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Observations sur le vocabulaire de la pédagogie médicale

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REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE

L

e vo c a b u l a i re médical français est souve n t influencé par la langue de Sh a k e s p e a re. A côté de termes empruntés tels quels à l’anglais existe toute une série de mots qui ont une consonance bien française mais qui sont employés dans un sens qu’ils n’ont, en réa- lité, qu’en anglais. Ces « f a u x - a m i s » représentent en fait la majorité des anglicismes médicaux1. Le vo c a b u l a i re fran- çais de la pédagogie médicale subit-il la même influence ? Le premier Fo rum international francophone de pédago- gie médicale, tenu à Québec du 18 au 20 mai 2000, a fait la pre u ve de la vitalité de cette discipline tant au Qu é b e c q u’en Eu rope et en Afrique francophones. On peut pré- sumer que le recueil des textes des présentations à ce f o rum pro c u re un échantillon représentatif d’écrits en p rovenance de divers pays ayant le français en partage. Or, en le parcourant, on constate quelques exemples de l’ i n- fluence que peut exe rcer la langue anglaise sur notre vo c a- b u l a i re, certains flagrants, d’ a u t res plus subtils, d’ a u t re s e n c o re franchement discutables mais qui ne sont pas moins dignes d’ i n t é r ê t .

Commençons par une expression que la plupart des fran- cophones identifieront sans doute comme un anglicisme : l’emploi d’études prégra d u é e s (de l’anglais u n d e r g ra d u a t e) et d’études post-graduées (postgraduate) pour études de p remier cyc l e. Contrairement à l’anglais to gra d u a t e, le verbe g ra d u e r n’a plus, en français actuel, le sens d’ « o b t e- nir un diplôme » qu’il a d’ a b o rd eu au XVes i è c l e2. Vo i l à un exemple re l a t i vement simple.

Les choses sont moins claires pour ce qui est du mot é d u- c a t i o n. Faisons-nous de l’éducation médicale, de la f o rm a- tion médicale, ou les deux expressions sont-elles équiva- l e n t e s ? Peut-on, en part i c u l i e r, parler d’ « é d u c a t i o n médicale continue » ? Les dictionnaires ne s’entendent pas sur le sens, plus ou moins large, que l’on doit donner au mot é d u c a t i o n. Renald Legendre, dans son D i c t i o n n a i re actuel de l’ é d u c a t i o n3, propose comme définition à la fois

« acquisition des bonnes manière s ; politesse, savo i r -

v i v re ; bonne conduite en société» et «formation et infor- mation reçues par une personne durant ses années d’ é t u d e s ». À l’entrée f o rm a t i o n, il précise que ce dernier terme, qu’il a d’ a b o rd défini comme l’ « ensemble des connaissances théoriques et pratiques qui ont été acquises dans un domaine donné », désigne en fait « un aspect de l’éducation, celui de la re c h e rche d’une organisation interne, chez le sujet, composée d’une diversité de déve- l o p p e m e n t s ». Enfin, Legendre établit une distinction e n t re éducation continue, «éducation structurée qui fait suite à la période de scolarité obligatoire jusqu’à inclure l’éducation supérieure », et formation continue, «[…] tous types et formes d’enseignement ou de formation poursui- vis par ceux qui ont quitté l’éducation formelle […], qui ont exe rcé une profession ou qui ont assumé des re s p o n- sabilités d’adultes dans une société donnée ( U N E S C O ) »3. En anglais, le sens du mot e d u c a t i o n semble à la fois plus clair et plus large, et l’on n’hésite pas à parler de adult education et de continuing education4. On peut se demander si le flou sémantique qui entoure le terme éducation en français ne s’explique pas justement par une influence de l’anglais. Il semble à tout le moins admis que la f o rmation initiale du médecin se situe dans le p rolongement de l’ é d u c a t i o n d’un jeune adulte et qu’ e l l e peut donc bel et bien reposer sur une pédagogie médicale, l’a n d ra g o g i e ne s’ a d ressant, elle, qu’à des adultes dont la formation générale a été de courte durée, toujours selon L e g e n d re 3. Toutefois, dans le cas de médecins déjà en e xe rcice, il paraît nettement préférable de parler de f o r- mation médicale continue.

