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«La mission de l école, c est aussi de transmettre un savoir-être»

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Academic year: 2022

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Interview

« La mission de l’école, c’est aussi de transmettre un savoir-être »

Jacques Salomé

psychosociologue et écrivain *

- Brigitte Prot **: L’actualité de la violence à l’école est inquiétante. Comment l’expliquez-vous ?

-Les facteurs contribuant à l’augmentation de la violence à l’école sont à la fois d’ordres économiques, sociologiques et culturels. Ceux que je décris ci dessous me paraissent être à la base de la violence qui se répand aujourd'hui dans toutes les couches de la société. Leurres et séductions d’une société de consommation, dépossession de l’imaginaire personnel au profit d’un conditionnement “consom- matoire” et difficulté à confronter ses désirs et à s’intégrer à une réalité perçue comme trop frustrante, résistances et désarroi à se relier à un univers sans valeurs où un virtuel télévisuel en conserve a remplacé le rêve et rend difficile les identifications.

Au delà de la perte des valeurs et des ancrages, de l'absence de références et de modèles, il y des identifications à des modèles marginaux, transgresseurs ou atypiques. Le héros positif ne pèse pas beaucoup face aux héros porteurs de violences et de perversités.

Aujourd’hui la violence est devenue un langage. Les mots ne sont plus utilisés pour mettre en commun mais pour blesser, dévaloriser, définir des rapports de force ou pour dominer l'autre, le mettre au service de certains désirs.

« La violence des enfants est à la fois un appel et une réponse. Un appel contre la non-vie et l’absurdité d’un avenir inconsistant. Une réponse aux violences invisibles, endémiques et diffuses qui pèsent sur les enfants. »

Les rapports entre les jeunes en particulier, à la fois se rigidifient dans une sorte de discours stéréotypé, à bases de mots fétiches, de

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borborygmes, de phrases en conserve qui se délitent, qui deviennent des lieux communs d'une pauvreté consternante, dans un à peu près vide de sens. Les rencontres ne laissent que peu de place à l’échange, au partage, à l’interpellation ou à la mise en commun. L’affrontement a remplacé la confrontation, l’insécurité face à l'autre secrète des attitudes défensives et agressives.

La peur de l’agression, de la menace, de la violence laisse peu de place à la rencontre réelle, confiante, ouverte entre les personnes.

Ce qu’il faut entendre cependant, c’est que la violence des enfants est à la fois un appel et une réponse. Un appel contre la non-vie et l’absurdité d’un avenir inconsistant. Une réponse aux violences invisibles, endémiques et diffuses qui pèsent sur les enfants.

- Que s'est-il passé pour arriver à cette situation ?

- Depuis deux générations nous avons créés, nous les adultes et au travers d’une société de consommation omniprésente, ce que j’appelle les enfants du désir. Enfants qui sont élevés dans l’ordre du désir (et non de leur besoin). Beaucoup de parents ont oublié semble-t-il, qu'ils ne sont pas là pour répondre aux désirs de leurs enfants, mais à leurs besoins, du moins jusqu'à un certain âge, car ensuite c'est à l'ex-enfant de répondre par lui-même à ses besoins vitaux.

Ces enfants, dont on a satisfait directement ou indirectement la plupart des désirs, se sont développés, construit s avec un seuil de frustration tellement bas que toute rencontre avec la réalité est vécue par eux comme une agression à laquelle ils répondent par une contre agression, une violence qui leur semble évidente, banale.

- Pour vous, quelle est la part de responsabilité de l'institution et celle des acteurs sur le terrain ?

- Les responsabilités sur le terrain sont diffuses, il y a semble-t-il, de la plupart des grands systèmes institutionnels, une collaboration aveugle à la violence qui sévit dans notre culture. Dans les comportements observés dominent, la peur des adultes, oui les enfants font peur, la complaisance, la pseudo-compréhension, une psychologisation excessive des conduites parentales dans les années 80, la fuite en avant, le réactionnel dominent. Il s'agit souvent d'une succession de malentendus qui s'emboîtent, s'amplifient, fonctionnent en miroir et s'auto reproduisent en des scénarios bien rôdés.

