C. CHEVALET D. BOICHARD
INRA Laboratoire de
Génétique
cellulaire BP 27 31326 Castanet-Tolosan Cedex*
INRA Station de
Génétique quantitative
etappliquée
78352Jouy-en-Josas
CedexApports actuels et futurs des
marqueurs génétiques dans
l’amélioration des populations
animales
Sélection assistée par
marqueurs
Résumé.
L’utilisation de marqueursgénétiques poly morphes
en améliorationgénétique
des animaux est discutée dans deux situations : dans unepopulation
issue du croisement entre deux racesbien
différenciées,
ou dans le cadre d’une sélectionintra-familiale.
Engénéral, il y
aurait peude gain
àespérer
parrapport
à la sélection surperformances
pour des caractères d’héritabilité assez élevée etfaciles
à mesurer. En revanche cetteforme
de sélectionsemble indiquée
dans les cas suivants : sélectionprécoce
des candidats à lareproduction, optimisation
del’introgression
d’ungène
marqueur, contrôlede caractères faiblement
héritables oudifficiles
à mesurer. Dans le cas d’une sélectionintra-familiale
ilsemble que la combinaison d’une sélection sur
performances
avec une sélection sur marqueurs ne soitefficace
que si un trèspetit
nombre de marqueurs (un àtrois)
sont simultanémentpris
encompte.
Danstous les cas, les
effectifs
d’animaux à mesurer ou àtyper
demeurent du même ordrede grandeur
queceux nécessités par les contrôles sur
performances
habituels.La recherche de
gènes majeurs
et leur utilisation dans des programmesd’introgression
ou de croise-ments est une démarche ancienne et
toujours
d’actua-lité en
génétique appliquée,
notamment chez lavolaille. Par "sélection assistée par
marqueurs"
onenvisage
uneapproche plus globale,
mais aussi indi-recte pour
exploiter
unpolymorphisme génétique
révélé par
plusieurs
locus.Approche globale,
parcequ’on
admet d’emblée que des marqueurs nombreux sontdisponibles
etqu’on
ne se limite pas à unerégion
du
génome. Approche
indirecte parce que lepolymor- phisme
concerne des marqueurs apriori
neutres etnon des
gènes impliqués
dansl’expression
d’un carac-tère.
Pour utiliser comme critères de sélection les allèles
présents
chez les individus candidats à lasélection,
on doit
distinguer schématiquement
deux situations :ou bien une association a été établie entre certains allèles marqueurs et des allèles (non observables) de
gènes quantitatifs,
ou bien seule une information concernant laposition
degènes quantitatifs
estdispo-
nible. Le
premier
cascorrespond
à l’existence dedéséquilibres
de liaison obtenus par le croisement entre deuxpopulations
fortementdifférenciées ;
le second cas est celui réalisé à la suite d’une détection obtenue par desanalyses
intra-familiales.1 / Sélection assistée
dans
unepopulation issue
d’un croisement
1.1 / Principe
Les
premiers
travauxsupposant
l’existence d’undéséquilibre systématique
entreQTL
et marqueurs ont étéprésentés
par Soller et Beckman(1982,
1983).Récemment Lande et
Thompson
(1990) ont abordécette situation
plus précisément,
en considérant unepopulation
obtenue par le croisement entre deuxlignées,
races oupopulations
suffisamment diffé- rentes. Ilsenvisagent
simultanément la localisation de marqueurs liés à desQTL,
et la sélection des indi- vidus selon les allèlesqu’ils portent
aux locus mar-queurs dans les
régions responsables
de la variabilité des caractèresquantitatifs.
Dans unpremier temps
une
analyse statistique
parrégression (progressive)
cherche à
expliquer
la valeur des caractères par les allèles marqueurs. Les locusqui
contribuentsignifi-
cativement
indiquent
laposition
desQTL.
Si la carteest assez
dense,
un tri des locus marqueurs doit être fait pour éviter des redondances entre marqueursproches.
