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Continuité et discontinuité du développement psychologique. Commentaire de: J. Piaget (1942). Les trois structures fondamentales de la vie psychique: Rythme, régulation et groupement. Revue Suisse de Psychologie et de Psychologie appliquée, 1/2, 9-21

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Continuité et discontinuité du développement psychologique.

Commentaire de: J. Piaget (1942). Les trois structures fondamentales de la vie psychique: Rythme, régulation et groupement. Revue Suisse

de Psychologie et de Psychologie appliquée, 1/2, 9-21

MOUNOUD, Pierre

Abstract

Au moment où Piaget rédige son article pour le premier numéro de la Revue Suisse de Psychologie (Piaget, 1942) sur «Les trois structures fondamentales de la vie psychique», il vient de publier un gros article dans les «Archives de Psychologie» sur «Les mécanismes du développement mental» (Piaget, 1941). A cette époque Piaget tente diverses synthèses de ses travaux antérieurs qui visent à réunir les deux catégories de structures qu'il a étudiées pendant vingt ans: les structures de l'action et celles de la pensée. Il cherche surtout à définir les mécanismes du passage de l'action à la pensée. Piaget va proposer deux solutions radicalement différentes, l'une dans l'article de 1941 qui met l'accent sur la discontinuité des mécanismes de passage des structures irréversibles de l'action aux structures réversibles de la pensée; et l'autre, dans l'article de 1942 qui nous concerne directement ici, où il prend résolument parti pour la filiation directe de ces structures, pour la continuité évolutive et pour l'unité profonde de l'évolution mentale, ce que j'appelle la thèse de la continuité. [...]

MOUNOUD, Pierre. Continuité et discontinuité du développement psychologique. Commentaire de: J. Piaget (1942). Les trois structures fondamentales de la vie psychique: Rythme, régulation et groupement. Revue Suisse de Psychologie et de Psychologie appliquée, 1/2, 9-21. Revue Suisse de Psychologie , 1992, vol. 51, no. 4, p. 236-241

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:21942

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Schweizerische Zeitschrift für Psychologie 51 (4) 1992 236-241 Revue Suisse de Psychologie

Continuité et discontinuité du développement psychologique

Commentaire de:

Piaget, J. (1942). Les trois structures fondamentales de la vie psychique: rythme, régulation et groupement. Revue Suisse de Psychologie et de Psychologie appliquée, 1/2, 9-21.

Pierre Mounoud Université de Genève

Au moment où Piaget rédige son article pour le premier numéro de la Revue Suisse de Psychologie, il vient de publier deux ouvrages importants, l'un avec Inhelder, intitulé «Le dé­

veloppement des quantités physiques chez l'en­

fant» (Piaget & Inhelder, 1941) et l'autre avec Szeminska, intitulé «La genèse du nombre chez l'enfant» (Piaget & Szeminska, 1941), ainsi

qu'un gros article dans les «Archives de Psycho­

logie» sur «Les mécanismes du développement mental» (Piaget, 1941), dans lequel il introduit déjà les principales idées relatives aux trois structures fondamentales de la vie psychique que sont les structures de rythme, de régulation et de groupement dont il est question dans l'ar­

ticle en discussion. Piaget se trouve alors, pourrait-on dire, à l'apogée de son œuvre de psychologue entreprise au début des années vingt et qui visait l'étude des formes ou struc­

tures de la vie psychique ou mentale. De façon schématique, il est possible de dire qu'il a consa­

cré une dizaine d'années (les années vingt) à étu­

dier les structures de l'action chez le bébé et dix autres années (les années trente) à étudier les structures de la pensée chez l'enfant.

Il convient également d'évoquer le contexte scientifique dans lequel se trouve Piaget à cette époque. Bideaud (1991) retrace de manière très vivante le contexte scientifique de l'entre deux guerres, qu'elle qualifie «d'années d'intense fer­

mentation des idées», dans l'ouvrage intitulé

«Les chemins du nombre» (Bideaud, Meljac &

Fischer, 1991) qui vient d'être publié pour célé­

brer le cinquantième anniversaire de la «Genèse du nombre chez l'enfant». Une émulation et une ouverture d'esprit existaient alors entre les 236

chercheurs, qui contrastent fortement avec l'es­

prit cloisonné qui règne actuellement. Comme l'exprime Bideaud, Piaget partage un souci de pluridisciplinarité avec les chercheurs de son époque. C'est ainsi que Piaget fait référence dans son article aux travaux de trois de ses collè­

gues genevois: Bovet, Claparède et Rey, ainsi qu'à ceux de plusieurs autres grandes figures de la psychologie: James, Weizsacker, Wallon, Wundt, Baldwin, ainsi que Janet qu'il qualifie de «maître de la psychologie française». Il me semble intéressant de mentionner qu'une des idées centrales de l'article, à savoir la transition des structures de rythme aux structures de régu­

lation, a été directemen� inspirée à Piaget par les travaux de Janet sur les sentiments. A ce pro­

pos, il est amusant de citer une réflexion faite par Piaget à la fin de sa vie: «chacun sait, écrivait-il, que l'œuvre des génies revient tou­

jours à dégager des idées qui étaient ou com­

mençaient déjà à être ,dans l'air'» (Piaget, 1987,

p. 848). Je citerai Bideaud encore une fois: «il semble, avec le recul, que Piaget ait pris à bras le corps toutes les conceptualisations de l'épo­

que pour les contraindre et les exprimer dans sa visée propre» (Bideaud, 1991, p. 18). Signa­

lons enfin une analyse fine de la genèse du Pia­

get psychologue (de 1920 à 1940) dans l'ouvrage que Ducret a publié à l'occasion du dixième an­

ni versaire de la mort de Piaget (Ducret, 1990).