Un troisième terme illustre bien le fait qu’il peut être dif- ficile de dire, dans certains cas, si l’on a affaire à un angli- cisme ou non. Il s’agit des habiletés (au pluriel) du futur médecin. Au singulier, le mot h a b i l e t é a souvent le même sens que l’anglais s k i l l, mais cette correspondance entre les deux termes existe-t-elle aussi au pluriel ? En anglais, on re n c o n t re souvent s k i l l s ( « a learned power of doing some-

Observations sur le vocabulaire de la pédagogie médicale

Serge QUÉRIN

Service de néphrologie - Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal - 5400, boul. Gouin Ouest - Montréal (Québec) H4J 1C5 Canada - Tél. : 514-338-2883 - Fax : 514-338-2182 - Adresse électronique : querins@videotron.ca

Article disponible sur le site http://www.pedagogie-medicale.org ou http://dx.doi.org/10.1051/pmed:2000003

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PÉDAGOGIE MÉDICALE - Novembre 2000 - Volume 1 - Numéro 1PÉDAGOGIE MÉDICALE - Octobre2000 - Volume 1 - Numéro 1

thing competently, a developed aptitude or ability ») 4, mais en français l’emploi du mot h a b i l e t é s au pluriel est plus inusité. En fait, il n’est guère mentionné dans les dic- t i o n n a i res de langue que pour désigner les actes, les pro- cédés habiles eux-mêmes, les habiletés d’un métier p a r e xe m p l e5. On tro u ve aussi l’ e x p ression habiletés manuelles, donnée comme correcte dans un dictionnaire des angli- c i s m e s6, contrairement à habilités manuelles (inspiré de l’anglais manual ability), une h a b i l i t é ne pouvant être , bien entendu, qu’une aptitude légale7. Toutefois, le mot h a b i l e t é s ne semble pas pouvoir désigner en français toute forme de savo i r - f a i re, comme dans la définition de s k i l l s donnée ci-dessus, en particulier lorsqu’il s’agit d’ a p t i t u d e s a u t res que manuelles ou techniques. Dans le langage cou- rant, il n’est pas plus naturel de parler d e s habiletés d’ u n e personne que de s e s intelligences ou de s e s p e r s p i c a c i t é s . Mais, curieusement, le vo c a b u l a i re pédagogique se m o n t re accueillant pour divers types d’ « h a b i l e t é s » que l’on cherche à inculquer à un élève ou à un étudiant : habiletés d’ é c r i t u re, de lecture, langagières, métacognitive s , m o t r i c e s3. Le vo c a b u l a i re de la pédagogie médicale ne fait pas exception, comme le montrent les textes des présenta- tions faites à Qu é b e c : habiletés cognitives, techniques, cli- n i q u e s ; habiletés relationnelles, communicationnelles, inter- personnelles, de consultation. Po u rtant, n’y a-t-il pas une nuance à respecter entre certains actes ou procédés médi- caux qui nécessitent une dextérité, une habileté p a rt i c u- l i è re (ex., certains gestes de nature chirurgicale), d’ u n e p a rt, et toute une série de compétences cliniques et re l a- tionnelles que doit acquérir et développer le futur méde- cin, d’ a u t re part ? A cet égard, si l’on re c h e rche dans les bases de données MEDLINE et ERIC quel terme des auteurs francophones ont choisi en contre p a rtie du mot s k i l l s qui apparaît dans la version anglaise du titre de leur a rticle, on tro u ve beaucoup moins souvent h a b i l e t é s q u e s a vo i r - f a i re, compétences, aptitudes, capacité(s) et d’ a u t re s termes plus spécifiques (motricité pour motor skills, pro- duction écrite ou o ra l e pour w r i t i n g ou speaking skills, a l p h a b é t i s a t i o n pour l i t e racy skills, techniques de tra va i l pour w o rk skills, et j’en passe). Au forum de Québec, des auteurs français ont cru bon de mettre le mot h a b i l e t é s e n t re guillemets dans le titre de leur affiche, puis de parler de c o m p é t e n c e s, communicationnelles en l’ o c c u r re n c e , dans leur résumé 8. Le moins que l’on puisse dire est que beaucoup de francophones hésitent à employer le mot h a b i l e t é s là où en anglais ils auraient recours à s k i l l s. En cela, ils semblent d’ailleurs avoir l’appui d’un dictionnaire anglais-français réputé 9et de l’ Office de la langue fran- çaise du Québec 1 0, ni l’un ni l’ a u t re ne proposant h a b i l e-