Aux allèles des marqueurs retenus sont alors attachées des valeurscorrespondant
à leurscontributions
(apparentes)
au caractère. Pourchaque
individu on peut alors calculer une valeur
génétique
en sommant les contributions des allèles
qu’ils
por- tent : cette valeur constitue l’index selonlequel
lasélection est
pratiquée.
1.2 / Résultats théoriques
L’efficacité de cette méthode est évaluée par le rap- port de la
réponse
attendue d’une sélection selon unindex combinant les marqueurs et les données quan-
titatives,
à laréponse
attendue selon un index calculéd’après
les seulesperformances.
Cette efficacité rela- tive est d’autantplus
faible que l’héritabilité du caractère estplus grande.
Ainsi chez les Bovins la sélection pour laproduction
de lait selon un index surdescendance ne verrait pas son efficacité améliorée par
l’usage
de marqueurs (Chevalet et al 1984a). A lagénération suivante,
enrevanche,
la sélection desjeunes
taureaux à mettre entestage,
faite actuelle- ment surascendance, pourrait
êtrecomplétée
par laprise
encompte
des allèles marqueurs reçus desparents. L’apport
de marqueurs estplus important
pour des caractères à faible héritabilité : dans ce cas en
effet,
dèsqu’un
allèle est reconnufavorable,
sonobservation chez un individu apporte une information bien
plus précise
que laperformance
individuelle.Cette tendance reste vérifiée dans le cas d’une sélec- tion combinée sur valeurs individuelle et familiale (tableau 1). Le
gain
deprécision
acependant
un coûtd’autant
plus
élevé que l’héritabilité estplus faible,
car un
plus grand
nombre d’individus doivent être élevés et testés. Lapartie
inférieure du tableau 1 où l’on suppose fixé le nombre d’individusdisponibles
illustre cette
restriction,
et montre l’incertitude deces
prédictions qui dépendent
du nombre deQTL.
1.3 / Discussion
Les
prédictions
de Lande etThompson reposent
sur
l’exploitation
d’undéséquilibre
initial entre locusmarqueurs et
QTL, qui s’estompe
au fil desgénéra-
tions. Par ailleurs la sélection induit des modifica- tions des effets
quantitatifs qu’on
attache aux allèles.Un autre
risque
à terme d’une sélection assistée par marqueurs est desélectionner,
avec unegrande
effi-cacité,
certains allèles favorables au moment de l’esti-mation,
au détriment d’autres allèles dont l’effet n’était passignificatif
parce quetrop
rares, ou dontl’effet,
soumis à des interactionsépistatiques,
peut devenir favorablequand
la constitutiongénétique
achangé
en d’autres locus. Pour remédier à ces fluctua-tions,
les auteurssuggèrent
deprocéder
à une ré-esti-mation
systématique
des effets des allèles mar-queurs, à
chaque génération.
2 / Sélection assistée
intra-population
Si,
dans unepopulation,
on doit admettre que les locus marqueurs et les locusquantitatifs
sont enéquilibre
deliaison,
seule uneanalyse
intra-familiale estpossible
pour localiser lesQTL.
On nepeut
alors attacher un effetquantitatif
à un allèle marqueur, sauf à l’intérieur dechaque
famille. Pour tirerparti
des marqueurs en
sélection,
onpeut
aussi modifier l’écriture des index de sélection en tenantcompte
de l’informationqu’ils apportent
sur les structures deparenté.
2.1 / Estimations intra-famille des effets des allèles
marqueursOn se
place
dans la même structureexpérimentale
que pour la détection des relations
marqueurs-QTL,
avec
plusieurs
familles de demi-frères. Dans la des- cendance d’unpère hétérozygote
en un marqueur, onpeut
alors estimer l’effetcorrespondant
à la substitu- tion d’un allèle parl’autre,
en classant les demi- frères selon l’allèle reçu dupère.
