Série Mathématiques
P IERRE C REPEL
A LAIN H UARD
D ANIEL P REVOT
Discussion sur « les mathématiques et le monde réel »
Annales scientifiques de l’Université de Clermont-Ferrand 2, tome 67, série Mathéma- tiques, n
o17 (1979), p. 32-36
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DISCUSSION
SUR"LES MATHEMATIQUES ET LE MONDE REEL"
Pierre CREPEL, Alain HUARD et Daniel PREVOT
Introduction :
Les
participants
étant presque exclusivement desprofessionnels
des mathéma-tiques,
essentiellement desenseignants-chercheurs,
la discussion a été nettementmarquée
par ce fait.La
plupart
d’entre eux ont hésité às’exprimer ;
pourbeaucoup
la raisonprincipale
est que la forme choisie pour la discussion n’était pas la meilleure :en
petits
groupesinformels,
aucafé,
les gensparlent plus).
Certains ontestimé
que cette réticence à
s’exprimer était révélatrice
d’un certainmalaise,
malaisequelquefois ineonscient,
sentiment d’inutilitésociale, déception
dans le choixde
profession,
sentiment d’être lejouet
de forcesocultes,
peu de communicationavec le monde
extérieur,
laproduction,
lasociété.
Certaines des remarques faites dans la suite ont un caractère
plutôt général
dans
l’université,
d’autres sontplus spécifiques
auxmathématiques.
1. Les
mathématiques
sont-elles unjeu
ou un outil issu de lapratique ?
- A l’échelle
historique,
lesgrandes
théoriesmathématiques
étaienttoujours
venues de besoins de l’instant : autrefois les
mathématiciens
en étaient conscients car ilsétaient
trèspluridisciplinaires (ex : apparition
de lagéométrie,
du calcul infinitésimal...).
Il semblequ’aujourd’hui
encore lesnouvelles
théories (par exemple :
nouveauxdéveloppements
de lalogique,
linguistique mathématique)
naissent de besoinspratiques précis (automatïsation, électronique,
traductionautomatique).
Mais lagrande
masse desmathématiciens l’ignore
ou n’en est pas convaincue.Dire cela
n’épuise
pas l’ensemble duproblème.
- D’autre
part,
ledéveloppement
desmathématiques
se fait aussi sanspression
de besoins externes : la création nepeut
se faire que dans laliberté,
on doit admettre une certainegratuité
des actes ;l’aspect jeu, plaisir personnel n’est
pas àrejeter
et d’ailleurspermet
ledéveloppement
del’esprit
créatif etl’amélioration de la connaissance
mathématique
et de lapossibilité
d’utilisa-tion de l’outil
mathématique.
Ces deux tendances sont-elles aussi inconciliables que cela
peut paraitre ?
Certains semblent penser queoui,
etqu’il n’y
a pas à chercher desjustifications
sur l’utilité des
mathématiques.
D’autrespensent
quelorsque
lemathématicien, quelles
que soient ses motivations, met aupoint
un certain nombre detechniques
ou établit des
résultats,
il serait souhaitablequ’il puisse
s’intéresser à leur utilisationéventuelle, qu’un dialogue
s’installe avec les utilisateurspotentiels
Ne serait-ce pas aussi une
composante
de sa liberté que depouvoir
maitrisermieux l’ensemble du
processus ?
Cette
question
n’est pasétrangère
à celle de savoirqui
détient lepouvoir,
comment sont
prises
les décisions concernant l’orientation des travaux mathémati- ques et leur utilisation.2.
Enseignement
desmathématiques
- Les
mathématiques jouent-elles
actuellement le rôle d’accélérateur de la sélection (enparticulier sociale) ?
Pourquoi
l’échec enmathématiques
barre-t-il l’accès à des carrières môme trèséloignées
desmathématiques ?
Lesmathématiques
sont-elles un outil de sélection mieuxadapté
que lelatin, pourquoi ?
Le caractère sélectif des
mathématiques
dansl’enseignement
est-il dO à despropriétés intrinsèques
desmathématiques
ou aux conditions danslesquelles
sesont
opérées
les réformes del’enseignement ?
Des avispartagés
sont apparus dans la discussion.Parmi les éléments de
réponse possibles
à cettequestion,
citons : lescarences dans la formation des
maîtres,
le manque d’information desparents (en particulier
ceux des milieux sociaux lesplus défavorisés), l’inadaptation
des programmes
(en particulier
pour les sections et classes autres queterminale
C)
... les élèves doiventapprendre
destechniques
sans savoir d’oùelles viennent, ni
qu’en faire,
les facultésd’imagination,
le côté"jeu",
nesont pas stimulés : les
mathématiques
sont vécues comme"em...tes",
la coordina- tion entre les différentsenseignements
est faible.- Les
enseignants
du secondairequi
sont intervenus se sont dits doublementdéçus
parce
qu’ils
n’ont pas les moyens d’assurer la missionqu’ils
souhaitent et sesentent
coupés
de toute créationmathématique.
