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JACQUES LACAN ET SA CONCEPTION DE LA CURE PSYCHANALYTIQUE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Introduction

Dandy érudit en manteau de fourrure fumant un cigare tordu importé spécialement de Suisse, séducteur impénitent, psychanalyste adulé donnant ses consultations dans des taxis, collectionneur d’œuvres d’art et de lingots d’or, chercheur avide de LA formule, le mathème qui résumera à lui seul tout le psychisme, comme Einstein l’avait fait pour la matière, Lacan fut tout cela, personnage complexe qui a soulevé bien des passions et qui continue à susciter bien des controverses.

A priori, notre façon de concevoir la conduite d’une cure en AIRE est aux antipodes de celle que lui préconisait. Mais sur quels principes théoriques se basait-il ?

Biographie

De son vrai prénom Jacques-Marie, Lacan est né le 13 avril 1901 à Paris dans une famille de la grande bourgeoisie conservatrice et catholique, de prospères négociants en vinaigre. Le climat dans la famille est plutôt tendu, le grand-père paternel, Emile, est très envahissant et tyrannique, sapant systématiquement l’autorité du père ; la mère est très pieuse.

Il fait ses études au lycée Stanislas, où il laisse le souvenir d’un étudiant irrégulier, parfois fugueur, souvent malade, tout le temps rêveur, très arrogant vis-à-vis de ses condisciples.

Il s’inscrit en médecine en 1919, se spécialise en psychiatrie, au moment où les idées nouvelles de la psychanalyse arrivent en France par le biais à la fois de la médecine et de l’art.

Il fait sa thèse sur la paranoïa, et fréquente les milieux littéraires et artistiques, en particulier les surréalistes. Et d’ailleurs sa thèse, publiée en 1932, « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité », utilise autant la médecine que

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PSYCHANALYTIQUE

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l’analyse littéraire des lettres et des romans de la malade pour démontrer sa folie.

En 1936, à Marienbad, il fait une communication, restée célèbre depuis, sur le Stade du Miroir, qui fonde son entrée en psychanalyse, et fournit un accès à sa conception de ladite psychanalyse.

Il devient membre titularisé de la SPP (Société Psychanalytique de Paris) en 1938, sous condition de poursuivre son analyse avec Rudolph Loewenstein. Mais il ne tient pas cet engagement, et arrête aussitôt son analyse.

Suite à des désaccords grandissants concernant la formation des analystes, il suit Daniel Lagache en 1953 lorsqu’il fonde la Société Française de Psychanalyse, puis à la suite d’une nouvelle scission créera lui-même en 1964 l’Ecole Freudienne de Paris.

A cette époque, la scène psychanalytique française était dominée par des gens qui connaissaient Freud, qui avaient traduit ses livres, et enseignaient à partir de ça.

Lacan ne connaît pas Freud personnellement (il refusera d’ailleurs de lui être présenté lors de son passage à Paris), mais il a l’avantage de lire l’allemand, d’avoir accès directement au texte original. Il prône donc un retour à Freud, au texte originel, même si c’est pour le triturer à sa façon.

Mais c’est surtout la linguistique (la linguistique structurale de Ferdinand de Saussure) qui va lui fournir les concepts de base de sa théorisation. Il rapproche la structure de l’inconscient de celle du langage et lui applique la méthode qui a prouvé sa fécondité en linguistique.

Esprit brillant, grand érudit, il entremêle les références latines, grecques, allemandes, linguistiques, philosophiques, littéraires, mathématiques. Il glane dans tous les domaines les ingrédients dont il a besoin pour sa cuisine personnelle.

C’est à la fois un grand orateur et un piètre écrivain. Il distribue son enseignement par voie orale, au cours de ses Séminaires, d’abord à Sainte-Anne, puis à Normale Sup, et enfin à la Fac de droit. Les étudiants, lassés par les cours magistraux rébarbatifs de la Sorbonne et une pratique trop rigoureuse, se bousculent pour écouter ses one-man shows d’1h et demie pendant lesquels il disserte brillamment, mais de façon très hermétique, sur ses sujets favoris, devant un auditoire fasciné débordant largement le seul public des psychanalystes. Son cours devient un endroit à la mode, très prisé par l’intelligentsia française, où peu comprennent réellement, mais où tous font semblant, comme une illustration du fameux conte d’Andersen : Les habits neufs de l’Empereur. La psychanalyse devient une dimension de la culture.