Nous nous trouvons donc au début des an­

nées quarante. Piaget tente alors diverses synthèses de ses travaux antérieurs qui visent à réunir les deux catégories de structures qu'il a étudiées pendant vingt ans: les structures de l'action et celles de la pensée. Il cherche surtout

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à définir les mécanismes du passage de l'action à la pensée. Par rapport à ce problème crucial, Piaget va proposer deux solutions différentes, l'une dans l'article de 1941 sur «Les mécanismes du développement mental» et l'autre dans celui de 1942 sur «Les trois structures fondamentales de la vie psychique». L'article de 1941 se conclut par des interrogations sur les rapports éventuels entre ce que Piaget appelle deux sortes de méca­

nismes: les «régulations» et les «groupements»

(Piaget, 1941, p. 285) ou deux sortes d'équilibre:

l'équilibre physique irréversible (les régulations organiques) et l'équilibre réversible de l'intelli­

gence (les équilibres mentaux) (p. 283). Il dé­

clare de plus qu' «il est fort probable qu'il faille admettre une inversion de sens entre l'évolution mentale (les équilibres mentaux) et l'évolution physico-chimique (les régulations organiques)>>

(p. 283). Dans cet article, Piaget met donc l'ac­

cent sur la discontinuité des mécanismes de pas­

sage des structures irréversibles de l'action aux structures réversibles de la pensée ou encore en­

tre les relations causales propres à l'action et les relations implicatives propres à la pensée. C'est à ce propos que Piaget parle d' «inversion de sens». Par contre, dans son article de 1942, il prend résolument parti pour la filiation directe de ces structures, pour la continuité évolutive et pour l'unité profonde de l'évolution mentale.

Il suggère donc un passage direct et progressif des compensations partielles réalisées par les structures de nos actions et de nos perceptions aux compensations complètes (ou parfaites) réalisées par les opérations. C'est ce que j'appel­

lerai la thèse de la continuité.

Pour parvenir à énoncer cette thèse quelque peu extrême et surprenante qu'il abandonnera par la suite, Piaget élimine de son discours toute référence à la notion de représentation et situe son analyse au seul niveau de l'action. C'est ainsi qu'il parle de techniques de faction pour dénommer les processus sensorimoteurs et co­

gnitifs (ce qui me paraît révélateur de sa volonté d'exclure le concept de représentation). C'est à ce prix qu'il parvient à développer sa thèse dont voici deux formulations: «La réversibilité opé­

ratoire est l'aboutissement des rythmes et des régulations» (p. 13) et les opérations logiques sont «le point d'équilibre final vers lequel ten­

dent les fonctions sensorimotrices et percepti­

ves au cours de leur développement» (p. 14).

Cette thèse est en quelque sorte aux antipodes de celle qu'il formulera quelques années plus tard sous le nom de l'abstraction réfléchissante (Piaget, 1950) et qui reprendra la thèse de la dis­

continuité de 1941. Avec l'abstraction réfléchis­

sante, Piaget insistera en effet sur la disconti­

nuité, sur le changement de plan de réflexion, sur le changement de niveau de représentation.

J'ai tenté d'illustrer ce processus complexe de l'abstraction réfléchissante dans mon travail de doctorat sur la construction d'instruments sim­

ples chez l'enfant (Mounoud, 1968; 1970), en montrant l'interdépendance d'un système de ré­

gulation perceptivo-moteur et d'un système de régulation représentatif.

Examinons maintenant de plus près l'article de 1942 qui nous concerne directement ici et qui plaide en faveur de la thèse de la continuité. Dès la fin du premier paragraphe, Piaget déclare que le problème pour notre science (la psychologie) est de «construire une morphologie générale de la vie mentale» (une morphogenèse, aurait-il pu écrire). Piaget se trouve à une période charnière de son œuvre qui marque la transition entre ce que j'ai appelé son structuralisme relatif et son structuralisme radical (Mounoud, 1979). En particulier, Piaget a conservé une attitude en­

core partiellement intuitive vis-à-vis des struc­

tures; il ne s'est pas encore enfermé dans les mo­

dèles logico-mathématiques. Cette intuition lui fait accorder aux structures de régulation un rôle primordial. Son intuition est vraiment pré­

monitoire si l'on se réfère aux développements ultérieurs de la cybernétique et de l'intelligence artificielle. Elle l'est encore davantage en ce qui concerne les structures de rythme si l'on consi­

dère les travaux qui se sont développés durant ces dix dernières années sur les activités ryth­

miques, en particulier par les partisans de la théorie dynamique des systèmes complexes (Kugler, Kelso & Turvey, 1982). On citera plus particulièrement les travaux des équipes de Kelso (Kelso, 1991; Zanone & Kelso, 1992) et de Thelen (Thelen, 1985; Thelen & Fisher, 1983) aux Etats-Unis, ainsi que ceux de l'équipe de Pailhous en France (Pailhous & Bonnard, 1992;

Bonnard & Pailhous, in press). Enfin, la façon dont Piaget définit les régulations comme «une tendance à résister tôt ou tard à la tendance ini­

tiale» (ou dans les processus affectifs comme la capacité de faire triompher une tendance su-

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périeure sur une tendance inférieure) évoque de façon surprenante le rôle important attribué ces dernières années à l'inhibition dans les proces­

sus de développement. Je signalerai en particu­

lier les hypothèses formulées récemment par Diamond (1988) pour expliquer les erreurs fai­

tes par le bébé dans les situations de perma­

nence de l'objet. Diamond parle de la capacité des bébés à inhiber une réponse prédominante relativement à une situation donnée, capacité qu'elle met en relation avec les fonctions rem­

plies par le cortex frontal.

