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L UNION DES FEMMES DE TUNISIE ET L UNION DES JEUNES FILLES DE TUNISIE,

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L’UNION DES FEMMES DE TUNISIE ET L’UNION DES JEUNES FILLES DE TUNISIE, 1944-1957

Deux associations féminines et communistes ?

Élise Abassade

Presses universitaires de Rennes | « Monde(s) » 2015/2 N° 8 | pages 197 à 216

ISSN 2261-6268

DOI 10.3917/mond1.152.0197

Article disponible en ligne à l'adresse :

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Résumé

Le mouvement communiste de Tunisie, composé du parti communiste de Tunisie et d’associations satel- lites permettant des liens avec la population, eut une activité notable durant le protectorat français.

Deux des plus célèbres organisations annexes, fon- dées à la fin de la Seconde Guerre mondiale, étaient exclusivement féminines. Elles concentrèrent leurs actions sur les femmes et permirent l’adhésion d’un plus grand nombre de celles-ci au mouvement communiste.

Mots-clefs : Mouvement communiste – Protectorat français en Tunisie – Parti communiste de Tunisie – Organisations féminines – Féminisme.

Abstract

The National Union of Tunisian Women and the Union of Young Tunisian Women, 1944-1957:

Two Communist and Women’s Associations?

The Communist movement of Tunisia, composed of the Communist Party of Tunisia and of organizations linked to the population, was notably active under the French Protectorate. Two of the most famous of these associations, created at the end of World War II, were exclusively composed of women. They focused their activities on femalerelated issues and enabled an increasing number of women to join the Communist movement.

Keywords: Communist Movement – French Protectorate in Tunisia – Communist Party of Tunisia – Women’s Organizations – Feminism.

L’Union des femmes de Tunisie

et l’Union des jeunes filles de Tunisie, 1944-1957

Deux associations féminines et communistes ?

Élise Abassade

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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U

ne partie des membres de la Section fran- çaise de l’Internationale ouvrière (SFIO), désireux d’adhérer à la IIIe Internationale constituée à Moscou au printemps 1919, choisirent de fonder la Section française de l’Internationale communiste à la fin du congrès de Tours, en décembre 1920. En Tunisie, le parti se structura dès 1921 autour des toutes récentes Jeunesses communistes et du journal L’Avenir social repris par des communistes à des socialistes. Des sections furent rapidement ouvertes dans toutes les grandes villes de Tunisie, tandis que la Confédération générale du travail unitaire vit le jour et fut rattachée à l’Internationale syn- dicale communiste fondée en 19221. Le parti communiste de Tunisie (PCT) naquit ainsi de la réunion d’anciens socialistes, d’une partie de la jeunesse et d’organisations de travail- leurs européens, majoritairement français, et tunisiens. Il correspondit, dans ses premiers temps, à la section tunisienne du parti com- muniste français et fut composé, jusque dans les années 1950, d’une majorité de Français.

La Tunisie, gouvernée par un bey, était, à la fin du xixe siècle, en recherche de dévelop- pement économique ; la France, en quête de puissance, y organisa des campagnes mili- taires entre 1881 et 1882 sous divers pré- textes. Le 12 mai 1881, le gouvernement français, représenté par le général Bréart, et

1. Juliette Bessis, Les fondateurs. Index biographique des cadres syndicalistes de la Tunisie coloniale (1920-1956), Paris, L’Harmattan, 2004, p. 6.

le bey de Tunis signèrent le traité du Bardo, selon lequel l’État français devait assurer la protection de la Régence, considérée comme un État faible. Il revenait à l’État tuteur, plus avancé techniquement, de la défendre et d’organiser sa politique extérieure et admi- nistrative2. Le bey conserva dès lors un pou- voir symbolique et la Régence fut placée sous protection de la France par l’intermédiaire du représentant de la République, le résident général. L’administration et les tribunaux furent modifiés, les terres colonisées, l’im- plantation de Français favorisée. Cette tutelle visait à accompagner un État considéré comme non encore civilisé vers la modernité à l’européenne. Les contestations de ce cadre de domination se firent plus fortes à partir de la fin de la Première Guerre mondiale à laquelle participèrent nombre de Tunisiens3. Des groupements politiques critiquant la domination française émergèrent dès le début des années 1920, comme le fameux Destour, ou Parti libéral-constitutionnel fondé en 1920 par Abdelaziz Thaalbi (1876- 1944), et le parti communiste de Tunisie.

Malgré son rattachement à un parti poli- tique français, le PCT développa un dis- cours spécifique : L’avenir social se doubla

2. « Le traité de Ksar es-Saïd dit du Bardo (12 mai 1881) », in Arthur Pellegrin, Histoire de la Tunisie, Tunis, Éditions de la Rapide, 1944 ; repris par Yvette Katan- Bensamoun, Rama Chalak, Le Maghreb de l’Empire ottoman à la fin de la colonisation française, Paris, Belin, 2007, p. 119.

3. Ibid., p. 117-121.

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de publications en langue arabe et le PCT insista, dès ses débuts, sur son ouverture aux Tunisiens4. Pensant être investie d’une mis- sion humaniste, la SFIO prônait au contraire un « socialisme colonial » qui ne pouvait se développer que dans le cadre du protecto- rat, et n’ouvrait ses rangs qu’aux Tunisiens francisés5. Le PCT critiquait de manière viru- lente la politique française dans la Régence, en accord avec la pensée fondatrice du Komintern en matière d’indépendance natio- nale, selon laquelle la révolution socialiste passerait par la conquête de cette indépen- dance : les colons étaient les oppresseurs, et les colonisés les prolétaires. Le Destour et le PCT furent les premiers partis politiques à revendiquer l’indépendance de la Tunisie, mais appréhendaient différemment l’idée nationale : le PCT, internationaliste, deman- dait l’égalité entre les différentes compo- santes nationales de la Tunisie, au contraire du Destour, qui élaborait une définition de la nation représentant la majeure partie de la population, soit les Arabes musulmans, et excluant, de fait, les Français, les Italiens et les Tunisiens juifs. Le PCT, considéré comme dangereux par les autorités du protectorat, fut dissous en mai 1922 mais continua, mal- gré son interdiction, à se structurer et à tenir

4. Entretien avec l’historien Habib Kazdaghli, réalisé à Paris le 26 mars 2014.

5. René Galissot, « Sur les débuts du communisme en Tunisie et en Algérie », Mélanges d’histoire sociale offerts à Jean Maitron, Paris, Les Éditions ouvrières, 1976, p. 101-111.

des réunions. Ses activités et ses membres se concentrèrent d’abord dans les milieux de travailleurs. Il fut le seul parti politique à appuyer la fondation de la première centrale syndicale tunisienne, la Confédération géné- rale des travailleurs de Tunisie, expérience menée par le célèbre Mohammed Ali6.

