La crise suicidaire : repérer et prendre en charge
Stéphanie MARTIGNONI - Psychologue clinicienne Centre d’Accueil Psychiatrique
Hôpital Saint Roch - Nice
IFSI CHU de Nice, 12 décembre 2014
Suicide = priorité de santé publique
Retard pris par France
Programme National de Prévention
1 français / 50 décède par suicide
1 français / 20 déclare avoir fait une tentative de suicide au cours de sa vie
Alors que la France bénéficie d’une espérance de vie élevée, son taux de suicide est parmi les plus hauts en Europe.
La formation nationale
Détecter et favoriser la prise en charge de la
souffrance psychique qui pourrait conduire à un acte suicidaire
Reconnaître l’état de crise
Comment désamorcer une crise suicidaire avant la phase aiguë ou le passage à l’acte?
Stratégies et séquences d’intervention
Améliorer la prise en charge des suicidants
Le problème
Plus de 11 000 décès par an
3000 par armes à feu, 1200 par médicaments
Plus de 60 000 endeuillés
160 000 à 200 000 tentatives de suicide par an
1 TS toutes les 4minutes
DES CAUSES MULTIPLES
PAS DE SOLUTION UNIQUE
IMPOSE UNE POLITIQUE DE PETITS PROGRES OU CHACUN AVEC LA COLLECTIVITE PEUT ETRE ACTEUR
Epidémiologie TS PACA
3 TS pour 10 admissions au Service d’Accueil des Urgences
Au C.A.P. de 100 à 150 TS / mois
PACA : 800 suicides / an 14 000 TS / an
Tentative de suicide (TS)
« un acte non fatal, dans lequel le sujet met en œuvre délibérément un comportement inhabituel qui, sans une intervention extérieure, peut le
blesser, … ou qui absorbe volontairement une substance de façon excessive par rapport à la posologie prescrite ou reconnue habituellement comme thérapeutique, et dont le but est d’amener des changements que le sujet désire par les
conséquences actuelles ou attendues de cet acte ».
OMS
Conférence de consensus – Octobre 2000
La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge
Envisager et organiser la continuité des soins
Orienter : consultation spécialisée ou hospi
Organiser un suivi après la crise
Favoriser l’alliance thérapeutique
Informer le sujet et son entourage
Eviter la rupture de continuité des soins
Maintenir une attention et une mobilisation durant l’année qui suit
IDEES
TENTATIVE UN MODELE
POUR
S ’ENTENDRE
POUR AGIR
ET POUR
EVALUER
Les objectifs
Les décès par suicide (11300)
Les endeuillés (60 000 ?)
Les tentatives de suicide (160 000 ?)
Les crises suicidaires (1000 000 ?)
Les troubles psychiatriques (12 000 000)
Les situations déstabilisantes (???)
Le bien-être (60 000 000)
EVALUATION DU RISQUE
SUICIDAIRE
Repérer les facteurs personnels, socio- familiaux, environnementaux actuels et passés qui sont plus souvent retrouvés
chez les personnes en crise suicidaire
Modèle multifactoriel
(Blumenthal et Kupfer, 86)Trouble psychiatrique
Environnement Psychosocial, évènements de vie
Traits de personnalité
Génétique et Histoire familiale
Facteurs biologiques
Facteurs de risque
Prédicteurs
Au niveau socio-culturel
- Religion - Anomie (désorganisation sociale) - Chômage - Média - Lois
Environnement immédiat Famille
- Violence physique/sexuelle - Abus de substances - ATC psychiatriques - Manque de cohésion familiale
Au niveau personnel Troubles mentaux
Tentatives de suicide Abus d’alcool / drogues Sexe masculin
Difficulté à gérer le stress Impuissance/perte d’espoir Impulsivité/agressivité
Maladie physique
Evénements stressants - Perte d’un être cher - Séparation
- Abandon
- Difficultés financières - Difficulté avec la loi
Age - Sexe
Moyen d’éviter une mauvaise mort ou une lente agonie?
Thanatophobie
Age = facteur chez l’homme++
Les hommes se suicident plus
Solitude
Maladie somatique
Difficultés financières
Facteurs environnementaux
Saison?
