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Revenu de base ?Mauvaise réponse à de vraies questions

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Revenu de base ?

Mauvaise réponse à

de vraies questions

d'

économie et Politique

« Mais la quantité de valeurs d’usage produites dans un temps donné, donc aussi pour un temps donné de surtravail, dépend également de la productivité du travail. La richesse véritable de la société et la possibilité d’un élargissement ininterrompu de son procès de reproduction ne dépendent donc pas de la durée du surtravail, mais de sa productivité et des conditions plus ou moins perfectionnées dans les-quelles il s’accomplit. En fait, le règne de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l’extérieur ; il se situe donc, par sa nature, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. De même que l’homme primitif doit lutter contre [ou affronter] la nature pour pourvoir à ses besoins, se maintenir en vie et se reproduire, l’homme civilisé est forcé, lui aussi, de le faire quels que soient la structure de la société et le mode de la production. Avec son développement s’étend également le domaine de la nécessité naturelle parce que les besoins augmentent ; mais en même temps s’élargissent les forces productives pour les satisfaire. En ce domaine, la liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature, qu’ils la contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en se fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la nécessité. La condition essentielle [ou de base] de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. »

K. Marx (1894), Le Capital, Livre 3, traduction Mme Cohen-Solal et

G. Badia, page 742 de l’édition de 1976, Editions Sociales. Le « revenu de base », ou quel que soit son nom, fait partie de ces fausses bonnes idées pour résoudre les vraies questions du chômage et de la précarité. L’idée est simple en apparence : fournir un revenu mensuel à chaque individu, indépendamment de son activité productive et de ses autres revenus, juste parce qu’il existe.

Si ses sources idéologiques et théoriques sont multiples, elles reposent toutes sur un socle commun : elles postulent implicitement que l’on peut distribuer un revenu sans se soucier de sa production préa-lable. Or un revenu ne se distribue que s’il existe ! C’est un principe de réalité, avec des conséquences.

Un, il place la bataille pour la maîtrise sociale de la production de richesses et l’efficacité de cette

pro-duction au cœur de celle de la répartition des richesses. Pour paraphraser Marx, disons qu’il rappelle que la maîtrise sociale de la sphère de la nécessité est la condition du règne de la liberté.

Deux, il pose la question de la validation sociale de la redistribution des richesses. Les défenseurs du

revenu de base considèrent que tout acte social, par sa contribution à la richesse collective, a une valeur économique qui justifie le revenu universel. Mais une heure de pétanque a-t-elle socialement la même valeur qu’une heure de travail en entreprise ?

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le revenu de base entérine la logique du capital. D’abord, parce qu’un revenu social distribué à chacun sans conditions accentuerait la déresponsabilisation sociale des entreprises. Pourquoi en effet augmenter les salaires, ou même conserver un SMIC, si les salariés bénéficient déjà d’un revenu déconnecté de tout véritable emploi ? Et pourquoi accroître les prélèvements sociaux sur les profits au bénéfice d’une prise en charge sociale et collective élevée des besoins sociaux, si chacun a prétendument les moyens de contractualiser individuellement sa prise en charge ? Ensuite, parce que l’institution d’un revenu de base opérerait un double abandon : celui de la lutte pour l’emploi contre le chômage et celui de la lutte pour un dépassement du capitalisme. En effet, le revenu de base est généralement défini comme l’outil permettant d’accompagner les effets néfastes des mutations économiques que sont la montée du chômage et des précarités liées à la révolution numérique, et de libérer ainsi du travail aliénant. Pourtant, accompagner les effets néfastes de ces mutations et non les contrer, c’est traiter le symptôme et non la maladie, et faire du revenu de base l’outil du renoncement à la bataille pour l’emploi et sa sécurisation. Entériner cela, ce serait faire l’impasse sur le besoin de coopération collective qu’exigent les produc-tions modernes, coopéraproduc-tions de travail et d’investissements, et de développement pour soi-même, permettant de construire l’efficacité sociale commune.

Disposer d’un revenu permettant de participer aux activités sociales créatrices et dans le même temps éradiquer le chômage demande un objectif bien plus révolutionnaire et ancré dans la réalité, tant celle-ci est marquée par la nécessité humaine des moyens réels d’existence qu’il faut maîtriser pour assurer la conquête de nouvelles libertés. Cela nécessite de révolutionner les conditions dans lesquelles s’effec-tue la production de richesses afin de permettre à tous d’y participer, avec de nouveaux droits, et d’en bénéficier. Ce qui renvoie, non à l’accompagnement des mutations de l’économie française, mais à une nécessaire maîtrise sociale et démocratique de ses évolutions.

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Définitions

e revenu de base est aussi appelé : « revenu univer-sel », « revenu incondi-tionnel », « revenu in-conditionnel suffisant », « revenu d’existence », « revenu minimum d’existence », « revenu social », « revenu social » garanti, « allocation universelle », « revenu de vie », « revenu de citoyenneté », « revenu citoyen », « dotation inconditionnelle d’autonomie » ou « dividende universel ». Il est parfois confondu ou mis en opposition avec le « salaire à vie » (ou « salaire universel ») imaginé initialement par Bernard Friot et promu notamment par le réseau salariat. Elle doit être confrontée à notre proposition de sécurisation de l’emploi, de la formation et du revenu.

Certaines définitions du revenu de base plus restrictives impliquent par exemple un montant mini-mum permettant de satisfaire les besoins primaires d’existence, ou de remplacer les transferts sociaux. Ces termes sont parfois aussi repris pour des mesures qui, proches de l’impôt négatif, versent cette allocation selon la situation

Le revenu de base,

une fausse bonne idée

Catherine Mills

Le revenu de base est

un revenu versé par une

communauté politique à

tous ses membres, sur une

base individuelle, sans

conditions de ressources

ni obligation de travail,

selon la définition du Basic

Income Earth Network

(BIEN). Il est censé

reconnaître la participation

de l’individu à la société,

indépendamment de la

mesure de l’emploi.

L

des ménages, ou qui incluent des contreparties, et qui ne sont donc pas des formes de revenu de base selon la définition du BIEN. Le revenu de base a connu des expérimentations très limitées, notamment au Canada, en Inde, en Namibie, en Alaska qui a mis en place l’Alaska Permanent Fund, une forme particulière de revenu de base financée par les revenus miniers et pétroliers de l’État. Le revenu de base est défendu au niveau mondial par des courants politiques allant des altermon-dialistes aux libertariens, par des universitaires, des personnalités politiques… notamment regrou-pés au sein du BIEN.

Les arguments invoqués pour sa mise en œuvre invoquent les principes de liberté et d’égalité, la réduction voire l’élimination de la pauvreté le combat pour des condi-tions de travail plus humaines, l’amélioration de l’éducation, la réduction de l’exode rural et des inégalités régionales. Le revenu de base peut aussi être justifié comme un dividende monétaire ou un crédit social reçu par chacun lié à la propriété commune de la Terre et à un partage des progrès techniques reçus en héritage. Cette mesure pré-tend aussi lutter contre le chômage et surtout améliorer la « flexibilité » du marché de l’emploi en invo-quant la lutte contre les trappes à pauvreté, créées par les mesures de type revenu minimum ou les baisses de charges sur les bas salaires. Selon Liêm Hoang Ngoc, deux branches existent pour l’alloca-tion universelle : une marxiste et une libérale ; la branche marxiste s’inspirerait des Grundrisse, ces textes où Karl Marx imagine le

développement d’une société où l’humanité sera sortie du salariat et où les machines seules assure-ront la création de richesses, qui seront reversées sous la forme d’un « revenu socialisé universel ». La branche libérale, considérant qu’il convient d’accorder une certaine somme d’argent aux citoyens, tantôt « filet de sécurité », tantôt « capital de départ », pour qu’ils puissent consommer et participer à la vie de la société. À chacun, ce faisant, d’organiser ses dépenses comme il l’entend.

