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Cancer et tabac: impossible est devenu français

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Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

12 février 2014

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en marge

Albert Camus a écrit de solides véri tés sur la justesse des mots et le malheur du monde.1 Il en va de même avec la hiérarchisation. Ne pas hiérarchiser les priorités de santé publique c’est, pour un res- ponsable politique, prendre de bien grands risques. Des risques devant l’Histoire, ce qui est une chose. Des risques devant son miro ir, ce qui en est une autre.

François Hollande, président de la République française, lisait, il y a quelques jours, le discours que ses «conseillers santé» lui avaient préparé. Les tambours républi- cains avaient donné et les multiples représentants des médias, convo- qués, étaient bien là. Il s’agissait de lancer avec pompes et solennité le troisième volet (2014-2018) du

«Plan Cancer». On désigne ainsi, en France, une opération quadrien- nale qui vise à mieux organiser la lutte collective contre ce fléau ; un fléau que le politique et l’opinion désignent toujours au masculin – et ce contre l’évidence physio- pathologique.

Le «Plan Cancer» est une redou- table grille de lecture. Le politique y est comme piégé : il se doit de dire que le cancer n’est pas une fata lité, qu’il peut être vaincu ; en jouant notamment sur les compor- tements et sur l’environnement.

Deux leviers réunis avec la consommation de tabac ; tabac quintessence de la problématique politique-cancer. C’est dire si, il y a quelques jours à Paris, on pouvait attendre au virage le président de la République française. Une atten te d’autant plus grande que ce leader issu du socialisme et aujourd’hui social-démocrate s’exprimait avec, en volutes de fond, la révolution que constitue, dans le monde des addictions, l’engouement croissant pour la cigarette électronique.

L’épidémiologie permet ici de résu- mer. Chaque année, les cancers tuent en France et de manière pré-

maturée près de 150 000 person- nes. Le principal tueur est connu.

C’est le tabac, officiellement tenu pour être le «premier facteur de risque évitable». C’est aussi une drogue légale hautement fiscalisée au pouvoir addictif considérable.

Résumons. La consommation de tabac est responsable de près de 30% des décès par cancer. Elle est à l’origine de près de 90% des

cancers du poumon, de plus de 50% des cancers des voies aéro digestives supérieures (bouche, lary nx, pharynx, œso- phage), de 40% des can- cers de la vessie et de 30% des cancers du pancréas. L’inhalation des fumées goudronnées de tabac est aussi impliquée dans les cancers des voies urinaires et du rein, du col de l’utérus, de l’estomac, de certaines leucémies, des cancers de l’ovaire, du côlon et du rectum et du sein.

Le tabac est également respon- sable de nombre de maladies car- diovasculaires et pulmonaires. Au total, 66 000 décès prématurés par an sont imputables au tabac en France – dont 44 000 par cancers.

Le constat officiel ne masque nulle- ment la réalité. Il nous dit qu’en France, la consommation de tabac atteint des niveaux préoccupants, particulièrement chez les jeunes, les personnes précaires et les femmes. Le niveau d’usage récent (avoir fumé au moins une fois dans le mois) parmi les jeunes Français de quinze à seize ans est plus élevé que ne l’est la moyenne européenne (38% contre 28%). Le développe- ment de la dépendance au tabac survient d’autant plus rapidement que l’initiation est précoce ; or, l’âge moyen d’initiation est actuelle- ment de treize ans en France. On rappellera, pour mémoire, que la vente des produits du tabac est inter dite aux personnes âgées de moins de dix-huit ans.

«Cette augmentation s’explique notam ment par les stratégies de marketing de l’industrie du tabac, qui ont fait des jeunes une de leurs cibles privilégiées en multipliant leurs canaux de promotion indi- recte via les médias, les mécénats et les parrainages d’événements

sportifs ou culturels, explique (benoî tement ?) l’Institut national français du cancer. Cette augmen- tation s’explique aussi par la facilité avec laquelle les mineurs peuvent encore accéder au tabac. L’inter- diction de vente aux moins de dix- huit ans, en vigueur depuis 2009, est insuffisamment respectée, comme l’a souligné la Cour des comptes en 2012.»