Le PCT, qui « n’a jamais été qu’un tout petit parti7 », attira néanmoins plusieurs milliers d’adhérents sur une cinquantaine d’années, et participa à la vie politique de la Tunisie.

Des organisations rattachées à lui ou sym- pathisantes existaient aussi, si bien que l’on peut parler de « mouvement » communiste en Tunisie. Le PCT, comme tous les partis communistes, portait un message d’égalité et, à propos de la « question des femmes », se référait aux textes de la IIIe Internationale publiés en 1921, à Moscou8. L’existence de ces textes permet de supposer que des femmes militèrent dans les partis communistes, donc au PCT. Non seulement l’accès à ces partis ne leur était pas interdit mais beaucoup d’entre elles furent sans doute séduites par la pers- pective égalitaire qu’ils offraient.

6. Pour plus de détails, voir Abdesselem Ben Hamida, Le syndicalisme tunisien de la Seconde Guerre mondiale à l’autonomie interne de la Tunisie, Tunis, Éditions de l’université de Tunis I, 1989.

7. Paul Sebag, Communistes de Tunisie, 1939-1943.

Souvenirs et documents, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 7.

  8. Theses, Resolutions and Manifestos of the First Four Congresses of the Third International, traduit du russe vers l’anglais par Alix Holt et Barbara Holland (New- York: Ink. Links, 1980).

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Plusieurs travaux ont été consacrés à l’his- toire du communisme en Tunisie9 mais aucun ne développe l’histoire des femmes, alors que l’historien Hassine Raouf Hamza affirme que celles-ci étaient 500 à militer au PCT et dans ses associations féminines en 1945-194610 – l’état actuel des recherches ne permet pas de donner une estimation précise de leur nombre pour l’ensemble de la période trai- tée. Ce silence peut notamment s’expliquer par la quasi-absence de femmes qui obtinrent un statut notable au sein du parti, ce qu’il convient d’interroger, et par le fait que la perspective d’analyse du genre n’était pas développée à l’époque de la rédaction de ces ouvrages. À partir des années 1990, des mili- tantes du courant féministe démocratique de Tunisie s’intéressèrent à l’histoire des mou- vements politiques féminins, mais seule la sociologue Ilhem Marzouki consacra une part importante de ses recherches aux Unions féminines proches du parti communiste11. Son travail repose sur des sources éma- nant directement de ces Unions féminines,

  9. Hassine Raouf Hamza, Communisme et nationa- lisme en Tunisie. De la Libération à l’indépendance, Tunis, Éditions de l’université de Tunis I, 1994 ; Habib Kazdaghli, Le mouvement communiste de Tunisie, 1919-1943 (en arabe), Tunis, Éditions de l’université de Tunis I, 1992 ; Mustapha Kraiem, Le parti communiste tunisien pendant la période coloniale, Tunis, Éditions de l’université de Tunis I, 1997.

10. Hassine Raouf Hamza, Communisme et nationalisme en Tunisie, op. cit., p. 89 (cf. note 9).

11. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle. Féminisme et politique, Paris, Maisonneuve et Larose, 1993.

c’est-à-dire leurs organes de presse Femmes de Tunisie et Jeunes Filles de Tunisie, publiés entre 1944 et 1946, introuvables en France, et sur des témoignages recueillis auprès de militantes aujourd’hui décédées. Les infor- mations contenues dans son ouvrage ont été complétées, lors des recherches dont découle cet article, par des données glanées dans les archives diplomatiques et militaires du pro- tectorat français, à Nantes et à Vincennes.

Celles-ci ne mentionnent guère les activités de ces femmes ; les autorités, semble-t-il, s’en préoccupaient peu, peut-être précisément parce qu’il s’agissait d’activités féminines et qu’elles n’inquiétaient pas outre mesure les agents en charge de la surveillance et de la sécurité politique du protectorat.

Les premières militantes du mouvement communiste furent des ouvrières italiennes et des institutrices françaises engagées au PCT dans les années 1930 et, pour certaines d’entre elles, à l’Association des amis de l’URSS, ou France-URSS, fondée en 1935. Un nombre croissant de femmes adhéra au PCT à partir de l’année 1939, pour beaucoup en raison d’opinions antifascistes et grâce à l’influence d’une figure tutélaire masculine de leur entourage. Les femmes communistes furent très actives durant la Seconde Guerre mondiale et participèrent aux activités de résistance du parti en raison, notamment, de l’absence des hommes, pour la plupart déte- nus ou dans l’illégalité. Le nombre de femmes engagées dans le mouvement communiste,

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PCT et l’Association des amis de l’URSS, resta cependant faible, en comparaison du nombre d’hommes, jusqu’en 1944-1945. C’est durant ces années que furent fondées l’Union des femmes de Tunisie (UFT) et l’Union des jeunes filles de Tunisie (UFJT), deux orga- nisations proches du PCT qui étaient exclu- sivement féminines et dont les activités, en grande partie sociales, étaient orientées vers les femmes de Tunisie.

Dans quelle mesure la création de ces orga- nisations féminines ouvrit-elle de nouvelles perspectives quant à la place des femmes au sein du mouvement communiste en Tunisie ? Dans quelle mesure leurs actions et leurs revendications participèrent-elles au déve- loppement de la réflexion sur la place des femmes dans la société ? Ces deux organisa- tions différaient, de par leur non-mixité, des autres organisations proches du PCT. Elles se voulaient ouvertes à toutes les femmes de Tunisie, quelle que soit leur sensibilité poli- tique. Elles participèrent à la diffusion du programme nationaliste du mouvement com- muniste par l’utilisation d’un discours qui se voulait spécifiquement féminin. À partir des années 1950, elles perdirent en dynamisme, mais élaborèrent des questionnements et des revendications relatifs à l’obtention de droits pour les femmes.

L’UFT et l’UJFT : organisations de masse ou sections féminines du PCT ?

L’UFT et l’UFJT furent fondées au lendemain de la libération de la Tunisie survenue en mai 1943. Leur statut, leur nature, leurs liens avec le PCT – différents d’autres organisations liées à celui-ci – méritent d’être interrogés.

Après la Libération, le parti communiste de Tunisie acquit un poids politique qui lui per- mit de relancer son activité. Ses organisa- tions annexes lui étaient utiles pour renouer le lien avec les populations et recruter acti- vement des sympathisants, dans la continui- té de ses pratiques d’avant-guerre. Ailleurs dans le monde, des partis communistes comme, par exemple, le parti communiste du Liban12, le parti communiste italien13 et le PCF14, mettaient en œuvre les dispositions

12. Élise Abassade, « Les militantes communistes au Liban de 1924 à 1953 », mémoire de master d’histoire contemporaine, première année, spécialité Mondes arabes et musulmans, sous la direction d’Anne-Laure Dupont et de Catherine Mayeur-Jaouen, université Paris-Sorbonne (Paris  IV), juin 2013. Voir, à propos du parti communiste du Liban, Tareq Y. Ismael, The Communist Movement in the Arab World (Abingdon:

Routledge Curzon, 2005).