« Inviter les enseignants à s'engager vers une transmission des savoir être, savoir créer, savoir devenir. »

C'est en amont qu'il conviendrait de situer les responsabilités et les changements à venir.

Du côté des enseignants :

> Les inviter à accepter la mutation inévitable du rôle de l'école et en particulier de ne plus s'abriter derrière le savoir ou le savoir faire et les multiples alibis pédagogiques sur les modalités de transmission de

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ces savoirs, mais de s'engager vers une transmission des savoir être, savoir créer, savoir devenir. Chacun de ces savoirs relevant d'un apprentissage à communiquer sans violences.

> Accepter de recentrer l'école sur une de ses fonctions essentielles, qui est d'être un lieu d'initiation, de passage vers une socialisation et une transition modulée du monde de l'enfance à celui de jeune adulte.

Du côté des parents: réapprendre les grandes fonctions parentales élémentaires. A savoir :

* les fonctions maman / papa à base de gratifications, de bienveillance, de soutien, au travers d’une présence, d'une cohérence, d’un accompagnement suivi.

* les fonctions père / mère à base d'interdits, de limitations, de frustrations pour permettre aux enfants de mieux vivre le décalage immense entre leurs attentes et les réponses de la réalité. Pour leur permettre aussi de développer des moyens, des initiatives pour construire par eux mêmes des réponses à leurs désirs au lieu de les transformer en consommateur sexigeants, tyranniques et de toute façon insatisfaits.

> Ré-Apprendre aux parents et à tous les adultes qui accompagnent un enfant, qu'ils sont là pour répondre aux besoins des enfants, (et cela jusqu'à un certain âge, car ensuite c'est à ces enfants, devenus jeunes adultes, de répondre eux-même à leurs besoins) et leur rappeler très fréquemment, qu'ils ne sont pas là pour répondre à tous les désirs des enfants et des adolescents.

> Sans oublier qu'il leur appartient d'apprendre aux enfants (comme à eux-mêmes) à gérer les frustrations, les ajustements inévitables issus des contraintes de la collectivité.

- La question des programmes, longuement débattue, vous semble-t-elle centrale dans le malaise scolaire ?

- La focalisation sur les programmes me semble un leurre. Bien sûr qu'ils sont à réajuster, à actualiser, mais ce qui me semble plus essentiel, c'est d'introduire l'équivalent d'une matière à part entière, un enseignement de la communication relationnelle. Dans le monde de l’école, tous les protagonistes (enseignants, conseillers éducatifs, accompagnants) font avec beaucoup de bonne volonté, "de la communication", surtout quand il y a un problème. Mais ils entretiennent en même temps une confusion grave, qui consiste à croire qu'il y a une équivalence entre la circulation de l'information et le fait de communiquer. Communiquer veut dire "mettre en commun"!

Les questions centrales seront : quand, avec qui, quoi et comment mettre en commun (au delà des matières scolaires).

« La focalisation sur les programmes me semble un leurre.

Bien sûr qu'ils sont à réajuster, mais ce qui me paraît plus essentiel, c'est d'introduire l'équivalent d'une matière à part entière, un enseignement de la communication relationnelle. »

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Sur le "quand", se donner les moyens de vivifier une relation en permanence et non pas seulement quand il y a conflits, malentendus ou incidents. Avec qui ? Avec les adultes présents, avec les enfants entre eux et avec ceux qui sont à l'extérieur de l'école, dont l’impact, l'influence est grande. Pour le "quoi mettre en commun ?" S’appuyer sur tout ce qui surgit dans la situation scolaire, en quittant le niveau de la généralisation pour celui de la personnalisation, du témoignage, du partage d'un vécu à partir d’une situation concrète.