La question du montant

Des montants adaptés prétendent permettre de vivre décemment du seul revenu de base. Certaines incertitudes sont toutefois soule-vées par Jacques Marseille sur la participation au travail et sur les nécessités de financement : « Le pari de l’allocation universelle est que l’insertion sociale ne peut se construire sur la contrainte mais sur la confiance placée dans les bénéficiaires de ce nouveau droit. Une utopie, sans doute, pour tous ceux qui n’accordent aucune confiance aux individus et pensent que seule la contrainte de “gagner son pain à la sueur de son front” est le meilleur garde-fou contre la paresse. Un pari sur l’intérêt et la nature humaine pour tous ceux qui pensent au contraire qu’un individu préférera toujours cumuler ce revenu à un autre salaire, surtout quand ce salaire correspondra à un travail qu’il aura librement choisi. »

Des montants faibles sont donc plutôt libéraux et peuvent être liés à une privatisation de l’éducation, de la santé et tous les autres services

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publics. Ils pourraient être présen-tés comme l’agrégation de dispo-sitifs tels que le chèque éducation ou le chèque santé. Jean-Pierre Mon alerte sur ces propositions en ces termes :

« Un revenu d’existence très bas est, de fait, une subvention aux employeurs. Elle leur permet de se procurer un travail en dessous du salaire de subsistance. Mais ce qu’elle permet aux employeurs, elle l’impose aux employés. Faute d’être assurés d’un revenu de base suffisant, ils seront conti-nuellement à la recherche d’une vacation, d’une mission d’intérim, donc incapables d’un projet de vie multi-active. »

Les partisans d’une allocation uni-verselle souhaitent lui attribuer un montant faible et identique pour tous les êtres humains résidents, alors que les partisans d’un revenu de base plus élevé modulent leurs propositions sur une partie de la population comme les seuls adultes, les qualifications de la personne, ou encore, des montants différents en fonction de l’âge. En France, les propositions sont variées :

– Certaines proches du salaire minimum.

– Yann Moulier-Boutang : 850 € à partir de 18 ans.

– Jacques Marseille : 375 € de 0 à 18 ans et 750 € à partir de 18 ans. – Baptiste Mylondo : 750 € pour les adultes ; 230 € par mineur. – Christine Boutin : 200 € de 0 à 18 ans et 400 € à partir de 18 ans. – Yoland Bresson : 400-450 € pour tous.

Le débat sur le

financement

Le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), avec no-tamment Marc de Basquiat, Fré-déric Bosqué, Christine Boutin, Yoland Bresson, Jean Desessardt, Patrick Viveret…, a été constitué lors de l’assemblée constituante les 2-3 mars 2013 à l’ENS (Paris). Le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) identifie 8 approches de financement d’un revenu de base :

– l’universalisation et la revalorisa-tion du RSA ;

– l’autofinancement par transfert des prestations existantes ;

– la fusion du système d’aide sociale, de chômage et de retraite ;

– la création monétaire ; – la taxation foncière ; – l’impôt sur le patrimoine ; – la redistribution des profits tirés des ressources naturelles ;

– les chèques écologiques.

Ces propositions peuvent être regroupées en trois familles : la redistribution, la création moné-taire, et l’approche par les biens communs.

Effets sur la redistribution

En Allemagne, selon le modèle de l’ancien président du conseil des ministres de Thuringe, Dieter Althaus (CDU), l’allocation uni-verselle coûterait annuellement à l’État 583 milliards d’euros, mais ce système est alors conçu comme venant en remplace-ment de l’actuel système d’aide sociale, qui coûte 735 milliards. Donc l’allocation universelle selon le modèle « althausien » serait moins coûteuse pour les finances publiques que le système actuel. Certains considèrent que l’allo-cation universelle devrait être alimentée par un prélèvement économiquement le plus neutre possible, en particulier pour ne pas peser sur le coût du travail, afin de préserver la compétitivité de la zone concernée.

Un autre type de financement de cette allocation universelle se ferait notamment par une imposition sur les revenus et sur la consommation (TVA). Ainsi, tous les ménages, y compris les plus pauvres, payeraient un impôt. D’une manière générale, il n’y a pas de raison de créer un impôt spécifique pour financer l’alloca-tion universelle : il suffit de la faire financer par l’État selon le principe de non-affectation des ressources aux dépenses.

Marc de Basquiat développe une proposition selon laquelle l’allo-cation universelle prend la forme d’une réforme de l’impôt sur le revenu qui serait transformé en IURR (impôt universel de redistribution des revenus). Les 280 milliards d’euros de la redis-tribution actuelle seraient redirigés vers un impôt négatif versé à tous, avec un montant variable selon l’âge, financé par un prélèvement uniforme de 30 % sur tous les revenus.

Pour Philippe Van Parijs, le finan-cement de l’allocation universelle

doit contribuer à l’équité et dimi-nuer les inégalités. Doivent être taxés les dons et héritages, la pol-lution et les revenus marchands. En effet la pollution détériore le sort des générations futures alors qu’elle est principalement le fait des couches les plus aisées. L’em-ploi est devenu une ressource rare et très inégalement répartie. Majo-ritairement il fournit des avantages directs et indirects enviables. L’équité exige que la valeur des privilèges attachés à l’emploi soit distribuée de manière égalitaire. D’où la taxation des revenus pro-fessionnels et, plus largement, de tous les revenus marchands.

Par création monétaire

Selon le modèle du crédit social, le coût serait nul, l’allocation n’étant que la répartition équitable de l’augmentation de la masse moné-taire nécessitée par la croissance de la valeur des biens et services échangés. Ce modèle nécessite toutefois, pour être réalisé au sein de la monnaie étatique (voir l’approche des monnaies numé-riques), la réappropriation par l’État de la fonction régalienne de création monétaire.

Plus récemment, l’économiste Anatole Kaletsky défend l’idée selon laquelle les banques centrales devraient faire de l’assouplissement quantitatif pour le peuple, plutôt qu’à travers le système bancaire, en rachetant des actifs financiers. Selon cette idée, la banque centrale pourrait injecter de la nouvelle monnaie dans l’économie direc-tement en versant de l’argent dans les comptes bancaires des citoyens. Selon lui, il se pourrait que cette proposition gagne du terrain pro-chainement.

Les revenus des biens communs

Différents mécanismes basés sur la compensation des externalités négatives ont été proposés. Pour Peter Barnes, les biens com-muns, tels que les ressources naturelles, les services écologiques, les biens culturels, la solidarité… devraient, pour les mettre à l’abri d’une appropriation, être « pro-priétisés » et leur gestion confiée à des fiducies. Le but de ces fiducies serait de maintenir au moins la valeur de ces biens pour les géné-rations futures et de distribuer le surplus à la génération présente.

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Pour On The Commons, le mar-ché des droits à polluer (cap and

trade) est un système moins

effi-cace qu’un système de dividende universel financé par les droits à polluer (cap and dividend). C’est un mécanisme de ce type qui est utilisé par l’Alaska.

