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La culture scientifique pour une honnête femme du 21ème siècle, est-ce encore possible ?

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La culture scientifique pour une honnête femme du 21ème siècle, est-ce encore possible ?

GALLIOT, Brigitte

Abstract

Hâtons-nous de rendre les sciences populaires ! Car non toutes les opinions ne se valent pas

; certaines reposent sur des faits qui sont faux ou tout du moins simplifiés, déformés de la réalité, d'autres ont comme fondement des angoisses qui ont leur légitimité mais ne permettent certainement pas d'aborder sereinement les questions posées, enfin les dernières cherchent à tenir compte de la complexité de la réalité des faits. Cela requiert du travail, du temps, de la patience mais est tellement plus juste ! Ne nous disqualifions pas et n'abandonnons pas les plaisirs de la curiosité, de la découverte des sciences et de la construction d'un savoir à d'autres. Et pourquoi pas en Suisse un grand musée interactif rendant accessible au plus grand nombre la science en marche ?

GALLIOT, Brigitte. La culture scientifique pour une honnête femme du 21ème siècle, est-ce encore possible ? In: Forney, J-J. Fondation Culture & Rencontre, XXème anniversaire . Genève : 2007. p. 1-5

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:38931

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La culture scientifique pour une honnête femme du 21ème siècle, est-ce encore possible ?

Brigitte Galliot

biologiste au département de zoologie et de biologie animale de l’Université de Genève

Hâtons-nous de rendre les sciences populaires ! Car non toutes les opinions ne se valent pas ; certaines reposent sur des faits qui sont faux ou tout du moins simplifiés, déformés de la réalité, d’autres ont comme fondement des angoisses qui ont leur légitimité mais ne permettent certainement pas d’aborder sereinement les questions posées, enfin les dernières cherchent à tenir compte de la complexité de la réalité des faits. Cela requiert du travail, du temps, de la patience mais est tellement plus juste ! Ne nous disqualifions pas et n’abandonnons pas les plaisirs de la curiosité, de la découverte des sciences et de la construction d’un savoir à d’autres. Et pourquoi pas en Suisse un grand musée interactif rendant accessible au plus grand nombre la science en marche ?

L’intelligence contre l’effroi

Que nous le voulions ou non, notre génération et celles qui nous suivent, sommes confrontées à des défis de nature physique et biologique, Car, OUI mille maux semblent nous attendre suite au réchauffement incontrôlable de la planète ; OUI les énergies fossiles sont en voie de disparition ; OUI un tiers d’entre nous souffrent ou souffriront d’un cancer au cours de leur vie, y compris les enfants (1/500), eux qui sont atteints avant d’avoir acquis un comportement à risque ; OUI un couple sur six est peu fertile voire stérile ; OUI la promiscuité au sein des mégapoles et nos déplacements augmentent les risques infectieux ; OUI l’eau non potable, les déshydratations, la rougeole, le paludisme et le SIDA font encore des millions de morts et d’orphelins ; OUI la biodiversité est fortement menacée ; OUI nous devons régulièrement nous prononcer sur des avancées biotechnologiques qui perturbent nos idées sur les frontières du vivant.

Or face à tous ces défis, que faisons-nous ? Nous européennes nanties, nous nous effrayons à l’idée de manger des aliments qui contiennent des organismes génétiquement modifiés ; les plus jeunes et/ou les plus motivées d’entre nous vont régulièrement, juchées sur leurs vélos, manifester contre la pollution des véhicules à moteur, tandis qu’elles boudent les filières scientifiques; certaines mères refusent les vaccinations pour leurs enfants, ne reconnaissant plus que les médecines

« douces »; d’autres, ayant sans doute définitivement renoncé à l’idée d’amélioration de la condition humaine, se réfugient dans la protection des animaux, alors que s’affiche sur les murs de nos villes le déni brutal de tout intérêt médical à l’expérimentation animale.

