fonts baptismaux l'année suivante (dans Le Temps du 24 mars 2004, Nicolas Dufour évoquait avec à-propos les Facultés de théologie comme le << laboratoire de la coordina- tion académique»). Malgré de réels succès, notamment dans la coordina- tion des disciplines et la mise en place d'une maîtrise sur plusieurs sites, la Fédération n'a pas donné entière satisfaction : à Lausanne, le conflit épistémologique s'est embrasé entre des chercheurs en sciences des religions, qui brandissent comme une arme dirigée contre la théologie le principe d'agnosticisme méthodologique, et des théologiens, qui réclament un dépassement des clivages hérités du XIX' siècle6En outre, la logique des chiffres, ainsi que l'estimait le journal 24 Heures (l" mai 2006), paiaît plaider contre le maintien d'une formule qui demeure coûteuse.

Les événements s'enchaînent dès lors rapidement. Les rectorats ne cachent pas une certaine impatience devant ce qu'ils considèrent comme un manque d'inventivité des facultés à mieux faire valoir leurs atouts et décident, dans le courant de l'année 2007, de traiter directement le dossier avec les doyens (ainsi que, pour Genève, avec le Conseil de fondation).

Quelle place aura en définitive le site de Genève dans le concert des trois entités ? Sur le terrain, en ce début d'année anniversaire, nul ne le voit très clairement, tant demeurent nombreuses les questions sans réponse.

-s Ce modèle a été dessiné par l'ancien recteur Eric Junod (LaUsanne), par Pierre-Luigi Dubied et par Jean-Daniel Macchi (Genève) : Projet de Fédération des Facultés de théologie des Universités de Genève, Lausanne et Neuchâtel, 13 janvier 2003. La Fédération prévoyait la mise en place de pôles d'excellence répartis ainsi : l'histoire du christianisme et la théologie proprement dite (systématique et éthique) à Genève, les sciences bibliques et les sciences des religions à Lausanne, et donc la théologie pratique à Neuchâtel.

6 Conflit dont la presse romande a abondamment rendu compte durant l'année 2008, nombre de protagonistes étant personnellement montés au créneau (cf Le Temps du 20 mars, ou le blog de Pierre Assouline du 3 avril sur le site du journal Le Monde).

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Celle de savoir si le modèle imposé sera lisible - condition première de sa viabilité- n'est pas la moindre d'entre elles.

Au tournant des années 1970 : la question de la place de la F acuité au sein de l'Université

En 1907, la suppression du budget des cultes, qui entraîna à Genève la séparation des Eglises et de l'Etat, réservait la question de la Faculté de théologie7Il faudra attendre 1927, sous l'impulsion d'amis de la Faculté qui souhaitaient en garantir la pérennité (sans doute par crainte qu'un gouvernement résolument anticlérical, ou alors catholique, ne s'en prenne un jour à l'enseignement de la théologie), pour que fût créée une Fondation de la Faculté de théologie protestante, laquelle reçut dès lors l'adjectif autonome. Aux termes de la loi, les professeurs sont rétribués non par l'Université directement, mais par la Fondation, l'Etat concourant à hauteur de 50% au budget de ladite Fondation'. La loi de 1927 allait assurer la stabilité de la Faculté jusque dans les années 1960 ... quand bien même ses professeurs, de par l'incapacité dans laquelle l'Eglise nationale protestante se trouvait d'honorer le. budget de la Fondation par une contribution équivalant à celle de l'Etat, étaient alors moins rétribués que leurs collègues des autres facultés.

Sous l'impulsion du recteur Denis van Berchem, puis de son successeur Martin Peter, s'est ainsi posée, dès 1967, la question de la réintégration pleine et entière de la Faculté au sein de l'Université. L'unanimité semblait se faire en faveur de cette réintégration : les professeurs de la Faculté la soutenaient, comme aussi les étudiants, qui avaient le sentiment d'être marginalisés à l'Université ; une commission conduite par le président du Conseil académique s'exprima dans le même sens, puis, eu

7 Sur la question de la place de la Faculté dans le ca4re du régime de Séparation, voir Une Genève laïque. La séparation des Eglises et de l'Etat ( 1907) dans le contexte suisse et européen, éd. Michel Grandjean et Sarah Scholl, Genève, Labor et Fides, spus presse (notamment les contributions de Thierry Tanquerel et de Michel Grandjean).