Il faudra attendre 1966 pour que soient publiés (il disait « poubellisés ») ses Ecrits, recueil d’articles et d’interventions diverses, qu’il se résigne à livrer au public pour mettre fin aux fausses interprétations de sa doctrine. Méfiance vis-à-vis de l’écrit,

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refus de se voir figé dans une conceptualisation qu’il faisait évoluer sans cesse, où crainte de voir découverte la supercherie ? Car s’il manie bien la parole, s’il sait charmer, séduire, fasciner son auditoire, l’étude de l’écrit révèle une pensée confuse, des emprunts superficiels, des théories mal maîtrisées, beaucoup de verbiage. Il aimait les mots et s’en grisait.

Il n’en est pas moins vrai qu’il a fait souffler un vent de fronde et d’idées nouvelles dans le milieu assez sclérosé et conservateur de la psychanalyse française de cette époque. Il reprochait à ses confrères leur rigidité et leur interprétation trop médicalisante, il était plus ouvert théoriquement, et moins autoritaire. Les jeunes, en particulier, sont attirés par cette remise en cause, ce rejet des conventions, éblouis par cette aisance à jongler avec les concepts, son aplomb, ses idées nouvelles.

Contrairement à Freud, il aborde la psychanalyse par le biais de la psychose, et en propose une explication en introduisant les concepts de forclusion, de Nom-du-Père, de symbolique, dont l’absence entraîne la psychose. Il propose de véritables avancées dans le domaine de la théorie, de la réflexion philosophique.

En réaction (violente) au développement de l’école américaine et de l’ego psychology, dont le but essentiel est de ré-adapter le patient à la société, Lacan propose une définition plus idéale, plus sublime, du rôle de l’analyste.

Les apports théoriques

La pensée lacanienne s’articule autour du signifiant, et de trois catégories structurales : l’imaginaire, le réel et le symbolique.

Le signifiant

La linguistique contemporaine (Saussure) analyse le système de signes qui forme le langage comme une chaîne signifiante formée d’abord par l’enchaînement des signifiants. Le signifiant linguistique pris isolément n’a pas de lien interne avec le signifié. Il ne renvoie à une signification que parce qu’il est intégré à un système signifiant. C’est un ordre symbolique structurant les relations humaines. Ainsi le sujet humain s’insère dans un ordre pré-établi, lui-même de nature symbolique.

Ainsi le langage préexiste à l’enfant, à l’être humain. Ce n’est pas l’enfant qui se l’approprie, mais le langage, et par lui l’inconscient, qui s’exprime à travers l’être humain. Il n’y a donc pas un commencement du langage, il y a un commencement de la structure qui est aussi le commencement de l’homme lui-même. La parole est ce qui hisse l’être au rang d’humain et le différencie de l’animal. Car « il n’y a d’inconscient que chez l’être parlant ». L’inconscient peut se laisser apercevoir par les associations libres, les jeux de sonorités, les métaphores et les métonymies.

La cure psychanalytique est donc une mise en œuvre de la parole, et uniquement de la parole. Parole de l’analysé, s’entend. Car l’analyste lui reste « visage clos et bouche

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cousue ».

Pour comprendre le rôle que doit jouer le thérapeute selon Lacan dans une cure psychanalytique, il faut revenir au Stade du Miroir et au symbolique.

Le Stade du Miroir

L’idée première est celle de l’immaturité, de la prématurité physiologique du petit d’homme à sa naissance, incapable de se débrouiller tout seul, et donc dans un état de dépendance totale vis-à-vis de son environnement, état qui le marquera toute sa vie.

D’autre part, par sa vision de l’autre, l’enfant anticipe ce qu’il sera plus tard. Ce primat du visuel (l’œil étant la métaphore de l’esprit) introduit la notion du temps, de la temporalité, et aussi la rupture avec l’animal, puisque l’homme peut anticiper, prévoir, ce que ne peut pas faire l’animal.

Dans l’image que lui renvoie le miroir, ou à défaut le regard de l’autre, l’enfant (entre 6 à 18 mois) se voit, et se reconnaît, pour la première fois unifié, et non plus morcelé.