Aspects philosophiques

La thèse de la liberté réelle

Le concept d’allocation universelle est soutenu par une réflexion phi-losophique face au défi posé par la pensée libertarienne à la Théorie de la justice (1971) de John Rawls. P. Van Parijs affirme ainsi qu’elle est un moyen de soutenir, d’un point de vue prétendu de gauche, une position « réal-libertarienne ». Celle-ci défendrait une liberté réelle (et non pas simplement formelle comme elle le reste pour les auteurs libertariens classiques) maximale pour tous, c’est-à-dire en accord avec le principe rawlsien de différence, avec la liberté réelle maximale pour les plus faibles. Selon Van Parijs, elle permettrait à chacun de disposer des libertés possibles les plus étendues qui soient, en permettant à la fois à chacun de se vendre sur le marché du travail s’il le désire ou d’agir autrement s’il le préfère.

Ses défenseurs considèrent que l’allocation universelle entraîne-rait une évolution de la relation contractuelle entre les salariés et leur employeur, plus aucun salarié n’étant dans la situation de devoir accepter n’importe quel emploi pour gagner de quoi vivre : les salariés pourraient plus librement négocier leur contrat, ce qui conduirait à la suppression des « mauvais emplois » tout en luttant contre les conditions de travail inhumaines.

Pour remplir cet objectif assigné au revenu de base, Guillaume Allègre, économiste de l’OFCE, préconise plutôt l’augmentation des minima sociaux ou un renforcement de l’assurance chômage : « De fait, le système de protection sociale actuel a les mêmes effets que le revenu de base, avec des fonde-ments qui semblent plus solides. Les minima sociaux ont également pour effet d’augmenter le salaire de réservation des bas revenus : avec le RSA-activité, les minima sociaux sont déjà cumulables avec les revenus du travail, ce qui permet

de lutter contre les effets de trappe (Allègre, 2011). »

La thèse du respect de soi

L’absence de condition liée au ver-sement de l’allocation universelle est en accord avec le principe du respect de soi de J. Rawls de ne pas stigmatiser les bénéficiaires de l’allocation. Des allocations telles que le RSA permettent, en principe, d’éviter les effets de seuil conduisant à des situations d’un travailleur pauvre mais n’évitent pas le second écueil, puisqu’elles portent atteinte, selon P. Van Parijs, au respect de soi et à la liberté individuelle en obligeant son bénéficiaire à chercher un travail, et donc à se dédier à des activités rémunérées par le mar-ché du travail plutôt qu’à d’autres activités bénévoles ou jugées non rentables, mais gratifiantes et/ou utiles au bien commun. Ce revenu permettrait également la mise en œuvre de projets dont la rentabi-lité est incertaine ou ne s’observe que sur le long terme, comme la formation, la création d’entreprise ou l’activité artistique.

L’allocation universelle mettrait fin par exemple au problème des personnes en « fin de droits » d’allocation chômage et à la sur-veillance des personnes bénéficiant de ces allocations pour vérifier que la personne cherche effectivement un emploi, qui peut être vécue comme une atteinte à la vie privée pouvant provoquer des humilia-tions et du stress.

Le même argument est défen-du par l’entrepreneur allemand Götz Werner qui parle de la perte « d’une partie des droits de l’homme » pour les bénéficiaires du système allemand Hartz IV qui implique l’acceptation forcée de toute offre d’emploi. Il souligne aussi dans une interview que le niveau de subvention est parfois plus élevé que le minimum social pour les plus riches qui profitent d’activités soutenues par l’État comme l’opéra.

Conséquences

Quel effet sur les bas revenus ?

Revenu disponible en fonction du salaire brut.

Le cumul de l’allocation univer-selle avec les revenus implique qu’une tranche de la population bénéficiera de cette aide tout en

travaillant, mais ne sera pourtant pas ou peu imposable. Selon la situation antérieure et selon le type de financement, ce fait peut mener à un surcoût pour l’État

Cela entraînerait une augmen-tation relative des bas revenus et donc un tassement de la hiérarchie des salaires. Une diminution du seuil d’exonération fiscale pourrait limiter cet effet.

Quel effet sur les hauts revenus ?

La mise en place de l’allocation universelle peut, selon les sché-mas envisagés, entraîner une augmentation des impôts versés par les plus riches qui finalement ne verront donc pas leurs revenus augmenter.

De son côté, Guillaume Allègre, économiste de l’OFCE, attire l’attention sur le coût qu’implique-rait le revenu de base sur les plus hauts revenus : « Le coût pour les plus hauts revenus, fonction du montant du revenu de base, est [...] triple : ils doivent financer le revenu de base lui-même, l’éven-tuelle baisse de l’offre de travail et l’éventuelle hausse des bas-salaires. [...] Les transferts opérés par un revenu de base suffisamment élevé étant potentiellement très impor-tants, il est indispensable que les fondements de cette politique soient solides. »

Quels effets sur l’emploi ?

Les arguments en faveur d’un mécanisme d’allocation universelle sont contradictoires. Si certains cherchent à faciliter l’accès de tous à l’emploi en supprimant les trappes à inactivité, les autres parlent de libérer l’homme de la nécessité de l’emploi. Le Québé-cois Groulx en conclut : « On se trouve devant un paradoxe, où le revenu universel est justifié à partir de cadres idéologiques opposés ; il devient capable d’engendrer des avantages eux-mêmes opposés, sinon contradictoires. »

Incitations au travail salarié ? Et prétendue suppression des dites trappes à inactivité

L’un des objectifs affichés de l’allocation universelle serait de s’attaquer à un prétendu désen-gagement attribué aux systèmes classiques d’assurances sociales ou de prestations sociales, qui

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conduiraient, selon ses parti-sans, à des trappes à inactivité. Cela serait censé décourager les individus de chercher un emploi rémunéré lorsque le montant des rémunérations est inférieur au « salaire de réserve ». On invoque le fait que les prestations sociales actuelles seraient diminuées voire supprimées lorsque les revenus du travail augmentent. On prétend alors que cela pourrait conduire dans certains pays à des situations absurdes où l’individu aurait par-fois financièrement intérêt à ne pas accepter un travail, principalement des emplois à temps partiel. Alors qu’avec le revenu de base l’individu conserverait en permanence son revenu et en acceptant un emploi, ses revenus vont augmenter. Ainsi, les partisans du revenu de base affirment qu’il faciliterait l’ascen-sion sociale.

Cependant l’effet réel de ces sup-posées trappes à inactivité peut être largement contesté, d’abord parce que l’intérêt économique n’est pas le seul mobile gouvernant la recherche d’un emploi, qui obéit aussi à des enjeux de reconnais-sance sociale. Ainsi, « un tiers des bénéficiaires du RMI en France qui reprennent un emploi n’y ont pas intérêt », économiquement

parlant, et le font pour d’autres raisons. La seule prise en compte de l’intérêt économique dissimule d’autres aspects du problème, tels que les contraintes « familiales », dues notamment à l’absence d’accompagnement vers et dans l’emploi, aux difficultés de modes de garde et aux contraintes de santé ou de transport. On prétend alors que ce genre de problèmes ne se reproduirait plus avec le revenu de base car travailler n’étant plus une obligation, chaque individu, obtenant le droit de se reposer, ne va plus accepter un emploi sous la pression sociale mais selon son propre choix. Ce genre de situation, selon les partisans du revenu de base, serait un exemple de la liberté donnée à chacun grâce au revenu de base ; pour eux, l’homme n’est jamais complètement libre s’il ne peut choisir son travail.