Le "comment" passera par l'apprentissage de quelques règles d'hygiène relationnelle non violentes. Dans, un ouvrage écrit pour les enseignants,Pour ne plus vivre sur la planète taire, je développe toute une méthodologie possible pour un apprentissage structuré aux relations.

- Les réformes proposées par différents ministres français de l’éducation nationale (mise en place de conseillers pédagogiques, de lieux d'écoute et de parole, et aide individualisée aux élèves) vous semblent-elles apporter de vraies réponses ?

- L'aide individualisée est précieuse quand elle s'appuie sur la qualité de la relation proposée. C'est par la confiance établie, la capacité d'écoute, la possibilité d'une réciprocité, qu'il est possible de réconcilier un élève non seulement avec la matière avec laquelle il est en difficulté, mais lui permettre également de réapprivoiser le système social scolaire. Pour lui donner le sentiment d'exister seulement comme réceptacle, mais comme interlocuteur, comme partie prenante à sa formation d'apprenant.

« Il sera aussi important de tenter de mieux cerner quels sont les besoins prioritaires des enseignants. »

Actuellement l'aide individualisée ne porte dans une classe que sur quelques individus, elle est un appoint. Elle ne peut remplacer la mise en place nécessaire d'une stratégie globale d'animation d'une classe où serait valorisée la communication relationnelle, permettant de développer chez chacun la capacité à mettre en commun des ressources, de privilégier la confrontation et non l'affrontement, de favoriser des échanges respectueux, de préférence en réciprocité, rompant avec les rapports de forces ou les relations dominants- dominés.

Il sera aussi important de tenter de mieux cerner quels sont les besoins prioritaires des enseignants. De prendre en compte leur besoin de pouvoir capter l'attention, la disponibilité, la participation des élèves. Celui de se sentir reconnu, accepté. Le besoin d'être valorisé, gratifié dans un système qui trop souvent les infantilise et dilue leur engagement, les déresponsabilise. Le besoin d'une sécurité person- nelle pour affronter avec suffisamment de cohérence une classe de 30 à 35 élèves.

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Tout cela pour leur permettre de développer des stimulations et d’oser une implication personnelle suffisante pour inciter les élèves à être partie prenante dans l'acquisition des savoirs et des apprentissages.

- Comment résumeriez-vous la mission de l'école ?

- Les missions de l’école sont connues, c’est son application qui fait problème :

> Transmettre non seulement des savoirs et des savoir-faire, mais des passerelles d'intégration.

> Proposer des savoirs être, autour d'un certain nombre de valeurs, des savoir-devenir en développant un sens critique, une ouverture à la recherche du sens, du savoir créer à favorisant les initiatives et les réalisations personnelles ou en groupes.

> Résister aux dynamiques très appréciées par certains enfants de la transgression, de la fuite dans le virtuel, de la passivité ou de la démission.

> Favoriser les processus d'adaptation en donnant des modèles identificatoires.

> Initier une intégration au monde de demain en proposant des relais, des ouvertures avec la vie au quotidien hors de l'école.

Actuellement l'essentiel du débat porte sur le premier point, mais devrait surtout intégrer tous les autres points : transmettre un savoir être, un savoir créer, et un savoir devenir passe par le témoignage et la confrontation à des valeurs. Valeurs de références et d'ancrages transmises par des adultes face à des valeurs dominantes, récurrentes de consommation et de transgression. Valeurs très éloignées ou en contradiction avec celles qui sont enseignées ou simplement évoquées à l’école.

« L'intégration au monde des adultes est difficile par manque d'identification. Les adultes sont souvent perçus comme des non-modèles (quel adolescent aujourd'hui veut ressembler à ses parents ? Lequel veut vivre comme eux ?) »

Tout se passe comme si dans la vie, il n'y avait pas de lieux, d'espace d'application et de mise en pratique, pour concrétiser, viabiliser ce qui est enseigné à l'école.

