6 | La Lettre d'Oto-Rhino-Laryngologie • N° 344-345 - janvier-juin 2016
ÉDITORIAL
L’implant cochléaire de l’enfant
Pediatric cochlear implant
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Pr Natalie Loundon
Service d’ORL, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris
Les améliorations technologiques se sont combinées aux travaux dans le domaine des neurosciences pour changer progressivement, mais somme toute radicalement, le point de vue des professionnels de la surdité ces 10 dernières années.
Les avancées dans le domaine des audioprothèses ont permis d’élargir les indications de l’appareillage amplificateur à la majorité des troubles auditifs de l’adulte, de l’enfant et du nourrisson. Il est ainsi possible d’espérer appareiller efficacement non seulement les surdités bilatérales légères, moyenne et sévères, mais aussi les surdités unilatérales et celles atteignant de façon partielle le champ fréquentiel.
Parallèlement, les connaissances nouvelles en sciences neurocognitives nous ont permis de mieux appréhender le fonctionnement auditif central, même si beaucoup d’inconnues subsistent. Ainsi, l’audition est un phénomène complexe qui nécessite des informations cochléaires pertinentes et plusieurs niveaux
d’intégration cérébrale allant des noyaux cochléaires aux zones temporales dédiées au langage. Chez l’enfant entendant, nous savons que, dès les premiers mois de vie et sans doute déjà in utero, se mettent en place les zones neurologiques dédiées qui, par l’analyse fine fréquentielle et temporelle, permettent le décryptage des bruits, des sons, de la parole, de la musique, et les fonctions dédiées à la stéréophonie. Chez l’enfant, il faut considérer que tout trouble auditif, lorsqu’il est précoce, va modifier ou entraver cette organisation, ce qui justifie une réhabilitation dès que possible – lorsque cela est réalisable –, afin de restaurer une fonction binaurale, sinon stéréophonique.
En ce qui concerne l’implant cochléaire, l’amélioration dans
le design des électrodes et les progrès dans la maîtrise des phénomènes inflammatoires intra-cochléaire permettent d’espérer préserver
l’anatomie et le fonctionnement endocochléaire après implantation cochléaire. Ceci ouvre la voie aux champs de réhabilitation auditive par l’implant électrique ou électroacoustique : surdité sévère, surdité avec audition résiduelle, implantation bilatérale.
En France, la mise en place du dépistage auditif en maternité a sensibilisé tous les acteurs aux enjeux pédiatriques de cette surdité ; ce dépistage place les ORL au cœur de l’accompagnement de l’enfant et de sa famille ; il renouvelle l’exercice de l’évaluation auditive précoce par le plus grand nombre, il permet d’aborder les questions sur les modalités de la réhabilitation auditive, et du suivi médical de l’enfant sourd.
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La Lettre d'Oto-Rhino-Laryngologie • N° 344-345 - janvier-juin 2016 | 7
ÉDITORIAL
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1. Benveniste E. Problème de linguistique générale.
Tome 2. Paris : Gallimard, 1980.
Réhabiliter l’audition chez l’enfant présentant une surdité bilatérale congénitale sévère à profonde est un enjeu majeur. Le trouble auditif se répercute sur le développement du langage, et donc sur l’expression et la structuration de la pensée, sur les repères affectifs, psychologiques et sociaux. Car, comme le dit E. Beneviste : “le langage est la condition de la subjectivité, nous parlons à d’autres qui parlent, telle est la réalité humaine. (…) C’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet : parce que seul le langage fonde (…) le concept d’ego.
La subjectivité (…) assemble et assure la permanence de la conscience.
Est ego qui dit ego” (1).
Pour l’enfant sourd profond, 2 modes de communication sont possibles : le langage oral et/ou le langage gestuel. Les 2 modes ne doivent pas
– ne doivent plus – s’opposer dos à dos, mais plutôt se mettre au service de la communication, et ce le plus tôt possible pour le nourrisson.
La pratique quotidienne montre que les familles font le choix, lorsque c’est possible, d’une communication orale pour leur enfant, car le langage oral est leur langue native dans la grande majorité des cas. C’est donc très naturellement que leur décision première est de tenter une réhabilitation qui permette à l’enfant – ce futur adulte – de communiquer aisément avec eux, avec leur famille et avec leurs pairs. Les résultats observés de la réhabilitation auditive par l’implant cochléaire montrent que cet accès au langage oral est possible dans la majorité des cas ; la qualité et le naturel de la construction de la langue dépendent grandement de l’âge auquel se fait la réhabilitation. Ainsi, un enfant sourd profond congénital ayant été implanté avant l’âge de 12 mois a plus de 70 % de chance d’entrer dans une communication orale efficace !
Plus que jamais, les praticiens ORL ont un rôle d’information et d’accompagnement des familles dans la réhabilitation auditive de l’enfant sourd et se doivent d’être informés de toutes les avancées récentes dans le domaine. L’implant cochléaire n’est qu’un des outils parmi d’autres, mais l’enjeu qui sous-tend ses indications
en fait un sujet majeur dans la réhabilitation chez l’enfant.
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