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DÉTREZ Christine & BASTIDE Karine. Nos mères. Huguette, Christiane et tant d autres, une histoire de l émancipation féminine

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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213 | 2021

Les enfants parlent de la classe

DÉTREZ Christine & BASTIDE Karine. Nos mères.

Huguette, Christiane et tant d’autres, une histoire de l’émancipation féminine

Paris : La Découverte, 2020, 280 p.

Françoise F. Laot

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/rfp/11189 DOI : 10.4000/rfp.11189

ISSN : 2105-2913 Éditeur

ENS Éditions Édition imprimée

Date de publication : 31 décembre 2021 Pagination : 151-153

ISSN : 0556-7807 Référence électronique

Françoise F. Laot, « DÉTREZ Christine & BASTIDE Karine. Nos mères. Huguette, Christiane et tant d’autres, une histoire de l’émancipation féminine », Revue française de pédagogie [En ligne], 213 | 2021, mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 08 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/rfp/11189 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfp.11189

Ce document a été généré automatiquement le 8 avril 2022.

© tous droits réservés

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DÉTREZ Christine & BASTIDE Karine. Nos mères. Huguette,

Christiane et tant d’autres, une histoire de l’émancipation féminine

Paris : La Découverte, 2020, 280 p.

Françoise F. Laot

RÉFÉRENCE

DÉTREZ Christine & BASTIDE Karine. Nos mères. Huguette, Christiane et tant d’autres, une histoire de l’émancipation féminine. Paris : La Découverte, 2020, 280 p.

1 Comment écrire l’histoire récente ? La période est propice aux ego-histoires scientifiques plus ou moins romancées, aux autofictions littéraires. Ici, le projet est encore différent. Il combine recherche méticuleuse et froide d’indices et travail (auto)biographique intime. L’ouvrage rend compte d’une enquête quasi policière conduite dans des archives de toutes sortes et en différents lieux de France et de Tunisie et à partir d’interviews de proches parents ou de personnes inconnues, menées par deux femmes que rien ne semblait devoir réunir sinon un problème avec leur propre histoire. Mais qui n’a aucun problème avec sa propre histoire ?

2 Les mères des deux autrices, Christiane, issue d’un milieu populaire, née en 1945, et Huguette, alias Céline, née en 1941 dans une famille bourgeoise, ne se sont jamais croisées. Après leur disparition, elles ont, chacune, laissé à leur fille des héritages très différents. Celui d’Huguette est constitué d’une masse de textes divers dont un grand nombre de lettres échangées avec Simone de Beauvoir, bref, des pages et des pages d’écriture tracées de sa main. Mais sa fille Karine, qui n’a pas eu le courage de s’y plonger, en sait-elle finalement beaucoup sur elle ? Le legs de Christiane n’est que vide et silence. Même son nom n’a plus été prononcé depuis que Christine, toute petite au

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moment de sa mort, a grandi auprès d’un père qui a effacé tout souvenir d’elle, cette femme que toute une famille a choisi d’oublier. Quel est l’héritage le plus lourd à porter ?

3 Décider de consulter la profusion de documents à portée de main, avoir perdu l’espoir de ne jamais rien trouver ; vouloir savoir, craindre d’apprendre, tels sont les défis auxquels font face ces deux héritières de mères encombrantes.

4 Elles s’engagent de manière résolue dans l’entreprise risquée du dévoilement. Je les trouve très courageuses, parfois elles me semblent téméraires et je les juge inconscientes. Je m’inquiète pour elles. Sortiront-elles indemnes de cette mise au grand jour, à nu, à disposition de toutes et tous ? Mon plaisir de lectrice est ambigu. Je me délecte, me remémore des pans de ma propre histoire (de notre histoire à toutes) à peine transposée dans le temps, je souris, je m’encolère, je compatis et en même temps je m’interroge : pourquoi m’en dire autant, à moi, étrangère parmi les étrangères ? Autobiographier leur mère implique en effet pour les deux autrices de franchir un seuil tabou : fouiller dans le passé de leur famille entière, mettre en jeu le souvenir d’un père, de frères, de camarades de classe plus ou moins proches, d’amies de jeunesse, d’amants, même virtuels… La question de la légitimité de cette effraction se pose, pour Christine Détrez et Karine Bastide, qui l’assument, voire la revendiquent, mais nécessairement aussi pour nous, de l’autre côté des pages du livre, à l’abri de tout danger. Ne font-elles pas le travail à notre place ?