13. « Nadia Gallico-Spano », article consulté sur le site [http://it.wikipedia.org/wiki/Nadia_Gallico_Spano]

(mai 2015).

14. Sandra Fayolle, « L’Union des femmes françaises : une organisation féminine de masse du parti communiste français, 1945-1965 », thèse de science politique, sous la direction de Philippe Braud, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, octobre 2005.

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des textes de la IIIe internationale en ouvrant des organisations féminines. Dans l’euphorie de la fin de la guerre, des questionnements nouveaux s’exprimaient, relatifs à la vie poli- tique et civique, ainsi qu’à l’émancipation de l’être humain, c’est-à-dire à ses libertés et à la nécessité pour lui de s’affranchir de toute tutelle. Le statut des femmes faisait partie intégrante de ces questionnements et était depuis longtemps un sujet de débat au sein de la société tunisienne. Comme presque par- tout dans le monde arabe et dans le monde musulman en général, le débat s’était cristal- lisé autour du port du voile, après que deux femmes furent apparues dévoilées à des réu- nions publiques organisées sous les auspices de la SFIO en 1924 et en 192915. En 1930, le journaliste et syndicaliste Tahar Haddad (1899-1935) avait publié Notre femme dans la loi islamique et la société (en arabe)16, qui préconisait l’instruction des femmes et l’abandon du voile. Une grande partie des nationalistes, y compris des membres du Néo-Destour après sa fondation en 1934, s’était fortement opposée à ce point de vue, considérant le voile comme le symbole des particularités culturelles de la Tunisie, que la

15. Souad Bakalti, La femme tunisienne au temps de la colonisation, 1881-1956, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 69-72.

16. Zakya Daoud, Féminisme et politique au Maghreb, Paris, Maisonneuve et Larose, 1993, p. 41. Pour plus de détails sur Tahar Haddad, voir Zeïneb Ben Saïd Cherni, Les travailleurs, Dieu et la femme, Tunis, Éditions Ben Abdallah, 1993 ; Tahar Haddad, Les pensées et autres écrits, Oran, Publication du CRIDSSH, 1984.

femme avait pour tâche de transmettre. Les socialistes et les communistes, au contraire, avaient soutenu Tahar Haddad17.

C’est dans ce contexte de débats relancés par la fin de la guerre, et à l’occasion de la Journée internationale de la femme le 8 mars 1944, que l’Union des femmes de Tunisie fut créée par des Françaises communistes, notamment la militante du PCT Charlotte Joulain18, née à Angers en 1895, qui vivait depuis de nom- breuses années, à Tunis, où elle tenait une bonneterie19. En janvier 1945, naquit en outre l’Union des jeunes filles de Tunisie qui recrutait des femmes plus jeunes, qui avaient, estimait-elle, des besoins spécifiques. Il ne semble pas que de telles organisations, hor- mis la section féminine du parti, aient jamais existé pour la SFIO. Un équivalent officieux existait en revanche pour les milieux des- touriens : l’Union musulmane des femmes de Tunisie (UMFT), fondée en 1936. Les activités de cette organisation différaient peu de celles de l’UFT et de l’UJFT, mais son paradigme était religieux. Elle souhaitait enseigner la culture musulmane à ses membres selon des modalités qu’elle considérait comme adap- tées à leur nature féminine, et ne revendi- qua jamais d’amélioration des conditions de

17. Souad Bakalti, La femme tunisienne au temps de la colonisation, op. cit., p. 62 (cf. note 15).

18. Ibid., p. 82.

19. Paul Sebag, Communistes de Tunisie, op. cit., p. 173 (cf. note 7).

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vie des femmes20. L’UMFT est à distinguer des sections féminines officielles du Néo- Destour qui ne furent ouvertes qu’entre 1950 et 195621, bien que des femmes aient adhéré au parti dès la fin des années 1930.

À la différence d’organisations annexes proches du PCT comme l’Association des amis de l’URSS, l’UFT et l’UJFT étaient exclusivement réservées aux femmes. La non-mixité peut sembler de prime abord en contradiction avec les mots d’ordre du Komintern, selon lesquels il ne devait pas y avoir de lutte séparée : hommes et femmes, sans distinction, s’engageaient contre l’oppression. Peut-être les deux Unions répondaient-elles aux aspirations de quelques anciennes militantes communistes, désireuses d’approfondir et de mettre en pratique leurs réflexions sur le rôle et le statut des femmes, comme la Française Roberte Cabrit, épouse Bigiaoui, née à Toulouse en 1902, que son fils considère comme une « féministe22 ». Leur création ouvrait également les sphères communistes à des femmes qui y étaient jusqu’alors étran- gères. À l’origine, l’UFT et l’UJFT étaient

20. Souad Bakalti, La femme tunisienne au temps de la colonisation, op. cit., p. 76 (cf. note 15).

21. Histoires croisées des luttes des femmes maghré- bines pour les droits, Actes des séminaires organi- sés par l’Association des Tunisiens en France, Paris, septembre 2006-janvier 2007, p. 134 ; Zakya Daoud, Féminisme et politique au Maghreb, op. cit., p. 47 (cf.

note 16).

22. Entretien avec son fils Jean-Christophe Bigiaoui, réalisé à Paris le 24 mars 2014.

exclusivement composées de femmes com- munistes, françaises, italiennes, ou tuni- siennes de confession juive. Les membres féminins du PCT y adhérèrent, semble-t-il, de manière systématique, ce qui confirmerait l’hypothèse de l’historien Mustapha Kraiem selon laquelle elles correspondaient aux sec- tions féminines du parti communiste23. Elles apparaissent plutôt comme des associations de masse visant à diffuser le plus largement possible le discours politique communiste, et à permettre la constitution d’un « réser- voir » de sympathisantes qui, une fois for- mées, seraient susceptibles d’adhérer au PCT. Ce dernier préférait employer l’expres- sion « amicales communistes », officialisée au cours de la conférence nationale des 9 et 10 décembre 194424.

Sandra Fayolle, qui a travaillé sur l’Union des femmes françaises, équivalent français de l’UFT, voit dans la création de ces organi- sations féminines une manière d’inciter les femmes, plus réticentes que les hommes, à entrer au parti communiste25. Un nombre très restreint de femmes, en effet, militait jusqu’alors au sein du mouvement commu- niste, probablement en raison de normes sociales qui leur déconseillaient toute

23. Mustapha Kraiem, Le parti communiste tunisien pen- dant la période coloniale, op. cit., p. 318 (cf. note 9).

24. Parti communiste de Tunisie, Les formes d’organisation et de travail du parti, Alger, Éditions Liberté, mars 1945, p. 16.

