Françoise DAVIET-TAYLOR
Henri MALDINEY: Le Legs des choses dans l’œuvre de Francis Ponge
Notice biographique : H. Maldiney est né à Meursault en 1912 et est mort à Montverdun en 2013. Il fut élève à l'École normale supérieure, où il obtint l'agrégation de philosophie. Prisonnier en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut à la fin de la guerre professeur à l’École des Hautes Études de Gand de 1945 à 1955, puis à l’université de Lyon à partir de 1955, où il tint la chaire de « Philosophie générale, d'Anthropologie phénoménologique et d'esthétique ». Il était l’ami aussi bien du peintre Tal Coat que du poète Francis Ponge, ou du psychiatre Ludwig Binswanger. Ses travaux portent sur les domaines de l’esthétique, de la philosophie de l’art ainsi que sur la psychiatrie phénoménologique.
Le Legs des choses dans l’œuvre de Francis Ponge
, 1974Dans la ligne de Johannes Lohmann et de Martin Heidegger, Henri Maldiney considère que la langue est devenue opaque au monde. « L’horizon de toute parole » est désormais délimité par les concepts, les mots. Or ceux-ci n’étant plus articulés aux choses, ils « n’indiquent plus de directions » ; ils bloquent le pouvoir de « discernement » de l’homme. Parallèlement à cette dégradation du pouvoir de la langue, s’est opérée la dégradation de la chose en objet : la chose ne se manifeste plus, ne se dévoile plus ; elle se fabrique. Francis Ponge est l’un de ces rares poètes qui, selon Maldiney, questionne à nouveau la chose pour la faire surgir d’elle-même, à partir d’elle-même, « non pas le mimosa et moi, mais le mimosa sans moi ».
Derrière ce projet poétique, Maldiney voit réapparaître le conflit de la conscience percevante tel que Hegel l’expose dans sa Phénoménologie de l’Esprit : comment dévoiler les choses à partir d’elles-mêmes sans que la conscience intervienne ? Mais, si le philosophe, « pour frayer son chemin vers l’être-là et l’être- ainsi des choses », s’était adressé à l’entendement, le poète Ponge s’adresse quant à lui à la langue : « O ressources infinies de l’épaisseur des choses rendues par les ressources infinies de l’épaisseur sémantique des mots. »
Le but de la recherche de Ponge rejoint néanmoins celui de Hegel : dans la chose, qui n’est en elle-même qu’un pur rien, il s’agit de découvrir ses qualités, car ce sont elles qui la constituent. Ainsi, de même que Hegel considérait (dans Logique) que « la chose en tant que cette chose-ci est [la] relation purement quantitative [de matières], une simple collection, le Aussi des matières », Ponge, afin que la chose se manifeste d’elle-même, tente d’« accroître la quantité de ses qualités », et les nomme
Henri Maldiney : le legs des choses dans l’œuvre de Francis Ponge 2
une à une : « Fraîcheur, je te tiens. Liquidité, je te tiens. Limpidité, je te tiens », écrit Ponge, décrivant l’eau du verre d’eau. L’esprit doit « s’abîmer aux choses », pour renaître ensuite par la « nomination de leurs qualités » dans une « création métalogique ». C’est pourquoi l’œuvre de Ponge constitue pour Maldiney un véritable Ereignis, un « événement-avènement », car, « se saississant du fond toujours ouvert du monde, elle fait advenir à la fois son propre fondement et un monde propre ». C’est ici que la phénoménologie poétique de Ponge rejoint celle de Heidegger.
Françoise DAVIET-TAYLOR CERIEC (EA 922) CIRPALL (EA 7457), Université d’Angers, SFR Confluences, 5bis bd Lavoisier, 49045 ANGERS cedex 01 FRANCE
Article-présentation paru dans A. JACOB (sous la direction de), Encyclopédie Philosophique Universelle, J.-F. MATTÉI (éd.), Les Œuvres philosophiques, tome 3,
vol. 2, Paris : Presses Universitaires de France, 1992.
Œuvres de Henri MALDINEY
Henri MALDINEY, Le Legs des choses dans l’œuvre de Francis Ponge, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1974
Henri MALDINEY
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Aîtres de la langue et demeures de la pensée, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1975.Françoise DAVIET-TAYLOR CERIEC (EA 922) CIRPALL (EA 7457),