• Aucun résultat trouvé

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires"

Copied!
21
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

LUSSI BORER, Valérie, RIA, Luc

LUSSI BORER, Valérie, RIA, Luc. Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires. In: Lussi Borer, V. et Ria, L. Apprendre à enseigner . Paris : Presses Universitaires de France, 2016. p. 235-250

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:116495

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Valérie Lussi Borer Luc Ria

Apprendre

à enseigner

(3)

Collection « Apprendre »

Codirigée par Étienne Bourgeois et Gaëlle Chapelle

Autres titres parus dans cette collection :

Étienne Bourgeois et Gaëtane Chapelle (dirs.), Apprendre et faire apprendre, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2006.

Gaëtane Chapelle et Denis Meuret (dirs.), Améliorer l’école, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2006.

Benoît Galand et Étienne Bourgeois (dirs.), (Se) motiver à apprendre, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2006.

Vincent Dupriez et Gaëtane Chapelle (dirs.), Enseigner, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2007.

Michel Fayol et Jean- Pierre Jaffré (dirs.), Orthographier, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2008.

Denis Bédard et Jean- Pierre Béchard (dirs.), Innover dans l’enseignement

supérieur, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2009.

Gilles Brougère et Anne- Lise Ulmann (dirs.), Apprendre de la vie quotidienne, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2009.

Gaëtane Chapelle et Marcel Crahay (dirs.), Réussir à apprendre, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2009.

Bernadette Charlier et France Henri (dirs.), Apprendre avec les technologies, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2009.

Fabrizio Butera, Céline Buchs et Céline Darnon (dirs.), L’évaluation, une menace ?

,

collection « Apprendre », Paris, PUF, 2011.

Étienne Bourgeois et Gaëtane Chapelle (dirs.), Apprendre et faire apprendre,

collection « Apprendre », Paris, PUF, 2011 (2

e

éd. mise à jour).

Benoît Galand, Cécile Carra et Marie Verhoeven (dirs.), Prévenir les violences

à l’école, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2012.

Étienne Bourgeois et Marc Durand (dirs.),

Apprendre au travail,

collection « Apprendre », Paris, PUF, 2012.

Étienne Bourgeois et Sandra Enlart (dirs.), Apprendre dans l’entreprise, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2014.

Marc Durand, Denis Hauw et Germain Poizat (dirs.), L’apprentissage

des techniques corporelles, collection « Apprendre », Paris, PUF, 2015.

ISBN 978-2-13-061896-6

Dépôt légal – 1re édition : 2016, janvier

© Presses Universitaires de France, 2016 6, avenue Reille, 75014 Paris

(4)

Sommaire

INTRODUCTION : Apprendre à enseigner ... 9 UNE CHARTERÉDACTIONNELLE ... 18

Première partie :

Connaître le travail enseignant

Chapitre 1 : Enseignants et élèves. À la recherche d’un monde commun, PATRICK RAYOU ... 23 QUESTIONS À Isabelle Collet, présidente fondatrice de l’Association de recherche sur le genre en éducation et formation ... 30 Chapitre 2 : Apprendre à ne pas sourire avant Noël, MARC DURAND ... 35

UNDISPOSITIFREMARQUABLE Apprendre collectivement à évaluer les appren- tissages des élèves ... 40

Chapitre 3 : Apprendre du développement professionnel des enseignants débutants, LUC RIA... 49

VUDAILLEURS Diversification des tâches, complexification et intensification du travail du métier enseignant ... 52

Chapitre 4 : Apprendre aux enseignants à faire apprendre les élèves,

ANDRÉE TIBERGHIEN... 63 VUDAILLEURS Les formats pédagogiques classiques : entre confort et effi- cacité ? ... 66 Chapitre 5 : Enseigner en lycée professionnel, un double défi, AZIZ JELLAB ... 77 ENCHIFFRES L’origine sociale des professeurs des lycées professionnels ... 80 UNDISPOSITIFREMARQUABLE L’expérience de l’IUT LUMIERE : du choix de l’alternance à l’enrichissement de la compétence des enseignants ... 82

Deuxième partie :

Des outils pour apprendre le travail enseignant

Chapitre 6 : La formation des maîtres d’école en France dans la longue durée,

ANNE- MARIE CHARTIER ... 93 QUESTIONS À MAURICE TARDIF, Professeur à l’Université de Montréal ... 102

Chapitre 7 : Des outils pour saisir la complexité des objets à enseigner et des pratiques d’enseignement et de formation, JOAQUIM DOLZET ROXANE GAGNON... 107

VUDAILLEURS Apprendre à enseigner par l’observation de vidéos : quelques questions clés ... 118

Chapitre 8 : Vers des dispositifs de formation hybrides en enseignement, FLORIAN MEYER ET ERIC SANCHEZ ... 125

UN DISPOSITIF REMARQUABLE Concevoir un environnement de formation, l’exemple de la plateforme NéoPass@ction ... 132

(5)

UNDISPOSITIFREMARQUABLE Une expérience de formation à distance avec la plateforme Néopass@ction ... 136 Chapitre 9 : Apprendre par la vidéoformation : quelles modalités pour quels apprentis-

sages ?, SERGE LEBLANC ... 141 UNDISPOSITIFREMARQUABLE L’utilisation de l’outil vidéo dans un dispositif de formation initiale d’instituteurs préscolaires ... 144 Chapitre 10 : Les entretiens de stage, lieux de construction de savoirs professionnels des

enseignants ?, KRISTINE BALSLEV ... 155 UNDISPOSITIFREMARQUABLE Possibilités et limites de la supervision péda- gogique pour la formation à l’enseignement ... 160 Chapitre 11 : Former les futurs enseignants : prendre en compte leur rapport au métier,

OLIVIER MAULINI ... 169 UNDISPOSITIFREMARQUABLE La vidéoformation dans un collège d’éducation prioritaire ... 174

Troisième partie :

