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Entre «Le règne du dollar», que la revue Questions internationales décrypte

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Academic year: 2022

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TRIBUNE n° 1199

Dollar et Iran,

problématiques actuelles

Ancien ambassadeur, enseignant au Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS).

Dernier ouvrage : À la recherche de l’ordre mondial. D’où venons-nous ? (Éditions Apopsix, 2018, 468 pages).

Eugène BERG

E

ntre « Le règne du dollar », que la revue Questions internationales décrypte (n° 102 juillet-août 2020) et « L’Iran en quête d’équilibre », un copieux dossier de la revue Confluences Méditerranée (n° 113, été 2020), le lien est évident : c’est celui de l’application extraterritoriale des lois américaines qui per- mettent aux États-Unis de menacer de sanctions toute entreprise menant des acti- vités en Iran. Une pratique désormais bien connue et terriblement efficace qui a conduit la quasi-totalité des entreprises françaises à se retirer du pays des mollahs.

En fait, comme l’indique Serge Sur dans sa préface de Questions internationales, l’extraterritorialité est en l’occurrence une idée fausse. Si les entreprises doivent se soumettre à la loi américaine, c’est parce qu’elles sont actives aux États-Unis et ris- quent de se voir interdire d’y exercer, ce qui est pour elles un inconvénient majeur.

Il y a nulle extraterritorialité, parce que normes et sanctions ne s’appliquent qu’aux États-Unis, à partir de décisions prises sur leur territoire.

Du dollar

La riche collection d’auteurs réunis par Questions internationales décrit la genèse, le fonctionnement, les enjeux du système monétaire international actuel toujours dominé par le billet vert, le greenback, qui comme l’avait dit crûment John Connolly, le secrétaire d’État de Richard Nixon,

« c’est notre monnaie, mais c’est votre problème ».

Olivier Feiertag, professeur d’histoire économique à l’Université de Rouen, explique que ce système, éta- bli à Bretton Woods en 1944, s’il rétablissait formel- lement le Gold Exchange Standard de l’entre-deux- guerres, fut en fait un système basé sur l’étalon-dollar, car les États-Unis par simple lettre adressée au Fonds monétaire international (FMI) en 1947, déclarèrent qu’ils vendraient et achèteraient de l’or contre des dollars à 35,20 $ l’once (ou 1 $ = 0,89 gramme d’or) à toute banque centrale qui en ferait la demande.

Tout reposait sur l’étalon-dollar, qui était considéré PARMILESREVUES

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La fin de la convertibilité du dollar, événement capital dans l’histoire monétaire et économique du monde de l’après-guerre fut bien une des consé- quences de l’engagement américain au Vietnam, comme la perte de compétitivité de l’économie américaine. Au printemps 1971, on apprend une nouvelle dégrada- tion de la balance américaine des paiements allant de pair avec une hausse accélérée des prix intérieurs. Pour la première fois depuis 1895, les États-Unis enregistrent un déficit, non plus seulement de leur balance des paiements courants, mais aussi de leur balance commerciale. Désirant sauvegarder ce qui restait du stock d’or américain, le président Nixon dans sa déclaration du 15 août 1971, annonce la suspension de la convertibilité du dollar en or, l’imposition d’une surtaxe de 10 % sur les produits importés, sorte de dévaluation déguisée. Cet ensemble de mesures sonnait le glas du système monétaire international établi à Bretton Woods, mais en réalité prenait acte du décrochage économique américain. Le prix officiel de 35,20 $ l’once maintenu depuis 1934 devient donc, même pour les banques cen- trales, un prix fictif. Déjà des accents néoprotectionnistes se font sentir lorsque Richard Nixon déclare : « Je suis résolu à ce que le dollar ne soit plus jamais un otage entre les mains des spéculateurs internationaux. Il n’y a pas de raison que les États-Unis se battent avec une main attachée dans le dos ». L’annonce de la ferme- ture du guichet de l’or (closing of the gold window) de la Réserve fédérale (FED) représenta un choc de taille d’autant plus qu’elle n’avait nullement été préparée et qu’elle contrevenait aux règles régissant le FMI et les accords du Kennedy Round (1964-1967) conclus au sein de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le com- merce (GATT). Désormais le flottement est général. Et le prix de l’or s’envole, témoignant de la défiance générale à l’égard des monnaies : 50 $ l’once au début de 1972, 125 au milieu de 1973, près de 200 à la fin de 1974, en attendant de repartir vers de nouveaux sommets : 200 $ en juillet 1978, 400 en octobre 1979, 850 en janvier 1980… et près de 1 900 en 2020 !

