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Sous les pavés, la plage ! L'urbanisme au risque des loisirs

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Sous les pavés, la plage ! L'urbanisme au risque des loisirs

MATTHEY, Laurent

Abstract

En un peu plus d'une trentaine d'années, les villes sont devenues des destinations légitimes d'un certain tourisme de masse. Parallèlement, elles se transforment, pour leurs habitants, en lieux d'exploration permettant d'en découvrir des aspects méconnus et exotiques. À un autre niveau, des activités autrefois réservées à des intérieurs se déversent sur l'espace public : on y expose des œuvres d'art, on s'y consacre aux activités sportives, on y joue du piano.

Lentement, les loisirs colonisent la ville, modifiant notre manière d'y vivre. Or cette colonisation n'est pas spontanée. Elle est l'œuvre de stratégies territoriales, de politiques urbaines. Si celles-ci accroissent la qualité de vie des ensembles urbains de ce début de 21ème siècle, elles participent aussi d'une forme d'intensification de l'usage de l'espace public. Plus fondamentalement, elles transforment les manières de faire l'urbanisme et de produire du territoire.

MATTHEY, Laurent. Sous les pavés, la plage ! L'urbanisme au risque des loisirs. Les Cahiers de l'ASPAN , 2016, vol. 2, p. 4-7

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:90185

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4 LES CAHIERS DE L’ASPAN N° 2/2016 LA VILLE DES LOISIRS

SOUS LES PAVÉS, LA PLAGE ! L’URBANISME

AU RISQUE DES LOISIRS

Laurent Matthey 1 Ambiance festive et espace

public, Zurich (©David Gaillard).

2 Affiche « Lausanne sur mer 2013 », Lausanne, 2013.

3 Un dimanche matin au parc de Milan, Lausanne, 2013.

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En un peu plus d’une trentaine d’années, les villes sont devenues des destinations légitimes d’un certain1 tourisme de masse.

Parallèlement, elles se transforment, pour leurs habitants, en lieux d’exploration per- mettant d’en découvrir des aspects mécon- nus et exotiques. A un autre niveau, des activités autrefois réservées à des intérieurs se déversent sur l’espace public : on y expose des œuvres d’art, on s’y consacre aux activi- tés sportives, on y joue du piano. Lentement, les loisirs colonisent la ville, modifiant notre manière d’y vivre. Or cette colonisation n’est pas spontanée. Elle est l’œuvre de stratégies territoriales, de politiques urbaines. Si celles- ci accroissent la qualité de vie des ensembles urbains de ce début de 21e siècle, elles parti- cipent aussi d’une forme d’intensification de l’usage de l’espace public. Plus fondamenta- lement, elles transforment les manières de faire l’urbanisme et de produire du territoire.

L’arme des loisirs dans la compétition des métropoles

La concurrence des ensembles métropoli- tains explique beaucoup de cette conversion des villes à la société des loisirs de masse.

S’il s’est agi, concomitamment à l’émergence de liens étroits entre la mondialisation et le développement économique régional, d’opti- miser des facteurs propres à dynamiser la compé ti ti vi té des firmes, il est bien vite apparu que les qualités d’un territoire consti- tuaient elles aussi de forts attracteurs. Pour être compé ti tives, les métropoles ne peuvent plus se contenter d’être paramétrées comme de simples machines à produire. Elles doivent offrir ce qu’il est convenu d’appeler une qua- lité de vie. Celle-ci repose sur un certain

nombre d’aménités – c’est-à-dire des attributs qui rendent un territoire agréable – participant à ce que l’on a très tôt appelé une géographie du bien-être : espaces réservés aux pratiques corporelles, aires favorisant un moment de détente à proximité des lieux d’emploi, frag- ments de paysage permettant d’éprouver une émotion esthétique.

Il n’est ainsi guère étonnant qu’une approche économique de ces aménités ait été précocement développée. Si les qualités ter- ritoriales sont des facteurs d’attractivité éco- nomique, il convient de savoir lesquelles, sous quelles conditions et dans quelles proportions.