A lors que dans son ouvrage sur «La cons­

truction du réel», Piaget (1937) avait décrit les conduites du nouveau-né au moyen de la struc­

ture de groupe, il insiste dans cet article sur la structure rythmique des activités du bébé. Il peut ainsi ébaucher une filiation spectaculaire allant des structures de rythme à celles de grou­

pement. Oscillations, régulations, compensa­

tions par rapport à des perturbations (internes ou externes), tout cela conduit nécessairement Piaget à son thème favori de l'équilibration.

C'est ainsi que chacune de ces structures définit un équilibre relatif. Les rythmes constituent une structure qui permet de compenser les per­

turbations au cours du temps. La particularité de cette structure, c'est l'aspect successif du ré­

glage par opposition au caractère simultané des compensations réalisées par la .structure de ré­

gulation. Toutefois, les compensations simulta­

nées ou immédiates réalisées par la structure de régulation sont incomplètes parce qu'elles ne prennent en considération que les données ac­

tuelles ou présentes d'une situation donnée.

Seule la structure de groupement permettra des compensations complètes parce que tenant compte non seulement des données présentes mais aussi passées et/ou futures. La prise en considération des données passées est réalisée par «la conservation des données perceptives antérieures» (p. 19 et 21), ce qu'on appellerait aujourd'hui la mémoire événementielle, et celle des données futures par l'anticipation. La pro­

priété fondamentale de la structure de groupe­

ment, c'est sa réversibilité intégrale.

La modernité de la conception de Piaget, comme nous l'avons vu, c'est sa centration sur les activités régulatrices entre systèmes qui réa­

lisent des équilibres qualifiés de mobiles. Le côté partiellement démodé, c'est son idée de 238

hiérarchie entre structures: «on gravit l'échelle des fonctions cognitives», dit Piaget (p. 13). Il y a les mécanismes primitifs (p. 12), les activités sensorimotrices inférieur�s, les systèmes élé­

mentaires, les simples régulations d'une part et les structures supérieures, les sentiments supé­

rieurs, la pensée logique, l'intelligence ration­

nelle d'autre part. Et comme on le sait, ces structures définissent trois grandes périodes du développement (p. 15), trois phases (p. 21) qui se succèdent dans le temps. Au contraire, la psychologie contemporaine considère les struc­

tures de la connaissance de façon moins hiérar­

chisée: ces structures peuvent coexister, sans être considérées comme plus ou moins primi­

tives, mais interviennent davantage en fonction des contextes, des contraintes ou des tâches im­

posées au sujet (Rieben, Ribaupierre & Lautrey, 1990).

A titre d'exemples, je citerai tout d'abord le point de vue développé par Mandler (1988) qui considère le développement cognitif du bébé comme déterminé simultanément par deux structures ou systèmes de connaissance qui fonctionnent plus ou moins indépendamment l'un de l'autre, un système sensorimoteur ou procédural de type modulaire, non accessible à la conscience, et un système conceptuel, de type déclaratif accessible à la conscience. l'ai discuté cette conception de façon approfondie dans un article récent (Mounoud, 1993a).

La coexistence de deux modes de structura­

tion a également été trouvée dans l'étude du dé­

veloppement des activités de classification chez l'enfant. A ce propos, je citerai les travaux de Markman (Markman, 1978, 1983) et de Car­

bonnel et Longeot (Carbonnel, 1978; Carbon­

nel & Longeot, 1979) qui définissent deux mo­

des ou types de classifications, l'un correspon­

dant aux classifications logiques piagétiennes, l'autre correspondant à des classifications d'ob­

jets sous forme de collections pour Markman et de classes collectives pour Carbonnel et Lon­

geot. Pour ces auteurs, ces deux types de classi­

fication coexistent au cours du développement et sont indépendants l'un de l'autre. Cette con­

ception a été reprise par Bideaud & Houdé (1989) qui parlent eux de deux types de captures des propriétés des objets, l'une dite logique, l'autre écologique. Ces deux types de captures coexistent sans interaction et sans filiation

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directe. A ces deux thèses extrêmes: filiation des structures (de type continu ou discontinu) à la Piaget, versus structures parallèles plus ou moins indépendantes (qui coexistent dans le temps), il est possible d'opposer une troisième position qui consiste à concevoir des rapports de complémentarité et d'interdépendance entre structures ou systèmes de connaissance con­

temporains (Lautrey, 1990; Mounoud 1993a et b).