8 Un Conseil de cinq membres, qui doivent être protestants, dirige la Fondation (un délégué du Conseil d'Etat, un délégué de l'Université, deux délégués de l'Eglise protestante de Genève, un cinquième membre coopté). Sur la Fondation, qui constitue un cas unique à l'Université, voir Antoine Thélin,« La Fondation de la faculté autonome de théologie protestante de l'Université de Genève relève-t-elle du droit privé ou du droit public?», dans La Semaine judiciaire 108/20 (1986), p. 313-328 (qui conclut pour le droit public).

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LA FACULTÉ DE TIJÉOLOGIE : UN ANNIVERSAIRE. EN MUTATION 145 1970, une autre commission de douze professeurs (six catholiques et six protestants) ; le Rectorat, le Sénat, le Conseil académique approuvèrent le rapport qui on leur soumit. En 1972, le Consistoire se prononçait à la

quasi~unanimité pour cette même solution, que défendaient également le Vicariat général de l'Eglise catholiq'!e romaine à Genève et le Parti indépendant chrétien-~ocial. L'affaire semblait conclue ... mais c'était sans compter avec l'opposition du Conseil d'Etat (notamment celle d'André Chavanne, chef du Département de l'instruction publique), qui n'a pas cru devoir courir le risque de rallumer à Genève un conflit confessionnel.

C'est ainsi que le député Jaques Vernet, partisan convaincu, à titre personnel, de l'intégration, se résolut à rédiger, comme<< à.la sauvette >>, une modification de la loi, portant à 75% la part de l'Etat au budget de la Fondation. Modification qui fut approuvée en 19759, mais qui ne permit pas de tirer la Fondation des embarras financiers dans lesquels elle a continué à se débattre par la suite.

Si elle n'a donc pas eu lieu dans la loi, la réintégration de la Faculté au sein de l'Université a été depuis lors partiellement consolidée dans les faits : le sentiment de marginalisation qui pouvait jusque-là prévaloir s'est quelque peu estompé. Après tout, tant du point de vue de l'enseignement que de celui de la recherche, la Faculté de théologie continue à contribuer à la mission de toute 1 'Université, et elle le fait plus souvent qu' aupara- vant en lien avec d'autres facultés (publications, subsides du Fonds national, colloques, interventions dans la Cité) ; elle ne s'engage pas moins que ses consœurs dans les tâches de gestion universitaires qui sont pour chacun dévoreuses de temps et que chaque nouvelle rationalisation des procédures paraît rendre plus lourdes qne précédemment ; enfin, de façon peut-être plus symbolique, sa bibliothèque est architecturalement et scientifiquement en lien organique quotidien avec les bibliothèques de la Faculté des lettres et la Bibliothèque de Genève.

Et demain ?

Indéperidanunent de l'étroite et féconde collaboration romande, que nul ne songe désormais à remettre en question mais dont les modalités, on l'a dit, sont en cours de réécriture, quelle place donner aujourd'hui à la Faculté de théologie au sein de l'Université de Genève ? Quatre modèles

9 Les débats du Grand Conseil eurent lieu le 10 novembre 1972, le 20 décembre 1974 et le 9 mai 1975.

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pourraient baliser les réflexions à venir. Leur rapide évocation, proposée ici à titre purement personnel, vise davantage à nourrir le débat qu'à soumettre une solution toute faite. Il est d'ailleurs probable qu'aucun de ces quatre modèles ne réunirait aujourd'hui les suffrages unanimes de la Faculté ...