Mais c’est aussi un autre qu’il voit, une image inversée, qu’il prend pour lui, pour son moi véritable.

Lacan insiste sur la jubilation de l’enfant à ce stade, sur l’investissement libidinal de cette image, sur son pouvoir morphogène, qui est un véritable engendrement du moi.

L’enfant se constitue par cette image. Ce n’est pas lui qui se projette dans l’image, mais l’image qui le constitue par identification, par passage d’un dehors à un dedans.

Le narcissisme primaire n’est plus un dedans fermé sur soi, mais un dehors constitutif d’un dedans, une aliénation originante.

Le langage apparaît dans cette brèche, où s’engouffre l’inconscient, qui ne se définit nullement par ses contenus mais par les lois qui le gouvernent. «L’inconscient est structuré comme un langage ». Le langage n’étant pas, en l’occurrence, la désignation du réel par l’entremise des mots, mais la signification même du sujet. La parole est ce par quoi nous sommes parlés avant de pouvoir le savoir, et sans pouvoir le savoir.

L’inconscient n’est plus comme pour Freud la somme des affects refoulés, des pulsions, mais un espace abstrait gouverné par des lois, une structure. Le sujet, au sens lacanien, est absent de lui-même –comme les choses sont absentes des mots qui les représentent.

Les conséquences

Alors que chez Freud la pulsion agressive se métamorphose en amour, pour Lacan le narcissisme et l’agressivité sont corrélatifs. L’autre à la fois m’attire et me repousse, puisque je ne suis qu’en l’autre, et en même temps il me demeure étranger. D’où il s’ensuit une tension continuelle, dans laquelle aucune résolution n’est possible, sauf par le passage à l’acte suicidaire : suicide effectif (« le suicide est le seul véritable acte manqué », dira Lacan), ou agression, dans laquelle ce que j’agresse véritablement,

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c’est moi en l’autre.

Dans cette identification imaginaire, je me prends pour ce qui en réalité est une image de moi-même. Je m’illusionne, et attribue à l’extérieur ce qui ne me convient pas, sans reconnaître ce qui est aussi en moi. Je deviens sensible aux similitudes, et rejette les différences. D’où l’attaque du mauvais objet sur cette image de moi-même qu’est l’autre. Je me détruis (ou plus exactement je détruis la part de moi que je refuse) en détruisant l’autre.

Une autre voie possible que le passage à l’acte suicidaire est la réussite de l’imago.

L’expérience analytique est alors définie par Lacan comme la restauration de l’imago.

L’analyste doit offrir à l’analysant un miroir, le plus lisse, le plus pur possible, « un personnage aussi dénué que possible de caractéristiques individuelles », pour que puisse s’opérer un transfert des images archaïques du sujet. Non pas répétition des relations, des affects primaires, mais actualisation des images archaïques à l’œuvre dans le présent du sujet. L’image silencieuse du psychanalyste devient une page blanche sur laquelle s’impriment les traces de l’image qui agit le sujet parlant et souffrant. Celui qui parle manifeste ainsi de plus en plus dans son discours celui qui parle en lui (adulte tout-puissant, père ou mère, tendre ou terrible), et l’analyste en retour lui tend un miroir où cette fois peut « advenir le sujet de l’inconscient », selon la formule célèbre de Lacan, ce qui constitue l’unité de son moi enfin instaurée. Le passage à l’acte devient celui de la projection d’une image sur l’écran vierge qu’est l’analyste.

Le symbolique

La relation à la mère est lourde de dangers, en ce sens que l’enfant peut devenir pour elle le support de ses fantasmes, elle peut ne le percevoir que comme une partie indifférenciée d’elle-même. Et l’enfant, lui aussi, aspire à cette fusion imaginaire.