Se développer professionnellement

Chapitre 12 : Entre sclérose et plasticité professionnelle : se développer tout au long de sa carrière, FRANÇOISE LANTHEAUME ... 181

ENCHIFFRES Les démissions d’enseignants ... 186 Chapitre 13 : L’enquête collaborative comme démarche de transformation de l’activité

d’enseignement : de la formation initiale à la formation continuée, VALÉRIE LUSSI BORERET ALAIN MULLER ... 193

VU DAILLEURS PRIMAS : Faire évoluer les pratiques d’enseignement en mathématiques et en sciences vers la démarche d’investigation ... 196 UN DISPOSITIFREMARQUABLE Le Réseau Maison des Petits, la constitution d’un espace commun de réflexion ancrée dans la recherche et la formation des enseignants ... 200 Chapitre 14 : Apprendre à devenir formateur d’enseignants : vers une nouvelle profession-

nalité, SYLVIE MOUSSAYET GUILLAUME SERRES ... 209 UN DISPOSITIFREMARQUABLE Former à des fonctions d’accompagnement à large échelle : le cas des conseillers pédagogiques dans le premier degré ... 212 Chapitre 15 : Activités typiques et dilemmes des formateurs d’enseignants, SÉBASTIEN

CHALIÈS ... 221 UNDISPOSITIFREMARQUABLE Améliorer la planification d’une séquence d’en- seignement viable ... 224 UNDISPOSITIFREMARQUABLE Accompagner les étudiants en stage quand on est superviseur : investigation des gestes professionnels partagés ... 228 Chapitre 16 : Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires,

VALÉRIE LUSSI BORERET LUC RIA... 235 VUDAILLEURS Appropriation indigène des méthodes d’analyse de l’activité enseignante ... 246 LISTEDESAUTEURS ... 251

(6)

Chapitre 16

Apprendre

à travailler à

plusieurs dans

les établissements scolaires

Valérie Lussi Borer et Luc Ria

L

a figure traditionnelle de l’enseignant seul dans sa classe face à ses élèves est en train de se modifier peu à peu pour laisser place à la figure composite d’un professionnel exerçant dans un établissement scolaire, confronté à une recrudes- cence de partenaires diversifiés et travaillant de plus en plus fréquemment avec les autres enseignants hors de la présence des élèves et parfois, mais plus rarement, en leur présence »1. Pour Marcel et ses collaborateurs, cette évolution est clairement repérable dans la plupart des systèmes éduca- tifs et elle affecte l’ensemble de l’exercice professionnel en modifiant les tâches qui incombent à l’enseignant, appelé ainsi à mettre en œuvre de nouvelles pratiques profession- nelles. Les enseignants sont ainsi amenés à travailler avec de nombreux acteurs constituant une communauté éducative élargie : travail à plusieurs dans la classe, avec d’autres ensei- gnants ou avec des partenaires éducatifs ayant différentes fonctions d’aide des élèves à besoins particuliers (assistants de vie scolaire, assistants spécialisés, etc.), mais aussi dans de multiples situations professionnelles hors classe (entre- tiens individualisés avec les élèves, coordinations entre les niveaux primaire/secondaire), etc.

«

(7)

Apprendre à enseigner 236

Ces chercheurs décrivent trois niveaux d’articulation des actions qui se déploient entre les membres d’une même équipe éducative. La coordination consiste en une articu- lation indirecte avec d’autres acteurs sans que l’ensemble des membres ne soit réuni dans un même lieu de travail. Il s’agit par exemple, de la coordination d’une équipe éduca- tive pour une même classe sans que les actions de chacun soient directement liées ou interdépendantes. La collabora- tion se caractérise quant à elle par l’interdépendance engen- drée par le partage d’un espace, d’un temps de travail et de ressources. Pour dépasser la simple co- présence ou co- habitation dans un même lieu, celle- ci nécessite le dévelop- pement de pratiques d’échange, de facilitation, d’entraide, de prises de décision autour d’un même projet. Elle requiert un ajustement mutuel des enseignants par une communica- tion fonctionnelle. Pour finir, la coopération consiste en une modalité d’interaction encore plus exigeante : elle concerne les situations professionnelles dans lesquelles les actions des enseignants sont mutuellement dépendantes. Ces der- niers doivent agir ensemble, articuler et ajuster leurs actions pour répondre aux caractéristiques de la situation, de leurs élèves et à leurs objectifs.

De cette typologie des différentes modalités de travail à plusieurs dans la classe ou en dehors découlent deux points de réserve. Le premier concerne la difficulté de construire les conditions et les modalités nécessaires au travail à plusieurs.

Celle- ci n’est pas une pratique forcément intuitive et si facile à instaurer pour des professionnels. Ils ont davantage l’habi- tude d’effectuer leur travail de manière solitaire (notamment dans le secondaire). Si la coordination des pratiques peut se prescrire, la collaboration et la coopération entre ensei- gnants requièrent bien davantage la construction de repères communs, pour que chacun des acteurs conserve une crédi- bilité et une fonction particulière au sein de l’équipe éduca- tive. Le second point de réserve concerne les effets possibles de la collaboration et de la coopération sur la liberté péda- gogique des enseignants et sur la latitude qu’ils ont sur la gestion de la discipline et des contenus d’enseignement pro- posés aux élèves : les acteurs, dans leurs coordinations avec d’autres personnels, vont- ils pouvoir conserver leur identité professionnelle et leur complémentarité ?

Ce chapitre a pour projet de montrer que ces situations de travail à plusieurs sont d’autant plus porteuses d’appren- Trois niveaux

d’articulation des actions se déploient entre les membres d’une même équipe éducative

(8)

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

237

tissage2 que leur fonctionnement s’approche de la coopé- ration, que ce soit pour les élèves qui en bénéficient ou pour les membres de l’équipe éducative qui les organisent et les animent. Pour en témoigner, mais aussi pour identi- fier les limites de ce double apprentissage, nous analyserons trois études de cas : a) une situation de co- analyse post- observation des modalités d’intervention en milieu difficile entre une enseignante expérimentée et une débutante dans le secondaire (français), b) une situation de co- intervention entre un enseignant expérimenté et un enseignant débutant dans le secondaire (mathématiques) et c) une situation de co- enseignement en mathématiques au primaire dans le cadre du dispositif « Plus de maîtres que de classe » du minis- tère français de l’Éducation nationale. Ces cas illustrent comment les situations de collaboration et de coopération nécessitent un changement des normes d’intervention pour chacun des protagonistes et le développement d’une culture professionnelle commune.