1) La suppression de la Faculté. Le premier modèle consisterait à biffer d'un trait de plume la Faculté de théologie de l'organigramme de l'Université (ou même les facultés de théologie des organigrammes des Universités romandes), quitte à réaffecter certaines des disciplines qui y sont enseignées à des Facultés tierces, comme les lettres, et à reléguer les auûes en dehors de l'Université. Cette option iconoclaste aura toujours les faveurs de certains, mais qui la défendra longtemps à Genève ? Inutile ici de redire que la théologie est à l'origine de l'Université, qu'elle appartient à son patrimoine, et qu'elle n'entre de surcroît que pour une très faible part dans le budget général : de tels arguments sont intrinsèquement faibles et chacun d'ailleurs les connaît bien. Plus grave est la question de savoir ce que perdrait une Université généraliste comme celle de Genève avec l'abandon de l'étude critique et vivante tant du donné biblique que du christianisme, qui constituent des axes forts de notre environnement culturel - dans un contexte où l'on ne tend déjà que trop à négliger les fondements de notre identité et de notre civilisation. Etude critique, vient- on d'écrire, mais aussi étude vivante, dans la mesure où l'examen des textes et l'histoire des doctrines nourrissent la recherche en théologie : or, que serait l'Université sans cet << élément provocateur qui rappelle que la rationalité actuellement prévalente n'est pas la seule »10 ? Dans le domaine des sciences humaines, combien de collègues français ne déplorent-ils pas de manquer, dans leur entourage, de spécialistes de la Bible, de la pensée chrétienne ou de l'éthique, car aucune des Universités de France (hormis celles de Strasbourg et de Metz) n'héberge plus de Faculté de théologie ? Quant aux Eglises, qui seraient peut-être tentées par la perspective d'un séminaire pastoral ou d'une faculté libre sur lesquels elles auraient totale mainmise, il leur faut déchanter : de telles institutions n'ont de crédibilité scientifique que dans la mesure où elles maintiennent des liens étroits (comme c'est le cas de l'Institut protestant de théologie de Paris et Montpellier) avec l'Université publique.

1

°

Formule empruntée à Hans Christoph Askani, professeur de théologie systématique.

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LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE : UN ANNIVERSAIRE EN MUTATION 147 2) La pleine réintégration de la Faculté. Autre modèle possible, à l'inverse du précédent : reprendre le dossier de l'intégration complète de la Faculté de théologie à l'Université. On l'a vu, le Conseil d'Etat y avait jadis renoncé, par crainte d'on ne sait quel nouveau Kulturkampf, mais tout en reconnaissant que cette hypothèse ne heurtait pas la Constitution du moment que la Faculté n'était pas une école pastorale. Entre-temps, les choses ont évolué. Cette << laïcité de reconnaissance et de dialogue » que Jean-Paul Willaime estime possible en France11 l'est aussi de ce côté-ci du Jura, dès lors que les religions ont renoncé au pouvoir politique et qu'aucune d'entre elles, à commencer par le protestantisme dans la cité de Calvin, ne peut prétendre, si même elle le souhaitait, imposer sa doctrine ou sa vision du monde. Du moment que la séparation des Eglises et de l'Etat est politiquement et culturellement assurée (après un siècle de paisible gestion du religieux à Genève, elle devrait l'être largement !), la laïcité bien comprise ne disqualifie pas la pleine intégration d'une Faculté de théologie, fût-elle engagée dans les débats contemporains, à l'Universi- té. Néanmoins, les réserves émises il y a trente-cinq ans ne sont peut -être.

pas entièrement levées : l'Université estimera-t-elle qu'illui appartient de promouvoir, de ses propres deniers, la réflexion théologique dans une perspective confessionnelle ? Poser la question n'est pas y répondre, mais c'est assurément suggérer qu'un très large débat, à l'issue incertaine, devrait être mené quant à la nature même de la mission de l'Université.

Les deux modèles précédents relèvent du tout ou rien. Il en est à l'évidence d'autres, qui sont intermédiaires.