En guise de conclusion, je dirai que parmi les trois structures fondamentales de la vie psy­

chique, Piaget a porté l'essentiel de son intérêt à l'étude des invariants de la pensée de l'enfant qui sont déterminés par les structures de grou­

pement et concernent l'équilibre réversible de l'intelligence. Pour ma part, j'ai consacré l'es­

sentiel de mes activités de recherche à l'étude des structures de régulation de l'action, prolon­

geant à ma manière son programme de recher­

che. Ces structures de régulation de l'action, bien que donnant lieu à des compensations par­

tielles au sens de Piaget, produisent néanmoins des «invariants» que l'on peut qualifier de «mo­

teurs» ou sensorimoteurs par opposition aux invariants dits «cognitifs». Un des exemples les plus fameux de ces invariants moteurs a été mis en évidence à la fin du siècle dernier par Binet et Courtier (1893). C'est l'invariance de la durée d'écriture d'une mot par rapport aux variations de sa taille. Plus récemment, cet invariant a reçu le nom de «principe d'isochronie» (Viviani &

Terzuolo, 1983). Un autre exemple est l'inva­

riance de la durée des mouvements de préhen­

sion par rapport aux distances auxquelles se trouvent situés les objets à atteindre. Ces inva­

riants moteurs révèlent des mécanismes com­

pensatoires entre certaines caractéristiques comme la distance à parcourir et d'autres carac­

téristiques, telles que la vitesse et la force du mouvement.

C'est ainsi que durant vingt ans, j'ai réalisé avec plusieurs collaborateurs et collègues des re­

cherches sur les structures de régulation à partir des caractéristiques cinématiques et dynami­

ques des actions. J'ai étudié tout d'abord la fa­

çon dont les bébés parviennent à compenser

certaines variations relatives aux propriétés des objets qu'ils saisissent, comme par exemple leur poids, par des variations des forces développées (Mounoud, 1973; Mounoud & Bower, 1974).

J'ai fait des études comparables à propos du soulèvement d'objets chez l'enfant de 2 à 5 ans avec Hauert (Hauert, 1980; Mounoud &

Hauert, 1982), puis de 6 à 9 ans avec Gachoud (Gachoud et al., 1983).

lus récemment, j'ai étudié d'un même point de vue les activités gra­

phiques chez des enfants de 5 à 12 ans (Vinter

& Mounoud, 1991; Zesiger, Mounoud & Hauert, en préparation).

Il devient dès lors possible de soulever de fa­

çon nouvelle le problème des relations entre les

invariants «moteurs» ou sensorimoteurs da­

vantage relatifs aux connaissances pratiques ou procédurales et les invariants «cognitifs» da­

vantage relatifs aux connaissances dites con­

ceptuelles oû déclaratives. Historiquement, comme on l'a vu avec Piaget, la réponse à ce problème a toujours été cherchée dans une filia­

tion allant du pratique ou procédural au con­

ceptuel ou déclaratif. La solution que j'aimerais suggérer est complémentaire à celle de Piaget et constitue en fait un corollaire. S'il est certain que des invariants «cognitifs» (déclaratifs) se développent à partir de conduites mettant en jeu des invariants «moteurs» (procéduraux), il me semble tout aussi évident que l'élaboration de nouveaux invariants «moteurs», ou plus gé­

néralement de nouvelles procédures d'action, nécessitent comme condition préalable l'élabo­

ration de nouveaux invariants «cognitifs», ou plus généralement de nouvelles connaissances

«conceptuelles» ou déclaratives.

Pour clore mon commentaire, je dirai que la valeur exemplaire du texte de Piaget (et de son œuvre en général), c'est son ouverture sur l'in­

terdisciplinarité et son refus de cloisonner les domaines de recherche. Piaget nous montre dans son article comment ses intuitions les plus originales pour expliquer le développement co­

gnitif trouvent leurs origines dans ses ré­

flexions, ses échanges et ses lectures relatives aux domaines de l'étude des sentiments, des émotions, de la volonté et des échelles de valeur.

Signalons à ce sujet que les rapprochements en­

tre les domaines cognitif, affectif et émotionnel sont revenus d'actualité après une longue pé­

riode d'ignorance réciproque (Mounoud et al., 1991, 1992; Rimé & Scherer, 1989; Stern, 1985).

L 'influence de Piaget sur la psychologie du dé­

veloppement cognitif de l'enfant est certaine­

ment une des plus importantes de ce siècle et 239

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c'est à lui que je dois mon inspiration de cher­

cheur.

On peut penser que la situation créée par la deuxième guerre mondiale ait été ressentie par Piaget comme une rupture, une discontinuité, une cassure dans l'histoire de l'homme. Les évé­

nements pouvaient faire douter de l'avenir de notre civilisation plus qu'à d'autres périodes. Je voudrais suggérer que cette réalité a pu agir sur ses réflexions. Comme pour se défendre de ses craintes et de ses angiosses ou pour se convain­

cre ou tenter de convaincre ses collègues, Piaget a défendu une thèse en faveur de la continuité des processus historiques du développement psychologique: les progrès sont atteints de fa­

çon continue et les valeurs morales ne peuvent que s'améliorer. Dans une telle perspective, son article pourrait être vu comme une tentative d'exorciser l'histoire.

Remerciements

Je tiens à remercier chaleureusement mes colla­

borateurs Anne Aubert, Maryse Badan et Pas­

cal Zesiger pour leur aide précieuse dans la réa­

lisation de ce papier. Je remercie également Anik de Ribaupierre pour ses commentaires critiques.