L’enjeu plus large de ce chapitre est de montrer que la for- mation des enseignants ne s’interrompt pas au début de leur prise de fonction mais, bien au contraire, se poursuit voire s’intensifie sur le lieu même du travail. Dans cette perspec- tive, l’établissement peut constituer « une nouvelle aire de professionnalisation » de la communauté éducative encore apprenante.3

Cas 1 : Co- analyser une situation de classe entre expérimenté et débutant

L’interaction se déroule dans un collège classé en édu- cation prioritaire de la région parisienne réputé pour ses conditions d’enseignement difficiles. Une enseignante- ressource (ER), professeure expérimentée de français et co- responsable d’un programme d’accompagnement des nouveaux enseignants dans le même établissement4, est venue observer une enseignante débutante (ED) de français qui éprouve des difficultés à instaurer des conditions favo- rables à la mise au travail de sa classe de sixième. ER a enregistré à partir d’une tablette quelques extraits de l’inter- vention de sa jeune collègue, directement en lien avec le

Les situations de collaboration et de coopération nécessitent un changement des normes d’intervention pour chacun des protagonistes

(9)

Apprendre à enseigner 238

thème de travail prédéfini : « la mise au travail des élèves en début de cours ». Toutes les deux s‘efforcent de décrire et d’analyser la situation professionnelle en question en vision- nant les extraits vidéo et selon les principes éthiques et les modalités méthodologiques de l’enquête collaborative (voir le chapitre de Lussi Borer et Muller dans cet ouvrage).

ER sollicite sa jeune collègue : « Qu’est- ce que tu perçois en regardant la vidéo ? ». Celle- ci décrit la situation présente et l’expérience régulièrement vécue en début de cours avec cette classe très agitée : « Ben, c’est surtout le fait qu’ils sont très bruyants… Je n’arrive pas à les faire se calmer et donc ils rentrent en trombe, j’ai du mal moi… Des fois je les retiens, j’aimerais les faire se poser… ». ER acquiesce et s’efforce de décrire la situation en pointant son doigt sur la vidéo : « Moi je vois le flottement, il se poursuit, il est aussi pour les élèves… Tu éteins des feux les uns après les autres mais dès que tu t’occupes d’un feu, ce sont d’autres feux qui débutent et qui durent longtemps… et qui du coup demandent énormément d’énergie et de calme… Tu tiens, tu tiens, tu tiens, et à un moment tu montes [cries] et tu en rappelles un à l’ordre mais pendant que tu éteins un feu, les autres reprennent, finalement la classe profite du flotte- ment, ils jouent à faire durer l’entrée le plus longtemps… ».

ER estime que cette situation professionnelle est parta- gée dans l’établissement : « Tu tombes dans le piège, et on tombe tous dedans, de t’avoir vue ça m’a complètement rappelé mes deux premières années, d’être dans des rap- ports toujours directs avec les élèves qui ne résolvent pas l’ambiance de la classe, qui prennent plein d’énergie. ».

Elle poursuit en s’attachant à caractériser ce que vit l’ensei- gnante dans la situation observée : « Ils sont dix- huit, tu as dix- huit balles de ping- pong à renvoyer en même temps…

Et c’est ça qu’il faudrait refuser, le match !! Si une acti- vité ne marche pas, tu la lâches en fait… ». ED : « ça… je n’y arrive pas… ». ER pointe une des raisons – trop souvent ignorée des débutants – qui pourrait expliquer le manque d’adhésion des élèves face au travail proposé : « ça reste un exercice à trous, au niveau de la réflexion cognitive c’est trop restreint pour eux… En tout cas, changer de contenus permet d’aller rechercher une classe, mais c’est du boulot, il faut tester des petites activités où eux sont moins tentés d’aller discuter, où toi, tu peux t’économiser, pas faire du ping- pong et du coup circuler dans la classe… Il y a plein Toutes les deux

s’efforcent de décrire et d’analyser la situation professionnelle en visionnant les extraits vidéo

(10)

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

239

d’activités à tester avec eux… ». ED est enthousiaste : « Ah !!

Mais alors je prends !! ».

Les deux collègues explorent conjointement les pistes possibles pour transformer cette situation professionnelle particulièrement problématique. ER : « Quitter la relation individuelle et trop à l’oral parce qu’ils en profitent… Et toi tu te fatigues… Il faut leur réapprendre qu’il peut y avoir des moments d’échange entre eux à propos du tra- vail, parce que là, ils échangent entre eux sur tout sauf du travail ». ER pointe l’importance d’évaluer en temps réel la pertinence des contenus scolaires proposés : « Ça c’est un truc que t’apprends ici : avoir l’intuition de lancer les activités qui vont marcher… mais ça prend un petit peu de temps… Mais là en tout cas moi, je stoppe cette dyna- mique épuisante… ». ED : « Ben oui, c’est fou parce que je sens qu’il faudrait que j’arrête, mais je ne le fais pas, je veux aller au bout… ». ER : « Parce que tu es en tension, il y a la lutte pour finir le cours et ça te monopolise et du coup tu n’as pas le temps, tu ne peux pas faire un match de ping- pong et réfléchir à la meilleure activité. Il faudrait avoir deux cerveaux… ».

