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Autonomie professionnelle et négociation au sein d'une équipe pédagogique

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Autonomie professionnelle et négociation au sein d'une équipe pédagogique

CAPITANESCU BENETTI, Andreea

CAPITANESCU BENETTI, Andreea. Autonomie professionnelle et négociation au sein d'une équipe pédagogique. In: La discussion en éducation et en formation : socialisation, langage, réflexivité, identité, rapport au savoir et citoyenneté. Montpellier : IUFM, 2003.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:33879

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In CD-ROM du Colloque « La discussion en éducation  et en formation » : socialisation, langage, réflexivité, identité

rapport au savoir et citoyenneté », Montpellier, IUFM et Université Paul Valéry, 23-24 mai 2003.

Autonomie professionnelle et négociation au sein d’une équipe pédagogique  *

Andreea Capitanescu Université de Genève Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation Mai 2003

Introduction

Dans tous les pays, les institutions scolaires se décentralisent et laissent de plus en plus de marge d’action, de décision et d’initiative aux établissements scolaires. En même temps, à l’intérieur de ceux-ci, les enseignants, contraints de coopérer, s’imposent de nouvelles règles qui entrent en conflit avec l’autonomie professionnelle des individus.

La thèse essentielle que nous allons défendre dans cette contribution est que l’autonomie professionnelle de l’enseignant est et doit être sans arrêt (re) négociée au sein d’une équipe pédagogique.

Car il s’agit de la capacité d’un acteur (individuel ou collectif) de déterminer librement les règles d’action auxquelles il se soumet, de fixer, à l’intérieur de son espace d’action, les modalités précises de son activité, sans qu’une instance externe (ici l’organisation formelle) ne lui impose ses normes.(Chatzis, 1992, p.29)

Lorsqu’il s’agit de mettre en place une autre organisation du travail qui rompt avec un découpage annuel au sein de l’école, dans l’ambition de travailler par cycles d’apprentissage, de construire des situations d’apprentissage, de se mettre d’accord sur des objectifs d’apprentissage, sur la mise en place de projets éducatifs et pédagogiques, sur un partage des élèves et d’assumer collectivement la tâche de tout mettre en œuvre pour faire réussir un maximum d’élèves, d’assurer un suivi collégial à propos des élèves, alors les enseignants doivent faire le deuil d’une bonne part d’autonomie, très souvent confondue avec la liberté du type « je fais ce que je veux quand je veux », au profit des décisions collectives sans lesquelles il n’y aura ni cohérence, ni action commune efficace. Mais les enseignants le veulent-ils vraiment ? A quel prix ?

Lorsque l’équipe prend le temps de discuter à propos des enjeux cités ci-dessus, alors la discussion porte aussi sur la place de chacun dans l’équipe, sur la place que chacun veut donner à autrui et aspire à se donner dans l’équipe. Comment coopérer à bon escient, comment contribuer à l’émergence d’une communauté professionnelle sans tomber dans le piège de la fusion ?

La communication entre collègues d’une même école est nécessaire dans ces périodes de changements. Toutes les équipes d’enseignants n’ont pas la même culture de la communication. Et cette dernière n’est pas forcément un gage de changement. Il se peut aussi que le passage à l’acte soit plus

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difficilement entrepris. Lorsque l’équipe fait le tour des problèmes à résoudre, il y a à négocier sans cesse l’équilibre à trouver entre l’autonomie de chaque enseignant et la cohérence collective que l’équipe tente d’avoir.

Contexte 

Pour illustrer notre thèse, nous nous référerons à la rénovation de l’enseignement primaire actuellement en cours dans le canton de Genève.

À Genève, les recherches ont montré dès le début des années 1990 que le redoublement des élèves est une conséquence significative d’un manque de dialogue et de suivi des élèves entre collègues Hutmacher (1993). Le redoublement est en augmentation et ceci en dépit des moyens considérables déployés depuis presqu’une trentaine d’années pour lutter contre l’échec scolaire.

À partir de ces constats, les autorités scolaires ont décidé, dès 1994, d’entreprendre une rénovation de l’enseignement de grande envergure, qui devait reposer sur trois axes : individualiser les parcours de formation, apprendre à mieux travailler ensemble, placer les enfants au cœur de l’action pédagogique.

Plusieurs aménagements ont été implémentés (in Correspondances de l’enseignement primaire genevois, n°14, juin 2002) :

- des nouveaux objectifs d’apprentissage ;

- des cycles d’apprentissage : « L’école primaire genevoise s’organise progressivement en deux cycles d’apprentissage de quatre ans qui doivent permettre aux élèves de progresser harmonieusement dans les apprentissages fixés eux aussi sur quatre ans. »

- une évaluation formative durant toute la durée du cycle et certificative en fin de cycle ;

- un suivi collégial des élèves : « Les parcours des élèves sont suivis collégialement par l’ensemble des enseignant-e-s d’un même cycle d’apprentissage, élémentaire et moyen. Lors des réunions, tenues à intervalles réguliers, les enseignant-e-s échangent des informations sur le type d’activités estimées nécessaires et bénéfiques pour les élèves et sur le parcours et la progression de ces derniers. Le suivi collégial favorise : la gestion des apprentissages de chaque élève pour permettre d’atteindre progressivement les objectifs   ; la coordination d’activités et de situations d’apprentissage grâce à une cohérence renforcée ; la recherche de solutions adaptées aux élèves en difficultés ; l’observation du parcours de chaque élève qui bénéficie ainsi de plusieurs regards et qui permet d’effectuer une évaluation plus fine   ; la mise en commun des compétences personnelles des enseignant-e-s » ;