Depuis on n’a cessé de parler du déclin du dollar, renforcé par la globalisa- tion du marché financier, les excès de l’ouverture et les limites des institutions à assumer leurs missions classiques (sur le plan financier, commercial, industriel, etc.). Cependant, si les crises qui ont accompagné cette dérégulation ont fait perdre à l’ordre de Bretton Woods, son fondement, ils n’ont guère ébranlé le règne du dollar. Les marchés financiers sont survoltés, les instances de régulation ne suivent plus leurs évolutions (bulles spéculatives, produits dérivés parfois toxiques), l’épargne se polarise dans le triangle de la prospérité ; par contre, les pays à déficit de financement en sont privés.

Dans ces conditions, quelles sont les perspectives de la Pax China ? Françoise Nicolas décrit la chronique (prématurée) de ce déclin annoncé du dol- lar : en effet, malgré la fantastique montée en puissance de l’économie chinoise, sa monnaie, le renminbi (ou yuan) ne figure qu’au cinquième rang pour les réserves

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de change détenues par les banques centrales, avec à peine 2 %, contre 61,8 % pour le dollar, 20,1 % pour l’euro, 5,6 % le yen japonais et 4,4 % la livre sterling.

Ce nouvel ordre, issu de la montée de la Chine, comme première puissance éco- nomique de demain, si l’on peut déjà l’imaginer, sera un ordre non hégémonique dont la puissance segmentée sera disputée au niveau sectoriel, au sein de la triade.

Toutefois la résilience américaine est manifeste comme l’expose Adrien Faudot, maître de conférences à l’Université Grenoble-Alpes, qui décline les déterminants de la domination internationale du dollar qui ne se résument pas au seul poids de l’économie américaine et à son système financier performant, mais aussi sur sa pré- sence dans les marchés stratégiques (pétrole, matières premières cotées à New York ou Chicago) et à la dimension idéologique de la monnaie internationale.

Pour sa part, Christian de Boissieu, économiste et professeur à l’Université de Paris I, considère que la FED qui gère la monnaie internationale est l’une des plus transparentes et responsables du monde. Pour l’heure, la résilience américaine demeure : le dollar assure 44 % des opérations de change, 63 % des émissions de dette, 59 % des prêts internationaux et 40 % des paiements internationaux par SWIFT (du nom d’une société de droit belge spécialiste des transactions finan- cières sécurisées). Aussi comme le montre Patrick Allard, consultant auprès du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’économie mondiale ne peut guère renoncer au dollar. La Pax China ne va donc pas créer un autre ordre ; bien au contraire, il va s’enraciner au sein de l’ancien désordre.

De l’Iran

« L’Iran en quête d’équilibre », le titre du numéro de Confluences méditer- ranéennes, interpelle. Que signifie-t-il en effet ? Que le régime est à la recherche de la stabilité, qu’il aspire à normaliser ses relations avec

ses voisins, à être pleinement reconnu pour ce qu’il est, une puissance régionale, installée, ayant des amis et des points d’appui au Moyen-Orient ? L’image de ce pays reste toujours trouble dans les médias occi- dentaux qui l’ont dépeint, alternativement, comme un futur eldorado pour les grandes multinationales, un État « terroriste » ou une destination touristique de rêve. D’où l’objectif des auteurs d’en livrer un por- trait dans toute sa complexité, qui va du cinéma au nucléaire, en insistant sur les dimensions régionales, l’engagement en Syrie et en Iraq, relations malaisées avec les monarchies du Golfe. Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite, à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), et Clément Therme, docteur en histoire internationale

TRIBUNE

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moins jusqu’à la révolution islamique. Cela consistait à maintenir l’équilibre entre indépendance et isolement du pays sur la scène internationale. C’est bien la perte d’équilibre introduite par l’idéologie khomeyniste qui a transformé l’Iran en puis- sance régionale empêtrée dans ses contradictions entre impératifs idéologiques et contraintes économiques et géopolitiques. Qu’en est-il donc ?