5 Si la projection et l’émotion y sont fortement présentes, cet ouvrage tire sa puissance d’une autre dimension qui le caractérise : c’est un solide ouvrage scientifique. Les autrices se sont engagées dans une recherche micro-historique prenant pour point de départ – et prétexte – la reconstitution du parcours de vie des deux femmes pour brosser un large tableau sensible et détaillé d’une « émancipation féminine » inscrite dans le contexte de la France des années 1950-1970. L’approche s’inspire de la « pensée par cas » (Passeron & Revel, 2005) qui prétend à une généralisation à partir de configurations singulières, un vrai « pari biographique » (Dosse, 2005). Par cercles excentriques, là où des informations manquent, ou bien orientées vers d’autres pistes par de nouvelles informations trouvées au fil de l’investigation, les enquêtrices complètent leur compréhension de la période par de nombreuses lectures. Les notes de fin d’ouvrage1 rendent compte de ce robuste étayage théorique, à travers de très nombreuses références sociologiques et historiques. Elles s’appuient également sur quelques publications « féminines » et documents audiovisuels de l’époque qui témoignent des représentations, des évolutions et des contradictions à l’œuvre. Elles citent en particulier à plusieurs reprises des extraits savoureux de l’encyclopédie L’univers de la femme (Klein & Dorrier, 1965). Elles produisent au fil du texte et en annexe les éléments sur lesquels reposent leurs analyses, un tableau des entretiens réalisés, des reproductions de documents-sources et quelques rares photographies, des portraits de Christiane et Huguette à 15 ans, puis à 25 ans, les murs de la chambre d’Huguette adolescente.

6 Une autre raison majeure de lire ce livre et qui lui vaut à une recension dans la Revue française de pédagogie est qu’il marque d’une belle et nouvelle pierre l’histoire de l’éducation. Car en effet, Christiane et Huguette avaient tout de même quelque chose en commun : elles ont exercé pendant quelques années le métier d’institutrice. Christiane a été formée à l’École normale de filles de Douai puis elle a exercé en Tunisie, dans le cadre de la coopération. Huguette, bachelière et remplaçante en Lozère, n’a bénéficié

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que d’un stage de quelques mois à l’École normale de Mende. Elle décrit ses conditions matérielles de travail déplorables (sans eau, sans chauffage…) dans un livre Institutrice de village (Bastide, 1969) (qu’avec étonnement je me suis souvenue avoir lu !) qui fait grand bruit et lui vaut bien des déboires et des ressentiments. Elle est accusée de faire le jeu de ceux qui veulent fermer les petites écoles rurales.

7 Comme le font remarquer les autrices, malgré les nombreux travaux consacrés à l’histoire des instituteurs et de leur formation, peu d’entre eux se sont intéressés aux Écoles normales de filles de cette période2. La reconstitution minutieuse de l’ambiance de l’internat de l’École normale de Douai, « coincée entre la caserne et l’École normale des garçons », vaut à elle seule le détour. Elle s’appuie sur des sources d’une richesse insoupçonnée trouvées dans les dossiers des élèves, dont des lettres, parfois pathétiques, échangées entre la directrice et les parents. On y prend la mesure du contrôle de tous les instants qui s’exerçait sur les minuscules espaces de liberté laissés à ces adolescentes et de la sévérité des sanctions lorsque des écarts étaient constatés, comme, par exemple, un échange de messages avec un garçon de l’École voisine. Les témoignages de camarades de promotion de Christiane permettent de brosser le portrait d’une jeune femme simple, enjouée, souriante (étourdie et indisciplinée selon des appréciations portées dans son dossier) : tout ce qui contribue à peu à peu lui donner forme, à préciser son caractère est bon à prendre. Christine se surprend à découvrir finalement bien plus qu’elle ne l’espérait. Ces souvenirs d’anciennes normaliennes, souvent « filles du peuple », racontent surtout comment elles réussissaient malgré tout à déjouer la surveillance dont elles étaient l’objet au moment où, tout autour d’elles, un vent de liberté se levait pour la jeunesse.