L'intégration au monde des adultes est difficile par manque d'identification. Les adultes sont souvent perçus comme des non- modèles (quel adolescent aujourd'hui veut ressembler à ses parents ? Lequel veut vivre comme eux ? Ou envisager de travailler ou de se comporter comme ses géniteurs ?).

Les mutations des repères, des références de vie sont très rapides, imprévisibles, et les ancrages de base ne sont pas suffisamment solides pour développer des aptitudes aux changements et des adaptations rapides aux évolutions parfois contradictoires qui caractérisent les avancées de notre société.

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- Une étude récente, menée par le ministère de l’éducation, conclut qu'« on n'apprend plus à parler, à développer une idée, à construire un discours, à développer une argumentation ». Qu’en pensez-vous ?

- Si parler veut dire parler de soi, s'affirmer, se positionner, s'exprimer, argumenter, présenter un point de vue, développer une idée, l'école semble encore défaillante et en retard sur ces plans.

Le malentendu vient de ce qu'il a plus d'expression qu'autrefois et que cette expression est anarchique, violente, tout azimut, confondue avec une pseudo-communication.

Incontestablement, les enfants s'expriment plus mais sur un mode réactionnel plus que relationnel. La communication interpersonnelle entre eux et incroyablement pauvre, stéréotypées, réduite à des mots fétiches, à des expressions rituelles. Il n'y a aucune éducation à l'intériorisation, à l'écoute du silence et à la conscientisation visant à la recherche du sens, à la prise de distance, à l'analyse permettant de se forger un point de vue personnalisé.

Il y a collusion et non différenciation entre le monde des apparences, valorisé par la télévision et une réalité sans consistance, sans ancrage, qui semble se dérober face aux tentatives des enfants pour la rencontrer.

- A propos de la violence à l'école, le philosophe Alain Finkielraut affirme : « Moins on parle, plus on frappe ». Adhérez- vous à ce point de vue ?

- Oui, d’une certaine façon. Face silence des mots se réveille la violence des maux. Ce qui veut dire qu’on peut frapper autrui, mais surtout soi-même. L’auto-violence est moins médiatisée que la violence mais elle fait peut plus de dégâts dans les corps, les esprits et les âmes des jeunes.

De plus parler de la violence à l'école, c'est surtout se laisser entraîner à trop parler de la violence visible, dans ses manifestations les plus voyantes. La façon dont elle s'exprime, s'expose, se subit ou se réprime. C'est parler avec parfois trop de complaisance de la violence réponse, utilisée par certains enfants, violence visible, exutoire à une violence plus cachée, plus masquée, endémique qui traverse la famille, les modes de vie, les déracinements, l’insécurité face à l'avenir.

« Le système relationnel dominant, à base d'injonctions, de dévalorisations, de menaces, de chantages, de comparaisons ou de culpabilisations, fondé sur des relations dominantes- dominés, est à la base de la violence-réponse, qui prévaut aujourd'hui dans beaucoup de secteurs de vie. »

Ce n'est pas tant du premier registre dont il faudrait parler mais des éléments déclencheurs, de la violence primaire, de la violence souterraine, plus invisible, plus sournoise et donc plus pernicieuse qui traverse l'existence d'un enfant.

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De celle justement dont on ne parle pas. Celle qui s'exerce de façon voilée, implicite, de celle qui est la source, l'origine de la violence réponse qui nous choque, nous émeut ou nous fait peur. Prenons quelques exemples de cette violence invisible.

Celle du système relationnel dominant, que j'appelle système SAPPE. Universellement pratiqué, à base d'injonctions, de dévalorisations, de menaces, de chantages, de comparaisons ou de culpabilisations, fondé sur des relations dominantes/dominés. Il est à la base de la violence réponse, qui prévaut aujourd'hui dans beaucoup de secteurs de vie.

Violence invisible dans le fait, que l'éducation parentale dominante, nous l'avons développé plus haut, réponde trop aux désirs des enfants (plus qu'à leurs besoins) et entretient, nourrit chez eux les séquelles de ce que j'appelle l'ITPI (Illusion de la Toute Puissance Infantile).