La construction de normes professionnelles communes par l’analyse

Ce type d’échanges permet la rencontre de deux collègues autour d’une même situation professionnelle régulièrement vécue de manière critique par les nouveaux enseignants de l’établissement (mais pas seulement). Il constitue une modalité d’entraide, de « formation continuée au fil de l’eau » exploratoire qui est encore peu répandue dans le monde de l’éducation. Pourtant, si cette modalité se déroule dans un cadre altruiste, sécurisant et bienveillant, elle offre un potentiel indéniable de co- analyse et de co- apprentissage du travail entre collègues. Dans ce climat de confiance, l’ensei- gnante débutante accepte de mettre des mots sur sa propre activité et sur les sentiments de frustration qui l’enserrent.

Peu à peu, elle entrevoit des pistes concrètes de change- ment de ses modalités d’intervention. L’enseignante plus expérimentée décrit sans juger, mobilise des métaphores

Dans ce climat de confiance, l’enseignante débutante accepte de mettre des mots sur sa propre activité et sur ses sentiments de frustration

(11)

Apprendre à enseigner 240

pour rendre compte de ce qu’elle comprend de l’activité de sa collègue et de ce qu’elle a vécu elle- même dans ce type de situation (« l’incendie » ; « le match de ping- pong », etc.).

Ces métaphores expérientielles font sens pour la débutante et peuvent servir de guides perceptifs et décisionnels pour sa propre action. L’enseignante expérimentée effectue aussi des mises en relation – a priori contre- intuitives pour des débutants –entre plusieurs dimensions de la situation obser- vée : l’effet de causalité entre la nature des contenus sco- laires et le flottement dans la classe ; les limites des relations individuelles pour enrôler tous les élèves ; le bruit toléré pen- dant le travail des élèves et celui contre lequel s’opposer quand il ne relève pas du travail, etc.

La pertinence de l’interaction entre les deux collègues provient du fait que l’analyse de l’enseignante plus expéri- mentée prend pour origine des situations de classe qu’elle a elle- même déjà vécues. Sa capacité à lire l’expérience de sa collègue en re- dépliant la sienne, en pointant les chausse- trappes et les moyens de les éviter, enrichit l’interaction.

Son argumentation mobilise trois types de normes profes- sionnelles : a) des normes de viabilité (inter)personnelle en insistant en permanence sur l’épuisement, l’économie de soi nécessaire dans ce contexte d’enseignement, sur « ce que ça coûte en énergie et en calme », b) des normes académiques sur l’exigence des contenus scolaires à avoir, même avec des élèves défavorisés : « les contenus permettent d’aller recher- cher une classe » et c) des normes de la culture locale de l’établissement soulignant les pièges caractéristiques, les tendances des élèves pour retarder le travail scolaire, les savoir- faire à acquérir pour couper court à une situation de

« match » ou encore pour augmenter la pertinence des conte- nus proposés aux élèves.

Selon Prairat5, l’énonciation de ces normes profession- nelles vise à régler des conflits potentiels entre plusieurs conduites au sein d’une même situation professionnelle, plu- sieurs usages en concurrence. Ces normes sont nécessaires pour que les débutants puissent stabiliser leurs situations de travail, mais aussi pour que dans un même établissement sco- laire l’ensemble de l’équipe éducative puisse avoir des règles et des exigences éducatives communes. L’adoption de ces normes par l’enseignante débutante (même si cela requiert du temps) va générer également, par répercussion, un bénéfice pour les élèves auxquels elle va pouvoir offrir des contenus La capacité de

l’enseignante expérimentée à lire l’expérience de sa collègue en re- dépliant la sienne enrichit l’interaction

(12)

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

241

de savoirs plus exigeants et mieux configurés pour les enga- ger plus vite et plus durablement dans le travail scolaire.

Cas 2 : Co- enseigner entre un débutant et un expérimenté

De nombreuses séquences de co- intervention et de co- enseignement ont été observées dans nos recherches, que ce soient celles menée au secondaire dans un collège parisien, lieu d’éducation associé à l’Institut français d’éducation6 ou au primaire en Haute- Savoie dans le cadre du projet « Plus de maîtres que de classes »7. Elles apparaissent comme des séquences de collaboration ou de coopération complexes qu’il s’agit de déchiffrer.

L’étude de cas présentée ici8, concerne une situation de co- enseignement, en mathématiques dans un collège de la région parisienne, entre un professeur expérimenté et un néo- titulaire pour une classe de 3e très hétérogène. Le cadre didactique de la séquence avait été défini en amont par l’équipe disciplinaire de l’établissement. Les élèves de la classe, comme les deux enseignants, connaissaient les objectifs à atteindre. Dès l’entrée en classe s’opérait une répartition précise des rôles de chacun : le néo- titulaire, responsable de la classe, l’accueillait de manière conviviale et efficace, le professeur expérimenté rentrait en quittant sa veste comme s’il était lui- même un élève. Le premier donnait les consignes générales tandis que le second favorisait l’en- rôlement des élèves les plus difficiles en s’asseyant quelques instants auprès d’eux. Il intervenait ensuite sans interférence avec l’activité de son jeune collègue en procédant à des étayages individualisés : a) compléments linguistiques pour les élèves primo- arrivants, b) apport en quelques secondes des connaissances minimales pour effectuer un exercice et c) apport des façons de faire pour réussir un exercice. Les deux enseignants, impliqués dans des registres non concur- rentiels, communiquaient peu en classe et se regardaient à peine : « on ne se calcule plus ». Le climat de classe était par- ticulièrement bon ; les élèves étaient au travail durant tout le cours. Cette collaboration asymétrique était réversible : dans les classes du professeur expérimenté, c’était au tour du néo- titulaire de s’insérer dans la forme scolaire définie pour réguler individuellement le travail des élèves.

(13)

Apprendre à enseigner 242

Pour quels bénéfices pour les enseignants et les élèves ?