Débuts de mois
Climat social
Souvent dégradé dans les périodes précédant la crise
Cause ou conséquence de la souffrance psychique?
Intégration sociale
Isolement (veuvage)
« Peu d’amis ou de confidents »
Phobie sociale
Peu de personnes jugées « importantes » au sein de l ’entourage
Facteurs environnementaux
Climat relationnel mauvais (plus que structure familiale)
Violences verbales et/ou abus physiques, rejet, maltraitance, « perte de la dignité »
Négligence, désintérêt (« manque d’échange émotif »)
Alcoolisme et violences chez proche
Troubles dépressifs
Au moins 5 des 9 symptômes suivants doivent avoir été présents chaque jour pendant au moins deux semaines
Les symptômes 1 ou 2 doivent absolument être présents pour que le diagnostic de dépression majeure soit considéré
Troubles dépressifs
1 humeur ou irritabilité
2 diminution notable d ’intérêt ou de plaisir dans la vaste majorité des activités
3 perte ou gain de poids importants
4 Trouble du sommeil, insomnie ou hypersomnie
Troubles dépressifs
5 agitation ou ralentissement psychomoteurs 6 énergie réduite ou fatigue
7 sentiment d’inutilité ou de culpabilité
8 diminution de la capacité de penser ou de se concentrer ou indécision
9 pensées fréquentes reliées à la mort ou au suicide
Dépression et suicide
Chez les personnes décédées plusieurs étaient en contact avec des services professionnels
75% avaient eu des traitements en psychiatrie dont 45% au moment du décès (très peu avec traitement adéquat)
18% ont vu un professionnel le jour du décès
39% lors de la semaine précédant le décès
66% lors des trois mois précédant le décès
Chiffres plus faibles chez adolescent et adulte jeune
Dépression et suicide
Dépression dans plus de 85% des suicides
Souvent masquées et déformées / adulte jeune
Plaintes somatiques, « hypocondrie »
Anxiété, troubles du sommeil
Retrait et indifférence affective
Comportements d’irritabilité ou agressivité
Il existe des ATCD dans plus de 50 % des cas
Sous -exprimée par la personne âgée
Mal diagnostiquée et mal traitée
SCHIZOPHRENIE
Risque important au début de la maladie, lors de l’hospitalisation ou des permissions
50% des schizophrènes sont déprimés à l’admission
31% le restent à la sortie
10% développent une dépression à la fin de l’hospi
50% ont fait des TS antérieures
45% des défenestrations
Trouble bipolaire
Certaines études démontrent que le taux de décès par suicide est plus élevé chez les personnes
souffrant de trouble bipolaire II que chez les personnes souffrant de trouble bipolaire I
Entre 25 et 50% de patients bipolaire font au moins une tentative de suicide (Jamison, 1990)
Anxiété - panique
20% des personnes ayant des états de panique ont fait des tentatives de suicide
Le risque de décès chez les patients ayant des états de panique est de 7%
Trouble de la personnalité
10% des patients avec troubles d’état limite se suicident
95% des décès par suicide chez les patients ayant des troubles de la personnalité avaient aussi
présence de comorbidité (Axe I): dépression majeure, abus de substance ou les deux.
Abus et dépendance- Alcool, psychotropes
Plus d’hommes que de femmes
Beaucoup de comorbidité associée (dépression++, trouble personnalité)
Recherche de réduction de la souffrance
psychologique liée aux conflits, aux problèmes socio-familiaux, à la perte d’estime de soi ou d’espoir (« automédication »)
Comportement d’imitation, d’entraînement
Effet désinhibiteur ==> passage à l’acte
Evènements de vie stressants
Pertes
Réelles (départs, deuil) - Dates anniversaires, Toussaint
Pertes symboliques (rupture, changement de domicile, placement)
Pertes des rôles (départ des enfants ou petits enfants)
Réactivation des pertes antérieures
Affections somatiques
Evènements de vie stressants
Conflits interpersonnels
Selon l’âge, parents, enfants, conjoint mais aussi frères et soeurs
Perception d’honte et d’humiliation
Problèmes sociaux
Menaces par rapport au logement
Problèmes financiers
Problèmes légaux ou disciplinaires (humiliation ressentie, rejet des proches)
Antécédents de TS
40% des personnes faisant une tentative de suicide ont fait une tentative antérieure
13 à 35 % récidivent sur une période de 2 ans
Nordstrom, 1995
Modélisation de la crise
suicidaire
Reconnaître l’état de crise
La personne est submergée par les émotions
La tension émotive provoque un épuisement des ressources cognitives
Elle n’arrive plus à trouver des solutions à ses difficultés
La perception de la réalité est embrouillée
Elle se centre sur des solutions inadaptées
Comment désamorcer une crise
suicidaire avant la phase aiguë ou le passage à l’acte?