« Pour ces enfants, ces adolescents, toute rencontre avec la réalité qui ne satisfait pas immédiatement les désirs, est vécue par eux comme agressante et suscite de leur part, au quasi automatisme, un comportement réponse de contre- agression. »

Ce sentiment vécu par le tout petit bébé, que le monde tourne autour de son nombril, que l'environnement immédiat ou plus lointain est au service de ses attentes, que tout lui est dû.

Les enfants d'aujourd'hui ont une ITPI toujours active, qui ne s'est pas trouvée en confrontation avec le principe de réalité, c’est-à-dire avec des limites, des interdits, des contraintes et donc des frustrations, des insatisfactions structurantes. A tel point que, pour ces enfants, ces adolescents, toute rencontre avec la réalité qui ne satisfait pas immédiatement les désirs, est vécue par eux comme agressante et suscite de leur part, au quasi automatisme, un comportement réponse de contre-agression, de violence perçu comme salvateur ou comme seule issue pour exister par certains d’entre eux.

Ce n'est pas tant des manifestations de la violence dont il faudrait parler, que des éléments constitutifs du système relationnel qui en nourrit le surgissement. Système entretenu, nourri et transmis à la fois par la famille, l'école et les instances sociales.

- Quelle urgence repérez-vous pour un changement du climat scolaire ?

- Aseptiser le terrain, c’est-à-dire ne plus entretenir l'incommunication dominante à base de reproches, d’accusations, de mises en cause, entre les différents protagonistes du monde de l'école.

Pour un changement de climat scolaire, je vois cinq urgences :

> Créer dans les collègues et les lycées des lieux de paroles informels, moins institutionnalisés que les conseils d'élèves.

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Lieux de paroles qui ne fonctionnent pas seulement quand il y a problème ou incident, mais qui feraient parties justement de ce temps d'apprentissage à la communication relationnelle non violente.

> Prendre le risque d'un conflit plus ouvert avec certains élèves en créant la confrontation, en ne cultivant pas les non-dits ou le terrorisme du silence et de la soumission des plus faibles vis-à-vis des "ténors"

d'une classe.

> Arrêter tout discours disqualificatif sur la société, la famille, sur les profs ou sur les élèves.

« Introduire une matière nouvelle : un enseignement de la communication relationnelle non violente, à partir de règles d'hygiène relationnelle reconnaissables, transmissibles, appri- ses en commun. »

> Proposer une formation spécifique des adultes, à la relation avec les adolescents. Il y a actuellement une transposition naïve et réductrice de la pédagogie de l'enfance à celle de l'adolescence.

> Introduire une matière nouvelle : un enseignement de la communication relationnelle non violente, à partir de règles d'hygiène relationnelle reconnaissables, transmissibles, apprises en commun.

- Avez-vous le sentiment que le ministre de l'éducation mène une politique de changement ?

- Le ministre de l'éducation, comme chacun de ses prédécesseurs, me semble mener une politique de changement tant sur le plan éducatif, que pédagogique, dans le sens où il propose des réformes.

Mais comme le propre d'une réforme implique des changements touchant aux positions acquises par les enseignants et remet en cause les rapports de force qui sont en place, ces réformes sont le plus souvent sabotées ou banalisées avant même d'être mises en application.

Il y a, très vite, une dilution, qui aseptise et dévitalise les tentatives de changement. Le vécu quotidien reprend le dessus avec la recherche de solutions salvatrices en général réactionnelles et défensives.

- La lourdeur de la plupart des systèmes institutionnels permet-elle de vraies réformes ?

- Non seulement la lourdeur des systèmes institutionnels en place, mais l'état avancé de la crise font obstacles aux réformes. Le point aveugle me semble le suivant : "On ne peut pas apprendre à nager à quelqu'un qui se noie".