Dans les séquences de co- enseignement entre professeurs n’ayant pas le même niveau d’expérience, il s’agit pour les plus expérimentés de trouver des modalités d’intervention en classe ne mettant pas les débutants en défaut : « il faut réussir à rentrer dans les classes sans que les collègues se sentent jugés ». Un climat de confiance, une parité minimale des actions sont les conditions préalables pour intervenir collectivement devant les élèves. Cependant, l’efficacité d’une co- intervention dépend de la capacité des enseignants à se fondre dans un projet commun sans pour autant renon- cer aux ressources et spécificités de chacun nécessaires pour une véritable complémentarité.

Les bénéfices d’une double présence en classe semblent évidents aux yeux des enseignants pour leur propre appren- tissage et confort d’exercice du métier. Selon les débutants, le co- enseignement leur permet de réinterroger leur propre activité. Ils cernent ainsi mieux les ressemblances et dissem- blances entres différents registres d’intervention, comme en témoigne une néo- titulaire en français : « ça m’a appris qu’il était possible de faire autrement, possible d’être plus directive parfois, ce que j’ai essayé dans d’autres classes ensuite… En fait, elle intervient autrement, elle a un autre style, parfois les élèves me regardaient pour voir ma réac- tion ». Les plus chevronnés sont eux aussi souvent convain- cus du caractère formateur – pour eux- mêmes – de cette activité collective : « Pour le moment, les co- animations apportent plus à ma propre pratique qu’aux professeurs avec qui je collabore, du moins me semble- t- il… ».

Par contre si la présence d’un second adulte dans la classe offre plus de confort de travail pour les enseignants, certains enseignants soulignent le risque de renforcer une pédagogie de la lenteur chez les élèves. Ils craignent que les élèves, encore plus assistés, en soient moins autonomes dans leurs apprentissages – le confort de travail des enseignants et des élèves ne garantissant pas plus d’activités et d’investis- sement de la part des élèves. Finalement, du point de vue des enseignants interrogés, l’intervention à plusieurs dans une classe serait peut- être plus bénéfique hic et nunc aux enseignants qu’aux élèves eux- mêmes. Impression qu’il res- Un climat de

confiance, une parité minimale des actions sont les conditions préalables pour intervenir collectivement devant les élèves

(14)

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

243

terait à confirmer, ou infirmer, car les processus informels d’apprentissages professionnels qui se développent dans ce co- enseignement peuvent avoir des effets ailleurs et plus tard sur les apprentissages des élèves.9

Cas 3 : Co- enseigner la même leçon avec différents collègues

Cette situation consiste en la mise en place successive d’une même leçon de mathématiques sur la résolution de problème dans trois classes de CP d’un même établissement, en co- enseignement entre les enseignants titulaires et l’enseignante supplémentaire. Le dispositif « Plus de maîtres que de classes » mis en œuvre par le ministère français de l’Éducation nationale depuis la rentrée 2013, repose sur l’affectation dans une école d’un maître supplémentaire. Il vise une amélioration significative des résultats des élèves de cycle 1 en français et en mathématiques ainsi qu’une modification des pratiques pédagogiques au sein des équipes d’école.

Dans cette situation, même si la leçon a été planifiée par l’équipe pour se dérouler à l’identique dans les trois classes, il s’avère que sa mise en œuvre avec les élèves prend des configurations particulières dans chacune. Dans deux d’entre elles, l’initiative des titulaires de faire davantage participer les élèves et de les solliciter à venir écrire leurs démarches au tableau génère une plus forte motivation des élèves à participer à la leçon. Dans l’une d’entre elle, l’ini- tiative de la titulaire de compléter la consigne orale donnée par l’enseignante supplémentaire en pointant simultanément au tableau chacun des mots de la consigne écrite semble permettre à davantage d’élèves de comprendre l’énoncé du problème et d’entrer ensuite dans sa résolution. Par ailleurs, au début des leçons dans la deuxième puis troisième classe, l’enseignante supplémentaire indique en quelques secondes au titulaire des éléments à reconfigurer dans la leçon en fonction de l’expérience qu’elle vient de faire dans la classe précédente. L’équipe est encadrée par des chercheurs et des conseillers pédagogiques qui ont recueilli et sélectionné des traces d’activité filmées de ces trois cours à partir d’un objet d’enquête co- construit : comment enseigne- t- on à deux dans une classe ? (voir Lussi Borer et Muller dans cet ouvrage).

L’intervention à plusieurs dans une classe serait peut- être plus bénéfique hic et nunc aux enseignants qu’aux élèves eux- mêmes

(15)

Apprendre à enseigner 244

Ces traces ont ensuite été visionnées et analysées collective- ment par l’équipe. Voici un verbatim des échanges :

Chercheur On voit dans cet extrait qu’au moment où l’enseignante supplémentaire faire lire la consigne à haute voix par un élève, l’en- seignante désigne chacun des mots suc- cessivement énoncés dans la consigne écrite au tableau noir.

Enseignante 1 Oui c’est vrai que quand on fait seule ça, moi je suis dans une situation inconfor- table, typiquement en lecture. Là je l’ai fait pour aider cet enfant en particulier qui n’est pas bon lecteur.

Chercheur Pour l’instant, vous faites cette complé- mentarité de manière instinctive, vous n’y avez pas forcément réfléchi ?

Enseignante 1 Non je n’étais pas forcément consciente de ça.

Enseignante 2 Nous on l’a fait très très vite en produc- tion d’écrit.

Supplémentaire Oui, elle [l’enseignante supplémentaire]

elle était plutôt à l’écrit, moi plutôt à l’oral. Mais on n’en avait pas conscience.

Enseignante 3 Aussi quand par exemple tu [l’ensei- gnante supplémentaire] parles, nous on se met facilement à la place des élèves et on se dit moi en tant qu’élève qu’est- ce qu’il me manque ? C’est ça aussi.

Supplémentaire Je pense que vous vous êtes plus dans cette posture que moi. Moi je suis plus dans la posture où je dois faire l’effort de m’adapter à chaque enseignant, moi je suis moins sur les élèves sur ces temps- là.

Enseignante 1 Nous on est sur notre classe, sur nos élèves.