tés comme traduction de s k i l l s au pluriel. Les pédagogues p a rticipent-ils à la promotion d’un anglicisme séman- tique, ou sont-ils simplement les premiers acteurs d’ u n banal glissement de sens, comme cela est fréquent dans l’ é volution d’une langue vivante, l’influence de l’ a n g l a i s n’étant qu’ a p p a re n t e ? On peut en débattre, et ce bre f exposé n’a d’ a u t re ambition que d’ a l i m e n t e r, justement, sinon un débat, à tout le moins une réflexion.

D ’ a u t res termes pourraient sans doute faire l’objet d’ u n e d i s c u s s i o n : feedback, management, expertise, opport u n i t é s , médecine de famille (familiale), standards, débriefing, staff, challenge, développement (de nouveaux outils de forma- tion), i n i t i e r (une formation), pour ne citer que des e xemples encore une fois tirés du recueil des textes des présentations au forum de Québec. Sur un ton plus léger, on pourrait aussi souligner certains régionalismes (de bon aloi) qui font, par exemple, des m a î t res de stage de Fr a n c e et de Belgique des p a t ro n s (de stage) au Québec. La publi- cation de Pédagogie médicale n’ o f f re-t-elle pas l’ o c c a s i o n d’échanger sur ce vo c a b u l a i re que nous avons en commun ou qui, parfois au contraire, nous distingue d’un pays francophone à un autre ?

Références

1. Quérin S. Dictionnaire des difficultés du fra n ç a i s médical. Sa i n t - Hyacinthe. Edisem et Pa r i s : Ma l o i n e , 1 9 9 8 .

2. D i c t i o n n a i re historique de la langue fra n ç a i s e . Pa r i s : Dictionnaires Le Ro b e rt , 1 9 9 8 .

3. L e g e n d re R. Dictionnaire actuel de l’ é d u c a t i o n . Mo n t r é a l : Guérin et Pa r i s : Es k a , 1 9 9 3 4. Me r r i a m - We b s t e r’s Collegiate Dictionary, [En

ligne], (2000). [www. m-w. com/cgi-bin/dictiona- ry] (16 juillet 2000)

5. Le petit Ro b e rt, version hybride PC/Ma c i n t o s h , [ C é d é rom]. Pa r i s : Dictionnaires Le Ro b e rt , 1 9 9 6 . 6. Fo rest C, Boudreau D. Dictionnaire des angli-

cismes. Le Colpron. Lava l : Beauchemin,1999.

7. Le petit Larousse illustré. Pa r i s : Laro u s s e , 1 9 9 9 . 8. Blanchet F, Reschwarg D, Cricks B, Ma i l l a rd D.

L’ a p p rentissage des « h a b i l e t é s » communication- nelles dans le cursus préclinique des études

m é d i c a l e s : une expérience pilote à la faculté Xavier Bichat (Paris 7). Affiche présentée au Fo rum inter- national francophone de pédagogie médicale, Québec, 18-20 mai 2000.

9. Le Ro b e rt & Collins Se n i o r, Dictionnaire fra n ç a i s - anglais anglais-français, 3eédition. Pa r i s :

D i c t i o n n a i res Le Ro b e rt, 1993.

10. Office de la langue française, [En ligne], (2000).

[ w w w. olf. gouv. qc. ca] (22 juillet 2000).

Références

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