- le plan de travail annuel des enseignants : « présente l’organisation mise en place par les enseignant-e-s dans les cycles d’apprentissage et l’application des plans d’études »

- le projet d’école : « établi pour quatre ans et intégrant tous les éléments du plan de travail ». Aussi, des projets d’établissement sont mis en place par les écoles ; ce qui a aussi comme effet une décentralisation de la prise de décisions et des négociations multiples au sein de l’équipe pédagogique. Chaque école fixe à partir d’un plan-cadre officiel ses priorités, et celles-ci diffèrent d’une école à une autre. Ce qui fait la caractéristique majeure de cette entreprise de rédaction du projet est la discussion entre les professionnels sur les priorités pédagogiques, sur les objectifs à fixer, sur les moyens que les enseignants se donnent, sur le partage des ressources au sein de l’école, sur l’ouverture à des diverses collaborations nécessaires afin de mener à bien le projet.

- les responsables d’école.

Nous rappelons que plusieurs systèmes éducatifs ont adopté la formule de « cycles d’apprentissage »

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mais elle diffère à chaque fois. Théoriquement, un cycle d’apprentissage est « un cycle d’études à l’intérieur duquel on ne redouble pas » (Perrenoud, 2002, p.28). Le cycle d’apprentissage rompt avec la logique du découpage scolaire annuel. Cela permet « une planification et une gestion « intelligentes » des apprentissages et une lutte efficace contre les inégalités par une pédagogie différenciée » (Ibid., 2002, p.

32).

Du point de vue de la stratégie d’implantation de cette réforme, il ne s’agit pas d’une réforme immédiate. Les 220 écoles primaires genevoises entrent dans la rénovation, par vagues successives, à des rythmes différents. Jusqu’à maintenant, il y a eu deux phases : de 1995 à 1999, 15 écoles étaient en exploration et à partir de 2000, nous nous situons dans une deuxième phase d’extension progressive à toutes les autres écoles.

C’est dans ce contexte que nous avons mené une recherche-formation avec une équipe d’enseignants d’une des écoles primaires qui s’était engagée dans la rénovation dès ses débuts.

La demande de l’équipe des enseignants a été de travailler collectivement sur les dysfonctionnements et la recherche de solutions communes dans la mise en marche des cycles d’apprentissage de quatre ans.

Travailler en cycle : oui, mais …

 Nous pourrions dire que le travail avec l’équipe a consisté en l’analyse de plusieurs strates de la réalité de la culture de l’établissement (Gather Thurler, 2000, pp.114-120) : la première strate concerne l’assimilation et l’interprétation du plan-cadre officiel par les enseignants, la seconde strate concernant ce qui est particulier à l’établissement, la troisième strate concerne ce qui échappe à la conscience des acteurs.

Lors d’une première étape, nous avons débattu et incité les enseignants à analyser les textes fondateurs et d’orientation de la rénovation de l’école primaire, car il nous a semblé essentiel qu’ils se repositionnent par rapport au plan-cadre officiel de 2001. Nous avons pu aussi voir comment les enseignants assimilaient et interprétaient les valeurs et les normes en vigueur dans l’institution.

Ensuite, dans une deuxième étape, nous avons analysé ce qui concerne l’établissement, les normes de l’établissement, et ce qui se fait ou ce qui ne se fait. Nous avons proposé aux membres de l’équipe de repenser et de problématiser ensemble ce qui au niveau de l’établissement et de l’équipe doit être entrepris et inventé. L’école a dû décider d’un certain nombre de modalités concernant la nouvelle organisation scolaire par cycles d’apprentissages de quatre ans.

Au travers cette analyse, nous avons pu inviter les enseignants à interroger la culture professionnelle de l’équipe.

Chaque établissement, chaque école a sa culture. Les enseignants ont des parcours de vie, des biographies différentes, des expériences diverses et construites par les événements et les contraintes du système éducatif. Gather Thurler (2000) avance que :

« La culture d’un établissement est activement construite par les acteurs, même si cette construction reste en grande partie inconsciente. Il s’agit en fin de compte d’un processus dynamique, évolutif, d’un processus d’apprentissage. La culture se stabilise comme ensemble de règles du jeu organisant la coopération, la communication, les rapports de pouvoir, la division du travail, les modes de décision, les manières d’agir et d’interagir, le rapport au temps, l’ouverture sur l’extérieur, le statut de la différence et de la divergence, la solidarité.

Rappelons également la définition de Schein (1990), selon laquelle la culture d’un établissement peut être vue comme la « (…) somme des solutions qui ont suffisamment bien fonctionné pour qu’elles finissent par aller de soi, et par être transmises aux nouveaux venus

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en tant que manières correctes de percevoir, de penser, de sentir et d’agir » (ibid., p.41-42, trad. M. Gather Thurler)

Aussi, la troisième strate, la partie la moins visible de l’iceberg, soit la plus implicite a souvent fait surface dans les discussions. Les pratiques sont opaques aux collègues. Ce que chacun fait avec ses élèves, ce que chacun pense que l’autre fait avec ses élèves restent parfois dans un non-dit.

