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PEUT-ON ENCORE PARLER DE RACE?

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PEUT-ON ENCORE PARLER DE RACE ? Charles Boyer

Association Le Lisible et l'illisible | « Le Philosophoire » 2016/1 n° 45 | pages 169 à 173

ISSN 1283-7091 ISBN 9782353380480 DOI 10.3917/phoir.045.0169

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2016-1-page-169.htm

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Charles Boyer

Magali Bessone, Sans distinction de race ? Une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques, Paris, Vrin, 2013.

L

a République française « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » selon l’article 1 de notre Constitution. D’où l’interdiction de toute référence à la catégorie de race ainsi que des statistiques ethniques. Or, cela n’empêche pas le racisme d’exister pour autant car, selon Magali Bessone, « il y a bien un dilemme entre la proclamation de principes normatifs universalistes et égalitaristes, propres au républicanisme libéral, et leur application particulariste et discriminante dans la société française contemporaine » 1. Ainsi, « il est difficile au chercheur de nommer les groupes minoritaires stigmatisés ou discriminés racialement, pour en mesurer et évaluer l’étendue de l’oppression raciale. Celui qui s’y risque est immédiatement suspect de vouloir « réhabiliter la race », de promouvoir le « retour de la race » – censée avoir disparu avec Vichy et les mouvements de décolonisation des années soixante, sans doute » 2. C’est pourquoi, l’auteure considère, à juste titre, que pour combattre le racisme encore faut-il « pouvoir nommer la réalité » car « l’interdiction morale de penser la question raciale s’accompagne d’effets pervers » 3. En particulier en substituant

1. M. Bessone, Sans distinction de race ?, p. 8.

2. Ibid., p. 10-11.

3. Ibid., p. 12.

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à « race », « ethnie », « culture » ou « immigration » 4. Ce qui revient au même car on passe du racisme « fondé sur l’essentialisme biologique

« à « un racisme fondé sur l’essentialisme culturel » qui ne dit pas son nom 5. Comme quoi, il ne suffit pas de supprimer le mot, pour supprimer la chose ! D’où le travail de Magali Bessone pour mettre fin à ces effets pervers dérivés de l’interdiction morale de penser la question raciale, c’est-à-dire cacher en définitive que « la race et les catégorisations raciales appartiennent à une idéologie de justification des inégalités politiques, économiques et sociales. Ces inégalités sont toujours au cœur de la structure actuelle de notre société, d’autant plus robustes qu’on s’interdit de les y débusquer » 6.

Pour cela, l’ouvrage se déploie en trois temps : d’abord, une enquête généalogique (chapitres 1 et 2), puis une approche constructionniste du concept de race (chapitres 3 et 4), et enfin, une approche morale et politique du problème (chapitres 5 et 6). La généalogie met l’accent sur

« un discours anthropologique au service des dominations européennes colonialistes » 7 qui s’est développé du xvi e au xviii e siècles, puis sur la biologie du xviii e au xix siècles qui met l’accent sur le caractère

« naturel » des races humaines, discours que la génétique falsifiera.

Ce qui a pour conséquence qu’il ne peut s’agir que d’une construction sociale. Construction que l’on vise à masquer aujourd’hui par des approches culturalistes (la culture comme seconde nature !) ou par des hypothèses cognitivistes développées par la psychologie évolutionniste expérimentale. Moralement, l’auteure insiste sur l’insuffisance de l’approche individuelle du racisme qui ne saurait se penser en dehors du racisme institutionnel : l’individu n’existe pas en dehors d’une société donnée à une époque donnée. Politiquement, elle opère une critique du multiculturalisme et du républicanisme libéral, pour proposer un

« néo-républicanisme critique » qui « permet de prendre en compte ce qui, dans la catégorisation raciale, relève des stratégies de domination d’un groupe sur un autre, sans céder à la tentation de considérer que ces groupes sont des groupes d’identité » 8.

4. Sur ce point et son lien au nationalisme, cf. les analyses d’Étienne Balibar dans Ét. Balibar, I. Wallerstein, Race, nation, classe. Les identités ambigües, Paris, La Découverte, 1988, 1997.

5. M. Bessone, Sans distinction de race ?, op. cit., p. 15.

6. Ibid. p. 19.

7. Ibid. p. 22.

8. Ibid. p. 24.

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Cette étude a le mérite de remettre en cause le tabou qui, en France, empêche toute discussion publique sur cette question pourtant essentielle. On peut néanmoins se demander pourquoi l’auteur accorde de l’importance, dans la partie généalogique 9, à « Kant et l’anthropologie des races humaines » ? Certes, on peut dire peut-être que Kant est « représentatif de l’ambiguïté des Lumières qui travaillent à l’émancipation et la moralisation de l’homme (blanc) » 10, mais que dire alors de l’anthropologie physique et du darwinisme social du xix e siècle ? 11 Et de l’idéologie nazie qui a récupéré l’impératif catégorique kantien en le dénaturant ? 12 Mais on peut aussi s’interroger sur sa définition du racisme « comme manque de respect » 13. En fait, elle utilise, écrit-elle, le concept de « respect reconnaissance » qui

« consiste à prendre en compte le statut égal d’une personne dans nos délibérations morales » 14, mais analyse surtout le problème quand

9. Ibid. p. 38-46.

10. L’auteure se réfère aux textes de Kant sur les races humaines (cf. Kant, Opuscules sur l’histoire, trad. fr. S. Piobetta, Paris, Flammarion, 1990) : il y définit la race par « la différence entre classes d’animaux à l’intérieur d’une seule et même souche, dans la mesure où cette différence est infailliblement héréditaire » (Définition du concept de race humaine, 1785). Mais aussi à son anthropologie, en particulier à la quatrième section de l’Observation sur les sentiments du beau et du sublime (Œuvres philosophiques, t. 1, Paris, Gallimard, 1980, p. 494-509). Cette section porte sur les « caractères nationaux ».