Parrapport
àl’expé-
rience de
détection,
la seule économie concerne lenombre de marqueurs à
prendre
encompte, puisqu’on
peut se limiter à ceux desrégions pertinentes.
Cette forme de sélection assistée nécessite les mêmes moyensexpérimentaux
que la sélection surperfor-
mances, avec des effectifs à
optimiser
pour maximiser legain
total attendu de la sélection surperformances
et sur marqueurs.
L’introduction de ces modifications a été formali- sée par Fernando et Grossman
(1989),
dans le cadre du BLUP et du Modèle Animal.L’apport quantitatif
reste à
évaluer,
et legain principal espéré porte
sur l’amélioration du choix des animaux de lagénération
suivante.
2.2 / Prise
encompte des
marqueursdans l’expression de la ressemblance
entreapparentés
On peut
imaginer
une autrefaçon
d’utiliser l’infor- mationapportée
par les marqueurs, sans chercher à estimer d’effets associés aux allèles danschaque
famille. A
proximité
d’un marqueur on connaitplus précisément
lesprobabilités
d’identité desgènes
que dans unerégion
nonmarquée :
dans une famille dedemi-frères issus d’un
père hétérozygote
[AB] en unlocus,
les individusqui
ont reçu A sontgénétique-
ment
plus proches
entre euxqu’avec
ceux de la mêmefamille
qui
ont reçu B. Ceuxqui
ont reçu le même allèle sontapparentés
comme despleins-frères,
tan-dis que ceux
qui
ont reçu des allèles différents sontnon
apparentés.
Ceci ne vaut que pour larégion
mar-quée
par celocus,
mais si desQTL
y sont situés et contribuent à uneproportion
p de la variancegéné- tique,
les corrélationsgénétiques
entre deux demi-frères de la famille valent :
0,25 (1-p)
+0,5
p , ou0,25 (1-p) ,
selonqu’ils
ont ou non reçu le même allèle marqueur. L’estimation de la valeurgénétique
d’undescendant de la famille aura alors trois ou
quatre
termes (valeur
individuelle,
valeur moyenne des indi- vidus ayant reçu le mêmeallèle,
valeur moyenne des individus ayant reçu un autreallèle,
et éventuelle- ment moyenne des individus dont l’allèleparental
estindéterminé),
au lieu de deux termes (valeur indivi- duelle et moyenne de famille).Selon cette idée on
peut
donc estimerplus précisé-
ment les valeurs
génétiques,
en calculant ces corréla-tions
génétiques
modifiées selon les marqueurs obser- vables. Dans le cas des familles dedemi-frères,
la méthode est vraisemblablementidentique
à celle deFernando et
Grossman,
elle est enprincipe générali-
sable à tout
type
deparenté
(Chevalet et al 1984b).2.3 / Discussion
Un facteur limitant des
analyses
intra-familiales est lepourcentage
de familles informatives où uneségrégation
des marqueurs est observable. Ce taux est d’autantplus
élevé que les marqueursdisponibles
sont
plus polymorphes.
Les effectifs nécessaires pour mettre en oeuvre une
sélection assistée
intra-population impliquent
autantde moyens que la sélection
quantitative,
parrapport
à
laquelle l’apport
des marqueurs semble minime pour des caractères d’héritabilité assezgrande.
Dansle cadre du
testage
surdescendance,
desgains signifi-
catifs peuvent être attendus pour la sélection
parmi
les descendants. L’index sur ascendance
permet
un choix entre lesfamilles,
mais non entre les descen- dants d’une même famille. La mesure d’effets atta- chés à des marqueurs, au sein dechaque
famille per- mettrait au contraire de mettre en oeuvre une sélec- tion intra-famille (tandis que les marqueurs ne peu- vent pas être utilisés pour une sélection entrefamilles).
