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Esquisse d'une histoire de l'environnement à travers les catastrophes

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Academic year: 2022

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Esquisse d'une histoire de l'environnement à travers les catastrophes

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Esquisse d'une histoire de l'environnement à travers les catastrophes.

Nouvelles : bulletin d'information du Centre européen d'écologie humaine , 1987, no.

12, p. 4-6

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4357

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ESQUISSE D'UNE HISTOIRE DE L'ENVIRONNEMENT A TRAVERS LES CATASTROPHES

Claude Raffestin

Département de Géographie Université de Genève

L'écologie générale en tant que science de la nature peut imaginer, bien sûr, des expériences. Ce n'est pas le cas de l'écologie humaine confinée à l'observation et encore à une observation souvent difficile ou rendue difficile par le contexte.

Evidemment, il est possible d'observer, de décrire et d'expliquer des écosystèmes agricoles, urbains et industriels mais très souvent on découvre que sont négligées les relations entre les hommes et les choses et celles des hommes entre eux qui constituent pourtant l'essentiel de l'écologie humaine en tant que science de l'homme. Lorsque l'on doit observer les "relations normales" dans leur épaisseur mais aussi dans leur banalité quotidienne, il est difficile de comprendre le rôle des facteurs culturels enfouis dans les actions, les cerveaux et les coeurs. Comment les hommes se comportent- ils dans l'enveloppe spatio-temporelle qu'ils ont produite? Quels codes utilisent-ils, comment les comportements se structurent-ils?

L'idée que je propose consiste à chercher à appréhender cela à travers l'ébranle- ment, la destruction voire l'anéantissement de l'enveloppe spatio-temporelle. Que se passe-t-il dans la vie publique et la vie privée au moment où l'enveloppe se déchire?

Une catastrophe dans un écosystème humain implique la rupture de la chaîne rela- tionnelle, autrement dit la rupture de l'existence. Les grandes catastrophes se sont souvent manifestées au cours de l'histoire et bien évidemment aussi dans la période contemporaine comme les signes avant-coureurs de la fin du monde qui renvoyait à des situations mythiques comme celle du Déluge par exemple. Je veux dire par là que les mythes religieux peuvent prendre à cette occasion une valeur existentielle tout à fait insoupçonnée.

Par ailleurs, la catastrophe en cassant une chaîne existentielle et souvent en détruisant totalement ou partiellement l'environnement oblige à un nouveau départ. En faisant tabula rasa de l'existant, la catastrophe contraint soit à abandonner complète- ment un écosystème soit à le reconstruire. Nous assistons alors à une renaissance du monde, à une renaissance de l'homme et à une renaissance de la société dans la pensée populaire.

Du point de vue de l'écologiste humain la catastrophe est particulièrement inté- ressante, si vous me permettez d'utiliser cette expression un peu excessive, à trois

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moments. Au moment où elle survient car elle met en évidence des comportements que l'on n'a pas l'occasion d'observer fréquemment et qui, en fait, ne sont restitués que par de rares témoignages car il faut avoir un sacré sang-froid pour noter précisément ce qui se passe, ce qui arrive. Le second moment est celui après la catastrophe, alors que les secours s'organisent, car il permet d'observer le fonctionnement d'une société en état de crise non créé par les hommes mais par un phénomène extra-humain ou non- humain. Le troisième moment est celui, souvent différé d'ailleurs, de la reconstruc- tion ou de la restauration.

Le moment I, comme je l'ai dit, est saisissable par de rares témoignages seule- ment. S'il pouvait être mieux observé, il permettrait de mettre en évidence les com- portements humains dans une situation totalement inhabituelle. C'est au fond une manière de tester une société dans des situations extraordinaires.

Le moment II permet de mettre en évidence les comportements publics, le système des relations politiques, le système des relations socio-économiques et les comportements privés.

Le moment III permet de saisir la mobilisation des codes, et les codes eux-mêmes qui sont utilisés pour reconstruire et pour retrouver un équilibre socio-politique et socio- économique.

L'histoire n'est pas avare en catastrophes et je me demande si l'écologie humaine ne trouverait pas dans les ruptures et les discontinuités générées par les catastrophes des sortes de laboratoires dans lesquels des expériences spontanées offrent une foison d'informations.