8 Au-delà du contrôle des seules normaliennes, c’est bien celui des femmes en général que décrivent ces pages, de leur corps qui ne leur appartient pas encore, et de leur

« bonne conduite ». « Tout n’est qu’histoire d’effort et de discipline » clament les magazines féminins, les manuels et les leçons de morale, les cadres des écoles, les parents. La pression quotidienne qui pèse sur elles à travers une « domination rapprochée » (Memmi, 2008), dans un monde où les « enfants appartiennent encore à leurs parents » (p. 219) qui décident de tout, y compris du conjoint, Christiane et Huguette, comme bien d’autres, ont dû se battre pour y échapper, quitte à se marier.

Elles découvriront par la suite que le couple peut constituer une autre forme d’aliénation. Christiane a tellement voulu s’en libérer, même en abandonnant ses enfants, qu’elle en est doublement morte, car effacée des mémoires. Les circonstances de cette disparition dans un accident de voiture à un passage à niveau tunisien restent mystérieuses. Était-ce bien son mari qui conduisait, lui qui ne voulait pas entendre parler de divorce et qui n’a pas assisté à son enterrement ? Huguette quant à elle s’évade dans l’écriture de nombreux textes dont quelques-uns seulement seront publiés et dans des correspondances épistolaires un peu vaines. Celle avec Simone de Beauvoir (dont on peine à comprendre les motivations à prolonger cette relation) durera de longues années et lui servira de bouée de sauvetage. Celle avec un journaliste-amant d’un jour la conduira au bord du divorce demandé par son mari qui, finalement, abandonnera la procédure pour le bien des enfants… et se réfugiera dans l’alcool. Ces vies, celles des femmes comme celles des hommes qui subissent tout autant les injonctions sociales, ne sont pas heureuses. Une certaine mélancolie, l’insignifiance de l’existence pointent dans le récit. Sont-elles le reflet de l’inévitable frustration pour les deux autrices de n’avoir pas suffisamment appris de leur propre histoire ?

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9 Par-delà de douloureuses zones d’ombres qui subsistent dans ces deux biographies entrelacées, l’ouvrage de Christine Détrez et Karine Bastide ouvre un éventail de questionnements sur les traces, différenciées selon les milieux sociaux, laissées par des vies ordinaires, sur le souvenir et sur les mythes qui se construisent sur l’absence… Il suggère au passage des manques à combler dans la connaissance de cette période. Par exemple, on ne sait pas grand-chose de ces jeunes parti.es seul.es ou en couple faire la classe dans les anciennes colonies dans la cadre de la coopération. Nos mères dessine de belles perspectives de recherches sur une histoire de l’éducation à réinventer grâce à un pas de côté. Cette enquête se lit comme un roman, invite à la réflexion socio- historique et donne une furieuse envie de prolonger l’expérience.

BIBLIOGRAPHIE

BALLARDINI P. (2019). Les Écoles normales de filles : former des professionnelles ou des institutrices

« femmes idéales » ? Étude monographique de l’école normale des filles de l’Aube de 1955 à 1975. Thèse de doctorat, sciences de l’éducation, université de Reims Champagne-Ardenne.

BASTIDE H. (1969). Institutrice de village. Paris : Mercure de France.

DOSSE F. (2005). Le pari biographique. Écrire une vie. Paris : La Découverte.

KLEIN G. & DORRIER J.-C. (dir.) (1965). L’Univers de la femme. Paris : Félix Touron.

MEMMI D. (2008). « Mai 68 ou la crise de la domination rapprochée ». In D. Damamme, B. Godille, F. Matonti & B. Pudal (dir.), Mai-Juin 68. Paris : Éd. de l’Atelier.

PASSERON J.-C. & REVEL J. (dir.) (2005). Penser par cas. Paris : Éd. de l’EHESS.

NOTES

1. Malheureusement pas de bas de page !

2. Signalons toutefois une récente thèse que les autrices n’ont pas citée, Les Écoles normales de filles : former des professionnelles ou des institutrices « femmes idéales » ? Étude monographique de l’école normale des filles de l’Aube de 1955 à 1975. Malheureusement, Patricia Ballardini, son autrice, est décédée avant d’avoir pu diffuser plus largement sa recherche.

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AUTEURS

FRANÇOISE F. LAOT

Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis

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