Dubet dit que : dans le champ scolaire,

« il s’agit, en réalité, d’un monde opaque où chacun préserve sa vie privée, son autonomie, ses activités extérieures et dans lequel se forment de petits groupes affinitaires qui ne se sentent pas liés à l’ensemble du monde enseignant.  Entre collègues et avec l’administration règnent des règles d’évitement. Dans l’ensemble, les occasions de conflit sont soigneusement contournées et, souvent, les relations limitées au strict nécessaire. Quelques enseignants avouent ne pas connaître leurs collègues et les découvrir le jour du premier conseil des professeurs. Sans doute y a-t-il des personnages, des professeurs anciens et connus, mais la règle reste l’évitement. Il est tacitement interdit de parler du métier, de porter des jugements en dehors de petits groupes intimes. Le statut protège du regard des autres sur le métier. il va de soi, par convention, que personne ne rencontre des difficultés, que les pédagogies ne sont pas contradictoires et qu’il est presque indécent de se mêler du travail des autres, au prix d’une grande solitude parfois. » (1991, p. 295)

La mise en place des cycles d’apprentissage ne peut faire l’économie de cette analyse des strates, de visibiliser les pratiques les plus cachées des enseignants. Échanger à propos de sujets qui habituellement restent implicites et font partie de l’implicite, rarement de l’explicite et du silence. Echanger autour des pratiques ne s’apprend pas en un seul jour. Il y a de multiples aspects qui différencient les enseignants dans leurs pratiques : la manière d’introduire une leçon, la manière de prendre en compte un événement dans la classe, de gérer un conflit entre les élèves, la manière de travailler en groupe, le seuil de tolérance de chacun au bruit acceptable dans la classe, au degré du désordre, etc. C’est en partie aussi pour cette raison que l’équipe a voulu travailler avec des intervenants externes à l’école, qui puissent pointer des implicites et les problématiser.

Dans le cadre de notre intervention auprès de l’école mentionnée, nos rencontres ont été balisées par de multiples discussions sur ce que la mise en place des cycles d’apprentissage provoque chez les professionnels d’une école, chez les membres d’une équipe.

Plusieurs axes de réflexion ont ainsi pu être esquissés : 1. Une équipe avec son histoire et ses histoires

2. Un organe collectif de contrôle de la planification commune

3. Un équilibre à trouver entre l’autonomie et la coopération au sein d’une équipe 4. Un besoin urgent de spécialistes tournants !

5. Harmoniser les pratiques !

6. Dans un cycle, peut-on encore garder ses élèves ?

A partir de ces six points, nous allons tenter d’illustrer la thèse centrale de notre texte que l’autonomie professionnelle de l’enseignant est sans cesse renégociée au sein d’une équipe pédagogique.

Nous fondons nos énoncés sur un corpus de données (journal de bords et mémos de travail) que nous avons pu récolter au gré de nos interventions auprès de l’établissement mentionné.

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1. Une équipe avec son histoire et ses histoires

Une équipe se trame d’une histoire et de plusieurs histoires. Une histoire, car l’équipe a déjà avancé sur un chemin particulier de décisions, de planification, de division des responsabilités et a déjà fait face à certains problèmes contingents de l’école. Nous pourrons énumérer par là : le rapport développé avec les parents, avec les autorités, avec les diverses associations de quartier et autres collaborateurs plus ou moins proches, la population des élèves, les mesures de discipline choisies par l’école, etc. Plusieurs histoires, car chaque enseignant développe individuellement son propre tissu de relations et de collaborations avec son entourage. Les pratiques de chacun divergent et ressemblent à la fois aux pratiques des collègues. Chaque enseignant a développé des collaborations avec d’autres enseignants. Il y a dans le paysage relationnel de l’école une multitude de tentatives plus ou moins réussies ou échouées de collaboration.

Dans le tissu scolaire genevois qui est essentiellement citadin, les équipes d’enseignants ne sont que rarement stables, mais se recomposent au fil des années. Les enseignants restent quelques années dans une école et demandent ensuite leur affectation à une autre école, au gré de réalités tant professionnelles, que privées. Entre ceux qui restent dans la même école durant toute une carrière et ceux qui changent d’école tous les deux ou trois ans, l’expérience d’une coopération professionnelle diffère beaucoup. 

La rencontre des anciens et des débutants dans le métier est plus ou moins préparée à l’avance, mais il s’avère néanmoins que les pratiques de socialisation diffèrent d’une école à une autre. Il y a les jeunes qu’on intègre dans une organisation du travail dans une planification qu’on prévoit à l’avance. Il y a aussi ceux qui se jettent à l’eau tout seuls et à qui on laisse faire leurs armes. Le fait que les jeunes enseignants soient actuellement issus dans leur majorité d’une formation universitaire, certaines équipes d’enseignants

« les attendent au tournant, en les socialisant à la vraie vie qui n’est pas décrite dans les théories universitaires ». Il y a ceux qui sont suivis dans une équipe et qui ont une personne de référence dans les moments de difficultés et de doutes.

Le choix de l’école existe dans le système scolaire primaire genevois. Les nouveaux de la LME (Licence mention Enseignement) visitent les écoles où ils savent qu’il y a une place que l’équipe a son mot à dire. Mais nous ne pouvons pas avancer que l’on se trouve dans la cooptation et ceci parce que l’inspecteur et la direction de l’enseignement primaire décident en dernier lieu de l’affectation de chacun.

Par ailleurs, l’enseignant, selon le moment du stade de sa carrière n’aura pas la même disponibilité pour s’inscrire dans un travail d’équipe plus ou moins intensif. Dans cette profession féminisée, le fait d’être une mère peut ainsi accentuer les différences dans le rapport d’investissement que l’on donne à une équipe. Même si une équipe est demandeuse dans un premier temps, en énergie et en temps, et l’efficacité n’est pas garantie à tout prix ; de plus qui diminue l’autonomie des travailleurs au profit des prises de décisions dans l’équipe.