(16)

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

245

Analyse des couts et bénéfices

À la différence de la situation de co- intervention du cas 2, nous observons que la reprise de la situation de co- enseignement dans une situation de formation proposant une analyse collective permet de rendre le travail collec- tif profitable tant pour les enseignants que pour les élèves.

Du côté de l’équipe enseignante, nous observons un double bénéfice individuel et collectif. Du point de vue individuel, le visionnement permet de prendre conscience de gestes professionnels (redoubler l’information donnée à l’oral en la désignant sur un support visuel) qui étaient restés jusque- là intuitifs. Du point de vue collectif, le fait de visionner ensemble l’exécution d’une même leçon, de repérer les dif- férentes manières de la mettre en œuvre successivement d’une classe à l’autre, permet de débattre sur les situations de travail les plus porteuses d’apprentissage pour les élèves.

Cela permet également de collectiviser l’expérience profes- sionnelle dont a bénéficié l’enseignante supplémentaire par le fait d’avoir pu réaliser la même leçon trois fois de suite avec trois collègues différents. Comme le relève l’en- seignante supplémentaire, « ce n’est pas moi qui progresse parce que je le fais trois fois. Je le fais une première fois avec quelqu’un qui me donne des éléments, je le refais une deuxième fois donc j’essaie d’amener les choses que j’ai gardées. Il y en a un autre qui m’enrichit et ça, encore une troisième fois. ». L’enjeu est donc de permettre aux ensei- gnants titulaires qui ne vivent qu’une fois la leçon d’accéder

« par procuration » – grâce à la scénarisation de la situation de travail en situation de formation – à l’expérience acquise par leur collègue.

Enfin, cette situation apporte également des bénéfices pour les élèves : dès lors que les deux enseignants se coor- donnent pour organiser leur activité en classe, ils peuvent enrichir les situations d’apprentissage afin d’impliquer un maximum d’élèves. De plus, le fait qu’ils aient collective- ment planifié, exécuté réalisé et analysé la séance leur per- met d’affiner peu à peu les leçons qui leur apparaissent les plus prometteuses pour les apprentissages visés chez les élèves. En ceci, cette démarche s’apparente à celle de la Lesson study, une démarche de recherche- formation créée au Japon et qui se développe de plus en plus au plan interna-

Visionner ensemble l’exécution d’une même leçon permet de débattre sur les situations de travail les plus porteuses d’apprentissage pour les élèves

(17)

Apprendre à enseigner 246

Appropriation indigène des méthodes d'analyse de l'activité enseignante

Concevoir des environnements de travail qui permettent aux enseignants de se développer professionnellement au sein de leur établissement scolaire est une problématique de recherche aujourd’hui cruciale. Elle rejoint celles des organisations apprenantes, des modalités de leaderships dans lesquelles la formation est traitée conjointement avec celle de la direction et du pilotage des établissements.123 Les travaux récents soulignent que lorsque l’établissement devient lieu de formation, on assiste à une amélioration des résultats des élèves.

Mais les préconisations d’organisations apprenantes, de communautés

d’apprentissage et autres éveillent des craintes.

Elles pourraient devenir des modèles normatifs d’établissement ; le collectif se verrait alors transformé en outil de gestion4 et instrumentalisé pour faire passer les réformes, notamment curriculaires5. Approcher la formation par des méthodes d’analyse de l’activité d’enseignement en établissement6 est prometteur grâce au sens que ces méthodes

revêtent pour les enseignants et aux effets transformateurs induits par la déconstruction de l’activité réelle. Par contre ces environnements de formation, souvent adossés à la recherche (analyse des traces de l’activité, autoconfrontation individuelle,

confrontations croisées entre pairs ou collectives, etc.) s’avèrent lourds à gérer. Ils demandent un fort investissement, ce qui les rend plus éphémères. Par ailleurs, étant donné que l’analyse de l’activité prend appui sur l’expertise des chercheurs, leurs acquis se trouvent fragilisés lorsque le projet de recherche- formation prend fin. L’appropriation de ces méthodes par le collectif enseignant apparaît ainsi comme une nécessité, ce qui nous amène à étudier la culture de l’établissement pour que les méthodes proposées soient les plus proches possible de leurs façons de travailler.

Outre l’enseignement proprement dit, d’autres modalités d’activités sont primordiales lorsqu’on s’intéresse au développement professionnel dans le lieu de travail, à savoir les activités d’échange, de communication, de coordination, de transmission entre enseignants qui

entourent celles du travail avec les élèves.

L’étude de la culture de l’établissement ou de l’équipe éducative devient pertinente. Elle tente en effet de repérer les significations qui contribuent à configurer les activités en permettant aux membres de se reconnaître comme appartenant à ce collectif et à se distinguer des autres, en partageant leurs propres modes de faire. Le repérage des significations qui sous- tendent l’activité collective (valeurs, croyances, normes, outils notamment symboliques), la culture indigène, est à explorer. Ce premier plan empirique est au service du second : permettre l’appropriation par le collectif enseignant des méthodes d’analyse et de transformation de leur propre travail.

A travers une première phase exploratoire d’un travail de recherche- formation mené dans un établissement semi- privé du Pays basque couvrant toute la scolarité7, nous avons mis en évidence quelques résultats. Un enseignant expert (J) ayant suivi une formation universitaire sur l’analyse de l’activité enseignante a souhaité la partager avec ses collègues.

Les chercheures ont accompagné ce processus8 en veillant V U D ’A I L L E U R S

(18)

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

247

à garder une posture ethnographique fondée sur l’attention aux modes de travail collectif et aux paroles sur et dans le travail.

Les enseignants de l’établissement se sont organisés en groupes de travail qui ont porté sur les différents projets d’établissement. Ces groupes ont structuré le travail collectif tout en générant des rôles particuliers pour certains acteurs (coordinateur de tel ou tel groupe).

Un enseignant pouvait participer à plus d’un groupe ; l’appartenance et les rôles pouvant changer chaque année.