Certains de ces comportements sont certainement utiles, mais aucun ne suffit à répondre à ces défis qui requièrent avant tout un esprit ouvert, cultivé et scientifique, c’est-à-dire actif, logique, apte à faire la distinction entre le juste et le faux, perméable à la réalité des faits et au doute, et non replié sur des ratiocinations stéréotypées. Qu’il s’agisse de modifications de nos habitudes ou de solutions technologiques nouvelles, nous devons comprendre en profondeur les mécanismes de ces questions si nous voulons être capable d’élaborer puis de choisir des solutions efficaces, adaptées, modulables, souples, non toxiques, bref

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Fondation Culture & Rencontre XXème anniversaire, mai 2007 intelligentes ! Cette intelligence1 ne doit pas être déléguée à une élite d’expertes scientifiques, fut-elle ignorée, adulée ou détestée; cette intelligence doit être celle des citoyennes, champ fertile d’où pourront émerger les professionnelles. Il est urgent d’encourager l’intérêt du public et en particulier l’intérêt des femmes pour la science, de promouvoir une culture scientifique active au sein de la société civile, afin de jeter des ponts sur le fossé qui se creuse entre cette dernière et les acteurs scientifiques.

Cultivons l’appétit scientifique

La démarche à adopter pour une honnête femme du 21ème siècle cherchant à comprendre les problèmes du monde qui l’entoure, est-elle très différente de celle d’un gentilhomme2 curieux du 19ème siècle ? Reconnaissons tout d’abord que la culture scientifique fut initialement établie sur des observations de la nature; il suffit de penser à Charles Darwin qui, revenu de quelques années de voyage sur le Beagle, proposa le concept de sélection à partir d’observations anatomiques, comportementales, écologiques qu’il avait collectées au cours de son périple. Or cette part d’observation qui fondèrent les « Sciences Naturelles » bien avant le 19ème siècle, était accessible à chacun tant que la société fut organisée sur un mode essentiellement rural : à la campagne, un enfant était capable de traire une vache, d’assister aux ébats conduisant à la naissance d’un veau, d’observer les étoiles la nuit, la métamorphose des têtards le jour, de participer à la chasse, à la pêche, aux élevages et cultures familiales, de se constituer un herbier. Les pêcheurs furent les premiers connaisseurs de la mer, eux qui montrèrent aux scientifiques l’étonnante régénération des pinces de homards.

Cette accessibilité quotidienne aux réalités biologiques, physiques a terriblement diminué avec notre mode de vie urbain et technologique, où nous nous restreignons à cultiver nos plantes d’appartement (légales ou non), à éventuellement regarder croître la pâte à pizza pour celles qui utilisent encore de la levure, tandis que les enfants ne décrochent pas de leurs jeux vidéo. Il nous faut donc développer des accès nouveaux aux réalités scientifiques, pour stimuler cet appétit qui ne doit pas disparaître chez nos enfants.

Les stages découverte, les clubs d’initiation scientifique et technique3, les clubs nature se développent et c’est tant mieux ; chaque centre de loisirs devrait proposer des ateliers similaires, en biologie, physique, chimie. En Amérique du Nord, les enseignements scolaires scientifiques intègrent, beaucoup plus systématiquement qu’en Europe, théorie et pratique ; les élèves motivés développent en groupes des mini-projets scientifiques expérimentaux dont ils argumentent les résultats publiquement. Dans cette tâche éducative, les musées ont un rôle de locomotive, et il est consternant de noter l’absence de grand musée scientifique moderne en Suisse, un pays qui sur bien des critères s’aligne parmi les plus productifs au monde en termes de découvertes scientifiques, et… possède de merveilleux musées d’art.

Je n’ignore pas les nombreux musées conçus historiquement pour présenter des collections reflétant le passé prestigieux de la Suisse dans les domaines des Sciences Naturelles, de l’Ethnologie, des Techniques, et qui proposent maintenant des expositions thématiques, des animations et des ateliers pour les jeunes enfants. D’autres, trop rares, ont été imaginés d’emblée comme lieu d’éveil à la science4, c’est à dire interactifs et ludiques, plus attrayants pour les adolescents. Je n’ignore pas non plus les nombreuses manifestations qui permettent au public d’accéder à la science en marche comme les cafés scientifiques, les conférences grand public, les opérations portes ouvertes des Universités, ou les stands des chercheurs au sein de manifestations publiques. A côté de tous ces efforts, un grand musée interactif, ludique déployant en