Une pseudo-incitation aux lancements de projets et à la prise de risque : une vision ultralibérale

En prétendant réduire l’incertitude sur les revenus futurs, l’allocation universelle jouerait selon certains de ses partisans comme un filet de sécurité favorisant la prise de risque individuelle, et le lancement dans des projets non rentables à court terme. Un exemple cité serait celui de l’expérimentation en Namibie. Ainsi prétend-on, au bout de quelques mois d’expéri-mentation d’une allocation univer-selle en Namibie dans un village, le chômage aurait diminué et les revenus des habitants du village ont augmenté de 29 %, soit plus que le revenu supplémentaire octroyé par le programme, grâce aux micro-en-treprises qui se sont mises en place.

La thèse de la désincitation au travail salarié

Une proportion plus ou moins grande de la population déciderait que l’allocation universelle leur suffit et cesserait de chercher un emploi ou quitterait son emploi, favorisant ainsi le temps libre, les activités artistiques, philoso-phiques, voire scientifiques, ainsi que le bénévolat. Cela permettrait également, puisque travailler est une contrainte moins forte, une réduction du temps de travail pour ceux qui le souhaitent et une mise en valeur des horaires réduits.

Certaines activités (la recherche par exemple) n’étant pas sou-vent rentables à court terme en termes de production pour une entreprise, mais bénéfiques pour la société à long terme, elles ne sont pas stimulées par la loi de l’offre et la demande. Selon les partisans de l’allocation universelle, la société aurait tout intérêt à parier sur la participation des individus à son progrès en leur libérant du temps pour leurs activités personnelles et en leur garantissant les moyens de subsister, considérant que l’activité salariée n’est pas tout dans l’évolution de la société. Certains partisans arguent également que dans l’histoire de l’humanité, on n’a quasiment jamais vu de grands groupes d’êtres humains totalement inactifs, et font re-marquer que certaines activités peuvent être considérées comme néfastes, même si elles sont éco-nomiquement rentables comme la vente d’alcool, la fabrication d’armement ou l’exploitation du pétrole…

Des exemples très limités et peu probants. Ainsi, concernant le programme Mincome au Canada, on prétend que seuls 1 % des hommes, 3 % des femmes mariées et 5 % des femmes non mariées auraient arrêté de travailler après la mise en place de l’allocation. Un sondage en Allemagne avancerait que 60 % des personnes interro-gées affirmeraient qu’elles ne chan-geraient rien à leur mode de vie si elles touchaient le revenu de base ; 30 % travailleraient moins, ou feraient autre chose. En revanche, 80 % se disent persuadées que les autres ne travailleront plus.

L’invocation de la simplification administrative majeure

Selon la plupart de ses défen-seurs, l’allocation universelle a vocation à remplacer un grand nombre d’aides sociales existantes on prétend ainsi surmonter les difficultés administratives qui seraient, affirme-t-on, associées aux prestations sociales classiques, telles que la détermination de la période de référence pour le calcul des ressources ou encore le non-recours aux prestation sociales. On vante même l’absence de critère requis pour bénéficier du revenu de base, ce qui, se félicite-t-on, entraînerait la suppression des postes de fonctionnaires chargés

En prétendant

réduire

l’incertitude

sur les revenus

futurs, l’allocation

universelle

jouerait selon

certains de ses

partisans comme

un filet de sécurité

favorisant la

prise de risque

individuelle, et le

lancement dans

des projets non

rentables à court

terme.

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du contrôle de la situation des bénéficiaires, qui pourraient être réassignés à d’autres tâches ou simplement renvoyés.

Il faut souligner que l’allocation universelle prétend exercer la solidarité par l’attribution d’un pouvoir d’achat plutôt que la fourniture de services publics. Par conséquent, certains auteurs hétérodoxes relèvent à juste titre que le versement de l’alloca-tion universelle peut conduire à confier à des institutions privées des prestations qui auraient été gérées par des administrations publiques. Ainsi, la Sécurité sociale serait remplacée par des sociétés d’assurance privées. Selon cette logique, tous les services publics seraient privatisables, les citoyens comptant sur le revenu de base additionné à leurs propres revenus du travail pour se les payer, et la sphère publique serait réduite à ses fonctions régaliennes.

Un calcul simpliste est même avancé, pour cette conception ul-tralibérale le budget de l’État pour-rait être réduit de moitié, si l’on n’y conservait que les postes de dépense des ministères régaliens (Défense, Affaires étrangères, Justice, Inté-rieur, Finances). À prélèvements inchangés, il est prétendu que cela dégagerait un excédent à partager entre les 65,5 millions de citoyens, soit 2 527 € par personne et par an. Évidemment, l’État n’accorderait en contrepartie aucun autre service public que ceux précédemment mentionnés, mais cela renchérirait d’autant le coût de la vie.

Concernant la sécurité sociale, les 500 milliards de recettes de la Sécurité sociale seraient répartis de la même façon ; on avance que cela aboutirait à une allocation de 6 972 € par personne et par an afin de s’assurer contre les risques sociaux auprès d’assureurs privés. Additionnés au chiffre précé-dent, cela donnerait 9 500 €/an soit 792 €/mois/personne. Et cet exemple n’inclut pas la part des collectivités territoriales. Tout cela vise à réorganiser la protection sociale mais dans quel sens ? Cette vision d’un revenu de base qui se substituerait à la totalité des prestations sociales et des services publics est extrêmement réductrice et dangereuse et même contestée par certains de ses partisans. Et ces pseudo-démonstrations sont tout sauf sérieuses.

Justice sociale ou équité ?

Une prétendue « Équité » visible par la simplicité ?

Le thème archi-rebattu de la complexité croissante du système socio-fiscal est présenté comme contradictoire avec l’essence de la démocratie. Le peuple censé gou-verner la cité serait ainsi mis hors jeu, à commencer par les moins informés. La simplicité d’un méca-nisme d’allocation universelle est censée permettre de restaurer les conditions d’un débat démocra-tique, portant sur les paramètres du système comme le niveau de l’allocation et taux de prélèvement.

Quelle équité ?

Une conception étriquée de la protection sociale réduite à l’aide sociale. L’aide sociale actuelle pré-tend-on, serait destinée surtout à venir en aide aux personnes qui sont pauvres car elles ne sont plus productives (les vieux et les infirmes). En revanche, est-il af-firmé, il n’existerait pas réellement de dispositif pour aider ceux qui sont pauvres parce qu’ils ne sont pas encore productifs (les jeunes et les immigrés peu qualifiés), alors que selon ces économistes, il serait profitable pour le pays de permettre leur entrée sur le mar-ché du travail. Les revenus issus du système d’aide sociale actuel varieraient ainsi en fonction de particularités individuelles. Tandis que dans le système actuel, est-il déclaré, on noterait l’absence de prise en compte des situations individuelles. Il est alors proposé que l’aide soit universelle et incon-ditionnelle. L’allocation universelle n’aurait pas, affirment ses parti-sans, l’effet pervers de tous ces systèmes, c’est-à-dire l’existence d’ayants droit ne touchant pas l’aide parce qu’ils ignorent l’exis-tence de celle-ci, ou ne sachant pas qu’ils y ont droit, ou étant dans l’incapacité de prouver que leur situation leur donne droit à l’aide ; par ailleurs, on affirme ainsi que la sphère privée en serait protégée. On affirme aussi que ce caractère universel, inconditionné et indivi-dualisant de l’allocation universelle la distinguerait de l’impôt négatif proposé par Milton Friedman. Le revenu minimal garanti devrait assurer la maximisation de la liberté réelle dans ses dimensions de revenu et de pouvoir sans porter

atteinte à ce respect de soi. On peut notamment relever dans la Théorie de la justice de J. Rawls que ce serait même le contraire de la honte. Pour cela, il est souhaité que le revenu garanti soit attribué sous une forme qui ne stigmatise pas, sans contrôle des ressources (contrairement à ce qui se passe, par définition, en cas d’impôt négatif) et sans contrôle de la vie privée (requis pour vérifier, par exemple, le statut d’isolé ou de cohabitant. »

L’allocation permettrait, prétend-on, une plus grande égalité des chances entre étudiants, si certains doivent travailler pendant leurs études.