La progression de la crise :
État de crise
État de
vulnérabilité État
d’équilibre
Désorganisation Récupération Phase aiguë - Passage à l ’acte
Temps
Modélisation de la crise suicidaire
Solution
Suicide
Suicide
Suicide
Suicide Solution
Solution Solution
Solution
Solution Solution
? ? ?
Solutions inefficaces
ou inadéquates
Prévention du suicide
Concrètement, comment pouvons nous aider une personne suicidaire ?
Grâce à une éthique de l’inquiétude, à un souci de l’autre, à une sollicitude prévenante accompagnante.
Il s’agit d’adopter une posture relationnelle qui consiste à
« aller au devant » de la demande, c’est à dire, rechercher activement des idées de suicide.
(prévention secondaire)
Prendre en charge la crise suicidaire
La part hospitalière de la PEC des patients vise tout autant :
Contenir le sujet en souffrance suicidaire
Evaluer l’état psychique du sujet de manière approfondie
Initier ou modifier un traitement
Permettre une médiation effective entre le sujet et son entourage
Qu’à déterminer les modalités optimales de suivi ultérieur
L’hôpital a ainsi à recevoir la crise suicidaire pour
permettre à un sujet d’émerger dans la singularité de sa parole
Il s’agit de replacer l’événement suicidaire au sein d’une trajectoire de vie et d’un mode de construction et de fonctionnement
psychique à chaque fois original.
L’intervention de crise
Détecter : écouter et en parler
Établir une relation de confiance
Explorer les émotions et les valider
Évaluer le risque, l’urgence, la dangerosité
Distinguer crise psychosociale et crise en lien avec un problème de santé mentale
Intervenir et orienter si nécessaire
L ’intervention de crise
Objectif :
L’intervention vise un retour à l’équilibre par : l’expression des émotions, la compréhension cognitive des événements qui ont mené à la crise (recadrage cognitif) et l’apprentissage de nouvelles habilités de résolution de problème
Comment désamorcer ?
Évaluation du potentiel suicidaire
Formulation de la crise
Arrêt du processus auto-destructeur
Stratégies et séquences d’intervention
1. L’établissement d’un lien de confiance entre un ou des intervenants et la personne suicidaire
2. L’évaluation rapide et efficace du risque et de
l’urgence et de la dangerosité du scénario suicidaire 3. L’évaluation du facteur précipitant
4. Encourager l’exploration et l’expression des émotions afin de diminuer le sentiment de détresse
Stratégies et séquences d’intervention
5. La formulation de la crise
6. Briser l’isolement, soutenir la famille et les proches, et mettre en place des structures de protection auprès de la personne suicidaire
7. Arrêt du processus autodestructeur et établissement
d’ententes avec la personne suicidaire afin d’assurer un suivi, du moins à court ou à moyen terme
8. L’après-crise
Les principes directeurs
L’intervention doit être immédiate
L’intervention doit responsabiliser la personne suicidaire
L’intervention doit être active
L’intervention doit viser l’établissement d’une bonne relation avec la personne suicidaire
L’intervention doit viser à transmettre l’espoir
L’intervention ne doit pas se faire en solitaire
Pistes d ’intervention
Aborder directement les intentions suicidaires
« Est-ce que vous souffrez au point de vouloir vous suicider ? »
Écouter et permettre l’expression des émotions
« Dites-moi ce qui vous fait mal au point où vous voudriez vous suicider. »
Pistes d’intervention
Faire preuve de respect et être directif
Se centrer sur la crise actuelle
Transmettre l’espoir
Briser l’isolement
Offrir des alternatives valables
Offrir des alternatives valables consiste à :
1- Identifier et préciser avec la personne suicidaire les éléments positifs de sa vie qu’elle n’est plus en mesure de percevoir elle-même;
