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Academic year: 2022

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La politique au cinéma

LOMBARDO, Patrizia

Abstract

This analysis of Pierre Schoeller's recent film emphasizes the role of emotions and feelings as they are expressed by the prtagonist, the fictional Minister of Public Transportation in France.

This film shows that at the basis of political life in the obsessive media world of today there are human emotions. The rhythm of a thriller in this films avoids the most common stereotypes of political movies with their didactic aim.

LOMBARDO, Patrizia. La politique au cinéma. Critique , 2012, vol. 780, p. 422-427

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:96321

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Dans l’Antiquité, la politique se faisait sur l’agora.

Au cours des siècles, la peinture nous a donné à voir les monarques, ainsi que les palais où siégeaient les grands.

Au xixe siècle, époque à la fois si lointaine et si proche de nous, maints tableaux ont montré les rues des villes euro­

péennes en révolte, remplies de foules révolutionnaires, et des assemblées débordantes d’hommes agités par les débats parlementaires. Les journaux et la photographie ont rendu beaucoup plus visibles les hommes d’État. La vie politique aujourd’hui, traquée par les micros et les images télévisées, garde peu de secrets : l’État n’est pas une abstraction philo­

sophique ni un édifice solennel et impénétrable, dont l’on ne connaîtrait que l’extérieur imposant, car les informations et les documentaires nous ont familiarisés avec les lieux et les personnages. Nous sommes tous entrés, pour ainsi dire, à Matignon, à la Comission européenne à Bruxelles, à la Mai­

son Blanche, à la Maison du Peuple à Pékin : les bureaux et les salles grandioses, parfaitement équipées de toute la technologie nécessaire pour les séances, sont passés sur nos écrans, devenus aussi habituels que les voitures sombres d’où sortent les ministres et les hauts fonctionnaires, ou que les images des chefs d’État debout auprès des drapeaux de leurs pays respectifs, se serrant la main de biais pour mieux se placer devant la caméra.

Le beau film de Pierre Schoeller, L’ Exercice de l’État, dont le protagoniste, le ministre des Transports Bertrand Saint­Jean, est interprété par Olivier Gourmet, restitue le

Pierre Schoeller

L’ Exercice de l’État Paris, Diaphana Production, 2011, 112 min.

}

La politique au cinéma,

« un coup de pistolet

au milieu d’un concert »

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423 paysage et le décor contemporains du monde du pouvoir.

Tout spectateur français reconnaît le mobilier contourné des bureaux de l’Élysée ou de Matignon, et surtout le bric­à­brac technologico­humain qui entoure le quotidien du gouverne­

ment. Politique et média composent un assemblage désor­

mais inévitable, fait de téléphones portables, d’ordinateurs, de microphones, d’écouteurs et de bouteilles d’eau, dans un va­et­vient frénétique entre les bureaux, les salles de réunion et les studios de télévision. De nouveaux professionnels, ceux de la communication, accompagnent partout les politiciens.

Dans les labyrinthes de l’État en exercice, dans les luttes de pouvoir parmi une poignée d’initiés, dans les tours et détours des avis des hauts fonctionnaires infléchissant la promesse du ministre des Transports, qui s’était engagé à ne pas priva­

tiser les gares, Schoeller n’a pas manqué de donner un rôle considérable à la « Dircom », la directrice de communica­

tion, Pauline (dans la brillante interprétation de Zabou Breit­

man). C’est elle qui écrit les discours du ministre, lui souffle les phrases justes, et surveille son image. Elle apparaît dès la première partie du film, après deux séquences initiales qui montrent l’exercice de l’État de manière pour ainsi dire latérale : le rêve érotique du ministre et l’orgie nocturne des hommes de son équipe, jusqu’au moment où tombe la nou­

velle d’un gravissime accident de car sur la départementale D31.Toujours prête à l’assaut médiatique, active, affairée, informée, Pauline est le démon de la communication : elle dit les mots que le ministre doit prononcer ou lui suggère la tenue la plus adaptée à chaque occasion, comme dans cette séquence où la véritable action politique commence, dans l’agitation générale, en pleine nuit, dans les heures qui suivent l’accident de car dans les Ardennes, où le ministre se rend d’urgence. Sous la tente où l’on étale les corps des vic­

times, elle demande au préfet, qui vient d’arriver, d’échanger sa cravate foncée avec celle de son ministre, dont la couleur rouge « ne va pas » pour apparaître en public dans cette cir­

constance tragique.