Une prétendue « équité » selon les situations familiales ? En réalité une mise en cause de la politique familiale

Certains pays attribuent une aide économique pour les personnes en précarité, et tiennent compte de la situation familiale. Par exemple en France, le RSA peut varier forte-ment. Compte tenu des économies d’échelles réalisées par la vie en ménage, le soutien économique de la personne en couple est minoré, proportionnellement à celui d’une personne seule.

Ces effets sont pris en compte par la notion d’unité de consomma-tion (UC) qui permet de comparer le niveau de vie de ménages de structures différentes. Il existe différentes échelles, celle définie par l’OCDE affecte 1 UC pour le premier adulte du ménage, 0,3 UC par enfant de moins de 14 ans et 0,5 UC pour les autres personnes. Selon la définition du revenu de base, il serait versé à chaque indi-vidu indépendamment de la situa-tion matrimoniale. Cet effet peut être contré par une modification du taux d’imposition des ménages en fonction de leur caractéristique, le surcoût ne perdurerait que pour les ménages non imposables. On peut aussi considérer que la coha-bitation (que ce soit en couple ou en colocation) est un choix de vie personnel, qui n’a pas à être favorisé ou sanctionné par les pouvoirs publics. Par ailleurs les hommes ou femmes au foyer dis-poseraient d’un revenu propre qui ne serait pas dépendant de celui de leur conjoint, acquérant ainsi autonomie au sein du ménage

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ainsi qu’un statut social reconnu et véritable, indépendant du marché de l’emploi.

Pour les familles avec enfants, l’allocation universelle aurait voca-tion à se substituer aux alloca-tions familiales. Si les mineurs ne perçoivent pas d’allocation universelle, les familles seraient défavorisées par rapport aux per-sonnes sans enfants. A contrario, si le revenu de base était identique pour les enfants et les adultes, celles-ci bénéficieraient d’un pou-voir d’achat surévalué, les coûts d’un enfant étant plus faibles que ceux d’un adulte. Le montant du revenu de base versé aux mineurs pourrait être fixé en fonction de la politique familiale poursuivie. Ainsi, une allocation élevée pour-rait être motivée par une relance de la natalité, dans le cas des pays développés à la démographie vieil-lissante, l’allocation étendue aux enfants assurerait alors un revenu supplémentaire aux familles. Cer-taines propositions d’allocation universelle remplacent le système du quotient familial. Ce système est, en effet, volontiers stigmatisé ; on avance qu’il permettrait aux familles d’avoir, pour un nombre donné d’enfants, une réduction de leur impôt sur le revenu d’autant plus élevée en valeur que leurs revenus et donc leurs impôts sont élevés. Cette réduction d’impôts équivaut en fait à une allocation, laquelle profiterait, prétend-on, en valeur absolue davantage aux familles riches.

Dans le cas où le niveau d’aide éco-nomique reçu par un foyer mono-parental est inchangé, la mise en place de l’allocation universelle augmenterait surtout les revenus des foyers de couples en précarité. Et l’on retrouve ici toute la machi-nerie contre l’ensemble de la poli-tique familiale française.

Les Critiques du revenu

de base

Certaines critiques sont ultralibérales

Ainsi Alain Wolfelsperger consi-dère que la mesure du travail par l’emploi constitue un prérequis indispensable au versement de tout revenu, et juge le revenu de base comme immoral car ce serait une remise en cause de la valeur travail. Le versement d’un revenu de base pourrait avoir, selon cette conception, un impact négatif sur le marché de l’emploi et inciter ses bénéficiaires à ne pas ou à moins s’employer. D’autres économistes relèvent au contraire que certaines expériences menées sur quelques années montreraient que cet impact serait assez limité à court terme.

Des critiques de nombreux économistes hétérodoxes

Jean-Marie Harribey, membre d’ATTAC, critique l’idée d’un re-venu de base. Il fait remarquer que si la collectivité versait un revenu de base, les entreprises paieraient d’autant moins leurs employés. Jean-Marie Harribey estime qu’un tel dispositif ne réduirait pas les inégalités, mais au contraire risquerait fort de conduire à une société encore plus duale, « il ne peut pas y avoir éternellement des droits sans que ceux qui en assument le coût ne puissent exiger en retour des droits équivalents. Si on me verse un revenu sans que je participe au travail collectif, cela veut dire qu’il y a des gens qui travaillent pour moi. C’est possible ponctuellement ou en cas de force majeure, mais pas sur toute une vie ». Puisque selon lui on confond emploi mesuré et travail collectif, il estime que le financement proposé est vide de sens et parle de « vacuité théorique ».

Michel Husson considère que le revenu dit universel constitue un renoncement à d’autres réponses possibles, comme la réduction du temps de travail, et la sécurité sociale professionnelle garantissant la continuité du salaire et des droits sociaux. Les diverses variantes du revenu universel ont un point commun : il s’agit d’un revenu mo-nétaire aboutissant à la suppression d’une partie importante de la pro-tection sociale : minima sociaux, allocations familiales, indem-nités-chômage, santé publique, retraites. Il s’agit pour Michel Husson de projets réactionnaires. L’économiste fait un parallèle avec les allocations logement qui sont exploitées par les proprié-taires dans le but d’augmenter les loyers, un détournement qui réduit sensiblement l’effet de ces allocations. L’idéologie du revenu de base irait jusqu’à livrer l’écono-mie du pays et la consommation au seul profit des propriétaires fonciers, sans considération pour la valeur produite par le travail et l’emploi. Selon Michel Husson, c’est le postulat initial du projet de revenu de base qui est erroné. Ce projet rassemble des ultralibéraux mais aussi d’autres qui en espèrent pourtant une profonde transfor-mation sociale.

Tandis que le sociologue Mateo Alaluf revendique une critique « de gauche » contre toute allocation universelle. Il avance que « rem-placer un système de protection sociale financé principalement par les cotisations et reposant sur la solidarité salariale par une rente versée par l’État et financée par la fiscalité apparaît comme une machine de guerre contre l’État social » et précariserait l’emploi, ce qui explique le rejet de cette proposition par les syndicats de salariés.

Bernard Friot, pour sa part, qua-lifie le revenu de base de « roue de secours du capitalisme ». Pour lui, et pour le réseau salariat, ce projet est parfaitement compatible avec le système capitaliste et ne remet au-cunement en cause ses aspects les plus destructeurs et lui offre même une nouvelle légitimité, le marché des capitaux étant nécessaire à son financement. Il avance un projet de salaire à vie qu’il juge, lui, authentiquement émancipateur. Dans son ouvrage Puissances du

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l’idée de revenu inconditionnel comme une dérive symétrique de l’idée de capital. Il montre que l’instauration d’un revenu de base constitue une régression par rapport à la cotisation sociale, car elle laisserait intact le marché du travail, et s’inscrirait seulement comme un correctif dans la domi-nation capitaliste.

Samuel Zarka, chercheur en phi-losophie à l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège, oppose au salaire universel qu’il défend, le revenu de base celui-ci conduirait à une situation où l’allocataire « n’a aucune maîtrise du quoi et du comment de la production, qui restent le fait du propriétaire du capital ».