Cette approche par les qualités a trouvé ses gourous, tels que, par exemple, Richard Flo- rida qui, proposant une ville à destination de la « classe créative » en 2002, détaillait les attributs urbains propres à satisfaire les aspi- rations en terme de mode de vie de cette nou- velle élite pourvoyeuse de croissance. Or, ce mode de vie est singulièrement empreint d’un souci de soi (corps, culture) qui alimente une certaine économie des loisirs. De manière cir- culaire, développer cette économie permet de se positionner comme une aire de réception envisageable pour les élites de l’économie glo- balisée ou, au moins, d’éviter une « ringardisa- tion », annonciatrice d’un déclin potentiel.

De la production d’une qualité urbaine à la multi plication des situations de recréation de soi…

Hormis cette lecture par l’économie territo- riale, les principes de l’urbanisme durable ont été un puissant levier de la conquête de la ville par les loisirs. Ces derniers sont en effet appa- rus comme un moyen permettant de produire, sans investissements lourds, de la « qualité

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6 LES CAHIERS DE L’ASPAN N° 2/2016 LA VILLE DES LOISIRS

urbaine ». La volonté de réaliser la triade « den- sité-diversité-aménités », désormais inscrite au bréviaire de tout acteur de la fabrique urbaine, a favorisé la poursuite d’opérations permet- tant de rendre la ville un peu plus intense et dé paysante en multipliant, notamment, les aménagements provisoires dans les espaces publics. Des espaces longtemps réservés à un pur plaisir contemplatif2 ont ainsi été progres- sivement ouverts à des usages plus sensibles, au sens où ils impliquent la corporéité.

La reconquête récente des berges par de nombreuses villes est un des indicateurs de cette mutation. Désormais, les villes se rêvent balnéaires et s’attachent à rapatrier la logique de la plage dans des univers urbains, en ironisant le pied de la lettre des slogans de mai 1968 : « Sous les pavés, la plage ! ». Leurs espaces publics s’ouvrent à de nouveaux usages : on y pratique tai-chi ou yoga, on y affûte son corps en compagnie d’un coach, on profite des chaises longues mises à disposition dans les jardins publics dans le cadre d’opéra- tions mixant appropriation habitante et res- ponsabilisation des « jeunes »3 qui en assument la gestion (fig. 4). Manifestement, les poli- tiques urbaines s’hybrident : en s’attachant à requalifier l’espace ainsi qu’à produire du lien social, elles se muent en politiques de promo- tion des loisirs en ville.

Cette production de loisirs – en partie auto- gérés, en partie administrés – est d’autant plus nécessaire qu’il faut « refaire la ville sur la ville ». Dans la ville des métriques courtes, les espaces de récréation se multiplient, car ils sont les compléments nécessaires à une vie plus dense et intense. Les études urbaines

retrouvent ici les conclusions déjà anciennes des chercheurs spécialisés dans l’étude du tou- risme. Déjà à la fin des années 1980, certains d’entre eux4 expliquaient la naissance du phé- nomène touristique comme une contrepartie à l’élévation des rythmes de travail lors de la première révolution industrielle, le tourisme permettant une recomposition des corps épui- sés par le travail à la chaîne. L’intensification contemporaine des rythmes de travail, arti- culée au processus d’urbanisation et de den- sification, conduit sans doute les collectivités publiques à porter un souci particulier aux espaces permettant aux usagers de recompo- ser – rapidement – leurs forces, c’est-à-dire de se « recréer », pour reprendre un terme mobi- lisé par les chercheurs de l’Equipe MIT (Mobi- lité Itinéraires et Territoires) en 20025. Elles assurent ainsi les conditions d’une maximisa- tion – à des fins probablement productives – des situations de récupération à des habitants potentiellement au bord de la crise de nerfs, offrant ainsi des « instants de vacances » à proximité du domicile, c’est-à-dire au coin de la rue. Dès lors, une autre vision de la ville des loisirs se fait jour, ceux-ci devenant les sur- faces de compensation des espaces urbains, puisqu’elles garantissent les conditions d’une subsistance.