1intelligo en latin signifie "je comprends"

2 admettons que le modèle "gentillefemme scientifique" n’est pas dominant cette époque-là

3 Les Petits débrouillards à Genève ; www.pointe-a-la-bise.com/fr/

4 L’Espace des inventions, Lausanne

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permanence la science du 21ème siècle, constituerait un pôle d’attraction et de stimulation formidable pour les jeunes de 7 à 107 ans. Les succès des Nuits de la Science à Genève sont bien la preuve de la vivacité de cet appétit pour la science en marche.

Pour une gymnastique de la rationalité, contre l’emprise de l’émotion

Revenons à notre gentilhomme du 19ème siècle. Reconnaissons maintenant que si la curiosité et le jeu avec les éléments naturels étaient facilement accessibles lorsque le poids des taches quotidiennes n’était pas accablant, la culture était réservée à un petit nombre. En effet, ce gentilhomme avait eu la chance, à la suite du siècle des lumières, de fréquenter un maître d’école ouvert aux nouvelles théories scientifiques, le débarrassant de l’emprise des croyances religieuses telles que le fixisme des espèces5, et lui donnant l’envie de lire les philosophes positivistes, voire certains scientifiques comme Claude Bernard. Ce dernier prônait une démarche scientifique expérimentale, c’est-à-dire une élaboration

Figure 1 : Les principaux échelons de la biologie. A chaque échelon, supramoléculaire (ADN, microtubule), cellulaire (neurone, fibre musculaire lisse), organe (os, intestin), organisme et espèces (carpe, moustique, homme), correspondent des branches spécifiques de la biologie telles que la biochimie, la biologie moléculaire, la génétique, la biologie cellulaire, la biologie animale, la physiologie, la zoologie, etc… Cependant toutes les branches de la biologie moderne intègrent dans leur analyses plusieurs échelons, y compris les échelons moléculaires et cellulaires. Citons quelques exemples : la biologie du développement, la neurophysiologie, la physiopathologie, la biologie du comportement, etc … Il s’agit de comprendre les cascades d’effets qui se répercutent d’un échelon à l’autre. Exemple en génétique moléculaire du développement :

Altération d’un gène activé tôt au cours du développement perturbations cellulaires localisées malformations des membres

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Fondation Culture & Rencontre XXème anniversaire, mai 2007 progressive des idées scientifiques à partir de résultats obtenus lors d’expériences imaginées et organisées en fonction des questions posées. Les mêmes causes donnant les mêmes effets, ces faits expérimentaux doivent être contrôlés et reproductibles avant d’en déduire des conclusions, à l’origine de nouvelles hypothèses, elles-mêmes testées lors de nouvelles expérimentations, etc…. Ainsi va la science depuis lors, un jeu de va-et-vient entre les idées, jamais définitivement fixées, et les réalités, taiseuses, contraignantes et complexes ; un jeu au sens propre du terme, c’est à dire ludique.

Donc, une fois l’appétit aiguisé, les faits observés, l’étape de toute culture scientifique est celle de la représentation mentale : celle de cet enchaînement des faits aux idées, avec logique, rigueur, précision, finesse, en tentant d’éliminer de cette construction, nos propres frayeurs, nos idées préconçues. Il ne fut pas agréable pour les contemporains de Darwin de se voir considérés comme une espèce animale parmi d’autres, comme il est fort déplaisant pour certains de nos contemporains, de réaliser que les gènes qui font fonctionner leurs cellules, ont la même efficacité chez la mouche. Ces frayeurs, ces émotions, ces idées préconçues ne sont pas méprisables, mais demandent à être identifiées, pour ne pas être confondues avec la réalité des faits, pour ne pas empêcher leur analyse, pour être prises en charge par d’autres compartiments de notre esprit si nécessaire. Car après Darwin vint Freud, une avancée non négligeable !