25. Sandra Fayolle, L’Union des femmes françaises, op. cit., p. 60 (cf. note 14).

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démonstration et toute prise de position en public, surtout dans des organisations mixtes préconisant en outre la révolution, c’est-à- dire un bouleversement complet de la socié- té, donc du statut des femmes. Un lieu de militantisme exclusivement féminin pouvait attirer plus volontiers les femmes qu’un parti politique classique et, peut-être, inciter leur famille et leur environnement social à accep- ter leur engagement.

L’organisation de l’UFT et de l’UJFT était cal- quée sur celle du parti communiste : des cellules et sections furent ouvertes là où celui-ci était implanté, soit dans les grandes villes de Tunisie, à Tunis et dans ses envi- rons, à Sousse, Sfax, Ferryville, Tinja, Béja, Enfidaville, Kairouan, Mateur, Bizerte, Gabès, Jerba26. L’UFT et l’UJFT adhérèrent à la Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF), fondée au cours du Premier congrès international des femmes à Paris en novembre 1945 pour constituer « le pôle de rencontre des femmes communistes du monde entier27 ». Son programme s’inscri- vait dans une perspective communiste inter- nationaliste et féminine, dans l’esprit de la Journée internationale de la femme, célébrée le 8 mars à l’initiative de Klara Zetkin28.

26. L’avenir de la Tunisie, 4 août 1945, cité par Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op.  cit., p. 96-97 (cf. note  11).

27. L’avenir de la Tunisie, 8 décembre 1945, ibid., p. 94.

28. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au xxe siècle, op. cit., p. 94 (cf. note 11).

Les deux Unions cherchaient non seulement à obtenir de meilleures conditions pour les femmes, mais également à leur faire prendre conscience de leurs « obligations civiques et sociales29 », en accord avec le discours du PCT, c’est-à-dire à les sensibiliser à l’enga- gement politique et civique. Leurs activités étaient nombreuses et en partie décrites dans les journaux qu’elles éditaient avec le soutien du PCT, Femmes de Tunisie et Jeunes filles de Tunisie30. Dès leur création, elles partici- pèrent à toutes les réunions du parti commu- niste par l’envoi d’une ou deux de leurs mili- tantes31. Comme leurs homologues du PCT, leurs activités tournèrent d’abord autour des associations de Résistance fondées après la libération de la Tunisie en mai 1943, l’asso- ciation France combattante puis le Comité de libération de Tunisie. Elles s’associèrent à des campagnes de dénigrement de la guerre et du fascisme, envoyèrent des colis de vivres et de lainages aux soldats encore présents sur le front et organisèrent des visites aux blessés32. Une autre de leurs activités consis- tait en cours d’alphabétisation, en français et

29. Souad Bakalti, La femme tunisienne au temps de la colonisation, op. cit., p. 82 (cf. note 15).

30. Centre des archives diplomatiques de Nantes (CADN), protectorat en Tunisie, Sécurité publique, 1TU/1/V 2MI936, note de renseignements, 12 avril 1945.

31. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au xxe siècle, op. cit., p. 108 (cf. note  11).

32. CADN, protectorat en Tunisie, Sécurité publique, 1TU/1/V 2MI936, note de renseignements, 19  janvier 1945.

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en arabe, et en cours professionnels33. Ceci s’inscrivait dans une perspective d’émancipa- tion des femmes qui passait par l’instruction et l’autonomie financière34.

Les mois passants, des épouses de mili- tants communistes, qui jusqu’alors n’avaient jamais participé aux activités du mouve- ment communiste, rejoignirent les Unions sans adhérer au PCT. Il s’avérait ainsi pos- sible de ne militer que dans les Unions féminines. Le bureau directeur de l’UFT lui- même, uniquement composé de membres du PC en 1945, s’ouvrit à partir de 1946 à des sphères politiques différentes, tels les milieux destouriens, et à des femmes sans étiquette politique. Ceci encouragea l’adhé- sion de Tunisiennes musulmanes, jusqu’alors absentes du mouvement communiste.

Des organisations ouvertes à toutes les femmes

Les Unions féminines s’ouvrirent à toutes les femmes qui souhaitaient s’y investir et, pour convaincre des Tunisiennes musul- manes de les rejoindre, diffusèrent leur pro- gramme dans des cercles exclusivement féminins. Leurs militantes furent amenées à se déplacer et à s’exprimer publiquement, à

33. L’avenir de la Tunisie, 8 septembre 1945, cité par Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 106 (cf. note  11).

34. Voir notamment les textes de la IIIe Internationale à propos de la « question des femmes », in Theses, Resolutions and Manifestos, op. cit. (cf. note  8).

une époque où les actions dynamiques et les prises de parole publiques étaient accom- plies par des hommes.

L’UFT et l’UJFT tinrent dès leur création à se présenter comme des organisations franco- tunisiennes et mirent en valeur la participa- tion de Tunisiennes à leurs activités. Elles répondaient en cela à la demande de « tunisi- fication » des milieux communistes, dans une perspective nationaliste avec laquelle le mou- vement communiste tentait de renouer, après l’avoir négligée au profit de l’antifascisme du milieu des années 1930 au milieu des années 1940. Il s’agissait, dans l’optique de l’indé- pendance de la Tunisie demandée par le PCT, d’accorder aux Tunisiens une plus grande participation aux activités du pays qu’autre- fois. Ceci supposait que des Tunisiens soient recrutés de manière active dans le mouve- ment communiste. Les Unions féminines, dont le rôle était de diffuser le programme communiste au sein de la population, parti- cipèrent activement à l’ouverture du mouve- ment communiste de Tunisie. Elles souhai- taient ainsi, comme elles le revendiquèrent en 1946, réunir les femmes de toutes orienta- tions politiques :

« Les femmes sans parti, les socialistes, les communistes, les radicales-socialistes, les patriotes tunisiennes, toutes les femmes sans distinction doivent s’unir toujours davantage au sein de l’UFT pour défendre leur pain,

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la paix, la démocratie, seules garanties de sécurité de leur foyer35. »

Cette perspective nationaliste s’accompa- gnait, de la part du mouvement commu- niste, d’une volonté de se rapprocher du Néo-Destour.

Pour l’UFT et l’UJFT, il s’agissait plus précisé- ment de mener leur propagande en direction de femmes issues de la majorité de la popu- lation, en direction de ce que les autorités du protectorat appelaient les « milieux féminins musulmans36 ». Les militantes devaient les côtoyer au quotidien afin de les gagner à leur cause. Les Tunisiennes engagées jusqu’alors dans le mouvement communiste étaient pour la plupart des juives influencées par les idées de gauche propagées dans les milieux intellec- tuels juifs37 et, en raison de leur appartenance communautaire et religieuse, sensibles au dis- cours antifasciste du Parti. Elles avaient, de plus, bénéficié de l’instruction française. Les Tunisiennes musulmanes politisées avaient eu tendance, elles, à s’orienter vers d’autres grou- pements comme le Néo-Destour où, contrai- rement au PCT, les Tunisiens étaient majori-

35. L’avenir de la Tunisie, 22 juin 1946, cité par Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe  siècle, op. cit., p. 103 (cf. note 11).