Des métaphores comme « courroie de transmission », « corde » étaient évoquées par les enseignants pour caractériser leur rôle.

La démarche de l’enseignant J a consisté à proposer son projet au groupe dont il portait la responsabilité lequel, en l’acceptant, a décidé d’adopter un nouveau nom. Concernant les méthodes d’analyse de l’activité, J parle de « faire des contrastes » pour se référer aux confrontations croisées. Les créations lexicales ont pour fonction de typifier les transformations du travail du groupe tout en assurant une continuité, souvent décrite comme problématique par

les enseignants. Les injonctions nombreuses adressées aux enseignants peuvent les mettre en danger, ces derniers se retrouvent tiraillés vers des directions disparates : J insiste sur le fait que les contenus des nouveaux projets étaient déjà connus, il s’agissait de faire mieux. Il tente ainsi de minimiser la charge de travail qu’entraînerait la mise en place de chaque nouvelle injonction.

A l’occasion d’une journée portes- ouvertes, l’établissement a produit une affiche sur laquelle les intitulés des différents projets étaient notés. Un moulin à vent d’enfant représentait les composantes hétérogènes de la cognition. Cette œuvre culturelle symbolisait le projet pédagogique de l’établissement que les acteurs considéraient comme caractéristique de leur enseignement dans leur établissement et qui les différenciaient des autres.

L’affiche représentait l’environnement de travail.

Nommer et renommer, figurer, symboliser, revient à traduire l’activité de travail en différents codes sémiotiques et contribuant à construire une culture commune et se l’approprier.

Après quelques

semaines, le groupe de travail de J a rencontré un autre groupe pour lui présenter l’expérience d’analyse de l’activité qu’il avait réalisée collectivement.

La présentation qui comportait des enregistrements vidéo de leçons et des confrontations croisées a été effectuée par une jeune enseignante, non par J. Cette mobilité des rôles rappelant le leadership distribué de Spillane9 apparaît comme un trait fort de leur culture de travail : elle favorise une dynamique de transduction, d’appropriation de proche en proche, d’un enseignant vers un pair, d’un groupe vers un autre.

L’étude de la culture d’action de l’établissement a ainsi mis en évidence des processus de désignation, de mobilité des rôles contribuant à l’appropriation de nouvelles méthodes.

Favoriser les modes indigènes d’appropriation pourrait être un garde- fou pour faire face à une professionnalisation de l’enseignement au service d’une gestion libérale de l’éducation, qui s’inspire de concepts et de méthodes pensés au départ pour outiller l’autonomie des enseignants.

1. A. Bouvier, Vers des établissements scolaires apprenants perspectives pour la conduite du changement, Chasseneuille- du Poitou, CRDP Poitiers, 2014.

2. L. Endrizzi & R. Thibert,

« Quels leaderships pour la réussite de tous les élèves ? », Dossier d’actualité veille et analyses, IFÉ ENS de Lyon, 2012, no 73.

3. B. Pont, D. Nusche et H. Moorman, Améliorer la direction des établissements scolaires, vol 1, 2, Paris, OCDE, 2008.

4. V. Dupriez, « De l’isolement des enseignants au travail en équipe : Les différences voies de construction de l’accord dans les établissements », Cahier de recherche du GIRSEF, 2003, no 23, p. 1-21.

5. A. Feyfant,

« L’établissement scolaire, espace de travail et de formation des enseignants ? », Dossier d’actualité veille et analyses, IFÉ ENS de Lyon, 2013, no 87.

6. V. Lussi Borer, A. Muller, L. Ria, F. Saussez & C. Vidal- Gomel, « Conception d’environnements de formation : une entrée par l’analyse de l’activité », Activités, 2014, vol. 11, no 2, p. 72-75.

7. Hirukide, Tolosa, Pays basque, l’établissement comprend une centaine d’enseignants.

8. Durant une année, les chercheuses ont rencontré l’enseignant dans l’établissement, quelquefois avec la directrice, une fois par mois.

9. J. P. Spillane, “Distributed Leadership”, The Educational Forum, 2005, no 69, p. 143-150.

(19)

Apprendre à enseigner 248

tional.10 Cette démarche est menée de manière collaborative par un groupe d’enseignants, accompagné le plus souvent de chercheurs- formateurs, qui étudie, planifie, enseigne, observe, révise et diffuse une ou plusieurs leçons à propos d’un objet d’apprentissage.

Des situations de travail collectives porteuses d’apprentissages

professionnels

Aujourd’hui, les questions cruciales pour penser l’éta- blissement comme « nouvelle aire de professionnalisation » sont les suivantes : comment transformer des situations de travail en situations porteuses d’apprentissages profession- nels ? Comment transformer des collègues en personnes- ressources accompagnant le développement professionnel de collègues- pairs ? Comment accroître le potentiel de for- mation de situations de co- observation, de co- analyse, de co- intervention ou de co- enseignement ?

Par rapport à la première question, nous rejoignons l’ana- lyse de Philippe Meirieu qui considère que « l’établissement peut être le lieu privilégié d’une démarche de profession- nalisation, tant par l’inter- observation réflexive que par la collaboration entre pairs, entre générations comme entre enseignants de différentes disciplines. Le travail avec la vidéo, encadré, bien sûr, par des principes éthiques assumés collectivement, comme la construction collective de projet ou de séquences d’apprentissage sont, en effet, des moyens privilégiés pour « se former » à « former les élèves ».11

Pour répondre à la deuxième question, nous voyons l’im- portance de la proximité pour permettre cette démarche de professionnalisation. Meirieu poursuit : « l’expert doit être un pair, ou, tout au moins, un ex- pair. Non pas un modèle à imiter, mais quelqu’un qui est « embarqué dans le même bateau » et, loin de toute position de jugement en sur- plomb, prend sa place dans le travail collectif. » Toutefois, la capacité à accompagner et encadrer le travail collectif ne se décrète pas, mais se construit grâce à une formation adap- tée d’experts (voire d’ex- pairs parfois très jeunes) à même d’assurer le cadre éthique et l’efficience de ces situations de formation au travail ou à partir du travail. Dans ce cadre, le

(20)

Apprendre à travailler à plusieurs dans les établissements scolaires

249

rôle de formateurs- chercheurs est capital, à la fois pour pro- poser des outils de formation validés par la recherche puis adaptés, transformés par les enseignants eux- mêmes selon leurs attentes et les usages qu’ils en font dans les situations de formation en établissement.