Au premier chef sont analysées les relations entre l’Iran et les grandes puissances mondiales (États-Unis, Russie, Chine), ce qui constitue un panorama intéressant mais somme toute incomplet, rien n’étant dit sur les relations avec l’Europe (Grande-Bretagne, Allemagne) et le délicat affrontement irano-israélien n’est pas abordé directement, mais seulement sous ses incidences (nucléaire, Syrie…). Agnès Levallois, maîtresse de conférences à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), au terme de sa rétrospective des relations américano- iraniennes, conclut que la politique de Trump de « pression maximale » n’a conduit qu’à une résistance maximale et d’une capacité de nuisance évidente dans un rapport de force asymétrique. Il est vrai que l’isolement complet de l’Iran, tel que recherché par l’Administration Trump, avant le scrutin présidentiel du 3 novembre 2020, sera difficile à instaurer. D’un autre côté, la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn, qui devrait être suivie d’autres reconnaissances de l’État hébreu, processus encouragé, sinon orchestré par Washington, représente un revers pour Téhéran.

Igor Delanoë, directeur-adjoint de l’Observatoire franco-russe (Moscou), remet la relation Russie-Iran dans son épaisseur historique et la décline dans ses dimensions régionales. Ce n’est ni un « partenariat sélectif », ni une « entente tac- tique », ni une « alliance de circonstance ». Est-ce, pour autant, une compétition coopérative, comme il l’avance, d’ailleurs sous réserve d’inventaire ? La grande différence entre ces deux partenaires, outre leur poids spécifique, est que seule la Russie entretient un dialogue – plus ou moins suivi et plus ou moins profond avec tous les acteurs régionaux et toutes les puissances impliquées sur le théâtre moyen- oriental –, ce qui est hors de portée pour l’Iran.

En passant en revue la relation Chine-Iran, Thierry Kellner, enseignant à l’Université libre de Bruxelles (ULB), montre bien que la première est un partenaire utile pour la seconde, mais que cette relation doit tenir compte des relations entre la Chine et les États-Unis. Sur ce point, un durcissement des rapports Pékin- Washington pourrait favoriser un rapprochement plus poussé entre la Chine et l’Iran dont les relations sont loin de se cantonner aux hydrocarbures et au nucléaire.

Sans en faire un carrefour des routes de la Soie, l’Iran représente un enjeu de taille pour les infrastructures, l’exploitation minière, les armements et même la pêche (cf. Quentin NOUGUÉ, « Les accords de pêche Iran-Chine : des liaisons dange- reuses », Tribune n° 1197), 4 septembre 2020) des perspectives qui pourraient

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peut-être ne pas être entièrement accueillies avec joie par Moscou. En tout cas, en s’intégrant comme elle l’a fait à l’Organisation de coopération de Shangaï (OCS), Téhéran a montré qu’elle s’est dotée d’une politique à l’Est, appelée à durer et s’approfondir.

Clément Therme se livre à une analyse serrée du nucléaire iranien vu de France, dont on ne perçoit pas très bien les conclusions. Peut-on, en effet, affirmer que celle-ci s’est, en définitive, soldée par un échec ? Est-il conforme à la réalité de croire que la France a prétendu jouer un rôle d’intermédiaire entre Washington et Téhéran ? Certes, Emmanuel Macron a cherché à faire « un coup » en réunissant Trump et Rohani autour d’une même table à New York, en 2018, mais il ne s’est pas agi pour Paris d’essayer de jouer un rôle spécifique, mais de tout faire pour sau- vegarder les acquis de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA) de juillet 2015.

Nous n’avons guère évoqué tous les thèmes examinés dans ce recueil, qui ne manquent pas d’intérêt : la stabilisation des frontières du pays au XIXe siècle, l’approche du constitutionnalisme en Iran, religion et pouvoir – un thème central car il permet de mieux comprendre les liens entre les chiites iraniens et les Alaouites syriens (qui ont reçu leur lettre de noblesse par les cléricaux iraniens, ce qui les a aidés à asseoir leur pouvoir après le coup d’État de Hafez el-Assad de 1970). Un intéressant article porte sur la diaspora iranienne qui, aux seuls États- Unis, approche le million.

L’Iran est bien toujours en quête d’équilibre, tant qu’elle ne l’aura pas éta- bli durablement chez elle, aucun équilibre ne pourra être instauré au Moyen- Orient. Le triangle Bosphore–détroits d’Hormuz et de Bab-el-Mandeb, n’est pas près de laisser dormir tranquille, politiques, stratèges, militaires, entrepreneurs… w

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