2- Rechercher des ressources adéquates et accessibles qui correspondent aux besoins de la personne suicidaire;
Offrir des alternatives valables consiste à :
3- Planifier des démarches simples et réalistes que la personne peut entreprendre et dont elle peut rendre compte
4- Accompagner et soutenir la personne suicidaire pour qu’elle évite des échecs difficiles
Pistes d’intervention auprès de la famille
Programme visant à renforcer des facteurs de protection (entraînement à la résolution de
problème, relations interpersonnelles)
Mieux informer la famille et les parents des signes associés à la santé mentale
Programmes de postvention destinés aux familles
Pistes d’intervention associées à l’âge
Orienter des personnes à risque vers des professionnels de la santé mentale
Favoriser la consommation non dangereuse d’alcool
Réduire l’accès aux moyens
Soutenir les personnes endeuillées par suicide
Facteurs de risque de suicide
Facteurs de risque tertiaires
– Sexe masculin – Grand âge
– Périodes symboliques
Facteurs de risque secondaires
– Deuil
– Isolement relationnel et familial – Conflits familiaux
– Maladies physiques, perte d’autonomie – Evènements sévères ou stressants
Facteurs de risque primaires
– Troubles psychiatriques antérieurs – ATCD suicidaires
– Intention suicidaire, désespoir – Alcool, polymédications
Facteurs protecteurs
– Sentiment de responsabilité / famille, conjoint
– Crainte de désapprobation sociale
– Stratégies d ’adaptation – Peur de la mort
– Références morales et religieuses
Passage à l ’acte
d ’après Walter, 2000
18/09/12 GEPS NANCY JL Terra
Vendredi 7 septembre 2012 CNAM TS - JL Terra 50
50
LE POTENTIEL SUICIDAIRE : RISQUE, URGENCE, DANGEROSITE Souffrances durables
et insoutenables
Idées de suicide
Intention Programmation
Mise en œuvre
Tentative de suicide
Décès
Pensées Velcro® retardant ou bloquant
la crise suicidaire Facteur de risque
Facteur de protection RISQUE
Moyen de suicide : Létalité x accessibilité
DANGEROSITE
URGENCE
Triple évaluation du potentiel suicidaire
L’évaluation du potentiel suicidaire permet de déterminer le degré de perturbation de l’individu afin d’instaurer une intervention appropriée
Évaluation comprend celle du risque, de l’urgence et de la dangerosité
Pour des fins cliniques, le potentiel
suicidaire peut s’évaluer selon qu’il est
faible, moyen ou élevé
Évaluation du risque suicidaire
L’évaluation du risque doit permettre de reconnaître les intentions suicidaires, de considérer les éléments du passé pouvant influencer le processus suicidaire : facteurs individuels, familiaux, psychosociaux
L’évaluation permet de cerner des pistes concrètes et directes d’intervention
Évaluation de l’urgence suicidaire
Évaluer l’urgence ou l’imminence du passage à l’acte : le scénario suicidaire, l’absence d’alternative autre que le suicide
Faible : pense au suicide, pas de scénario précis
Moyen: scénario envisagé, mais reporté
Élevé: planification claire, passage à l’acte prévu pour les jours à venir
Évaluation de la dangerosité du scénario suicidaire
Évaluer la dangerosité du scénario suicidaire : létalité du moyen et l’accès direct aux moyens
Si l’accès au moyen est facile et immédiat,
il faut considérer la dangerosité comme
extrême et agir en conséquence
CONCLUSION
Détecter, détecter, détecter
Poser les questions quant au suicide en articulant avec la souffrance mise au jour
Etre un témoin de la souffrance est déjà beaucoup
Textes utiles
Recommandations professionnelles :
« Prise en charge des adolescents après une tentative de suicide » (ANAES 1998)
Conférence de consensus :
« La crise suicidaire: reconnaître et prendre en charge » (Octobre 2000)
Récupérables sur :
www.has-sante.fr
www.psydoc-fr.broca.inserm.fr
« Bien sûr, des fois, j’ai pensé mettre fin à mes jours, mais je ne savais jamais par lequel commencer »
Jacques Prévert