36. CADN, protectorat en Tunisie, Sécurité publique, 1TU/1/V 2MI936, note de renseignements, 8 janvier 1945.

37. Haïm Saadoun, « La vitalité culturelle et politique des Juifs de Tunisie à l’époque coloniale », in Ariel Danan, Claude Nataf (dir.), Juifs au Maghreb. Mélanges à la mémoire de Jacques Taïeb, Paris, Éditions de l’Éclat, 2009, p. 156-170.

taires et où, de ce fait, le combat nationaliste semblait bien plus naturel. Le PCT se donnait entre autres tâches celle de combattre « les vestiges de l’influence allemande38 » dans les milieux musulmans, interlocuteurs privilégiés des puissances de l’Axe39 qui avaient tenté de les convaincre que l’indépendance ne pourrait venir que de la victoire fasciste et de la défaite de leur ennemi commun, la France. Les Unions féminines, courroies de transmission de la politique du PCT parmi les femmes, devaient répondre à ce programme.

La présence nouvelle de Tunisiennes musulmanes peut en partie s’expliquer par le développement de l’enseignement public.

Jusqu’alors réservée aux jeunes filles aisées, en majorité européennes ou tunisiennes juives, l’instruction fut rendue plus accessible au grand nombre40. Une trentaine ou une quarantaine d’écoles primaires de jeunes filles musulmanes fonctionnaient à Tunis à cette époque41 – celle de la rue du Pacha, par exemple, comptait 500 élèves en 194042. Dotées d’outils intellectuels pour interroger

38. Id.

39. Juliette Bessis, La Méditerranée fasciste. L’Italie mus- solinienne et la Tunisie, Paris, Karthala, 1981, p. 210.

40. Mme Collinet de la Salle, « L’évolution de la condition féminine à Tunis depuis 1939 », Femmes diplômées, n° 98, 1976, p. 9-11.

41. Juliette Bessis, « Femmes et politique en Tunisie », dans Christiane Souriau (dir.), Femmes et politique autour de la Méditerranée, Paris, L’Harmattan, 1980, p. 224.

42. Henry de Montety, Femmes de Tunisie, Paris, Mouton &

Co, 1958, p. 94.

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leur statut et rechercher leur émancipation, des femmes musulmanes furent ainsi conduites vers le militantisme politique.

D’autres vinrent peut-être à l’UJFT à des fins pratiques, pour en suivre les enseignements professionnels ou, si elles n’avaient pas eu accès à l’école primaire, pour bénéficier des cours gratuits d’alphabétisation43 et accéder par la suite à des emplois plus qualifiés que leurs aînées44. Les cours de lecture n’étaient d’ailleurs pas seulement dispensés en français, mais aussi en arabe.

Cela correspondait à la revendication que le PCT avait avancée dès 1944 pour que l’arabe devienne langue officielle45.

Les militantes des Unions organisaient de nombreuses manifestations publiques, des bals et des soirées récréatives, où les Françaises et les Tunisiennes juives reven- diquaient la nécessaire union avec leurs

« sœurs musulmanes » pour agir contre les difficultés matérielles de l’après-guerre46. Leurs informations étaient aussi diffusées de façon informelle dans des lieux strictement

43. Histoires croisées des luttes des femmes maghrébines pour les droits, op. cit., p. 134 (cf. note 21).

44. Juliette Bessis, « Femmes et politique en Tunisie », op. cit., p. 224 (cf. note  41).

45. Paul Sebag, Communistes de Tunisie, op. cit., p. 173 (cf. note 151).

46. Femmes de Tunisie, octobre 1945, cité par Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 101 (cf. note 11).

féminins, tel le hammam47. Elles dévelop- pèrent un type de communication dynamique en se déplaçant régulièrement à travers la Tunisie, notamment dans des zones rurales.

Ces voyages étaient le fait de petits groupes ou de femmes seules, bizarrerie que ne man- quèrent pas de remarquer les autorités mili- taires françaises, surtout quand l’une de ces femmes se déplaça en moto dans la région de Monastir en février 194648. Entre 1947 et 1949, deux ou trois d’entre elles firent régulièrement en camion la tournée des marchés des zones rurales, où vivait la majo- rité de la population, pour dénoncer la vie chère49. En rencontrant les femmes dans des espaces réservés, telles leurs habitations, les militantes purent les sensibiliser à leur pro- gramme bien plus que si elles avaient été sys- tématiquement accompagnées d’hommes.

Elles voulaient, de plus, « provoquer des réu- nions de femmes50 », dont certaines furent organisées chez des intellectuelles aisées, acquises aux idées communistes et vivant dans les grandes villes.

47. CADN, protectorat en Tunisie, 1TU/2/V 306, note de renseignements, 28 février 1953.

48. Service historique de la Défense (SHD), Armée de Terre, Tunisie, 2H224, note de renseignements, 21 février 1946.

49. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au xxe siècle, op. cit., p. 120 (cf. note 11).

50. SHD, Armée de Terre, Tunisie, 2H224, note de rensei- gnements, 21 février 1946.

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Les mères de la nation

Les nouvelles militantes pouvaient être séduites non seulement par la non-mixité des Unions mais aussi par leur discours et leurs activités nationalistes, conçus pour toucher spécifiquement les femmes. Les Unions met- taient en avant l’émancipation des popula- tions par les femmes. Elles voyaient en celles- ci les premières responsables du foyer et les poussaient à lutter pour que chacun de ses membres vive dans les meilleures conditions, garanties par l’indépendance de la nation.

La tunisification des associations proches du PCT répondait, on l’a vu, à une demande d’égalité entre Français et Tunisiens. L’UFT et l’UJFT cherchèrent à mettre en œuvre ce principe d’égalité en agissant d’abord pour améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la population dans le besoin, sans distinc- tion51. Dès leur première année d’existence, en 1945, elles formulèrent des revendications contre la famine, le chômage et la misère52. Elles les concrétisèrent immédiatement en organisant des collectes de vivres et de pro- duits de première nécessité, et en ouvrant des centres de distribution de nourriture et des soupes populaires qui, en 1946, auraient servi 400 000 repas par jour aux nécessi- teux53. Elles dénonçaient régulièrement la

51. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 106 (cf. note 11).