Aussi le couple mère-enfant doit-il être subordonné au 3è terme du triangle imaginaire qui est le père en tant que détenteur du Phallus, c’est-à-dire porteur de la Loi. C’est le père qui va interdire la fusion du couple imaginaire. Cette réalité ne se dévoile à l’enfant que par l’intermédiaire de la parole de la mère qui introduit donc le père dans sa relation avec l’enfant. C’est cette introduction du père en tant que Nom- du-Père ou Père symbolique (qui dépasse ce qui ressort de la présence effective du père réel) qui va modifier la relation imaginaire de l’enfant à la mère et lui permettre d’accéder au symbolique. Grâce à la fonction du père, l’enfant devient sujet, c’est-à- dire désassujetti du désir de la mère. Si l’imaginaire est de l’ordre de tout ce pour quoi le sujet se prend, le symbolique est le champ de la loi et du langage, préexistant, autonome et extérieur.

« La fonction paternelle se caractérise par une double inscription. Dans le champ social, elle s’inscrit principalement par le biais des montages juridiques. Ce sont les lois concernant la généalogie, la filiation, l’alliance, et d’une façon générale la parenté, qui en constituent les assises fondatrices. Dans le champ de la subjectivité, la

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fonction paternelle s’inscrit en chaque sujet par le biais des montages familiaux : le complexe d’Œdipe est la structure qui, dans un sujet, établit qu’il y a du père comme

« représentant de la Loi » ».(Lacan, Ecrits, Discours de Rome.).

Pour Lacan, c’est la structure du système symbolique qui est première ; la liaison avec le symbolisé étant seconde et imprégnée d’imaginaire. Le signifiant linguistique, pris isolément, n’a pas de lien interne avec le signifié, il ne renvoie à une signification que parce qu’il est intégré à un système signifiant.

Les séances courtes, les interruptions significatives (scansion) ont donc pour but théorique de faire jaillir l’inconscient en bousculant le moi, en réveillant les désirs enfouis, en désintriquant les chaînes de signifiants.

Les limites de la méthode, et la conduite de la cure en AIRE Le rôle du thérapeute

Cette façon extrêmement « idéale » (dans le sens d’idée pure) d’envisager le positionnement du thérapeute au cours de l’analyse, le refus de la suggestion, le refus d’interpréter le symptôme et le transfert, le refus de tout projet concernant le patient, allant jusqu’à renoncer à viser sa guérison, semble à la fois relever du fantasme, de la chimère, et surtout se révéler complètement inadéquate, voire pathogène dans certains cas.

En effet, s’il est certain que, à certains moments, la plus grande neutralité soit de rigueur pour permettre l’émergence des images qui habitent le patient, il est utopique de prétendre que l’attitude de l’analyste doive et puisse être exactement la même tout au long du processus, à savoir une impassibilité totale.

De plus, prétendre que l’analyste n’ait pas de projet pour son patient est un leurre. La volonté de ne pas avoir de projet en déjà en elle-même un projet.

Lacan pose comme axiome que c’est au signifiant que l’analyste doit ramener le patient, par le silence, la ponctuation, l’interruption de la séance. Montrer au patient le sens de ses symptômes serait encore le ramener à la réalité, alors qu’il s’agit de lutter contre tous les leurres, de dissoudre les mirages du narcissisme et de ses formations imaginaires pour permettre de « faire advenir le sujet de l’inconscient ».

Mais cette attitude est très déstabilisante parce qu’elle implique qu’on ne peut plus compter, se raccrocher, à quoi que ce soit. Tout est inversé, tout a un double sens(voire plus), on se trahit sans cesse sans le savoir : c’est un monde fou où plus rien n’a de sens, à force d’être constamment mis en doute, interprété, mis en miroir.

Si pour Freud le moi n’était plus maître chez lui, pour Lacan cela va encore plus loin : le sujet humain n’a aucune réalité, ce n’est guère plus qu’un mirage, s’aveuglant perpétuellement sur lui-même.

Cette dépersonnalisation, qui est le but de l’analyse lacanienne, implique de replonger dans l’univers morcelé, de déconstruire ce qui a maintenu la personne en

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vie jusqu’alors, même au prix de symptômes et de souffrances. Comment supporter ce total effondrement s’il n’y a pas dès l’abord une certaine solidité de la personne ? Comment faire lorsqu’il n’y a eu dans l’enfance ni regard aimant, ni inscription symbolique ? On risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’univers de Lacan se limite aux seuls névrosés ou psychotiques. Il exclut toute cette frange pourtant de plus en plus importante de sujets au narcissisme fragile, mal établi, les état-limites, pour lesquels ce regard vide du thérapeute n’est ni plus ni moins qu’une répétition du traumatisme, sans possibilité de le résoudre autrement.