L’urbaniste est un gentil organisateur comme un autre

L’émergence de cette ville des loisirs tend à transformer le métier d’urbaniste. Le faiseur de ville et de territoire est désormais appelé à être tout autant un technicien du territoire qu’un animateur socioculturel ou qu’un créateur

4 Pancarte « Le parc Jeanne- Mance s’anime », Montréal, 2016.

5 Exposition « PAV le point 2013 », Genève, 2013.

(Sauf mention, tous les documents ont été produits par l’auteur.)

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d’events. Nous sommes ainsi peut-être au seuil d’une phase historique où émerge « un urba- nisme d’après l’urbanisme » questionnant le destin d’une profession qui, née avec la seconde révolution urbaine, est fonctionnellement liée aux politiques publiques réformistes et à une action sur la matérialité du corps urbain.

Faire de l’urbanisme, c’était alors pour- suivre la politique par d’autres moyens. Or, ce monde-là est peut-être en train de disparaître dans ce que d’aucuns ont appelé la dévoration du politique6 ou encore l’extension du domaine culturel7 : la légitimité du politique paraît en effet sérieusement entamée en raison de la fai- blesse de sa capacité de régulation et de la dis- parition d’une certaine idée de la souveraineté.

Dans le même temps, un autre mode de régula- tion du social se constitue, qui tend à renforcer l’efficacité du culturel aux dépens du politique.

L’orchestration de ces deux mouvements ouvre une ère que l’on pourrait être tenté d’appeler post-urbanistique. Question sociale et ques- tion urbaine sont désormais dissoutes dans un troisième terme, la question culturelle, qui doit permettre l’agencement de ces différents états sociétaux.

L’action urbanistique contemporaine se mue progressivement en une pratique plus culturelle que technique8. Ses interventions se font plus soft (on n’a sans doute jamais autant mobilisé la métaphore de l’acupuncture pour rendre compte d’une opération supposée transformer un territoire à partir d’un site), plus éphémères (on n’a jamais autant disposé de chaises lon- gues, bancs, pianos, jardinières pour tester la capacité d’un lieu à accueillir des usages ; on n’a jamais autant ouvert des bars d’une saison

ou d’une nuit, animé des événements pour dia- gnostiquer les qualités d’un lieu) et plus événe- mentielles (les grands projets sont désormais scénarisés, inscrits dans un storytelling et donnent lieu à de grands rassemblements ponc- tuels qui en rythment l’avancée).

Cette pratique plus culturelle que tech- nique de l’urbanisme amène à interroger cette discipline avec un nouveau regard. Il se pour- rait, en effet, que l’action urbanistique dans la ville des loisirs soit devenue en elle-même un support d’activités de loisirs puisque, désor- mais, elle s’expose, qu’on en visite les projets urbains, qu’on se déplace sur des orthophotos pour éprouver la ville à venir (fig. 5), comme si on jouait dans la ville miniature d’un parc à thèmes…

Laurent Matthey est professeur au Département

« Géographie et Environnement » de l’Université de Genève.

1 Puisqu’il est dit « urbain », dans la typologie des spécialistes du tourisme.

2 Qu’on se souvienne des pelouses sur lesquelles il était inter- dit de marcher ou bien encore de ces rives lacustres ou flu- viales n’offrant qu’un point de vue sur la possibilité de plaisirs aquatiques alors interdits.

3 Pour reprendre le vocabulaire de l’association (La Boîte à boulots) qui administre l’opération en question.

4 Jafari J., « Le système du touriste : modèles socio-culturels en vue d’applications théoriques et pratiques » in Society and Leisure, 1 (1), 1988, pp. 59-80.

5 Equipe MIT, Tourismes 1 : lieux communs, Belin, Paris, 2002.

6 Salmon C., La cérémonie cannibale. De la performance poli- tique, Fayard, Paris, 2013.

7 Masci F., L’ordre règne à Berlin, Allia, Paris, 2013.

8 Matthey L., « L’urbanisme qui vient. Usage des valeurs et du storytelling dans la conduite contemporaine des projets urbains (un exemple suisse) » in Cybergeo – Revue euro- péenne de géographie, en ligne, 2014.

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