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Zesiger, P., Mounoud, P. & Hauert, C. A. (en préparation).

A developmental study of invariants in handwriting.

Prof. Dr Pierre Mounoud, Section de Psychologie, 9, route de Drize, CH-1227 Carouge-Genève

(8)

Article cible:

Piaget, J. (1942)

Les trois structures fondamentales de la vie psychique:

rythme, régulation et groupement.

Revue Suisse de Psychologie et de Psychologie appliquée, 1/2, 9-21

Reproduit dans:

Revue Suisse de Psychologie,1992, 51, 229-235

(9)

Les trois structures fondamentales de la vie psychique:

rythme, régulation et groupement par

Jean Piaget

A la suite, en particulier, des beaux travaux de la «Gestalt­

psychologie», qui ont renouvelé sur bien des points les problèmes et les techniques de la psychologie expérimentale, les psychologues contemporains sont préoccupés par les problèmes de' «structure d'ensemble» des phénomènes mentaux. La psychologie classique, qui était atomistique d"inspiration, ne connaissait qu'un seul type de structure: l' «association» entre éléments donnés antérieurement

à l'état discontinu et indépendant (sensations et images). Or, sur le terrain même de l'analyse des sensations et des perceptions, la

«Gestalttheorie» a mis en évidence l'existence de totalités s'organi­

sant d'emblée comme telles et simultanément à l'apparition de leurs éléments. Cette notion de «totalité» rencontre par ailleurs les courants de pensée les plus divers: Dilthey, l'école du Meaning, la psychanalyse, P. Janet, Claparède et bien d'autres en ont sans cesse souligné l'importance, dans les domaines les plus éloignés, de l'inconscient affectif au système des «significations» intelligen­

tes, des sentiments élémentaires (intérêts, etc.) aux régulations de l'action toute entière. Mais il ne suffit pas de parler de «to­

talité» pour énoncer des vérités claires et distinctes et le problème se pose toujours davantage, pour notre science, de construire une morphologie générale de la vie mentale, dont les termes pourraient

Nous aime,rions, dans ce qui suit, exposer schématiquement les linéaments de la classification dont nous avons été conduits à nous servir, et chercher à montrer sa généralité. Nous commencerons par l'analyse des fonctions, qui, du réflexe à l'intelligence en pas­

sant par l'habitude et la perception, sont relatives à la technique de l'action (fonctions sensori-motrices et intellectuelles au sens large du terme) pour examiner ensuite les fonctions qui, des ten­

dances instinctives (Trieb opposé à Instinkt) à la volonté et aux sentiments supérieurs, sont relatives aux valorisations de l'action

(fonctions affectives) .

J. Les processus sensori-moteurs et cognitifs.

Les formes les plus élémentaires des techniques de l'action, celles que l'on observe presque seules durant les premières semai­

nes de l'existence et qui marquent le point de jonction de la vie organique et de la vie mentale, revêtent toutes l'aspect de rythmes, lequel traduit, sans doute, le caractère le plus général des processus psychophysiologiques. Que l'on considère les «mouvements impul­

sifs» que le nouveau-né manifeste au moyen de ses bras, de ses jambes, de sa tête, ou les réflexes intéressant directement le dé­

veloppement psychique ultérieur, tels que ceux de la succion, on retrouve toujours les mêmes caractères: 1° L'action élé';"entaire consiste en mouvements qui se répètent tels quels, qu'ils soient relativement simples ou coordonnés en suites complexes, peu im­

porte: dans ce dernier cas c'est le bloc indissociable constitué par eux qui donne lieu comme tel à la répétition. Les mouvements qui composent les actions sont caractérisés par deux phases alter­

natives: une phase ascendante ou positive (p. ex. ouvrir la bouche ou déplacer un membre) , et une phase descendante ou antagoniste (p. 'ex. fermer la bouche ou replacer le membre en sa position ini­

tiale) . 3° Cette périodicité est à intervalles plus ou moins réguliers, selon qu'elle dépend de facteurs internes ou externes.

Si la structure rythmique intéresse la psychologie, c'est qu'elle dépasse le domaine des montages héréditaires (techniques réflexes et instinctives) et commande également les débuts de l'habitude et les mécanismes élémentaires de la perception. Les habitudes les plus simples débutent, en effet, sous la forme de ce que Bald,win a appelé la «réaction circulaire». Le nourrisson ayant découvert par hasard un résultat intéressant (p. ex. produire un son en frot­

tant un objet contre le bord de son berceau) reproduira active­

ment une série de fois les mouvements qui ont conduit à ce résul­

(10)

w t'V o

Il

entrer, à titre de schème stéréotypé, dans les ensembles ultérieurs plus complexes 1. De même, dans le domaine de la perception, c.hacun sait que toute mesure d'une donnée isolée (la grandeur d'une figure, la teinte d'un objet, etc.) donne lieu à des oscilla­

tions autour d'un point d'équilibre moyen comme si les sensations reposaient sur des rythmes élémentaires. Von Weizsacker a pu mettre en évidence de tels rythmes t et A. Rey a retrouvé récem­

ment ce phénomène en constatant dans la sensibilité cutanée l'existence de rythmes très réguliers 3.