Abordons enfin la troisième question. Nous observons que les situations de co- observation, de co- analyse, de co- intervention ou de co- enseignement sont d’autant plus porteuses d’apprentissage qu’elles se rapprochent de moda- lités de coopération. En effet, comme le relève également le chapitre sur l’enquête collaborative de Lussi Borer &

Muller, l’engagement à plusieurs dans la situation de tra- vail ou d’analyse du travail permet d’agir ou d’observer ces situations en croisant les perspectives et de multiplier, de la sorte, les opportunités de nouvelles expériences que l’on n’aurait pas vécues seul. Si travailler à plusieurs en établis- sement scolaire peut être vécue comme une situation pro- fessionnelle au départ intrusive, appréhendée avec crainte comme une forme de mise à l’épreuve de soi sous les feux du regard d’autrui, elle peut devenir le lieu privilégié dans lequel les enseignants peuvent « reprendre la main sur leur travail » et y ressentir le plaisir d’une coopération entre pairs qui gagne en pertinence, en qualité avec des effets positifs sur les apprentissages de leurs élèves.

La capacité à accompagner et encadrer le travail collectif ne se décrète pas, mais se construit grâce à une formation adaptée

(21)

Apprendre à enseigner 250

NOTES

1. J.-F. Marcel, V. Dupriez &

D. Périsset- Bagnoud

& M. Tardif (dir.), Coordonner, collaborer, coopérer.

De nouvelles pratiques enseignantes ? Bruxelles, De Boeck, p. 8.

2. P. Mayen, Conférence en ligne :

« Former les ensei- gnants dans les éta- blissements scolaires : vers une nouvelle aire de professionna- lisation ? », les 26 et 27 mars 2015 à l’IFÉ - ENS de Lyon. Site de la chaire Unesco

« Former les ensei- gnants au XXIe siècle » : http://chaire- unesco- formation.ens- lyon.fr 3. L. Ria (dir), Former les enseignants au 21e siècle. Volume 1 : Etablissement formateur et vidéoformation, Bruxelles, De Boeck.

4. Pour plus de détails, voir L. Ria

& V. Lussi Borer,

« Laboratoire d’analyse vidéo de l’activité enseignante au sein des établissements scolaires : enjeux, méthodes et effets sur la formation des enseignants », In L. Ria (dir.), Former les enseignants au 21e siècle. Volume 1 : Etablissement formateur et vidé oformation, Bruxelles, De Boeck, 2015, p. 101-117.

5. E. Prairat,

« L’approche par les normes professionnelles », Recherche et

Formation, 2014, no 75, p. 81-94.

6. L. Ria. & V. Lussi Borer, op. cit.

7. V. Lussi Borer

& A. Muller, La formation comme accompagnement des transformations des

activités au sein d’un système d’éducation scolaire. Le cas de la conduite locale d’un programme national dans l’enseignement primaire, in G. Poizat (dir.), Perspectives anthropo- technologiques en éducation, Bruxelles, De Boeck, à paraître.

8. Cette étude de cas a donné lieu à une publication dans une revue professionnelle (L. Ria & M.-E. Rouve- Llorca, « Emergence du travail collectif en réseau ambition réussite : l’exemple de la co- intervention devant les élèves », Bulletin XYZep du Centre Savary, 2008, 32, p. 4-5.) et dans une revue scientifique (S. Moussay & L. Ria,

« Nouvelles modalités du travail enseignant en éducation prioritaire : quelles expériences et quelles

transformations de l’activité professionnelle ? », Revue Française de Pédagogie, à paraître.).

9. S. Moussay & L. Ria, op. cit.

10. T. Miyakawa &

C. Winsløw, « Un dispositif japonais pour le travail en équipe d’enseignants : Etude collective d’une leçon », Éducation et Didactique, 2009, vol. 3, no 1, p. 77-90.

11. Ph. Meirieu, Conférence en ligne :

« Former les ensei- gnants dans les éta- blissements scolaires : vers une nouvelle aire de professionna- lisation ? », les 26 et 27 mars 2015 à l’IFÉ - ENS de Lyon. Site de la chaire Unesco

« Former les ensei- gnants au XXIe siècle » : http://chaire- unesco- formation.ens- lyon.fr

Références

Documents relatifs

Objectifs : Choisir une ou des activités pour une personne ou un groupe à partir d’un recueil d’informations auprès des résidents d’un EHPAD.. Compétences C.3.4.1 du

Ce matin, le département de l’instruction publique, de la culture et du sport (DIP) a présenté un jeu de plateau intitulé « Le GE de lois ».. Destiné aux élèves du

- Appréhender la méthodologie pour la construction des séances de co-intervention - Présentation du concours VidéoDiMaths, projet pouvant intervenir en co-intervention -

Intuitivement, plus les nombres intermédiaires des calculs vont être grands, plus l’influence de la partie entière dans l’opération « R » va être négligeable, et plus il

La répartition par âge permet de dresser un constat du retard scolaire par rapport à « l’âge normal » * pour la fréquentation des différents niveaux d’études.. Analyse

La co-intervention suppose que l’espace et les élèves soient partagés : les deux enseignants sont ensemble dans le même espace, ou dans la classe et un

Dans l'enseignement complémentaire, un intervenant enseigne à la classe entière pendant que l'autre donne du soutien aux élèves qui en ont besoin.. L'enseignement

Nous envisageons maintenant de poursuivre, avec la mise en place d’un dispositif original, sur un modèle analogue à celui que nous avons présenté, mais dans le