Rudolf Steiner, dans ses travaux sur l’économie sociale [1975], propose de partir du « vrai prix » et non pas du revenu pour une société viable. Le « vrai prix » consisterait à ce que le prix de la production permette au travailleur de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille jusqu’à ce qu’il ait produit de nouveau. De plus, pour Steiner, nul ne devrait pouvoir accéder à la production des autres s’il ne produit pas lui-même. Ainsi un revenu de base inconditionnel ne prend en compte ni les besoins réels du travailleur par l’établis-sement du «  vrai prix  », ni la nécessité de travailler pour pouvoir prétendre accéder à la production du travail des autres.

Il est intéressant de noter que le ministre des Finances Michel Sapin s’était prononcé contre l’instauration du revenu de base universel, mais avec des argu-ments libéraux, en affirmant que cela pourrait être une incitation à l’oisiveté plus qu’à l’activité.

Origines théoriques et

historiques du revenu de

base

Thomas More, auteur de Utopia (1516), semble à l’origine de cette idée. Juan Luis Vives, son contemporain, inspira les Poor

Laws, en Angleterre. L’Américain

Thomas Paine est l’instigateur du salaire minimum de vie (SMIV), à l’époque de la révolution amé-ricaine. Dans son livre Agrarian

Justice (1797), Paine évoqua l’idée

d’une dotation inconditionnelle pour toute personne (homme ou femme) accédant à l’âge adulte et

d’une pension de retraite incon-ditionnelle à partir de 50 ans. Il s’inspirait alors des expériences amérindiennes en matière de partage et d’attribution des terres. Selon lui, « les hommes n’ont pas créé la Terre. C’est la valeur des améliorations uniquement, et non la Terre elle-même, qui doit être la propriété individuelle. Chaque propriétaire doit payer à la com-munauté un loyer pour le terrain qu’il détient. » Thomas Spence, en Angleterre, mêle les réflexions de Paine à celles du socialiste utopique français Charles Fourier. Dans son conte L’homme aux

qua-rante écus de 1765, Voltaire estime

la valeur locative de l’ensemble des arpents du royaume réparti entre tous ses sujets, à la somme de quarante écus. Son héros se débrouille tant bien que mal pour vivre avec cette somme : pauvre, certes, mais libre puisqu’affranchi de tout travail.

Une origine de l’allocation univer-selle en 1848 peut être lue avec la publication de la Solution du

pro-blème social ou constitution huma-nitaire du philosophe belge Joseph

Charlier, inspiré par Fourier. John Stuart Mill a aussi défendu le concept d’une allocation univer-selle, dans sa seconde édition des

Principes d’économie politique, de

même que Condorcet, Bertrand Russel.

L’allocation universelle est aussi souvent présentée comme contre-partie à la propriété privée de la terre. Le philosophe anglais John Locke justifiait l’appropriation de biens communs (comme la terre) et le droit de propriété en déclarant que seul un propriétaire privé aurait intérêt à la mettre en valeur. En effet, selon Locke, le droit de propriété s’appliquerait uniquement au produit de son travail. Cependant, privatiser une terre implique d’exclure les autres êtres humains de l’accès aux ressources naturelles, si bien que, selon la « clause lockéenne », la justice commande d’indemniser les gens pour la perte de leur droit à se livrer à des activités telles que la chasse, la pêche, la cueillette ou encore l’extraction des ressources naturelles minérales. En effet, cette clause exige que, lorsque quelqu’un s’approprie un objet, il doit en rester, selon la formule de Locke, « suffisamment et en qualité aussi bonne en commun

pour les autres ». Ainsi, quelqu’un n’a pas le droit de s’approprier l’unique source d’eau dans un désert.

Pour contourner ce problème, Robert Nozick affirme ainsi que, dans un tel cas, l’appropriation ori-ginelle d’un bien commun ne peut se faire qu’à condition de com-penser les autres utilisateurs « de telle sorte que leur situation ne se détériore pas par elle-même ». Les travaux de Clifford Hugh Douglas (1924, 1933, 1979) avec le crédit social ou le dividende social poursuivent cette idée. Pour cet auteur, il ne s’agit pas de le financer par de la dette ni de lui allouer une valeur fixe, mais qu’il soit versé en création monétaire par la banque centrale pour assurer la création monétaire nécessaire en rapport avec la croissance de l’économie. Ainsi, il doit être nul en cas de décroissance.

Un étrange assemblage :

les partisans du revenu

de base

En France, on compte des hommes et femmes politiques, de Boutin à Villepin. Le revenu de base est défendu sous des appellations di-verses par des universitaires et des militants, des hommes et femmes d’affaires et des syndicalistes, des formations politiques de droite et de gauche, des mouvements so-ciaux et des organisations non gou-vernementales, des altermondia-listes… Mais il est surtout défendu par des « libertariens ». Et huit prix Nobel dont une grosse poignée de néoclassiques notoires, Mil-ton Friedman, Friedrich Hayek, James Meade, Robert Solow. On compte également certains écono-mistes plus ou moins hétérodoxes : Maurice Allais, Herbert A. Simon, James Tobin.

Bibliographie

– Mateo Alaluf [2014], L’allocation

universelle, nouveau label de préca-rité, Couleur livres, ULB, livres,

Bruxelles.

– Guillaume Allègre [2013],

Com-ment peut-on défendre un revenu de base ?, OFCE, décembre 2013,

textes sur <ofce. sciences-po. fr>. – Les notes de l’OFCE, n° 39, 19 décembre 2013.

– Marc de Basquiat [2012][PDF],

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redis-co nom ie et po lit iq ue /jui lle t-a oût 2 01 6/74 4-74 5

tributif complexe : une modélisation de l’allocation universelle en France,

réduction de la thèse en économie soutenue le 30 novembre 2011 à Aix-en-Provence, janvier 2012. – François Blais, Un revenu garanti

pour tous : introduction aux prin-cipes de l’allocation universelle,

Boréal, 2001.

– Yoland Bresson, Le Revenu

d’exis-tence ou la Métamorphose de l’être social, L’esprit frappeur, 2000.

– Yoland Bresson, Une clémente

économie ; au-delà du revenu d’exis-tence, L’Esprit Frappeur, 2008.

– Antonella Corsani, « Quelles sont les conditions nécessaires pour l’émergence de multiples récits du monde ? Penser le revenu garanti à travers l’histoire des luttes des femmes et de la théorie féministe », in Multitudes, n° 27, 2007, texte sur <multitude. sami-zdat. net>.

– Clifford Hugh Douglas, Social

Credit, Institute of Economic

De-mocracy, Canada (1924), 1933, 1979.

– Jean-Marc Ferry, L’Allocation

universelle. Pour un revenu de citoyenneté, Paris, 1995, Éditions

du Cerf, collection « Humanités », réédition 2015.

– Bernard Friot, Puissances du

salariat, La Dispute [2008 ; 2012].

– Bernard Friot, « Le salaire uni-versel : un déjà-là considérable à généraliser », revue Mouvements, n° 73, La Découverte, 2013. – Bernard Friot, L’Enjeu du salaire, La Dispute, 2012.

– Groulx L-H., Revenu

mi-nimum garanti. Comparaison internationale, analyses et débats,

Presses de l’Université du Qué-bec, collection « Problèmes so-ciaux et interventions sociales », 2005.

– Albert Jorimann et Bernard Kundig, BIEN Suisse, Le

Finance-ment d’un revenu de base incondi-tionnel, Éditions Seismo, Zurich,

2010.

– Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet, Anne-Isabelle Veillot, Un projet

de décroissance. Manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autono-mie, 2013.

– John Locke, Les 2 traités du

gou-vernement civil, 1690.