52. Id.

53. Bulletin de la FDIF, juin 1946.

cherté de la vie et l’augmentation des prix en manifestant ou en se déplaçant à travers le pays. Elles demandaient en outre que les allo- cations familiales soient les mêmes pour les familles tunisiennes et les familles françaises, jusqu’alors avantagées54.

L’une de leurs luttes principales était l’alpha- bétisation et l’instruction de tous les enfants.

Les enfants français bénéficiaient de condi- tions de vie et d’éducation meilleures que les enfants tunisiens, dont beaucoup n’étaient pas scolarisés. Elles revendiquèrent l’ouver- ture de nouvelles écoles55 et organisèrent une vaste campagne d’instruction des enfants à travers tout le pays56. Elles poursuivaient en cela l’action éducative mise en place dès leur création par l’intermédiaire de cours donnés aux femmes non instruites, et appuyaient la politique de généralisation de l’ensei- gnement mise en œuvre à l’époque par le gouvernement de la Tunisie. En 1950, elles impulsèrent la fondation du Comité tunisien pour les droits de l’enfance, qui organisait des meetings avec le PCT57. Il s’agissait de garantir l’avenir des jeunes générations et de protéger « l’enfance menacée58 » par des conditions de vie difficiles.

54. Id.

55. Id.

56. Ibid., septembre 1949.

57. CADN, protectorat en Tunisie, Sécurité publique, 1TU/2/V 706, note de renseignements, 8 juin 1950.

58. Ibid., lettre de l’UFT à la Résidence générale, 24 mai 1950.

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La mission éducative et protectrice dont ces femmes pensaient être investies corres- pondait à une rhétorique de la mère, édu- quant ses enfants, les défendant de tout péril et leur garantissant les meilleures conditions d’existence et de développement.

Les Unions diffusaient une image symbo- lique de femme accomplie et travailleuse, de mère dévouée et consciente de ses respon- sabilités, de citoyenne et militante engagée, correspondant à un modèle que les cher- cheuses en sciences sociales Janet Johnson et Jean Robinson qualifient de Soviet Heroic Mother 59 – mais qui n’est pas si éloigné de l’idéal maternel et féminin diffusé dans les cercles nationalistes. Le discours fasciste et nazi, que relayait en Tunisie une partie de la communauté italienne et dont l’écho fut sans doute amplifié par l’occupation allemande de novembre 1942 à mai 1943, réduisait la femme à un rôle de simple reproductrice60. Les milieux communistes, antifascistes et nationalistes lui opposaient une figure de femme accomplie. Les Unions proches du PCT cherchaient à couvrir tous les aspects de la vie quotidienne des femmes et des mères. Les demandes d’ouverture de crèches, visibles sur l’une des banderoles de la photographie de mars 1948, répondent à la préconisation de Lénine de trouver des

59. Janet Elise Johnson, Jean C. Robinson, eds, Living Gender After Communism (Bloomington, Indianapolis:

Indiana University Press, 2007), p. 6.

60. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 108 (cf. note  11).

« moyens simples » pour libérer la femme61. À cette date, l’UFT était déjà parvenue à fon- der plusieurs crèches, dont la première fut inaugurée le 15 mai 1945 à La Goulette62. Les Unions féminines cherchaient ainsi à faciliter les conditions de vie de toutes les mères et à les rendre plus disponibles pour les autres aspects de leur existence, notamment pour l’exercice de leur travail.

L’image de la femme-mère est régulière- ment utilisée à des fins nationalistes63. Pour le Néo-Destour, la femme avait pour rôle principal l’éducation des membres de la nation. Elle garantissait la conservation et la transmission des particularités culturelles de la Tunisie64 et constituait un appui à la résistance masculine. Habib Bourguiba lui- même, l’un des fondateurs et dirigeants du Néo-Destour et considéré, une fois parvenu au pouvoir après l’indépendance, comme le

« libérateur de la femme », fut d’abord fort

61. Lénine, Œuvres choisies, t. II, Moscou, Éditions en lan- gues étrangères, 1954, cité par Yvonne Dumont, Les communistes et la condition de la femme. Étude de la commission centrale de travail du parti communiste français parmi les femmes, Paris, Les Éditions sociales, 1971, p. 140.

62. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au xxe siècle, op. cit., p. 124 (cf. note  11).

63. À ce propos, pour l’ensemble du monde arabe et du Moyen-Orient, voir Leyla Dakhli, « Beyrouth-Damas, 1928 : voile et dévoilement », Le Mouvement Social, n° 2, 2010, p. 123-140 ; Sonia Dayan-Herzbrun,

« Féminisme et nationalisme dans le monde arabe », in Fatou Sow (dir.), La recherche féministe francophone, Paris, Karthala, 2009, p. 243-255.

64. Souad Bakalti, La femme tunisienne au temps de la colonisation, op. cit., p. 62 (cf. note  15).

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réticent quant à l’émancipation des femmes, et exprima son opposition aux idées de Tahar Haddad. Bien que plusieurs femmes aient été très actives au sein du parti à partir de la fin des années 1930, la question spécifique de leur statut ne fut abordée que dans les années 195065.

L’image que diffusaient les Unions féminines différait de celle des nationalistes par la défense d’un aspect qu’elles jugeaient indis- pensable à l’émancipation des femmes : le travail. Dans la réflexion communiste, celui- ci constituait la première garantie de libéra- tion et permettait à la femme de s’extraire de sa condition de propriété de l’homme.

Il fallait soustraire la femme à « l’atmosphère abrutissante du ménage et de la cuisine66 » en lui permettant d’évoluer en dehors de son foyer. Cela exigeait qu’on lui garantisse la garde de ses enfants et des conditions de travail décentes. Il convenait en somme de permettre aux femmes de concilier leurs rôles de mère et de travailleuse. Les Unions s’attelèrent donc à la défense des intérêts des travailleuses et luttèrent pour qu’elles obtiennent de nouveaux droits. Dès 1944, l’UFT demanda la mise en place de congés maternité et de primes d’accouchement, et la possibilité pour les mères de nourrissons d’allaiter trois fois par jour tout en exerçant

65. Ibid., p. 93.

66. Lénine, Œuvres, Paris, Les Éditions sociales, 1966, cité par Yvonne Dumont, Les communistes et la condition de la femme, op. cit., p. 136 (cf. note 61).

leur emploi67. Outre son combat contre les inégalités de salaires entre hommes et femmes, elle s’engagea particulièrement dans la défense de certains métiers, tels ceux de l’artisanat, que beaucoup de femmes exer- çaient. À cette fin, elle impulsa par exemple la formation d’associations de travailleuses, sortes de syndicats qui permettaient aux femmes de se réunir pour défendre leur emploi, non salarié et souvent dévalorisé.

Dans cette rhétorique, la mère courage, travailleuse et citoyenne, participait à la défense de la nation et préparait son indé- pendance. Fondée pour lutter contre les conséquences de la guerre et contre le fas- cisme, l’UFT continua, dans les années sui- vant sa création, à revendiquer la paix.