Nous tenions à rappeler ces éléments qui concernent la constitution des équipes pédagogiques genevoises car dans la réalité de l’école de l’UCE, la forte recomposition de l’équipe a été entre autres, l’un des facteurs déclencheurs de la demande d’intervention. L’équipe se composait au moment de la demande d’intervention (2001) des enseignants ayant une trentaine d’années d’enseignement et qui ont participé à sa fondation et d’autres, issus de la nouvelle formation d’enseignants, universitaire, qui faisaient leurs premiers pas dans le métier.

Il s’est ainsi avéré que les multiples et longs échanges autour de la représentation de chacun de l’école et sur les priorités du projet de l’école ont été nécessaires pour permettre aux uns et aux autres l’indispensable réappropriation des objectifs soi-disant « communs ».

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Les nombreuses discussions, dont certaines ont été souvent conflictuelles ont fait apparaître des représentations divergentes autour de la mission et raison d’être de l'école, de même que des visions très différentes quant à « l’école idéale » dans laquelle chacun rêve d’enseigner. Il y avait dans cette école les

« nostalgiques de Freinet », qui voulaient partir de l’enfant, développer ce qu’il y a de mieux chez lui,

« d’agir avec une certaine de douceur pour ne pas le brusquer » et d’autres qui ne se reconnaissaient guère dans cette approche pédagogique, ni dans son auteur. Il y avait des enseignants qui se sentaient emprisonnés par les nouvelles approches organisationnelles. Ces moments de formation sont plus intenses pour les élèves et les enseignants qui les animent ; cela demande aussi une meilleure préparation des activités. Ces enseignants tentent d’éviter les découpages horaires ressentis souvent comme un zapping, qui empêche de finaliser certaines activités avec les élèves. Mais ces moments de formation plus denses, prévus longtemps à l’avance et négociés au sein de l’équipe qu’avaient choisis leurs collègues, s’avèrent être des approches qui leur paraissaient comme « technocratiques» et les limitant dans leur autonomie personnelle et professionnelle. La mise en place des nouvelles structures risquait à leur avis de causer la perte définitive de « l’esprit Freinet » qui était l’un des fondements idéologiques des créateurs de l’école. De fait, les vieux enseignants avaient le sentiment de ne plus faire le même métier qu’avant, c’est- à-dire   qu’ils étaient toujours en train de préparer des bonnes leçons et de les exécuter et qu’ils ne pouvaient plus improviser ni rester ouverts à ce qu’il se passe dans la classe, à l’actualité. Certains d’entre eux parlent même d’un retour en arrière, à l’école de la « bonne leçon » qui ne tient pas compte de l’élève et de ce qu’il est vraiment. Alors que d’autres enseignants, plus jeunes et ayant rejoint l’équipe plus récemment, ne se reconnaissaient pas dans cette idéologie ne craignaient donc pas l’abandon d’une approche qu’ils n’avaient jamais rencontrée lors de leurs stages de formation

2. Un organe collectif de contrôle de la planification commune

L’enseignant affronte quotidiennement des situations de travail incertaines, faites d’interactions multiples et singulières. Ce métier est difficilement prescriptible.

Par ailleurs, l’organisation du travail et la planification scolaire sont la plupart du temps du ressort de l’enseignant habituellement « seul maître à bord ». Selon Reynaud (1997), les « règles d’en haut », les prescriptions officielles, les directives, les règlements formels ou informels sont accompagnés nécessairement par les « règles d’en bas », ces dernières créées par les acteurs les plus concernées, les enseignants. Une régulation conjointe entre les règles d’en haut et les règles d’en bas se fait au sein des discussions et des décisions de l’équipe.

Dans ce processus de recréation des normes au niveau local, les enseignants sont investis donc de plus d’autonomie. On ne leur dit pas ce qu’il faut faire ni comment mais de faire au mieux dans les situations qui sont les leurs. Lessard (2000) expose les transformations dans le travail, comme suit :

« Ainsi, Chatzis et al.(1999) montrent que l’évolution contemporaine des milieux du travail et telle qu’il faut dans l’analyse du travail et des équipes de production, dépasser dorénavant l’opposition traditionnelle entre l’autonomie et le contrôle et que les nouveaux contextes de production se caractérisent à la fois par davantage d’autonomie et plus de contrôle. » (Lessard, 2000, p.8). Et de plus : « Il ne s’agit plus de revendiquer une autonomie contre l’organisation, ses règles formelles et sa hiérarchie bureaucratique ; il importe plutôt d’assumer l’autonomie, la coopération et l’imputabilité ou la reddition de comptes (nouvelle forme de contrôle) que l’organisation impose à ses acteurs. Nous serions désormais dans l’ère de l’autonomie prescrite et de l’initiative obligée ou contrainte. Ces acteurs proposent de nommer cette transformation de la régulation, le passage d’une autonomie par l’indépendante à une autonomie dans l’interdépendance ou dans l’interaction. » (Lessard, 2000, p.8)

La hiérarchie existe toujours mais l’équipe pédagogique devient la « tour de contrôle » permettant de

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coordonner l’action pédagogique, tout en la subordonnant à une interprétation commune des objectifs d’apprentissage, ainsi que des possibilités d’intervention dans les parcours d’apprentissage de chacun des élèves.

Si l’on regarde du côté de l’équipe au sein de laquelle nous sommes intervenus, le rapport aux règles de l’institution (d’en haut) se travaille afin de maintenir la cohérence des objectifs qu’elle se fixe dans un cadre déjà pensé en amont par l’institution. Le rapport de chaque enseignant à l’institution, aux règles, aux prescriptions données par l’institution en termes de programmes, de méthodes, d’évaluation, de travail collectif est alors négocié au sein de l’équipe, dans le cadre de nos discussions collectives. Il s’agit non pas uniquement de règles mais également de représentations concernant les objectifs d’apprentissage, la progression des élèves et les moyens pédagogiques et didactiques d’assurer – et de les évaluer.