Beaucoup d'enseignants se noient, je veux dire par là qu'ils tentent seulement de surnager, de survivre, de maintenir un équilibre psychique et physique sans cesse menacé, par l'accélération grandissante des comportements de refus, et de transgression.

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Les réformes ne sont pas vécues comme un soulagement porteur d'espoir, mais souvent comme une contrainte nouvelle, venant s'ajouter aux pesanteurs et aux charges déjà en place.

- La mobilisation des ressources, chez les acteurs de terrain, ne constituerait-elle pas un levier de changement plus sûr ?

- Il existe sur le terrain beaucoup de ressources, chez les enseignants comme chez les élèves ! : la passion, l'engagement, l'impact personnel, le charisme de certains enseignants, les capacités d'animation et de stimulation. Mais elles ne s'inscrivent pas dans une synergie ou un plan fédérateur. Elles s'exercent, de façon isolée, dans le face à face d'une classe, sans rayonnement et impact sur les autres classes. Le travail de l'enseignant est trop solitaire. Il n'y a pas assez de travail et de soutien en équipe. Celui qui introduit des changements significatifs, en particulier dans les relations avec les élèves est rapidement marginalisé, isolé…

Un des leviers serait de passer d'une pédagogie du manque et de l'insuffisance à une pédagogie des ressources et des possibles.

- Quel serait le champ d'action commun possible des enseignants et des parents ?

- Le champ d'action des parents et des enseignants ne doit pas se confondre ou se mélanger, mais au contraire se structurer autour de deux pôles distincts, l'un plus affectif et l'autre plus relationnel.

Je rappelle encore une fois les grandes fonctions de l'accompa- gnement parental.

- Les fonctions maman/papa à base de comblance, de gratifi- cations, de soins.

- Les fonctions mère/père à base d'exigences, de contraintes, de privations ou d'interdits.

Si elles ne sont pas exercées, si elles sont défaillantes, elles vont majorer considérablement les manques et les carences des enfants en situation scolaire. Elles ne peuvent être toujours comblées ou réparées dans le cadre scolaire, car elles constituent les bases, les fondations sur lesquelles viendront se greffer les efforts ou les refus d'apprentissages.

Elles peuvent tout au plus être rappelées comme une référence, faire l'objet d'une reconnaissance, d'une mise à plat, voire d'une restauration en parallèle au cadre scolaire.

Les grandes fonctions de l'accompagnement scolaire devraient se structurer autour de :

> la transmission d'un savoir et d'un savoir faire

> l’accompagnement pour une mise en pratique quelques règles d'hygiène relationnelles, à l’intérieur et à l’extérieur de l’école pour favoriser les partages et l’intégration sociale

> l’éveil à la curiosité et à l'élargissement des références culturelles, religieuses différentes.

> le soutien ou le développement d'un savoir être, d'un savoir créer

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> un enseignement de la communication relationnelle non violente considéré comme une matière à part entière.

Tout ceci ne peut venir qu'en complément de l'accompagnement parental. En contrepoint de l'influence grandissante du "hors d'école"

autour du quartier, de l’influence de la télé, de l’attraction des grandes surfaces, des jeux vidéo…

« Il ne suffit plus de s'adapter, de rénover mais d’inventer, de modifier profondément le système relationnel qui régit actuellement les relations enfants / adultes. »

Nous pouvons aussi souhaiter que la psycho-dynamique familiale puisse être enseignée aux enfants et surtout aux adolescents. La compréhension et la mise plate des maltraitances, des systèmes relationnels toxiques, énergétivores, aliénants, pourrait faire l'objet d'une réflexion et d'une prophylaxie. Les approches autour de la bientraitance, des relations énergétigènes et soutenantes, d'une mise en pratique au quotidien des bases d'une communication non violente, pourraient être valorisées, si on considérait que la communication relationnelle est d'une certaine façon la sève vivifiante de la vie.

- Une réforme de l’école est-elle encore possible ?