Il s’agissait pour ses militantes, pour les femmes de Tunisie, d’« empêcher à jamais que [leurs] fils fassent la guerre68 ». Les épouses et les mères de citoyens avaient la responsabilité particulière de protéger leurs foyers des périls de la guerre, de les pré- munir contre la dureté de la vie et, surtout, contre la mort. Charlotte Joulain, présidente de l’UFT jusqu’en 1951, avait soutenu sa création l’année du décès de son fils Michel, militant communiste, durant la libération de Paris : ce drame de sa vie privée peut expliquer son fort investissement dans la lutte contre la guerre. Les Unions prirent de

67. CADN, protectorat en Tunisie, Sécurité publique, 1TU/1/V 2MI936, note de renseignements, 25 mai 1944.

68. Bulletin de la FDIF, janvier-février 1950.

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nombreuses fois position contre la bombe atomique et contre les guerres d’Indochine et de Corée qui, pour elles, correspondaient à des guerres impérialistes mettant aux prises la démocratie soviétique et les pays occidentaux en quête de puissance.

Ces revendications en faveur de la paix se développaient au sein d’un discours plus large ouvertement anti-impérialiste et anticolonialiste, qui revendiquait l’éman- cipation de la nation tunisienne dans toute sa diversité et l’accès à son indépendance et à la démocratie. Les membres de l’UFT souhaitaient « lutter farouchement pour la libération de leur pays et la défense de leurs enfants69 » et demandaient que « vive l’union de toutes les femmes de Tunisie pour le bien-être de [leurs] foyers, l’indé- pendance et la paix70 ». Dans cette pers- pective d’évolution vers l’indépendance, l’ensemble du mouvement communiste, donc les Unions féminines, se tunisifièrent et, à partir de 1951, le bureau politique de l’UFT ne fut composé que de Tunisiennes.

La nomination de la nouvelle présidente de l’UFT, en 1951, est symbolique de l’ou- verture et de la modification interne des Unions. Nabiha Ben Miled (1919-2009), née Ben Abdallah, grandit au sein d’une

69. CADN, protectorat en Tunisie, Sécurité publique, 1TU/2/V 706, lettre de l’UFT à la Résidence générale, sans date, probablement mai 1950.

70. L’avenir de la Tunisie, 23 mars 1951, cité par Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 116 (cf. note  11).

famille issue de la bourgeoisie musulmane tunisoise. Elle obtint son brevet élémen- taire mais, malgré ses demandes, son père refusa qu’elle poursuive ses études. À l’âge de quinze ans environ, elle épousa le méde- cin Ahmed Ben Miled71, qui avait été l’un des premiers membres des Jeunesses com- munistes et militait alors au Vieux-Destour, tout en restant un sympathisant du commu- nisme72. Elle s’engagea à sa suite au Vieux- Destour puis, sur sa recommandation, à l’Union musulmane des femmes de Tunisie précédemment évoquée, très peu de temps après sa fondation. Ahmad Ben Miled, bien qu’adhérent du Vieux-Destour pour signifier son opposition relative au Néo-Destour, sou- haitait que son épouse s’investisse au sein d’une organisation sociale féminine, quitte à ce qu’elle soit proche de ce dernier – l’UFT n’existait pas encore. Nabiha Ben Miled choi- sit de militer au sein de celle-ci à partir du début des années 1950, la trouvant moins

« bourgeoise » et plus dynamique73. À cette époque, l’activité de l’UFT et de l’UJFT com- mençait néanmoins à s’essouffler.

71. Leïla Temime-Blili, « Nabiha Ben Miled (1919-2009), une pionnière du féminisme tunisien », [http://nissa.aljil-alja- did.info/spip.php?article101] (consulté en mai  2015).

72. Entretien avec l’historien Habib Kazdaghli, réalisé à Paris le 26 mars 2014.

73. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 96 (cf. note  11).

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Les Unions féminines dans les années 1950 : entre inactivité et autonomie

Les Unions féminines oscillèrent, du début des années 1950 jusqu’à leur disparition en 1962, entre perte de dynamisme et ce que l’on peut considérer comme une recherche d’autonomie vis-à-vis du PCT, en émettant des revendications spécifiques en faveur de droits pour les femmes.

Bien que les Unions se soient ouvertes à des femmes issues de tendances et de partis politiques étrangers au mouvement com- muniste, leur programme et nombre de leurs dirigeantes restèrent attachées au PCT.

Leurs activités étaient néanmoins bien sou- vent considérées comme secondaires parce qu’elles relevaient de préoccupations pré- tendument féminines, donc ni sérieuses ni prioritaires. Gladys Adda, Tunisienne née en 1921 à Gabès, adhérente du PCT à par- tir des années 1940 et nommée secrétaire- adjointe de l’UFT en 195174, affirma, plu- sieurs années après, avoir pensé à tort que

« la lutte des femmes faisait partie de la lutte des hommes, […] que le jour où les hommes seraient libérés de leur oppression, aussi

74. Témoignage de Gladys Adda recueilli par Souad Triki,

« Je reste optimiste », in Habib Kazdaghli (dir.), Mémoire de femmes. Tunisiennes dans la vie publique, 1920- 1960, Tunis, Media Com, 1993, p. 51-75.

bien coloniale que patronale et capitaliste, les femmes le seraient automatiquement75 ».

Depuis la fondation du PCT, les hommes et les femmes qui y étaient apparentés n’avaient ni les mêmes activités, ni les mêmes rôles. Les femmes étaient souvent cantonnées à des actions de soutien des hommes, à des sphères réservées comme la famille et la santé.

Les archives diplomatiques et militaires fran- çaises ne renseignent plus quant aux activités et aux prises de position des Unions fémi- nines après 1952. Il se peut qu’elles aient été freinées par les mesures répressives prises cette même année par les autorités à l’encontre des nationalistes et des commu- nistes, après que le gouvernement français eut renoncé à l’évolution de la Tunisie vers l’indépendance que la nomination d’un nou- veau résident, Louis Périllier, et une décla- ration du ministre des Affaires étrangères Robert Schuman avaient laissé entrevoir en 195076. Les Unions se trouvaient sans doute aussi concurrencées par de nouveaux mouve- ments féminins, dont les sections féminines du Néo-Destour. Cette période d’inactivité, qui suivit une période d’intense activité, peut s’expliquer en outre par les décalages qui

75. Ibid., p. 71.

76. Dans cette déclaration faite à Thionville le 10 juin 1950, au cours d’un banquet de l’Union française, Schuman salua la nomination de Périllier en indiquant que sa tâche était d’« amener (la Tunisie) vers l’indépendance » mais avec « les délais nécessaires ». Cette condition n’empêcha pas les nationalistes de voir là un tournant dans la politique française.