Bien que la planification ne soit pas élaborée en haut de la pyramide scolaire mais par les enseignants eux-mêmes en équipe, elle reste néanmoins un étau qui resserre l’autonomie de chaque enseignant en particulier. Nous avons pu observer que le rapport subjectif des enseignants intervenait constamment dans la planification collective. En constituant collectivement des nouvelles normes de fonctionnement de l’équipe, nous avons pu repérer de multiples ambivalences des enseignants par rapports à la planification : entre tout planifier d’avance et ne plus avoir des marges nécessaires pour faire ce que l’on veut ; entre partager un regard collectif sur les élèves et garder ses propres élèves dans la classe ; entre réagir spontanément au fil du temps et des occasions qui se présentent dans la classe et ne faire que ce qui est prévu en ignorant tout ce qui est en décalage, etc. Chaque enseignant calcule son appartenance et son indépendance ou son autonomie dans le groupe : adhérer et s’identifier aux décisions prises dans l’équipe, incarner les décisions prises ou s’écarter au prix et parfois au risque d’une certaine marginalisation.

Donc, dans l’école pré-citée, au lieu de disposer individuellement des prescriptions proposées par l’institution, les enseignants sont impliqués dans un travail collectif et interdépendant de recréation de normes au niveau local, et qui par la même les engage à les respecter. Il s’avère que la création des

« règles d’en bas » est aussi contraignante que les « règles d’en haut » délivrées par la hiérarchie pour les enseignants. Les règles que les membres de l’équipe se donnent à eux-mêmes deviennent parfois mêmes plus contraignantes que celles données par l’extérieur de l’école.

3. Un équilibre à trouver entre l’autonomie et la coopération au sein d’une équipe

Lorsqu’on parle d’équipe pédagogique, nous nous inspirons du modèle de Perrenoud (1996, p.

114) qui met en évidence les différentes manières de collaborer laissant plus ou moins d’autonomie à chacun des membres :

Extension

Intensité Faible Forte

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Faible intensité L e s m e m b r e s d e l ’ é q u i p e se m e t t e n t d’accord sur peu d’aspects de leurs pratiques et laissent à ch acu n u n e larg e a u t o n o m i e d a n s l’ in ter p r étatio n et la réalisation.

L e s m e m b r e s d e l ’ é q u i p e se m e t t e n t d’accord sur de nombreux aspects de leurs pratiques, mais laissent à chacun une large autonomie dans l’ in ter p r étatio n et la réalisation.

Forte intensité L e s m e m b r e s d e l ’ é q u i p e se m e t t e n t d’accord sur peu d’aspects de leurs pratiques, mais ne laissent à chacun, dans ces domaines, qu’une faible a u t o n o m i e d a n s l’ in ter p r étatio n et la réalisation.

L e s m e m b r e s d e l ’ é q u i p e se m e t t e n t d’accord sur de nombreux aspects de leurs pratiques et ne laissent à chacun qu’une faible autonomie dans l’ in ter p r étatio n et la réalisation.

Tableau tiré de : Perrenoud, Ph. (1996) Enseigner : agir dans l’urgence et décider dans l’incertitude. Savoirs et compétences dans un métier complexe, Paris, ESF, p. 114.

Les recherches sur le métier d’enseignant et sur les pratiques de différenciation (Perrenoud, 1995, 1997) mettent en évidence « la comédie de la maîtrise de l’enseignant seul avec sa classe » et ses difficultés à mettre en place des dispositifs de formation différenciée. Mieux différencier, cela implique des forces et des ressources de travail mieux distribuées au sein d’une équipe.

Mais une équipe doit trouver un certain équilibre de collaboration et dans la coordination des pratiques à trouver entre un excès de laisser-faire et un excès de mainmise sur les pratiques individuelles (Perrenoud, 1996). De la pseudo-équipe (partage de ressources), de l’équipe latu sensu (partage de ressources et d’idées), à l’équipe stricto-sensu qui exige une coordination des pratiques et une coresponsabilité des élèves plus ou moins grande (Perrenoud, 1999, p.78 et ss), il y plusieurs niveaux de responsabilisation collective et de partage, plusieurs manières d’investir l’équipe.

Un travail en équipe qui vise la mise en place d’une véritable collaboration professionnelle est impensable sans l’acception par chacun que cette dernière présuppose certain rapport de prescription par rapport aux pratiques. Hatchuel (1996) insiste à ce sujet sur le fait qu’un rapport de prescription n’est pas toujours un rapport de subordination directe. En effet, toute relation de collaboration entre deux acteurs peut entraîner un rapport de prescription potentiel (…) ; et ajoute : en revanche, dans les organisations, il y a l’obligation légale de préciser ex ante et jusqu’à nouvel ordre les rapports de prescriptions, autrement dit de spécifier qui doit (ou peut) prescrire « quoi » et « à qui ». En toute rigueur, nous devrions donc dire qu’une organisation est un collectif dans lequel il y a prescription des rapports de prescription. (p.107). Dans le milieu enseignant, chacun est l’égal de l’autre et il n’y pas de rapport de hiérarchie mais lorsqu’on travaille ensemble à la mise en place de situations d’apprentissage plus pointues, différenciées, cela développe des attentes fortes réciproques entre collègues.