Mais, dès que l'on entre dans le domaine des systèmes plus complexes d'action, tels qu'une coordination d'habitudes ou la perception d'une figure articulée d'ensemble, le rythme cède la place à des structures supérieures� qui en dérivent sans doute mais le dépassent à coup sûr et qui peuvent être définies par leurs régulations. Prenons comme exemple une illusion perceptive com­

me celles de Müller-Lyer ou Delbœuf. On sait ainsi que deux cercles concentriques agissent percepti�ement l'un sur l'autre: s'ils sont proches ils ont une tendance à s'attirer, de telle sorte que le plus petit sera surestimé et le plus grand sousestimé, tandis que, s'ils sont éloignés, ils se repoussent et le plus petit sera sousévalué 4.

Nous sommes donc en présence de deux tendances antagonistes dont l'une conduit à exagérer les rapports. de ressemblance et l'autre ceux de différence. Si ces deux tendances l'em­

portaient alternativement, nous aurions encore à faire à un rythme, et, il arrive effectivement que, fixant l'un des deux cercles, le sujet le voie tour à tour s'agrandir et rapetisser légèrement, selon le processus des oscillations élémen­

taires décrit tout à l'heure. Mais, en règle générale, les deux ten­

dances s'équilibrent l'une l'autre en une forme perceptive stable.

Seulement, au niveau des conduites que nous considérons mainte­

nant et en opposition avec les conduites supérieures qui caracté­

risent l'intelligence, les conditions d'un tel équilibre restent parti­

culières à la situation considérée et ne sont donc pas permanentes:

si l'on change le rapport entre les deux cercles concentriques ou si l'on modifie les dimensions absolues de la figure, les conditions de l'équilibre vont changer elles-aussi et tantôt c'est la ressem-

1 Voir J. Pia g e t, La Naissance de l'Intelligence chez l'Enfant, Delachaux et Niesllé 1936, chap. II.

2 v. Wei z sac k e r, Über die Funktionswandel.

3 A. R ey, L'exploration de la sensibilité cutanée dans les sciatiques. Revue Suisse de Neurologie 1942.

4 Pour la discussion de cette exemple, voir P ia g e t, etc., Introduction à l'étude des perceptions chez l'enfant et analyse d'une illusion relative à la perception visuelle de cercles concentriques {Delboeuf}, Arch. de Psychol. vol.

XXIX, 1942.

blance qui l'emportera sur la différence (= l'attraction sur la ré­

pulsion) , tantôt l'inverse, etc., selon certaines valeurs définies.

Or, ce qui est fondamental en de tels «déplacements d'équilibre», c'est qu'ils ne se produisent pas au hasard mais selon une loi qui semble générale: passées certaines limites, le déplacement d'équi­

libre s'effectue de telle manière qu'il tende à corriger les déforma­

tions dues aux modifications extérieures. C'est cette tendance à résister tôt ou tard à -la tendance initiale (mécanisme, peut-être comparable en partie à ceux mis en évidence par le fameux prin­

cipe de Le Châtelier en chimie physique) que nous appellerons régulation et on peut définir, en chaque cas, les régulations de façon précise, une fois connues les conditions expérimentales des q.déplacements d'équilibre» 1. Une telle notion caractérise donc un processus essentiel à tous les systèmes perceptifs, sitôt dépassé le niveau des systèmes élémentaires.

Dans le domaine de l'habitude, il va de soi qu'il en sera de même'. Pour expliquer le réglage des mouvements habituels sim­

ples il suffit de faire appel au jeu des conditionnements positifs et négatifs (inhibitions) qui participent au début du «rythme» lui­

même, mais on passe insensiblement de ces mécanismes primitifs à celui de la régulation dès qu'un complexe sensori-moteur con­

tient des habitudes antagonistes et aboutit ainsi à des formes d'é­

quilibre susceptibles de déplacements (par opposition aux oscilla­

tions périodiques).

Même dans les domaines de l'intelligence pratique et de l'in­

telligence intuitive ou prélogique, qui caractérise la pensée de l'enfant jusque vers 7 ans, la «régulation» demeure l'instrument de réglage essentiel tant que les opérations logiques ne sont pas constituées, et cela est bien naturel puisque les formes d'activité ou de pensée demeurent dominées par les mécanismes perceptifs avant d'atteindre le niveau des «opérations» rationnelles. Par exemple si l'on transforme une boulette d'argile en saucisse, les petits la croiront ou bien plus lourde parce qu'elle est devenue plus longue, ou bien plus légère parce qu'elle s'est amincie, mais s'ils l'estiment plus lourde il suffira de l'allonger encore pour qu'ils changent d'idée en la voyant s'amincir et s'ils remarquent d'abord l'amincissement ils insistent ensuite sur l'allongement 2.

Bref, on peut caractériser de façon générale les «régulations»

en disant: 10 Lorsque les éléments de l'action ne donnent plus lieu

1 Voir notre note «La notion de régulation dans ['étude des illusion8 per­

ceptives" in Compte-Rendu des Séances de la Soc. de Physique de Genève, vol. 59 (1942) p. 72.

2 Voir P ia g e t et 1 n h e 1 d e r, Le développement de8 Quantités chez l'En­

fant, Delachaux et Niestlé 1941, chap. 1 à III. 12

(11)

N

à de simples repetltwns, ils constituent alors des systèmes stati­

ques d'ensemble définis par certaines conditions d'équilibre.