Le cadre variable

La raison des démêlés constants qu’eut Lacan avec les autres psychanalystes, et avec l’Association Internationale de Psychanalyse, qui ne voulut jamais le reconnaître comme psychanalyste, et surtout comme didacticien, fut l’instauration de la séance à durée variable, en général courte, qu’il justifiait par l’utilisation de la scansion, coupure brutale de la séance à un moment jugé crucial par l’analyste, et censée amener à la conscience des faits inatteignables autrement. Il ira même jusqu’à inventer la contre-séance, où le patient ne faisait que s’allonger pour se relever aussitôt.

Une des conséquences de cette pratique fut qu’il ne donnait plus de rendez-vous, puisqu’il ne savait pas combien de temps allait durer les séances. Sa salle d’attente était donc pleine de gens angoissés de savoir s’ils allaient être reçus ce jour-là, et quand, selon le caprice du Maître.

Il y a quelque part chez Lacan un refus exacerbé de la dépendance, qui se traduit dans sa pratique par un refus d’assumer la dépendance que peut avoir le patient envers son thérapeute, au moins pendant les premiers temps. Mais paradoxalement, ce refus renforce en fait les risques de dépendance. Le patient frustré devient de plus en plus demandeur de ce que lui refuse son thérapeute. Ce qui explique qu’autant de gens passaient leur temps à attendre un mot du « Maître », dont ils passaient ensuite des heures à chercher le sens caché, puisque tout devait faire sens. Le patient se retrouve soumis à l’arbitraire de l’analyste, qui peut interrompre la séance à tout moment, et il cherche donc par tous les moyens à maintenir l’attention, tout en étant plongé dans l’attente anxieuse du jugement. La scansion devient un système sophistiqué d’interprétation soumis au seul savoir de l’analyste. Alors que c’est le sujet qui est supposé savoir, c’est l’analyste qui se retrouve en position de pouvoir.

Perversion ultime du système.

Mais dramatique également pour l’analyste. Car le cadre, s’il permet aux éléments les plus psychotiques du patient de se déposer, permet également de contenir la névrose du thérapeute. Il n’est donc plus si étonnant qu’avec l’abandon du cadre analytique Lacan n’ait plus eu les moyens de juguler sa propre pathologie. D’autant plus qu’il n’avait pas fini sa propre analyse, qu’il n’en a jamais refait d’autre par la suite, et

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qu’il n’était pas supervisé. Aucun garde-fou, donc, toutes les dérives peuvent se produire.

L’exemple de Didier Anzieu

De même qu’il s’est limité au langage pour définir l’inconscient, Lacan s’est limité à ce qu’il y a de masculin dans le processus psychanalytique , et a oublié ( forclos ?) tout ce qui est du domaine du féminin, l’empathie, la sympathie, l’acceptation, dont les patients ont aussi besoin pour s’élaborer. Comme si l’on ne pouvait être malade que de l’absence du père, et jamais de l’absence de la mère.

La cure que Didier Anzieu effectua avec Lacan illustre bien cette lacune de la pratique lacanienne.

En effet, Didier Anzieu a passé 4 années en psychanalyse avec Jacques Lacan, au cours desquelles il écrivit une grande quantité de notes personnelles, de courriers, de compte-rendus, qui nous permettent d’avoir une idée assez précise de ce que fut cette cure.

Les deux premières années, en 1949 et 1950, avaient lieu 3 séances de 45 mn par semaines. Puis le cadre devint erratique : 4 fois 30 mn, puis 4 fois 20 mn, puis de nouveau 3 fois 40 mn, puis de plus en plus courtes. Avec un contrat de paiement inchangé. A la fin de la cure, il règle le prix de trois séances même s’il ne vient plus qu’à peine une fois par semaine.

Il s’étonne du silence continuel, mais surtout du manque d’attention de son analyste.

En effet, Lacan avait du mal à écouter longtemps ses patients, et pendant ses consultations, il se faisait apporter son courrier, répondait au téléphone, marchait à grands pas, entrait et sortait de la pièce, tout en demandant à son patient de continuer la séance en son absence. Il faisait aussi des commentaires sur ses autres patients. Ce qui avait été vécu au départ comme facilitant (le silence et cette espèce de jeu surréaliste) finit par amener le patient à douter du sérieux de l’analyste.

