La Lettre du Neurologue • Vol. XX - n° 8 - octobre 2016 | 245
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ÉDITORIAL
Épilepsie du sujet âgé, est-il temps
de changer de regard et de référentiel ?
Epilepsy in the elderly, time to change our views and our referential?
Dr Benjamin Cretin
Unité de neuropsychologie, service de neurologie des hôpitaux universitaires de Strasbourg, centre mémoire, de ressources et de recherche d’Alsace (Strasbourg-Colmar), CNRS, laboratoire ICube UMR 7357 et FMTS (Fédération de médecine translationnelle de Strasbourg), équipe IMIS/Neurocrypto Strasbourg, et centre de compétences des démences rares, hôpitaux universitaires
de Strasbourg.
L
a population occidentale vieillit et la génération du baby-boom estdans la tranche d’âge des 60-70 ans, dans laquelle les patients épileptiques sont de plus en plus nombreux (pour de multiples raisons : lésions dégénératives, auto-immunité, etc.), à tel point que les statistiques actuelles ont dépassé les projections des années 1990 (1) . La proportion croissante des sujets âgés parmi les épileptiques pose donc la question de l’épileptologie qui les concerne : est-elle spécifique ou non ?
Tout d’abord les patients âgés ne souffrent pas que de crises à la sémiologie typique : amnésies transitoires (pseudo-ictus amnésique), aphasies ou hémiparésies itératives (pseudo-accident ischémique transitoires), épisodes confusionnels transitoires, manifestations d’allure lipothymique (pseudosyncope), épilepsie tardive à expression principalement cognitive (pseudodémence épileptique) sont leur quotidien (2) . Ensuite, l’électroencéphalographie (EEG) standard n’est pas un outil déterminant : les tracés sont fréquemment normaux ou aspécifiques, alors même que la clinique ictale trompeuse ne permet pas de les éclairer efficacement (1) . Faut-il alors soumettre les patients à des enregistrements EEG-vidéos diurnes et nocturnes ? Pourquoi pas, mais les services
d’épileptologie ont d’autres choses à faire (bilans
préchirurgicaux, encéphalites dysimmunitaires, etc.) et les unités d’EEG-vidéos sont peu nombreuses
en dehors des hôpitaux. Le nombre de sujets
“absorbables” en EEG-vidéo est donc dérisoire face à la masse des patients potentiels. Le diagnostic d’épilepsie du sujet âgé nécessite ainsi une expertise spéciale (1) . Cela vaut également pour la prescription
médicamenteuse (qui doit éviter la iatrogénie psychocognitive et les interactions
pharmacologiques) et l’interprétation de l’imagerie cérébrale (dont la “normalité pour l’âge” brouille les frontières entre anomalies incidentes et anomalies
significatives).
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B. Cretin déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Bilan de ces considérations : l’épileptologie des sujets âgés est spécifique.
Son principal problème est le sous-diagnostic, qui sera difficile à éviter si les patients ne sont pas confiés à des praticiens dédiés. Du fait de l’intrication de l’épilepsie tardive avec la cognition (en raison des contributeurs étiologiques vasculaires,
dégénératifs, etc.), il n’est pas déraisonnable d’imaginer que les consultations mémoire et les centres mémoire, de ressources et de recherche (CMRR) puissent s’en saisir.
L’histoire du syndrome d’amnésie épileptique transitoire est exemplaire : il a été individualisé par des “cognitivistes” et n’est plus aujourd’hui contesté, y compris par les épileptologues (3). Outre leurs compétences naturelles en cognition, les CMRR ont aussi l’avantage d’exister en réseaux et d’assurer la prise en charge de la population concernée par l’épilepsie gériatrique (sujets âgés de plus de 50 ans et ayant une plainte cognitive). À Strasbourg et Colmar, l’expérience fonctionne et pourrait faire des émules.
Un dialogue entre la fédération des CMRR et la Ligue française contre l’épilepsie pourrait être la prochaine étape, en vue d’un réseau national de prise en charge.
En attendant un DU d’épileptologie gériatrique ? Pourquoi pas !
1. Stefan H. Epilepsy in the elderly: facts and challenges. Acta Neurol Scand 2011;124(4):223-37.
2. Stefan H, May TW, Pfäfflin M et al. Epilepsy in the elderly:
comparing clinical characteristics with younger patients. Acta Neurol Scand 2014;129(5):283-93.
3. Mosbah A, Tramoni E, Guedj E et al. Clinical, neuropsychological, and metabolic characteristics of transient epileptic amnesia syndrome. Epilepsia 2014;55(5):699-706.
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