Les mouvements orientés en sens inverse les uns des autres et dont l'alternance constituaient des phases successives au niveau du «rythme» deviennent alors simulta�és et représentent les com­

posantes de cet équilibre. 3° En cas de modification des conditions extérieures l'équilibre se «déplace» par accentuation de l'une des tendances en jeu, mais cette accentuation est tôt ou tard limitée par celle de la tendance contraire (régulation).

Or, si nous c.ontinuons à gravir l'échelle des fonctions cogniti­

ves ou intellectuelles, nous constatons que le mécanisme des ré­

gulations est dépassé dès qu'interviennent les «opérations» propre­

ments dites de la pensée logique. Qu'est-ce, en effet, qu'une opé­

ration du point de vue de la psychologie? Une opération arithmé­

tique consiste p. ex. à réunir deux unités à deux autres pour en faire un nouveau tout: 2 + 2 = 4. Une opération logique con­

sistera de même, p. ex. dans le cas de la boulette d'argile trans­

formée en saucisse, à composer' le tout B au moyen de la somme des éléments A + A' = B: grâce à cette opération, le sujet com­

prendra alors que le poids ne peut pas varier si l'on n'enlève ni n'ajoute aucun élément et que l'on se borne à changer l'arrange­

ment. Ou encore, l'opération consistera à mettre en relation la longueur L et l'épaisseur E de façon à c.omprendre que tout ac­

croissement de L diminue E et vice versa. Du point de vue psycho­

logique, l'opération est donc une action (action de réunir en un tout, ou d'allonger, d'amincir, etc.) mais c'est une action très par­

ticulière et très remarquable, si on la compare aux précédentes (réflexes, habitudes, perceptions, etc.): c'est une action stricte­

ment «réversible» . En effet, l'action de réunir des unités (2 + 2

= 4) peut être inversée en action de soustraire (4 - 2 = 2 ou

-2-2 = --4); celle de réunir des parties (A + A' = B) s'in­

verse de même (B -A' = A); l'action d'allonger s'inverse en ac­

tion de raccourcir, celle d'amincir en action d'épaissir, etc. C'est même cette «réversibilité» de l'opération qui la rend logique et sans cesse vérifiable et, du point de vue de son mécanisme psy­

chologique, on peut définir l'intelligence rationnelle toute entière par ce caractère de réversibilité intégrale.

Or, il est facile de voir que la réversibilité des opérations est l'aboutissement des «rythmes» et des «régulations» propres aux deux niveaux antérieurs, bien qu'elle constitue d'autre part une grande nouveauté relativement à eux. Les conduites «rythmiques»

ne sont, en effet, pas réversibles mais orientées toujours selon un sens unique: exécuter un mouvement (ou un complexe de mouve­

sont les phases successives, et, même si la phase descendante (ar­

rêt ou antagonisme) met fin à la phase ascendante en ramenant la conduite à son point de départ, il ne s'agit pas là d'une seconde action ayant la même valeur que la première tout en l'inversant, mais d'un simple recul conditionnant un recommencement perpé­

tuel toujours orienté dans la même direction. Néanmoins, la phase antagoniste du rythme est évidemment le point de départ de la régulation et on peut déjà concevoir tout rythme comme une double régulation alternative et toute régulation comme le produit d'un rythme dont les deux phases seraient devenues simultanées.

Quand aux conduites caractérisées par les régulations (perceptions et habitudes) elles sont sans doute déjà plus réversibles que les précédentes (réflexes, etc.), mais, comparées à l'intelligence, leur irréversibilité reste évidente: une habitude, p. ex. est toujours à sens unique et apprendre à la renverser consiste à acquérir une nouvelle habitude. Quand à la perception, elle suit le cours ex­

térieur des choses et si l'on peut la ramener du dehors à son point de départ, l'action des perceptions les unes sur les autres ou les interactions des rapports perçus en une même figure mettent tou­

jours en œuvre des «transformations non compensées» qui démon­

trent son irréversibilité. Par exemple, si ron compare quelques grandeurs successives à un même étalon, il se produit une action déformante du «mesurant» sur le «mesuré» qui n'est pas égale à l'action inverse et qui engendre des «erreurs systématiques» 1. Par contre, il suffit que les régulations aboutissent à des compensa­

tions complètes, pour que la réversibilité devienne possible et pour que l'«opération» apparaisse (dans le cas particulier ce sera l'opération de mise en relations). On peut donc concevoir le sys­

tème des opérations de l'intelligence comme le point d'équilibre final vers lequel tendent les fonctions sensori-motrices et percep­

tives au cours de leur développement et cette conception permet de comprendre l'unité fonctionnelle profonde de l'évolution men­

tale tout en marquant les différences de nature qui distinguent les structures propres à ses étapes successives.