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existaient entre la population visée, pauvre, arabophone, et les militantes des Unions, souvent intellectuelles et issues de milieux bourgeois et francisés, et ce malgré les efforts de ces dernières. Les dissensions entre com- munistes et nationalistes risquaient enfin de fissurer les Unions, qui étaient composées de femmes de sensibilités politiques variées. En raison de leur rôle, considéré comme secon- daire, et « par suite de [leur] métissage », les Unions cessèrent peu à peu toute activité politique77.

La non-mixité de mise dans ces organi- sations fut cependant à l’origine de ques- tionnements, et surtout de revendications, spécifiquement féminins, que le Parti seul n’aurait probablement jamais mis en avant.

Ils n’étaient pas pour autant formulés dans un cadre féministe conscient. Invitée à témoi- gner en 1986 devant une assemblée compo- sée de féministes, Nabiha Ben Miled décla- ra : « L’approche qui pose les problèmes en termes de “nous les femmes, pour nous les femmes”, est une question qui ne se posait pas à nous78. » Leurs dernières actions eurent lieu à la veille de l’indépendance, qui fut

77. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 139 (cf. note  11).

78. Souad Triki, « Au-delà de la rupture. Féminisme et poli- tique », in Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (AFTURD), Tunisiennes en devenir, t.  2, La moitié entière, Tunis, Cérès Productions, 1992, p. 110.

obtenue le 20 mars 195679 et pour laquelle le PCT lutta en s’engageant dans une grande campagne politique, en publiant nombre d’articles et en organisant plusieurs mee- tings. À l’hiver 1955-1956, alors que se pré- parait la première élection d’une Assemblée constituante en vue de l’indépendance, l’une des militantes de l’UFT, Wassila Jaballah, dénonça le « mode de scrutin antidémocra- tique80 » qui excluait les femmes. L’Union persista à revendiquer le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes dans les mois qui suivirent la publication des résultats de l’élection, le 25 mars 1956, et lutta aux côtés d’autres organisations, comme l’UMFT et les sections féminines du Néo-Destour. Par cette action, elle exigeait clairement, pour la pre- mière fois de son existence, que les femmes aient accès aux « mêmes droits que leurs compatriotes masculins81 ». Le 13 août 1956, le nouvel homme fort du gouvernement pro- visoire, Habib Bourguiba, promulgua le Code du statut personnel, qui, en interdisant la polygamie et le mariage de filles non pubères, et en instaurant le divorce par consentement mutuel, représentait un cas sans précédent

79. Pour plus de détails, voir Jean-François Martin, Histoire de la Tunisie contemporaine. De Ferry à Bourguiba, 1881-1956, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 220-231.

80. Document de l’UFT, Le 10e anniversaire de la FDIF, 21 janvier 1956, cité par Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 141 (cf.

note  11).

81. Id.

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dans l’histoire du Maghreb82 et revenait de fait à proclamer l’égalité civique entre les hommes et les femmes, même si celle-ni n’était pas explicitement mentionnée83. Le droit de vote fut accordé aux femmes par une loi qui entra en vigueur en 195784, après la publication du Code le 1er janvier.

Des militantes féminines fondatrices

Les femmes sensibles aux opinions commu- nistes eurent la possibilité de s’engager, à partir de 1944, dans deux organisations aux activités et aux prérogatives considérées par leurs membres comme spécifiquement fémi- nines. Elles purent être séduites non seule- ment par les idéaux pacifistes, éducatifs et nationalistes qu’elles défendaient mais, éga- lement, par leur non-mixité, leur souplesse et leur ouverture. Bien que les activités de ces militantes aient été considérées comme secondaires en comparaison de celles du PCT, les Unions féminines furent très dynamiques.

Ses membres furent en capacité de promou- voir une certaine définition de l’émancipa- tion des femmes, citoyennes et travailleuses,

82. Juliette Bessis, « Femmes et politique en Tunisie », op. cit., p. 220 (cf. note  41).

83. Voir le texte du Code du statut personnel sur le portail [http://www.e-justice.tn] (consulté en mai  2015).

84. Khadija Chérif, « Tunisie, les luttes des femmes et les luttes pour la démocratie : un combat commun », in Manon Tremblay (dir.), Femmes et parlements, un regard international, Montréal, Les Éditions du remue- ménage, 2005, p. 164.

et purent profiter d’un espace de réflexion et d’expression réservé.

En 1957, l’Union des femmes et l’Union des jeunes filles de Tunisie étaient partagées entre l’euphorie de l’indépendance nationale et l’épuisement dû à la répression à laquelle elles étaient soumises depuis le début des années 195085. Elles tinrent jusqu’en 1962, quelques années après que le nouveau gou- vernement tunisien eut mis sur pied une organisation féminine, l’Union nationale des femmes de Tunisie, en 1959. Il s’agis- sait d’un organe de diffusion de la politique gouvernementale et de ce que l’historienne franco-tunisienne Sophie Bessis nomme le

« féminisme institutionnel86 », qui ne lais- sait aucune place à la moindre organisation indépendante et contestataire. Un temps, les militantes des anciennes Unions proches du PCT hésitèrent à se lier à cette structure, mais l’expérience que certaines en firent fut de courte durée87. Déjà faible, l’ensemble du mouvement communiste fut victime d’une forte répression, au profit d’un discours nationaliste exclusif, et s’essouffla.

L’état actuel des recherches ne permet pas de retracer le parcours de la plupart des

85. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au xxe siècle, op. cit., p. 141 (cf. note  11).

86. Sophie Bessis, « Le féminisme institutionnel en Tunisie », Clio. Histoire, femmes et société, n° 9, 1999, en ligne le 8 février 2005 sur [https://clio.revues.org/286] (consulté en mai  2015).

87. Ilhem Marzouki, Le mouvement des femmes en Tunisie au XXe siècle, op. cit., p. 141 (cf. note  11).

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militantes après 1956-1957, mais le départ de certaines Françaises dans les mois qui suivirent l’indépendance est connu. Roberte Bigiaoui, par exemple, selon les dires de son fils, considérait avoir eu à accompagner la lutte pour l’indépendance, mais ne la percevait pas comme sienne : la Tunisie n’était pas sa patrie88. Beaucoup de militantes tunisiennes continuèrent, par la suite, à s’investir dans

88. Entretien avec son fils Jean-Christophe Bigiaoui, réalisé à Paris le 24 mars 2014.

la lutte pour l’obtention de nouveaux droits et libertés pour les femmes. Les féministes tunisiennes du mouvement autonome apparu dans les années 1980, comme les membres de l’Association tunisienne des femmes démocrates, considèrent encore aujourd’hui les militantes de ces Unions féminines comme des fondatrices89.

89. Souad Triki, « Au-delà de la rupture. Féminisme et poli- tique », op. cit., p. 124 (cf. note 78).

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