La communication, cela signifie surveiller son image.

L’ État lui­même, cette « barque qui coule », comme le dit un des personnages, ne fait que contrôler l’image. Nul n’y échappe. Nul ne peut fuir la tyrannie de l’image : c’est elle LA POLITIQUE AU CINÉMA…

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qui en finit avec les idéologies, estompe la différence entre les bons et les méchants, les faibles et les courageux ; c’est elle qui fait ployer la parole donnée. Même l’ambition et l’oppor­

tunisme sont soumis à ce tyran des temps modernes.

Après la nuit sur les lieux de l’accident, aux alentours du village de Monthermé, on voit Bertrand Saint­Jean devant les micros dans le studio d’Europe 1. Il répond aux questions du journaliste, insiste sur sa volonté de ne pas privatiser les gares, mais, dès les premières minutes du film, lorsqu’il est tiré de son lit et de ses rêves par la nouvelle de l’accident, le miroir de sa salle de bain a fonctionné comme un écran de télévision. Il y a des morts, il faut se rendre à toute vitesse dans les Ardennes, laisser sa chambre et ses songes, et le ministre se passe longuement des glaçons sur le visage en se regardant dans le miroir comme s’il était regardé par un autre, compose son expression comme s’il fallait déconges­

tionner sa peau, ses sensations et ses sentiments. Mais l’être humain respire encore sous le masque : après avoir vu tous les cadavres des adolescents et entendu les cris d’une mère désespérée qui voulait voir le corps de sa fille, en voiture auprès de sa Dircom qui débobine la liste des titres des jour­

naux avec les nouvelles de l’accident et des chaînes de radio et de télévision où il devra intervenir, en s’extasiant devant sa photo dans Libé, Bertrand lui impose le silence, la tête renversée sur le dos de son siège. Soudain, le chauffeur doit arrêter la voiture et le ministre se jette au­dehors pour vomir dans l’herbe, en pleine obscurité, toute sa nausée et son angoisse.

Humain, trop humain pour le genre ? Schoeller aime montrer l’envers de la médaille : pas de politique sans le social et l’humain. Dans son premier long métrage, Versailles (2008), il avait mis en scène la vie des sans­abri, des lais­

sés­pour­compte de la société – à Versailles justement. Dans L’ Exercice de l’État, il veut rendre compte de la vraie vie de ce ministre fictionnel, sans faire de la psychologie, mais en s’attachant, dans un rythme pressant de thriller, à ce qui fait le corps étatique, à savoir le véritable corps de l’homme.

Les manifestations physiques sont nombreuses – depuis la scène, dans les premières minutes du film, où l’on devine, à travers les couvertures, que son rêve érotique a excité le ministre, en passant par son vomissement au bord de la

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425 route et jusqu’à, plus tard, les boules de neige tirées sur sa figure par des ouvriers CGT, et son ivresse lors d’une sortie loin de son monde, dans la famille de son chauffeur, chez de vrais gens.

Mais la perception corporelle la plus violente, où les spectateurs ne peuvent manquer de ressentir eux­mêmes un coup terrible, est provoquée par l’accident de voiture du ministre. Dans un moment de tension avec le ministre du Budget, lors des élections municipales, après que son direc­

teur de cabinet (dans l’impeccable interprétation de Michel Blanc) lui a finalement conseillé de privatiser les gares, le ministre, pour gagner du temps en route vers Châlons, fait prendre à son chauffeur un tronçon d’autoroute encore en travaux. Assis à l’arrière de la voiture, il téléphone constam­

ment, il ne cesse de parler, notamment avec son directeur de cabinet. On voit le ciel, la campagne brunâtre, la glis­