Il existe donc bien une «exception»

ou plus précisément un «retard»

français. Un retard qu’il faudra rédui re. «Pour réduire le nombre de cancers liés au tabac dans les prochaines décennies, il est impé- ratif de rattraper le retard français»

soulignent, redondants, les auteurs et arbitres du Plan. Objectif officiel : diminuer d’un tiers la prévalence du tabagisme et ainsi atteindre le seuil de 22% de fumeurs à échéance du Plan. Cet effort mettra la France en situation de passer sous la barre des 20% de fumeurs dans les dix ans et pourra ainsi sauver près de 15 000 vies chaque année.

Comment atteindre cet objectif am- bitieux ? Nous sommes en France,

pays du jacobinisme. Un «Pro- gramme national de réduction du tabagisme» sera bâti. Il sera «fina- lisé avant l’été 2014», et ce «après une phase de concertation avec les parties prenantes». Ce Pro- gramme national reposera sur quatre grands principes : dissuader

«l’entrée dans le tabagisme pour éviter que celui-ci ne touche les enfants et ne s’installe chez les jeunes» ; faciliter son arrêt ; mener une politique des prix cohérente avec l’objectif de santé publique ; associer les buralistes à cette démar che. Ce Plan sera piloté par le ministre de la Santé. Les actions seront inscrites dans la future loi de Santé publique.

Y croire ? Un chapitre vient doucher les espérances. On sait que plus de la moitié des fumeurs présen tent une dépendance au tabac. Mais on sait aussi que plus de la moitié des fumeurs réguliers déclarent avoir envie d’arrêter de fumer. Pourtant, selon une enquête internationale («International Tobacco Control»), ils ne sont, en France, que 27,5% à avoir reçu des conseils pour cesser

Cancer et tabac : impossible est devenu français

… ce leader issu du socialisme s’exprimait avec, en volutes de fond, la révolution que constitue l’engouement croissant de la cigarette électronique …

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1 «Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde» a écrit Albert Camus, qui a aussi écrit «Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou». Ou encore «L’absurde ne déli vre pas, il lie», une citation reprise comme un avertissement donné par Donna Tartt aux lecteurs de son dernier ouvrage. Un ouvrage hypnotique : Le chardonneret.

Collection Feux Croisés. Paris : Plon – traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Edith Soonckindt, 2014.

de fumer par leur méde cin. Ces résul tats situent la France à l’avant- dernière place des dix-sept pays participant à cette enquête. «Il est donc nécessaire de sensibiliser et mobiliser les professionnels de santé au repérage et à la prise en charge du tabagisme, et de leur fournir des outils pour améliorer leurs interventions» souligne le Plan.

Il est d’autre part amplement démon tré que la prise en charge finan cière par la collectivité des

traitements, associée à un accom- pagnement au sevrage tabagique (consultations de sevrage taba- gique, coaching, etc.) est l’une des stratégies de santé publique les plus coût/efficientes. Consé- quence logique : «l’un des axes de la réduction de la prévalence taba- gique doit donc être l’accompagne- ment des fumeurs dans leur déci- sion de sevrage». En France, cela permettra d’améliorer l’efficacité du dispositif actuel, dont la Cour des

Comptes dit que son organisation est «à la fois mal identifiée et dis- persée».

En réalité, il n’y a pas de «disposi- tif» d’aide au sevrage. Ce dernier est à la charge de cet esclave nico- tiné qu’est le fumeur. Seule excep- tion : un montant plafonné annuel de 50 euros accordé après avoir actionné une machinerie adminis- trative assez complexe. On annonce aujourd’hui un «triplement» (de 50 à 150 euros) du montant annuel du forfait de sevrage tabagique. Mais cette mesure ne concernera que

«trois populations particulièrement exposées et souhaitant s’arrêter de fumer». Il s’agit ici des «jeunes de 20 à 30 ans» ; des «bénéficiaires de la Couverture Maladie Univer- selle» et des «patients atteints de cancer».

Vous avez bien lu : la collectivité natio nale française aidera désor- mais les cancéreux à ne plus fume r. A une hauteur plafonnée à 150 euros. Par an.

«Il n’y a pourtant aucune fatalité liée au tabagisme : les Etats-Unis, pays grand producteur de tabac,

sont passés sous la barre symbo- lique des 20% de fumeurs, les Angla is en sont proches et les Austra liens, qui ont instauré récem- ment les paquets neutres, sont à 16%» peut-on lire dans le texte expli catif du Plan Cancer. Ici le pourtant est terrible. Il sonne comme sonnent parfois les lapsus.

Il nous dit l’exacte vérité : il y a, en France, une acceptation du taba- gisme. La social-démocratie peut, elle aussi, être malade du fata- lisme.

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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