– Jacques Marseille, L’Argent des

Français, chap. 32, Éditions Perrin,

2009.

– Thomas More, Utopia, 1516, en français, L’utopie, GF, Flammarion 1987.

– Baptiste Mylondo, Un revenu

pour tous ! Précis d’utopie réaliste,

Édi-tions Utopia, collection « Contro-verses », 2012.

– Baptiste Mylondo, Pour un revenu

sans condition ; garantir l’accès aux biens et services essentiels, Éditions

Utopia, collection « Controverses », novembre 2012.

– Robert Nozick, Anarchie, état et

utopie, PUF, 1974, trad. française,

1988, 2016.

– Tom Paine, Agrarian Justice, 1797. – Serge Paugam (Sous la direction de), Repenser la solidarité, PUF, 2007.

– Rapport du CNUM, Travail,

Emploi, numétique, janvier 2016.

– Vanderborght Yannick et Van Parijs Philippe, [2005] L’allocation

universelle, coll « Repères », La

Découverte.

– Philippe Van Parijs, Qu’est-ce

qu’une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie poli-tique, Le Seuil, 1991, p.142 .

– Voltaire,L’Homme aux quarante

écus, 1765. 

l faut bien se résigner à en convenir, quelque position que l’on tienne à son égard, la question du revenu uni-versel (RU) – celle donc d’un revenu minimum, alloué à chacun sans contrepartie de travail exigée, permettant de couvrir les besoins de base – est désormais relancée et de toutes parts mise sur la table. Ce n’est pas le moindre des para-doxes qu’elle l’ait été, en France, à l’occasion de la remise, le 6 janvier dernier, d’un rapport : « Travail, emploi, numérique : les nouvelles trajectoires » par le Conseil

natio-Faut-il un revenu universel ?

Jacques Rigaudiat

Le revenu universel, ou

quel que soit son nom,

est de nouveau dans l’air

du temps. Il est nécessaire

de faire le point de ce qui

est ainsi proposé sous une

étiquette apparemment

unique et d’établir

clairement l’ambiguïté

native de la proposition.

Ensuite, de chercher les

raisons de ce renouveau

pour, enfin, démêler ce

qu’on en peut penser.

nal du numérique (CNM) à la ministre du Travail. « Décorréler revenu et travail », comme il est ainsi proposé, était, en effet, jusqu’à présent une question sou-levée par les seuls utopistes de la « question sociale » 1 : une réponse

alléguée à la pauvreté. C’est désor-mais une solution proposée par ses représentants officiels aux problèmes structurels d’un secteur économique de pointe ! Il est, par ailleurs, désormais question d’instaurer un RU, en Finlande comme dans certaines villes des Pays-Bas. En Suisse, elle vient tout

1. Parmi les plus récents ouvrages en date sur ce sujet portant ce point de vue, cf. : B. Mylondo, Un revenu pour tous. Précis d’utopie réa-liste, Utopia, 2010.

I

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juste d’être rejetée par 77 % des votants lors d’une votation qui s’est tenue le 5 juin dernier ; mais pour pouvoir se tenir, ce scrutin a au préalable recueilli plus de 100 000 signatures qui lui étaient favo-rables. En France, la Fondation Jean Jaurès, proche de la droite du PS, vient de traiter cette question2.

Actualité, intellectuelle tout autant que pratique, du sujet, donc. D’ailleurs, pour s’en tenir à la France, on peut très légitimement se demander si le RMI et son successeur le RSA n’en sont pas des formes d’esquisses, ou de cari-catures : tout en étant insuffisants3

dans leur montant pour que l’on puisse seulement prétendre qu’ils permettent de couvrir les besoins fondamentaux, ils en appliquent néanmoins – quoique très diffé-remment comme on va le voir ci-après – le principe général : tous sont concernés, dès lors du moins que leur revenu est considéré insuffisant.

Face à cette actualité et à cette nouvelle donne, il est nécessaire d’abord de faire le point de ce qui est ainsi proposé sous une étiquette apparemment unique4 et d’établir

clairement l’ambiguïté native de la proposition ; ensuite, de bien com-prendre ce qui est à l’origine de ce renouveau ; pour, enfin, essayer de démêler dans cet écheveau ce que l’on peut éventuellement en penser.

Des propositions

politiquement ambigües

L’enfer, c’est bien connu, est pavé de bonnes intentions ; on peut sans difficulté en dire de même du RU qui, dès son origine, se donnait dans deux versions très différentes. La première est celle (ultra)libérale de « l’impôt négatif », portée dès le début des années soixante du siècle précédent par Milton Friedman5,

le père de l’École de Chicago et du monétarisme. Sur le fond sa philosophie peut être résumée en peu de mots : loi de la jungle économique partout : abolition de toute législation et de toute régula-tion, mais filet ultime et minimal de rattrapage pour les personnes. Comme son nom l’indique, cette mesure vise à assurer à chacun un revenu minimum, sous la forme d’un différentiel entre le montant de l’impôt sur le revenu personnel qui doit être acquitté et celui de

ressources qui est garanti. Si je ne paie aucun impôt, je reçois l’inté-gralité du montant de ce revenu garanti ; si je paie l’impôt, celui-ci est minoré de ce même montant, je ne paie que la différence et si le différentiel entre les deux est néga-tif (soit un impôt à payer inférieur au montant garanti), je le perçois. Compte tenu de la difficulté pra-tique de la mesure dès lors qu’elle doit, de par son principe fondateur même, être mise en regard de la fiscalité des personnes et implique peu ou prou sa réforme, elle n’est désormais plus guère mise en avant : comment, pour ne donner que cet exemple, imaginer un impôt négatif en France, alors que la moitié des foyers fiscaux ne paie pas d’IR ?..

Même si cette voie est donc délais-sée, on en retiendra néanmoins que, quelle que soit la forme qui en est proposée, le RU peut s’attacher à une vision libérale, voire, comme avec M. Friedman, résolument ultralibérale. Méfiance donc. La seconde voie est celle du RU proprement dit : chacun se voit individuellement accorder un mon-tant donné qui lui est garanti à vie. Au-delà de sa pureté principielle, la diversité même de ceux qui portent cette proposition, comme celle de leurs propositions concrètes, porte à y regarder de plus près, de très près même. Pour ne prendre que la situation française actuelle, en dehors de l’étiquette RU, que peut-on bien trouver de commun entre G. Koenig6 fondateur du très

libéral « think tank » « Génération libre » et B. Friot et son « salaire à vie » ? Rien.

Que penser au demeurant de l’association récente de Frédéric Lefebvre (député LR et ancien ministre de N. Sarkozy) et de Delphine Batho (députée PS et ex-ministre frondeuse de F. Hollande) qui, lors de l’examen du projet de loi « Pour une République numé-rique », ont conjointement déposé des amendements demandant au gouvernement un rapport sur la faisabilité du RU ?

Derrière les bonnes intentions affi-chées par ses tenants, la question du RU est donc source de confu-sion. Pour pouvoir éventuellement discriminer les propositions entre elles, pour essayer de sortir de cette ambiguïté, qui est on le voit quasi permanente sur le sujet, il

faut donc d’abord examiner de près le cadre dans lequel elles sont formulées.

Les deux pierres

d’achoppement du RU

Par sa définition même, le RU est une mesure universelle, elle est ainsi censée s’appliquer à tous – sans rupture dans l’espace de la répartition des revenus et sans considération de statut des personnes – ; elle est, par ailleurs, constitutive d’un revenu, il s’agit ainsi d’une allocation versée sous forme monétaire. Ceci est la base commune à toutes les propositions sans exception.