Leur formation et les conditions de leur travail ne leur
permettent guère d’échapper
à cette réalitéqui
consiste àenseigner
les choses de manièredogma- tique.
- Les
problèmes
que soulèvel’enseignement
desmathématiques
avant le baccalauréatne sont pas seulement
inhérents
à la matièreenseignée,
maisdépendent
d’ungrand
nombre de facteurs extérieurs
(sociaux, économiques
...) surlesquels
la discus-sion ne s’est pas
appesantie.
Ils sont
également
liés à la manière dont sont conçus les modes de diffusion des connaissances entrel’enseignement supérieur
et lapopulation (par exemple
à travers la formation des maîtres
...)
3.
l.e t s ) méti er i s )
de mathématicien- Ce
qui
a été leplus
ressenti dans ladiscussion,
c’est que lespréoccupations
des
mathématiciens
sontdavantage dirigées
vers la "recherche" que vers lesutilisations
éventuelles ou mêmel’enseignement
Ceci est à relier au fait que le cloisonnement des filières
empêche
les gens de maitriser le processus, et à la coupure entre l’Université et le monde exté- rieur.Quelqu’un
a remarque que lapolitique
d’intérêt à court terme des indus- trielsfrançais
en est unélément
deresponsabilité important.
-
Qu’est-ce qui
motive les mathématiciens ?Chacun,
biensûr,
a des motivations liées à son histoirepersonnelle,
maispeut-on dégager quelques
idéesgénérales ?
Pour la
plupart,
étant "bons enmathématiques"
dans lesecondaire,
ils ont suivi la filière naturellequi
s’ouvrait devant eux, sans vocation véritable(même
si nombre d’entre eux y trouvaient un certainplaisir).
La
promotion
sociale attachée aux fonctions de mathématicien ne semble pas avoir été un élément déterminant dans ce choix(peut-être
est-ce discutable?1.
Alors se
développe
souvent un certaingoot
pour lesmathématiques (connaissance, création,
diffusion ?...),
mais intervient unepart
deroutine, d’obligation professionnelle,
et si cegoût s’estompe
on se retrouve dans uneimpasse
due enparticulier
au cloisonn i- Comment s’exerce le métier ?
Dans
l’enseignement supérieur, plusieurs
tâches sont àremplir :
tâchespédagogiques, recherche,
formationcontinue, encadrement,
tâches administrativediverses,
contacts avec le mondeextérieur, épistémologie,
histoire dessciences ... , seuls
l’enseignement
et la recherche sontofficiels,
seule la recherche sert de critère pour lapromotion
interne. Cet état de faitsengendre
une tendance
"productiviste’’ parfois
nuisible à un fonctionnementplus
sain.Il est connu
qu’un
certain malaise est souvent dû à une insuffisance del’encadrement,
dont le rôle estpourtant
reconnu fondamental. Mais le malaisea des
origines plus larges (sociales, idéologiques ...) ;
parexemple,
bien que la rechercheprocède largement
par méthodesexpérimentales,
la manièredogmatiq
dont elle est diffusée masque cette réalité et contribue à un certain écoeure- ment ou à une sensation
d’ïmpuissance ;
d’autrepart,
la ’"communauté mathéma-tique"
(le terme serait à discuter) n’est pasétrangère
aux différents conflitsqui
traversent la société. Il est net que tous lesparticipants
n’avaient pas la mêmeanalyse
des causes et du caractère irréductible ou non de ces conflits.Le déroulement des carrières (ou absence de
carrières)
ne satisfait visi- blement personne :blocages,
vieillissement, absence de débouchés pour lesjeunes ;
la non-reconnaissance de lamultiplicité
des tâches accroit larigi-
dité du
système.
Sur les critères dejugement, l’opposition
visible des avis(exprimés
ou non) et la réticence à aborder lesujet
de front n’ont pasdégagé
d’idées directrices claires ; seul constat : i la diversité des
aptitudes
devrait interdire desexpressions
telles que "mathématicien de seconde zone".Sur ce
problème
descarrières,
il y a aussi des avisdifférents,
parexemple
sur la mobilité des
personnels
et sur les conditionspratiques
d’une telle mobilité.Conclusion
A ce stade de la
discussion,
il est apparu que deuxquestions
devaient être creusées enpriorité
-
quel
avenir pour lesmathématiques
et les mathématiciens ?-