Kant y établit une hiérarchie allant des peuples européens aux « nègres d’Afrique ». Au sujet de ces derniers, il renvoie à Hume qui en fait des « sauvages » par rapport aux Blancs, en précisant « tant la différence entre ces deux races est essentielle ; elle semble aussi grande en ce qui regarde les capacités que selon la couleur ». Mais qui parle : Hume ou Kant ? Ou les deux ? Plus loin, il aborde « les relations entre les sexes » et oppose la liberté des européennes à l’esclavage des femmes en Afrique noire. Et à propos d’une réplique fort pertinente d’un noir à un missionnaire français, il ajoute « mais bref, ce gaillard était tout noir de la tête jusqu’aux pieds, preuve évidente que ce qu’il disait était stupide ». Ce qui nous semble plutôt ironique.

11. C. Guillaumin, L’idéologie raciste, Paris, Gallimard, 2002, écrit p. 35 : « Les sociétés sont différentes avait remarqué le xviii e, parce qu’elles sont déterminées biologiquement répondra le xix e ».

12. Ainsi cet extrait d’un manuel SS destiné aux officiers du SD (service de renseignement) et de la police allemande : « la valeur fondatrice de l’avenir allemand, la plus haute loi morale pour l’État, le peuple et chacun d’entre nous, est bien formulée dans cette phrase : « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir comme maxime fondamentale d’une législation raciale nordique » [qui commande de tout faire pour que la race vive]. » Cité par l’historien J. Chapoutot, La loi du sang.

Penser et agir en nazi, Paris, Gallimard, 2014, p. 516.

13. Op. cit. p. 178-184.

14. Ibid., p. 182.

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il s’agit d’institution et non seulement d’individu comme on le fait d’habitude. Quoiqu’il en soit, pourquoi écrit-elle alors dans une note conclusive (n. 1, p. 184) ceci : « Conclure ici qu’être raciste revient à manquer de respect peut sembler un résultat décevant : n’est-ce pas l’évidence même ? » Vraiment ! L’évidence est-elle la chose la mieux partagée du monde ? Si oui, pourquoi la note se poursuit-elle par :

« L’analyse en termes de respect est ici seulement évoquée, il faudra la poursuivre ailleurs avec une attention particulière portée aux différentes formes de respect » 15 ?

Quant au dernier chapitre qui relève de la philosophie politique, après avoir rejeté l’idée d’une théorie idéale de la justice comme celle de John Rawls 16, Magali Bessone écrit que son « livre s’est proposé de prendre au sérieux cette résistance de la croyance en la race pour transformer la catégorisation raciale et refonder notre démocratie ».

D’où, son opposition « à deux autres théories qui demeurent trop étroitement associées à une approche essentialiste du groupe racial » 17, à savoir le multiculturalisme et le républicanisme libéral. Le premier car il valorise les différences culturelles ; le second car, soit il relève de la justice réparatrice (réparer les injustices passées), soit il est « aveugle aux différences » pour ne tenir compte que des inégalités économiques et sociales. Elle défend alors un « néo-républicanisme critique » qui met l’accent sur la notion de domination et sur les stratégies d’émancipation et conclut son ouvrage par cette phrase : « L’objet de ce livre, d’abord épistémique, était de fournir le soubassement conceptuel d’une telle position critique : les races sont construites, donc elles existent. Il faut maintenant s’attaquer aux structures de domination qu’elles servent à désigner » 18. De quoi laisser le lecteur sur sa faim bien qu’il ait été prévenu dès la fin de l’introduction 19 que « sur l’évaluation normative

15. C. Guillaumin, L’idéologie raciste, op. cit. p. 112, écrit que, si d’habitude, on considère que « le meurtre ou l’hostilité » caractérisent le racisme car contraires à la morale, « on laisse dans l’ombre les conduites qui ne font que prendre en compte l’essentialisation somato-biologique du différent et sa constitution en statut particulier ».

C’est pourquoi l’autre n’existe qu’« en tant que groupe », les Juifs, les Noirs, etc., et non en tant qu’individu. Sur ce point cf. par exemple, P. Ndiaye, La condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008.

16. La question du racisme n’apparait pas dans les œuvres majeures de Rawls peut-on lire page 190.

17. Op. cit. p. 194.

18. Ibid., p. 223.

19. Ibid., p. 24.

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des théories politiques, cet ouvrage se contente ici d’indiquer quelques pistes afin de montrer comment l’enquête généalogique et conceptuelle en est un préalable essentiel ; le chapitre 6 demeure ainsi exploratoire et ces pistes sont à poursuivre ailleurs ».

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