- Changer l'école non à partir d'une programmation nouvelle ou d'une désorganisation des modalités de transmission, mais à partir d'un changement des mentalités. Cela ne peut se faire dans une dynamique de colmatage, de réparation ou de restauration, mais dans une perspective de rupture et de confrontation.

"Ce n'est pas en perfectionnant la chandelle qu'on a inventé l'électricité." Conduire une diligence ou un train ne fait appel ni aux mêmes compétences ni aux mêmes moyens. Il ne peut y avoir transposition d'un savoir faire sur un autre.

Le mot réforme lui-même se révèle caduc en ce sens qu'il ne suffit plus de s'adapter, de rénover mais d’inventer, de modifier profondément le système relationnel qui régit actuellement les relations enfants / adultes.

- Notre société, qui hurle son besoin d'éducation, est-elle prête à l'inscrire dans ses priorités ?

- Le monde de l'enfance et surtout de la petite enfance a su rassembler quelques priorités. Cela est sensible dans les crèches, dans les maternelles. Les travaux de Françoise Dolto ont fait beaucoup progresser les relations enfants-adultes mais surtout la compréhension des comportements atypiques entendus comme des langages et donc donner une plus grande souplesse aux interventions éducatives.

Mais il semble que cette influence n'ait pas réussi à pénétrer l'univers de l'enseignement primaire ou celui du secondaire.

Le monde de l'enfance et de l'adolescence reflète les contradictions du monde des adultes. Chaque enfant réveille l'ex-enfant qui est en

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nous et nous renvoie aux blessures, aux situations inachevées de notre histoire et aux tentatives de réparation, de restauration qui s'y rapportent. Dira-t-on jamais assez qu'un enseignant n'a pratiquement jamais quitté l'école et qu’il persiste chez beaucoup, une dynamique relationnelle d'infantilisation mutuelle qui oscille entre séduction et répression, entre autoritarisme et laxisme, entre surenchère sécuritaire et conformisme ?

Il ne peut y avoir d'éducation sans référence à des valeurs et sans mobilisation et engagement autour de ces valeurs.

Parmi les priorités actualisables, je vois la nécessité d'inclure un enseignement à la communication relationnelle autour de quelques références communes à la fois aux enfants et aux adultes.

« L’école peut devenir un lieu central d'apprentissage relationnel à la communication non violente. »

Cela veut dire concrètement qu'il appartiendra aux enseignant de se former et d'intérioriser quelques règles d'hygiène relationnelles, pour pouvoir s'en servir à trois niveaux :

> dans leurs échanges avec les enfants

> dans les échanges des enfants entre eux

> dans les échanges avec leurs collègues et avec les parents.

Et c'est de leur capacité à clarifier l'un ou l'autre dans quatre démarches (demander, donner, recevoir, refuser) que dépendra l’intériorisation d’une approche non violente dans les relations, que se construira la cohérence de leurs échanges et de leurs partages et par la même celle du climat d'une classe. Nous savons que l'appétence, la disponibilité, la participation active des enfants dépendent essentiellement de l'impact relationnel (ouverture - tolérance - richesse des apports) de l'enseignant et du climat (sécurité, bienveillance, confrontation possible) de la classe ou d'un groupe donné.

De même que la société, la famille, les modes de vie ont muté, l'école doit muter pour devenir un lieu central d'apprentissage relationnel à la communication non violente.

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*Jacques Saloméest l'auteur de :

- Pour ne plus vivre sur la planète Taire. Albin Michel - Charte de vie relationnelle à l'école. Albin Michel - T'es toi quand tu parles. Albin Michel

- Vivre avec les autres. Ed de l'Homme - Le courage d'être soi. Pocket

- Minuscules aperçus sur la difficulté d’enseigner. Albin Michel

**Brigitte Protest enseignante, formatrice et auteure :

- Profession motivatrice, réveiller le désir d'apprendre. Noesis, 1997

- Je suis pas motivé, je fais pas exprès ! Albin Michel, 2003.

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