Dans n’importe quelle entreprise, le travail de chacun est complémentaire à un autre travail. Mais dans le métier d’enseignant, au niveau du primaire, la division du travail est plutôt faible ; tout le monde fait la même chose dans sa classe, les qualifications professionnelles étant les mêmes au sein du métier.

Lorsqu’on met en place un partage des responsabilités des élèves, l’enseignant n’a plus ses élèves devant soi. Il doit donc déléguer la responsabilité à ses collègues, tout en faisant confiance et considérer comme

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acquis que ce qui se fait chez le collègue est tout aussi formateur que ce qui se fait dans la classe habituelle. Dans la division du travail enseignant, tout cela n’est pas l’évidence même et reste à construire.

Une question reste à résoudre en équipe : « Pourquoi donnerais-je mes élèves en responsabilité à un enseignant qui fait le même travail que moi ? » Peut-être parce qu’il peut offrir des situations d’apprentissage mieux pensées et conçues que ce qu’on peut faire dans l’urgence au quotidien.

L’institution scolaire primaire genevoise prescrit d’une manière large la coopération professionnelle, dans le plan-cadre de la rénovation primaire (1994) au sein d’un cycle, et entre les cycles :

« Axe 2 Apprendre à mieux travailler ensemble

L’organisation en cycles d’apprentissage suppose un vrai travail d’équipe, puisqu’un groupe d’enseignants sera collectivement responsable de la progression de l’ensemble des élèves fréquentant le même cycle dans la même école. Pour travailler à plusieurs avec les mêmes élèves, pour assurer la continuité des progressions individuelles, pour recomposer de façon souple des groupes d’âge, de besoin, de projet, etc., pour expliquer aux parents ces nouveaux fonctionnements, et les y associer, il faut s’entendre, au double sens de

- s’écouter, se parler, intégrer les points de vue des collègues ; - prendre des décisions ensemble et les assumer collectivement.

Ces aspirations sont maintenant exprimées dans nombre d’écoles et de milieux pédagogiques. On les lie au thème de la professionnalisation du métier d’enseignant, des projets d’école, de l’importance d’une culture de coopération pour faire réussir l’innovation au niveau des établissements. De ces idées, pour une part traduites dans certaines pratiques, à un mode de travail dans lequel la coopération professionnelle devient la norme, un chemin important reste à parcourir.

Trois niveaux de coopération

On peut s’imaginer la collaboration entre enseignants à trois niveaux  :

1. les enseignants accueillant des élèves dans un cycle d’apprentissage auront besoin d’une coopération maximale, car c’est presque chaque jour qu’ils ajusteront le dispositif et prendront des décisions pour une partie des élèves dont ils assumeront la responsabilité commune ; les enseignants responsables d’un cycle constitueront donc une équipe pédagogique au sens fort ;

2. les enseignants de la même école auront – au minimum – à se mettre d’accord sur le découpage de la scolarité en cycles et sur la continuité entre les cycles, dans le cadre d’un contrat d’école ; les enseignants d’une école constitueront donc une communauté de travail liée par un contrat ;

3. la coopération s’étendra aux circonscriptions, car même si toutes les écoles ne suivent pas le même modèle, les écoles voisines ne pourront faire l’économie d’une certaine concertation et d’une mise en commun des efforts   ; les enseignants d’une circonscription constitueront donc un centre de ressources et de concertation. » (in Direction de l’enseignement primaire, 1994, Individualiser les parcours de formation, apprendre à mieux travailler ensemble, placer les enfants au cœur de l’action pédagogique. Trois axes de rénovation de l’école primaire genevoise, Texte d’orientation, Département de l’Instruction Publique)

Actuellement, dans les directives officielles de l’institution, l’institution prescrit le suivi collégial des élèves, en ces termes :

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«   L’enseignant a le devoir de réunir les meilleures conditions d’enseignement et d’encadrement pour les élèves dont il a la charge. Il entretient des contacts réguliers avec les autres enseignants, recueille et transmet les informations utiles à toute action pédagogiques (cahier des charges de l’enseignant, page 4, point 2).

« Le suivi collégial de l’élève impose qu’une procédure de signalement à l’inspecteur-trice soit respectée dans toutes les écoles et que les rôles de chacun – secret de fonction et devoir de réserve inclus – soient bien définis dans le cadre de la scolarité des élèves. Ainsi, il est important, en raison de l’extension de la rénovation, que les enseignantes se rencontrent d’ores et déjà une fois par trimestre pour aborder ensemble des sujets comme : la progression de leurs élèves ; les élèves en difficulté ; cohérence de leurs pratiques. » (…) « A la fin du premier trimestre, une réunion d’enseignantes permet d’analyser l’ensemble du parcours des élèves et de discuter alors des stratégies d’enseignement et des mesures éducatives, déjà mises en place ou à mettre en place en faveur de tel ou tel élève. » (Direction de l’enseignement primaire, informations générales, 1.12, 27.08.01)

Ces diverses prescriptions issues des textes d’orientation et des directives internes à propos du métier d’enseignant à Genève laissent une large part d’autonomie à l’enseignant. Et il faut encore regarder de plus près dans quelle sorte d’équipe l’enseignant se trouve. Comment négocie-t-il son autonomie professionnelle avec les collègues ? Comment l’équipe prend en compte les prescriptions officielles ? Quel est le niveau de l’interdépendance, de travail en équipe et la culture professionnelle existants dans son école ?