Depuis Sodome et Gomorrhe en passant par Pompéi, Lisbonne, Messine et Mexico jusqu'à Armero, les catastrophes destructrices des écosystèmes sont nombreuses.

Afin d'illustrer ces quelques remarques j'aimerais évoquer le tremblement de terre calabro-messinese de 1783 (5 février). Entre février et mars 1783 pratiquement la moitié des centres habités de la Calabrie furent balayés de la surface de la terre:

c'est alors qu'a commencé ce qu'on a appelé dans la 'région "l'Illiade funesta". A partir de l'ouvrage de Augusto Placanica (Il filosofo e la catastrofe. Un terremoto del settecento) je ferai quelques remarques par rapport aux trois moments mis en évi- dence.

On notera que les témoignages qui parleront des signes prémonitoires, reconstitués après coup, véhiculeront énormément de mythes. Cependant, l'époque n'en est déjà plus à penser qu'il s'agit d'un signal annonçant la colère de Dieu. Au point de vue de la connaissance on se trouve dans une époque intermédiaire. Ce ne sont plus les mythes qui fonctionnent mais ce ne sont pas encore des explications scientifiques. Les idées qu'on se fait peuvent permettre de juger de la relation à la connaissance. Les témoi- gnages sont donc susceptibles de fournir des données sur la sémiosphère et de fait si celle-ci est définie comme le mécanisme de transformation de la communication externe en communications internes les signes sont très précieux. Le monde scientifique s'est interrogé sur la catastrophe à coups de causes imaginées, d'invocations à la Bible, aux auteurs classiques, etc. Deux groupes s'affrontèrent, les "fuochisti" et les

"elettriscosto". Le terramoto est encore un météore à l'époque.

Dans le moment II, on constate que les relations de pouvoir traditionnelles sont cassées entre ville et campagne. Autrement dit villes et campagnes sont sur le même

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plan; également confrontées au froid, à la faim, aux maladies, aux épidémies mais aussi à la rancoeur, au soupçon, à l'intolérance, aux violences, aux vols, aux accaparements et à l'usure, etc. Tout ce qu'on appelle la civilisation, tout ce qui fait la société saute par ce que les besoins fondamentaux ne sont plus satisfaits. Certains pensèrent que "l'homme vrai" fut dévoilé par le tremblement de terre (106).

Les relations pesantes des étudiants et celles des religieuses sont éliminées par le système consécutif aux effets du tremblement de terre. Le refus par les religieuses de leur condition est significatif. Le terramoto est la possibilité de secouer les règles et les contraintes : "L'ordre naturel a pris la place de l'ordre monacal, et l'on nous mande de Messine que plusieurs d'elles sont enceintes".

On notera la puissance des modifications qui surviennent dans les relations à la suite de la déchirure de l'enveloppe spatio-temporelle. On peut admettre que l'espace ne détermine pas mais qu'il conditionne gravement. Au fond, il s'agit de saisir les choses au moment où elles changent, au moment où elles basculent pendant, juste après et au moment où elles vont être refaites.

A l'organique peut se substituer le "planifié". Ce qui a été le cas dans la ville de Lisbonne après le tremblement de terre en 1755.

On peut aussi renoncer à reconstruire et oublier comme à Pompéi et à Armero. Ce sont, en somme, les écosystèmes manqués, ceux dont on a oublié de prendre en compte une relation essentielle à l'enveloppe spatio-temporelle parce qu'on ignorait ou parce qu'on la sous-estimait.

On aura compris que la catastrophe peut être utilisée pour mettre en évidence la réalité des différentes relations et non pas en tant que phénomène. La catastrophe est un médiateur à nous-mêmes. Elle n'est pas intéressante en tant que chose mais en tant qu'état de choses.

La catastrophe de Bhopal a mis en évidence les relations d'une multinationale avec son environnement; Tchernobyl a révélé les relations politiques en Occident exactement de la même manière. Le raisonnement qu'on peut faire s'apparente au marginalisme des économistes: les relations valent ce que valent les relations exceptionnelles. Rien de moins mais rien de plus non plus.

On remarquera que dans ces conditions l'idiographique permet de construire du nomothétique, que le particulier permet de produire du général.

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