Ces principes généraux et géné-reux étant posés, arrivent alors les difficultés pratiques, et avec elles viennent les formulations restrictives !

La question du financement

La difficulté la plus évidente, la plus immédiate, est bien sûr celle de son coût et de son financement. Appliqué à la lettre, un RU visant à couvrir minimalement les besoins (disons, pour faire simple, 1 000 € nets par mois) de chacun (soit 66 millions de personnes) repré-sente un coût très important (en l’espèce, 792Md€, le 1/3 du PIB, globalement l’équivalent approxi-matif de l’ensemble des dispositifs de protection sociale). La première tentation est donc d’en rabattre financièrement. Les échappatoires possibles, et donc les propositions, sont ici nombreuses, mais, pour l’essentiel, elles s’inscrivent dans trois dimensions, qui peuvent, au demeurant, se cumuler entre elles : – le RU vient se substituer, entiè-rement ou partiellement, au dis-positif de protection sociale. Le RU n’étant pas véritablement « en plus », son coût « net » en est donc d’autant limité. L’instauration d’un RU n’est alors qu’un levier pour mieux démanteler la Sécurité sociale et plus encore l’indemni-sation du chômage. C’est l’objet même de sa version ultra libérale ; – le montant de l’allocation est réduit. Le RU ne permet donc plus de réellement couvrir les besoins minimaux des personnes. Ce qui rend nécessaire l’exercice d’une activité pour les assurer correctement ;

– la population concernée est limitée dans son champ aux seules

2. Le revenu de base, de l’utopie à la réalité, Fon-dation Jean Jaurès, 22 mai 2016. 3. Le montant du RSA est actuellement de 524,68 par mois pour une personne seule, alors que le SMIC à temps plein est de 1 141 € nets. 4. Le Monde Diplomatique a

donné une syn-thèse intéres-sante du sujet, il y a quelques années : « Revenu garanti, une utopie à portée de main », Le Monde Diplomatique, mai 2013. Il vient tout récemment de récidiver : « Le revenu garanti et ses faux amis », Le Monde Diplomatique, juillet 2016. On ne peut que conseiller au lecteur intéressé de se rapporter à ces deux dossiers. 5. M. Fried-man, Capi-talisme et liberté, Leduc’s édition, 2010, initialement paru en 1962. 6. Gaspard Koenig, avec M. de Bas-quiat, Liber, un revenu de liberté pour tous, éditions de l’onde, Paris 2014.

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personnes socialement considérées comme pauvres, donc situées sous un seuil de revenu. Le RU n’est alors plus universel et l’on se trouve, par exemple, dans le cas de figure du RSA, ce qui ouvre alors à une autre difficulté…

Le RSA, dont j’ai dénoncé dès sa mise en place le risque de dérive qu’il représentait7, illustre

tristement désormais ces trois possibilités qu’il cumule. Outre que, de par sa définition même, il est limité sous condition de res-sources et donc aux seuls pauvres et que son montant est – et de très loin – inférieur à ce qui peut être considéré comme un minimal vital (cf. l’analyse de ce point ci-après), une disposition récente en a encore renforcé le contenu libéral. Le vote, en février dernier, de la loi sur « l’expérimentation de zones zéro chômage » vient, en effet, permettre depuis le 1er juillet,

date de son entrée en vigueur, « de réallouer les dépenses publiques d’indemnisation et de solidarité liées au chômage vers le finance-ment de l’embauche en CDI de chômeurs de longue durée ». Très explicitement, donc, nous est ainsi annoncé que l’indemnisation du chômage servira à… payer les salaires à la place des employeurs ! Certes, ceci nous est servi sous couvert des meilleures intentions du monde : à titre expérimental, dans la seule économie sociale et solidaire, pour des CDI et à destination des chômeurs de longue durée. Mais il n’y a que le premier pas qui coûte : une expé-rimentation a toujours vocation à être d’abord étendue, ensuite généralisée.

Le rapport au salaire et au travail

La seconde difficulté est de loin la plus importante et elle est de taille : pris à sa lettre, les principes du RU sapent ni plus ni moins que les fondements mêmes de la société marchande capitaliste, telle du moins que nous la connaissons. L’obtention d’un revenu sans aucune contrepartie d’activité est, en effet, soit le prix du risque individuel dans une société sans protection sociale et sans aucune autre garantie vitale – il n’y a alors plus de société, rien que des individus qui coexistent ; soit, à l’inverse, celui d’une solidarité collective totalement aboutie –

qui s’apparente à la vision du communisme réalisé ! C’est ce qui explique qu’un auteur comme B. Friot puisse mettre en avant le concept de « salaire à vie » et ainsi prendre le risque de frayer avec M. Friedman et son « impôt négatif », avec lequel, on en conviendra volontiers, il a assez peu de points communs !!! Deux noms pour une notion similaire, mais pourtant deux conceptions radicalement opposées de la société souhaitable. Au niveau des principes affichés, le RU est supposé mettre en œuvre une déconnexion totale entre activité (ou pas) et rémunération. C’est ce qu’assument les tenants, tous les tenants – ultralibéraux ou radicaux – conséquents du RU, mais ils achoppent alors, on l’a vu, sur la question du financement. Dans son intégrité, le RU est à proprement parler une utopie, au demeurant ambiguë. Disons-le clairement : même si elDisons-le est intellectuellement conséquente, cette conception du RU n’a pas d’avenir pratique.

Dans tous les autres cas de figure, qui sont ceux de sa mise en œuvre pratique, les versions que l’on qualifiera de « rabougries » du RU, dont le RSA est la figure emblématique, cette rupture est concrètement battue en brèche. Qu’il s’agisse d’en limiter le montant ou/et de restreindre le champ de ses bénéficiaires, il faut bien en tout état de cause alors organiser la coexistence de ceux qui le perçoivent et de ceux qui n’en sont pas bénéficiaires. C’est la question dite de la « trappe à pauvreté ». Si le montant du RU est, par exemple, de 1 000 € par mois, pourquoi accepterai-je de travailler dans des petits boulots aux salaires proches du SMIC ? Dans ce cas, en effet, travailler ne me rapportera rien, car ce que je gagnerai par mon travail me fera perdre le RU. Dans ces conditions, dans l’espace du mon-tant de revenu garanti, pourquoi devrais-je travailler ?

C’est pourquoi, pratiquement, dès lors que le RU ne peut s’appli-quer dans sa pureté originelle – et il ne le peut jamais – il faut le compléter par deux principes additionnels. Le premier, impli-cite mais bien présent, est celui de « moindre éligibilité » : l’allocation ne doit pas « dés-inciter » au tra-vail, elle permet la survie, pas une

7. Sur ces points, cf. J. Rigaudiat, « Le RSA, une solution ou un problème », Revue de l’Uniopss, juillet 2007 ; « Faire face à l’insécurité sociale : RSA ou sécurité sociale pro-fessionnelle », Droit social, janvier 2009 ; « RSA : une réforme en faux-sem-blants », Esprit, février 2009.

Au niveau

des principes

affichés, le RU

est supposé

mettre en œuvre

une déconnexion

totale entre

activité (ou pas)

et rémunération.

C’est ce

qu’assument

les tenants,

tous les tenants

ultralibéraux

ou radicaux –

conséquents

du RU, mais

ils achoppent

alors, on l’a vu,

sur la question

du financement.

Dans son

intégrité, le RU

est à proprement

parler une

utopie, au

demeurant

ambiguë.

Disons-le

clairement :

même si elle est

intellectuellement

conséquente,

cette conception

du RU n’a

pas d’avenir

pratique.

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