Dans les deux
approches
les modificationssuggé-
rées ne semblent intéressantes que pour un ou deux marqueurs seulement. D’une
part
lacomplexité numérique
des calculs devientprohibitive
au delà dedeux marqueurs, dans la méthode de Fernando et Grossman. D’autre part, selon le deuxième
point
devue, on voit dans
l’exemple
d’une famille de demi- frères que, si l’on considèreplusieurs
marqueurs, la combinaison des différentes moyennes introduites selon les allèles transmis aux différentslocus,
tendrarapidement
vers la moyennegénérale
de la famille.Les modifications suscitées par les marqueurs sem-
blent donc
s’estomper quand
onaugmente
le nombre de marqueurs (tableau 2).Ces
quelques
indicationspréliminaires suggèrent
que dans une
approche intra-population,
si l’on nesuppose pas l’existence de
déséquilibre
deliaison,
seulement un ou deux marqueurspuissent
être utile-ment introduits pour améliorer les méthodes de sélec- tion. Ceci peut être intéressant pour des caractères dont le déterminisme
génétique
estgouverné
defaçon majoritaire
par un ou deuxgènes.
Conclusion
Dans une situation où existent
d’importants
désé-quilibres
deliaison, l’usage
de marqueursparaît
sus-ceptible
d’accroître trèssignificativement
laprécision
de l’estimation des valeurs
génétiques,
notammentpour les caractères à faible héritabilité. L’efficacité d’une sélection sur marqueurs
exige
néanmoins desprécautions :
une sélectiontrop rapide
en faveur decertains allèles
peut compromettre
laréponse
àplus long
terme ; enprésence
d’interactionsépistatiques,
la valeur
génétique
associée à un allèle peutchanger complètement
et même s’inverseraprès quelques générations ;
d’unefaçon générale
les effets associésaux allèles marqueurs doivent être contrôlés et rééva- lués
régulièrement
ou pour toutetransposition
d’unepopulation
à une autre.Sans
déséquilibre,
il semble que, pour êtreefficace, l’usage
de marqueurs doive se limiter à une seulerégion chromosomique,
à condition que celle-ci contri- bue defaçon importante
à la variancegénétique.
Surplusieurs générations
onpourrait
tenircompte
suc-cessivement de
plusieurs
marqueurs. Les perspec- tives concerneraient doncplutôt
des caractères pourlesquels
ungène &dquo;quasiment majeur&dquo;
estimpliqué, plutôt
que des caractèresgouvernés
par de nombreuxgènes
aux contributionséquivalentes.
Les méthodes
classiques
de lagénétique quantita-
tive sont très efficaces pour améliorer un ou deux caractères suffisamment héritables. Mais faute de
pouvoir
être mesuréséconomiquement
outechnique-
ment, d’autres caractères peu héritables ou considé- rés commesecondaires,
maisqui
interviennent dans l’économie desproductions,
ne sont que trèspartielle-
ment
pris
en compte. Le marquage degènes
interve-nant dans leur déterminisme
permettrait
d’exercerun contrôle certainement
plus efficace,
notammentpour des caractères sous contrôle
oligogénique
commeles résistances aux maladies.
Références bibliographiques
Chevalet C., de Rochambeau H., et Vu Thien Khang J.,
1984a. in : Insémination Artificielle et Amélioration
Génétique : Bilan et Perspectives critiques (J.M. Elsen et
J.L. Foulley, ed.), Les Colloques de l’INRA, Vol. 29 : 229-245, INRA Publ., Versailles.
Chevalet C., Gillois M., and Vu Thien Khang J., 1984b.
Génét. Sel. Evol., 16 : 431-444.
Fernando R.L. and Grossman M., 1989. Genet. Sel. Evol.,
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Lande R. and
Thompson
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Applied
to Livestock Production (Madrid), Garsi ed., Vol. 6 : 396-404.Soller M. and Beckmann J.S., 1983. Theor.Appl. Genet., 67 :
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