La culture scientifique moderne demande donc une gymnastique de la rationalité, certainement pas incompatible avec la world-culture, les séries télé, le jazz, les voyages, le fitness ou la mode, mais développant curiosité, concentration, effort ainsi que patience et prudence car notre esprit n’intègre au mieux que quelques petits morceaux du puzzle à chaque fois, morceaux à placer délicatement sur les morceaux précédents ! De ce point de vue, cette gymnastique est bien peu compatible avec notre mode de vie moderne, rapide, immédiatement satisfait,

« zappant » d’une activité à l’autre, abandonnant volontiers la réflexion aux portes de l’émotion imagée, fort différent donc de la lenteur du 19ème siècle où notre gentilhomme parcourait champs, vergers, vignes et forêts dans la journée, ramenait quantité de spécimens qu’il manipulait dans son laboratoire, puis le soir tissait patiemment la trame de son savoir en notant ses résultats, en écrivant à ses contemporain(e)s ou en lisant à la chandelle.

Science et culture, ou le jardinage du juste et du flou

Outre la lenteur dont elle ne dispose pas, notre honnête femme du 21ème siècle va se retrouver devant une foison de d’informations qu’il lui sera bien difficile de trier, d’ordonner, de relier, de mettre en perspective. En effet, le savoir scientifique est multidimensionnel, développé aux niveaux atomique, moléculaire, cellulaire, tissulaire, organique, individuel, des populations, des milieux, des planètes, des étoiles…(Figure 1) et il est souvent fort difficile de situer d’emblée le niveau de certaines découvertes et leurs relations avec les niveaux adjacents. De plus la dynamique de la production de ce savoir est à trois étages (Figure 2). Le premier étage est celui des certitudes, osons le mot, des vérités reposant sur des preuves expérimentales établies par différentes équipes, confirmées par différentes approches et admises par l’ensemble de la communauté scientifique. Le deuxième étage, celui des faits probables, est plus mouvant, plus approximatif, plus morcellé aussi. Il correspond aux expérimentations en cours, dont les résultats doivent être reliés aux données pré-existantes, dont les déductions sont testées par de nouvelles expériences. Enfin le troisième étage est celui des spéculations, qui reposent bien évidemment sur les deux étages précédents mais bénéficient d’une grande liberté car non confrontées à l’épreuve de l’expérimentation. Comment se dépêtrer seule entre tous ces échelons et tous ces étages ? Mission impossible !

5 Croyance selon laquelle l’espèce humaine et toutes les espèces animales furent créées par Dieu au même moment, il y a 6000 ans environ. Cette croyance est très proche du créationisme actuel.

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Il existe une idée partiellement fausse à propos de l’intelligence, celle de l’avoir reçue ou pas à la naissance ! Or une vision "musculaire" de l’intelligence est certainement plus proche de la réalité et plus salutaire aussi : nous sommes toutes capables à travers un entraînement régulier de développer nos connections neuronales pour obtenir un réseau plus dense et plus rapide, comme le ménage, le vélo, le nordic-walking ou la danse développent nos fibres musculaires, notre souplesse, notre allure !

Si les hygiénistes recommendent une pratique régulière du sport, pourquoi ne serait-il pas tout autant indispensable de cultiver sa logique, son esprit d’analyse et de synthèse trois fois par semaine en fréquentant le web, les bibliothèques, les musées interactifs, les cafés scientifiques, les ateliers scientifiques de quartier, les universités populaires ? Pourquoi la plastique reflétée par notre cher miroir passerait-elle avant, ou à la place de notre esprit ? Le bien-être est un mauvais argument car le travail de l’esprit en donne au moins autant que celui du corps.

Tissons donc patiemment les fils de notre savoir pour rendre notre toile tout à la fois solide et plastique, structurée sur des certitudes mais également apte à discerner les approximations, à supporter des évolutions. Voilà un objectif ambitieux, source de satisfaction personnelle et soutien indispensable au développement durable d’une société de qualité.

______________

Figure 2 : Les trois états du savoir scientifique. Le savoir scientifique est constitué de vérités reposant sur des faits avérés (étage du bas), de faits probables, en cours d’évaluation expérimentale, susceptibles donc d’être modifiés (étages intermédiaire), et finalement de spéculations, déduites des deux étages précédents (étage du haut).

Références

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