Mais il faut bien saisir que cet équilibre final permanent est un «équilibre mobile» et que l'opération intelligente n'existe ja­

mais à l'état d'élément statique isolé. En effet, de par sa nature réversible elle-même, une opération fait toujours partie d'url en­

semble en mouvement. C'est ainsi qu'un nombre n"existe men­

talement qu'en fonction de la suite des nombres; un concept ou classe n'est pensable qu'en fonction de la construction d'une clas­

sification; une relation A < B n'est comprise qu'en fonction de la

(12)

N VJ N

15

possibilité de bâtir la série, A < B < C, etc. L'étude du développe­

ment intellectuel de l'enfant montre à l'évidence l'existence de ces systèmes d'ensemble dont la construction est la condition de l'activité intelligente. Ce sont ces totalités, caractérisées à la fois par leur composition indéfinie et leur réversibilité, que nous ap­

pelIons des «groupements» (par généralisation des «groupes» ma­

thématiques sur lesquels reposent les nombres, les espaces ou les cinématiques). On peut prendre comme exemple la manière dont l'enfant apprend à sérier une suite de grandeurs en posant d'abord

«le plus petit de tous» (= A), puis «le plus petit de tous ceux qui. restent après A» (= B), et «le plus petit de tous ceux qui res­

tent après A et Bl) (= C) et ainsi de suite. Pour établir cette suite A < B < C < D < .. , l'enfant doit donc comprendre que chaque terme intercalaire est à la fois plus grand que les précé­

dents (p. ex. C> B et C > A) et plus petit que les suivants (C < D et C < E, etc.). Or, tan,t qu'il ne sait pas combiner ainsi l'opération directe (+ <) avec l'opération inverse (- < = » il ne peut construire de série autrement que par tâtonnements em­

piriques. Dès qu'il sait inverser les relations, il parvient par con­

tre du même coup à les «composer» (A < B; B < C donc A <C),

à les réunir associativement (A < C -+ C < D = A < B + B < D),

à mettre en correspondance bi-univoque deux suites d'éléments, etc. Nous avons étudié ces dernières années un grand nombre de notions dont l'évolution chez l'enfant présente le même processus 1.

Par opposition aux rythmes et aux régulations, on peut donc dire qu'en cette troisième grande période du développement: 10

Les agrégats jusque là rigides s'articulent sous forme de systèmes d'opérations susceptibles de coordinations indéfinies (groupements) régies par des lois de composition. 20 L'équilibre de tels systè­

mes est assuré, sous une forme mobile, par le fait que les opéra­

tions sont réversibles: à chaque opération directe correspond une opération inverse qui la compense. L'équilibre ainsi atteint par la pensée est d'ordre permanent et permet la constitution des notions de conservation grâce auxquelles les techniques ration­

nelles parviennent à dominer les modifications extérieures.

C'est donc selon ces troi� moments essentiels du rythme, de la régulation et du groupement que l'intelligence finit par se déga­

ger des activités sensori-motrices inférieures, selon un principe d'évolution dirigée par des lois d'équilibre interne. Il va de soi que si ces trois types de mécanismes apparaissent ainsi comme caractéristiques de paliers distincts et successifs, il faudrait nuan-

1 Voir Pia g e t et 5 z e min s k a, La genèse du nombre chez l'Enfant, De­

lachaux et Niestlé 1941 et Pia g et et 1 n h el cl e r, lac. cit.

cer ce schéma de multiples retouches pour faire apercevoir les phases de transition dans toute leur vivante complexité. Mais l'essentiel est de comprendre le mouvement évolutif unique qui procède du premier au troisième.

De ce point de vue, on peut se représenter les choses comme suit. La structure des rythmes ne pose pas de problème au seul psychologue puis qu'ils sont l'expression des périodicités biologi­

ques internes. On passe, en second lieu, du rythme à la régulation dès que les forces de sens contraire, qui agissent alternativement dans le rythme en une succession continue et spontanée, se trou­

vent bloquées par interférence avec d'autres rythmes ou par in­

fluence d'une cause extérieure: agissant alors simultanément et non plus alternativement, elles cessent de donner lieu à une suc­

cession spontanée, mais chacune d'entre elles est à chaque instant renforcée ou diminuée par les modifications extérieures. Il s'en­

suit alors une réaction en sens contraire des autres et c'est pour­

quoi tout rythme bloque, pour ainsi dire, engendre un système d'ensemble caractérisé par ses régulations. Il suffit, en troisième lieu, que les régulations atteignent la réversibilité complète pour qu'un tel système parvienne à l'état de groupement. On voit donc la continuité évolutive de ces trois types de structures, malgré leurs différences fondamentales, et on saisit combien l'unité pro­

fonde de ce développement peut stimuler les études expérimen­

tales sur l'évolution de l'intelligence et de la pensée de l'enfant.

II. Les processus alfectifs.

La vraisemblance d'un tel schéma s'accroît singulièrement lors­

que par son moyen, l'on met en parallèle le développement de la vie affective avec celui des fonctions de coordination motrice et de connaissance.

On sait que pour la psychologie moderne, la vie affective cons­

titue le domaine des mobiles de l'action, tandis que l'intelligence ou les habitudes en caractérisent la technique. C'est ainsi que Claparède assignait à l'intellect la fonction de découvrir les

«moyens» à mettre en œuvre par l'activité, et aux sentiments celle de déterminer les dins». C'est ainsi également que pour les Gestaltistes la vie affective constitue le système des «Aufforde­

rungscharakter» de ce «champ total» dont les autres forces expli­

quent perceptions et intelligence. Mais c'est sans doute Pierre Janet qui a défini de la façon la plus claire le rapport des deux sortes de phénomènes en distinguant dans toute action: a) l'action primaire qui est la réaction du sujet aux objets extérieurs (ré­

flexes, habitudes, perception, intelligence) et b) l'action secondaire ]6

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