Pour l’équipe des enseignants de l’UCE, le niveau d’intensité de collaboration à atteindre est en corrélation avec la nouvelle organisation du travail scolaire par cycle d’apprentissage. La volonté de l’équipe était de coordonner les pratiques des enseignants tout en gardant une autonomie à chacun. Dans l’équipe de l’UCE, garder une part de sa liberté et sans s’y fondre d’une manière fusionnelle a été un objet présent au sein de toutes les discussions.

Les enseignants genevois de l’école pré-citée ont parfois interrogé la légitimité de la coopération dans la nouvelle organisation du travail en cycles d’apprentissage. « Pourquoi entrer dans un travail d’équipe dans certains domaines scolaires si l’on trouve que l’on fait mieux soi-même ! » se disent avec raison certains enseignants. En partie, les enseignants estiment que la coopération est absolument nécessaire dans la résolution de problèmes complexes lorsque les ressources, l’imagination, les compétences de chacun trouvent des limites et qu’ils ne peuvent résoudre seuls les défis auxquels ils sont confrontés.

4. Un besoin urgent de spécialistes tournants !

Dans l’enseignement primaire, il n’y a que très peu de spécialisation. Les enseignants de l’école primaire sont des généralistes. La division du travail au niveau des savoirs enseignés est plutôt limitée : tous les enseignants touchent un peu à tout, enseignent toutes les disciplines selon leur rapport au savoir, leurs préférences, leurs compétences.

Au sein de l’équipe des enseignants, cette question de la division du travail et la spécialisation est montée à la surface de nos discussions. Les enseignants ont réfléchi à une organisation du travail par

« décloisonnement » dans le cycle d’apprentissage. Pour les enseignants, décloisonner c’est en quelque sorte « abattre les cloisons des classes » et cela implique qu’ils travaillent avec des groupes d’élèves plus ou moins hétérogènes. Ils peuvent donc porter un autre regard et d’autres observations sur les élèves.

Les décloisonnements entraînent parfois une division du travail et surtout une spécialisation dans certaines disciplines. Et cela, tout simplement parce les enseignants tentent de créer des situations d’apprentissage, mieux pensées en termes d’objectifs-obstacles. Cela prend nécessairement plus de temps

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de conception, de concertation, d’organisation et d’articulation que les routines habituelles. L’enseignant doit maîtriser de manière approfondie un champ de connaissances avec lequel il n’a développé, jusqu’alors que des rapports plutôt superficiels. Une organisation de ce type rompt alors avec l’autonomie de chacun, permettant de faire des choix personnels dans la mise en place d’activités dans sa classe soit du curriculum réel.

Dans l’école dans laquelle nous intervenions, la réflexion sur la nouvelle organisation du travail scolaire a contraint les uns et les autres non seulement de parler de ce qu’ils faisaient réellement dans leurs pratiques quotidiennes, mais également de leurs compétences existantes – manquantes - dans tel ou tel domaine, et des possibilités de mettre mieux ces compétences au service de tous les élèves.

5 . Harmoniser les pratiques ?

Les élèves et les parents font partie des premiers spectateurs qui interrogent et qui comparent les pratiques des enseignants. Pourquoi dans telle classe on donne des devoirs à la maison et pourquoi dans cette classe on intègre les devoirs dans le plan de travail ? Pourquoi telle classe ou tel enseignant  instaure- t-elle ou instaure-t-il un conseil de classe et pourquoi telle autre ne fait jamais participer les élèves à la vie de la classe ou de l’école ?

Pour la plupart du temps et jusqu’à un certain point, les enseignants sont d’accord d’harmoniser leurs pratiques ? Au-delà de certaines limites, ils insistent toutefois sur le fait qu’enseigner est une histoire d’identité, que telle approche répond davantage qu’une autre à certains besoins et à certaines priorités, correspond mieux au style de l’un ou de l’autre, enfin, est plus cohérente que d’autres. À ce moment, on se réclamera de la liberté et de l’autonomie professionnelle nécessaires pour agir « au mieux » dans des contextes déterminés.

Dans l’école dans laquelle, nous sommes intervenus, l’harmonisation des pratiques a conduit, dans un premier temps, à une certaine rigidification de l’horaire parce que l’équipe a décidé que certaines disciplines scolaires se travaillent essentiellement en décloisonnements, qui a été cependant rapidement ressentie par tous comme étouffante et contra-productive. Cela a donc entraîné un réajustement entre les moments de travail dans la classe (l’enseignant et ses propres élèves) et les moments de travail avec les élèves de toute l’école (les enseignants sont alors responsables des élèves des autres collègues et animent des activités intensément dans des plages horaires plus compactes). L’une des raisons majeures de cette régulation de l’organisation du travail à l’intérieur de l’équipe a été le manque de vue globale sur les apprentissages et le développement de ses propres élèves.

La question est à moitié résolue car les enseignants sont d’accord de rechercher une cohérence au sein de l’équipe concernant les apprentissages des élèves mais pas au prix d’une organisation qui exclurait la classe comme groupe stable de référence, de socialisation des élèves.

6. Dans un cycle d’apprentissage, peut-on encore garder ses élèves ?

Les enseignants genevois de l’école mentionnée, comme partout ailleurs sont encore très attachés et pour des bonnes raisons au groupe-classe, aux processus de socialisation et aux dynamiques intrinsèques. Mais la classe rassurante peut aussi être un piège dans la progression des élèves, en enfermant chacun dans un rôle, dans toujours « plus du même ».