Un nouveau cap est franchi lorsque Lacan lui demande de venir à son séminaire, sous le prétexte que là lui seront données les interprétations qu’il ne peut pas lui donner en séance.

La confusion est totale. Anzieu se sent manipulé et dupé. Autant il avait opéré sur Lacan, dans les premiers temps, un transfert paternel positif qui lui a permis d’élucider ses relations avec son propre père et avec ses identifications paternelles, et à se débarrasser de ses symptômes, autant par la suite le silence va être vécu comme décevant et générateur d’angoisse. Et les symptômes vont réapparaître.

Car il manque toute l’image maternelle. Ce qui dans le cas de Didier Anzieu est d’autant plus paradoxal que sa mère est la patiente sur laquelle Lacan élabora sa thèse sur la paranoïa, et que Anzieu vient juste de renouer avec elle. En 4 ans d’analyse, jamais ils n’aborderont le sujet. Anzieu n’était pas au courant pour la thèse de Lacan, et on ignore si celui-ci fit le rapprochement.

Par la suite, Anzieu fit une autre analyse, avec George Favez, plus active et plus

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tournée vers la relation avec sa mère.

L’AIRE repose sur des postulats différents

L’AIRE, quant à elle, outre qu’elle s’appuie fortement sur le cadre, garantissant ainsi la sécurité à la fois du patient et du thérapeute, se trouve plus proche de la conception winnicottienne de l’élaboration du psychisme, dans laquelle c’est la dépendance reconnue et acceptée par la mère qui permettra ensuite à l’enfant de s’en extraire et de la dépasser, et que parfois c’est cette relation première qui a besoin d’être (re)vécue par le patient avec son thérapeute. De même que sous le primat de la vision et du mental existent aussi des sens et des représentations plus primitifs, plus primaires : avant de voir, le bébé sent, ressent. Il est porté, touché, caressé, et ces sensations font partie de sa construction psychique, et Winnicott a bien mis en relief cet aspect important du rôle du thérapeute lorsque cette première construction n’a pas pu se mettre en place par suite d’une carence maternelle, lui qui allait jusqu’à tenir la main de ses patients lorsqu’ils traversaient une période particulièrement critique de leur analyse.

Conclusion

On ne peut pas nier que Lacan, pour le meilleur ou pour le pire, ait joué un grand rôle dans l’histoire de la psychanalyse en France, ne serait-ce que par le nombre de ceux qui se réclament de lui. Il a apporté des élaborations intéressantes sur la psychose, sur l’importance du symbolique et du rôle du père. Mais son plus grand mérite reste à mon sens d’avoir, par son questionnement incessant, ouvert la voie à d’autres, comme André Green, Didier Anzieu, et d’autres, qui ont pu profiter de la brèche qu’il avait ouverte dans l’enseignement un peu routinier de son époque, et qui néanmoins ne se sont pas laissés entraîner dans ce qu’il faut bien appeler son délire, et ont su au contraire profiter de ce que sa pratique recélait comme failles pour s’en dégager et proposer leurs propres interprétations.

Bibliographie

Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Editions du Seuil, collection Points Essais, 1973.

Jacques Lacan, Ecrits, Editions du Seuil, collection Points Essais, 1966.

Philippe Julien, Pour lire Jacques Lacan, Editions du Seuil, collection Points Essais, 1990.

Corinne Maier, Le Lacan dira-t-on, Edition Mots et Cie, 2003.

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Maria Pierrakos, La « tapeuse » de Lacan, Edition L’Harmattan, 2003.

Dominique Bourdin, La psychanalyse de Freud à aujourd’hui, Bréal éditions, 2000.

Bernard Robinson, Psychologie clinique, de l’initiation à la recherche, Edition De Boeck, collection Ouvertures Psychologiques, 2003.

Jean Laplanche et J.B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Presses Universitaires de France, 1967.

Didier Anzieu et son héritage, Le journal des psychologues, hors-série de novembre 2002.

Dossier de lecture Jacques Lacan concocté par Olivier Jarreton.

Mai 2005

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