3) La Fondation de laJaculté de théologie. Le modèle actuel, qui prévoit la Fondation de la Faculté, a rendu de signalés services et a permis de définir les rapports entre la Faculté et l'Université d'un côté et entre la Faculté et l'Eglise protestante de Genève de l'autre. Chacune de ces instances a pu ainsi bénéficier à réitérées. reprises des bonnes idées émanées du Conseil de Fondation. Cela étant, ainsi qu'on l'a rappelé, la loi de 1927 était destinée à protéger la Faculté contre de possibles menées catholiques ou anticléricales. De tels<< dangers »sont-ils encore d'actuali- té ? ll semble bien que ce ne soit plus le cas, dès lors que la Faculté a pu il y a quelques années ouvrir ses portes professorales à uu savant de

11 Cf. JeanHPaul Willaime, Le retour du religieux dans la sphère publique. Vers une laïcité de reconnaissance et de dialogue, Lyon, Olivétan, 2008.

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confession catholique sans que cette petite révolution ne provoque le moindre remous et que, de façon plus générale, dans le sens de cette

<<laïcité de reconnaissance et de dialogue » qu'on vient d'évoquer, l'anticléricalisme a décru à Genève à mesure que les religions ont perdu du terrain. Il ne paraît donc pas interdit d'envisager aujourd'hui la construction d'un modèle différent, susceptible d'une part de donner à la Faculté un statut comparable à celui des autres facultés de l'Université de Genève, d'autre part de la placer, vis-à-vis de son rectorat, dans une position analogue à celle des autres Facultés de théologie de Suisse romande.

4) Une Faculté intégrée, avec des financements extérieurs. Un dernier modèle pourrait en effet permettre aujourd'hui de poser le problème du statut de la Faculté d'une façon renouvelée. Il ne peut être ici qu'esquissé.

Pourquoi ne pas envisager une Faculté de théologie intégrée à l'Université et bénéficiant néanmoins de financements complémentaires extérieurs ? De tels financements ne sont pas réservés aux sciences ou à la médecine, et la loi de 2008 les encourage explicitement pour autant que << l' indépen- dance des activités d'enseignement, de recherche et de publication >> soit garantie (loi sur l'Université, art. 20). Quand bien même elle ne relèverait plus d'une fondation et serait en conséquence soumise à l'ensemble de la législation universitaire (y compris en matière de nominations), la Faculté recevrait ainsi un subside de l'Eglise protestante de Genève, voire d'autres Eglises, dont l'affectation devrait faire l'objet de plusieurs scénarios (telle chaire, par exemple, bénéficierait d'un financement externe, ou alors, même si la chose est plus complexe à calculer, telle filière ou partie de filière). Pas davantage que ce n'est aujourd'hui le cas en Faculté des sciences ou des lettres, ce modèle ne devrait cautionner la mise en place de statuts distincts au sein des membres du corps enseignant (ceux qui seraient financés par l'Université et les autres)12Précisé, affiné, adapté aux contraintes du réseau romand, ce modèle offrirait l'avantage d'assurer à la Faculté une place égale à celle de ses consœurs de l'Université sans imposer pour autant au rectorat une charge financière plus importante. Et

12 Ce modèle n'interdirait pas, le moment venu, de créer au sein de la Faculté de théologie une chaire de théologie enracinée dans un autre contexte confessionnel ou religieux que le protestantisme, pour autant que soit respectée la liberté de la recherche, que soit promue l'exigence de distanciation critique et que le financement externe soit assuré.

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LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE : UN ANNIVERSAIRE EN MUTATION 149

surtout, de par l'intégration redevenue naturelle de la Faculté au sein de l'Université, il permettrait de donner au principe de laïcité une traduction contemporaine libérée des légitimes méfiances de jadis.

Non ! la théologie n'est pas immuable, et ses enseignements ne seront demain pas les mêmes qu'aujourd'hui, ne serait-ce que parce que la recherche soulève toujours davantage de questions qu'elle ne donne de réponses définitives. La compréhension de l'Evangile ne se déploie elle- même pas en dehors de l'histoire, en dehors des représentations toujours changeantes que l'humain se fait de soi-même, de l'autre, du monde ou de Dieu. Et, puisque la notion de laïcité même connaît une évolution, il faudra bien, quand la configuration romande de la théologie et des sciences des religions aura été stabilisée, ouvrir un nouveau chantier, qui pourrait permettre d'actualiser les liens de l'Université de Genève avec celle de ses facultés qui célèbre aussi, en 2009, son quatre cent cinquan- tième anniversaire.

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