Travailler avec d’autres élèves, dans d’autres espace peut ouvrir à d’autres fonctionnements qui peuvent s’avérer intéressants du point de vue de l’enseignant . Nous reprenons ici les témoignages de plusieurs enseignantes travaillant en modules dans une autre école genevoise :

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Elles rapportent donc : « qu’elles ont moins de préjugés quant à l’échec ou à la réussite probable d’un élève dans une classe, faute de le connaître aussi bien, et qu’elles laissent donc aux élèves plus de chances de les surprendre ; qu’elles sont, moins que dans leur propre classe, prises dans une " longue histoire relationnelle " où chaque épisode répète un schéma d’interaction qui conduit à l’impasse, notamment avec les élèves qui ont des difficultés ou " ne jouent pas le jeu " ; qu’elles éprouvent moins de lassitude face aux résistances et aux difficultés d’apprentissage,à la fois parce que ce sont d’autres élèves et parce que le travail à flux tendu exclut la résignation et l’attentisme ; que les élèves sont moins pris dans une dynamique de groupe prévisible, trouvent d’autres partenaires, occupent d’autres places dans les interactions. Ce qui souligne qu’un module, du point de vue de la dynamique de groupe et des relations entre personnes, est une nouvelle histoire, une histoire plus courte qu’une année scolaire, une histoire moins " tranquille " du point de vue des objectifs et du rythme, mais peut-être plus sereine dans le registre relationnel. En quelque sorte, chaque module " remet les compteurs à zéro " et libère chacun d’un héritage : nouvelle tâche, nouveaux partenaires, nouveau cadre matériel, nouveau contrat….» (Wandfluh et Perrenoud, 1999, p.6)

Dans les nombreux débats au sein de l’école de l’UCE, les enseignants ont exprimé à plusieurs reprises le sentiment de ne plus pouvoir enseigner « à un élève entier » et même « ne plus connaître ses élèves », mais plutôt « connaître un peu de chaque élève de l’école mais avoir perdu le fil concernant un élève en particulier. » C’est pour cela, qu’il a fallu régulièrement rediscuter le rôle et la fonction du groupe-classe par rapport aux regroupements qu’exigeaient les décloisonnements : la distinction de ce qu’on travaille en classe avec ses élèves et ce que l’on travaille en décloisonnement avec d’autres groupes élèves et non plus avec ses élèves.

Du point de vue de l’autonomie de l’enseignant, travailler avec sa classe permet d’improviser ; mais cela permet aussi de garder « une certaine tranquillité » individuelle. Les enseignants ont mis un frein à un décloisonnement, mis en place, préparé et négocié collectivement, qu’ils considéraient comme « un trop », comme « une surcharge » le jour du vendredi : « Le jour de vendredi, on est chacun dans sa classe, avec ses élèves, un peu plus autonome : le vendredi, on se fait plaisir ! ».

Conclusion :

Bien que l’on se soit trouvé dans une école, dont l’équipe a un long chemin de coopération, cela n’exclut pas que la culture de communication est constamment à remettre à jour et à retravailler dans des contextes de réformes et d’innovation. L’ensemble des nouveaux concepts des réformes actuelles, comme le cycle d’apprentissage de quatre ans, les objectifs-noyaux, l’évaluation, le suivi collégial, impliquent que les places de chacun dans une équipe sont à repenser. Donc l’autonomie de chacun a été négociée à chaque étape des discussions et des décisions collectives.

Cette contribution a surtout tenté de mettre en évidence toutes les questions mises en discussion par les professionnels dans une nouvelle organisation du travail par cycle d’apprentissage qui implique une forte coopération dans ce contexte particulier. Cela a eu comme conséquence une forte remise en question de l’autonomie professionnelle. Dans ces circonstances de changement, les règles du jeu de tout ce qui est établi et comme allant de soi sont remises en question. D’une part, l’équipe doit construire de nouvelles compétences collectives et d’autre part, chacun doit retrouver ses marques, une identité professionnelle dans une nouvelle reconfiguration de rôles.

Références bibliographiques :

(14)

Chatzis, K., Mounier, C., Veltz, P. et Zarifian, Ph. (dir.) (1999) L'autonomie dans les organisations. Quoi de neuf ?, Paris, L'Harmattan.

Dubet, F. (1991) Les lycéens, Paris, Seuil.

Gather Thurler, M. (2000) Innover au cœur de l’établissement scolaire, Paris, ESF.

Hatchuel, A. (1996) Coopération et conception collective. Variété et crises des rapports de prescriptions, in De Terssac, G.

et Friedberg, G. Coopération et conception, Toulouse, Octares.

Hutmacher, W. (1993) Quand la réalité résiste à la lutte contre l’échec scolaire. Analyse du redoublement dans l’enseignement primaire genevois, Genève, Service de recherche sociologique, cahier n°36.

Lessard, C. (2000) Dossier : Nouvelles régulations et professions de l’éducation, in Education et sociétés, n°6.

Perrenoud, Ph. (1996) Enseigner. Agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude, Paris, ESF.

Perrenoud, Ph. (1997) Pédagogie différenciée : des intentions à l’action, Paris, ESF.

Perrenoud, Ph. (2000) L'autonomie au travail : déviance déloyale, initiative vertueuse ou nouvelle norme ?, Cahiers Pédagogiques, mai, n° 384, pp. 14-19.

Perrenoud, Ph. (2002) Les cycles d’apprentissage. Une autre organisation du travail pour combattre l’échec scolaire, Québec, Presses de l’Université du Québec.

Reynaud, J.-D. (1997) Les règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, Paris, Armand Collin, Terssac, G. de (1992) Autonomie dans le travail, Paris, PUF.

Wandfluh, F. et Perrenoud, Ph. (1999) Travailler en modules à l’école primaire : essais et premier bilan, Educateur, N°6, pp.28-35.

Références

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