sière de sécurité, le macadam frais dans une lumière grise, éblouissante. Les gros plans montrent le visage de Bertrand, les mains de son chauffeur, le levier de vitesses, un bout de volant, le cendrier, un angle du pare­brise ; tout semble rou­

ler au rythme accéléré de la course avec le temps, et, sou­

dain, une secousse terrifiante brise les mots dans la bouche du ministre, « ambitieux de bas étage, c’est pas ça qui manque ; la terre, l’enracinement… ». Le bruit, les éclats des vitres, le métal, la voiture qui se retourne sur le toit, glisse, grince, se recroqueville dans un mélange de ferraille, de sang et de bouts de chair, et enfin le ministre ensanglanté qui sort en haletant pour contempler le spectacle de la matière, des papiers et des membres déchiquetés de son chauffeur sur l’infini de cette chaussée solitaire. Ces plans à bout de souffle n’épargnent rien au spectateur, leur géométrie implacable procédant avec la même netteté et précision qui nous avait happés au tout début du film, dans une scène d’un tout autre genre, mais construite avec la même assurance dans la visée de l’effet.

Les séquences d’ouverture du film, qu’on comprend comme le rêve de Bertrand Saint­Jean, sont imprégnées de symbolisme. Il y a d’abord la première figure en noir, mas­

quée, qui, dans une atmosphère sombre et rougeâtre, aussi hallucinatoire que la belle musique de Philippe Schoeller (frère du réalisateur), semble s’adresser directement aux LA POLITIQUE AU CINÉMA…

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spectateurs, les interroger ; puis, dès qu’un autre personnage masqué tire le rideau rouge et que la lumière crue inonde la pièce, les figures en noir se multiplient, légères, sautillant par­ci, par­là, pour préparer le décor, tels les assistants de la mise en scène, toujours présents durant le spectacle au théâtre kabuki. La chorégraphie de l’image et sa préparation coexistent, sans que l’avant et l’après puissent être scindés, comme dans les choses infinies, dans les cycles éternels. Le spectacle du pouvoir s’ouvre comme au théâtre, selon l’allé­

gorie classique du pouvoir comme théâtre. Le décor rouge et doré fait place alors à une autre scène extraordinaire : une femme nue apparaît, accompagnée par ces mêmes figures, et elle est laissée seule dans une pièce très éclairée. Là, un énorme crocodile l’attend : il est immobile sur les tapis, ne fait qu’écarter ses mâchoires pour laisser entrer dans sa gueule la femme qui y pénètre avec détermination, suivant un rythme de mouvements bien calibrés. Le Léviathan est là depuis toujours : il dévore éternellement tous les êtres qui sont prêts à se faire dévorer, loups avec les loups, loups contre les loups. Il y a de quoi être excité.

On a remarqué qu’on ne savait pas bien, dans ce film, qui était de droite et qui de gauche, mais L’ Exercice de l’État dit quelque chose d’essentiel sur la politique contemporaine : qu’elle est désidéologisée, avalée par l’image médiatique, et pourtant faite d’êtres en chair et en os. À la différence de la plupart des films politiques, tel The Ides of March (Les Marches du pouvoir, 2011) de George Clooney, le film de Schoeller fuit les stéréotypes du genre. L’ art et la politique : Stendhal le dit dans La Chartreuse de Parme, lorsque Gina apprend la mort du prince de Parme, tombé dans un trou caché, alors qu’il était à la chasse : « La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n’est pas possible de refuser son attention. » Bien plus thriller que fiction documentaire, le film de Schoeller impose une réflexion vertigineuse sur la politique, martelant son thème grâce à la force de ce qui est proprement cinématographique : les gros plans, la caméra rapide, la bande­son retentissante, les agencements du bruit, de l’action et de ces silences qui semblent illimités, parcourus par un souffle ou une sonorité lointaine, telle la scène de l’accident du ministre.

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427 Sans bavardages, sans explications, sans didactique, L’ Exercice de l’État est un coup de revolver qui ne manque pas d’attirer l’attention sur la violence fondamentale du poli­

tique.

Patrizia Lombardo

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