• Aucun résultat trouvé

Alimentation des abeilles domestiques et sauvages en système de grandes cultures

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Alimentation des abeilles domestiques et sauvages en système de grandes cultures"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-01594794

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01594794

Submitted on 26 Sep 2017

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Distributed under a Creative CommonsAttribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License

Alimentation des abeilles domestiques et sauvages en système de grandes cultures

Mickaël Henry, Jean Francois Odoux, Cédric Alaux, Pierrick Aupinel, Vincent Bretagnolle, Garance Di Pasquale, Fabrice Requier, Orianne Rollin, Axel

Decourtye

To cite this version:

Mickaël Henry, Jean Francois Odoux, Cédric Alaux, Pierrick Aupinel, Vincent Bretagnolle, et al..

Alimentation des abeilles domestiques et sauvages en système de grandes cultures. Innovations Agronomiques, INRAE, 2016, 53, pp.39-47. �10.15454/1.513585974246653E12�. �hal-01594794�

(2)

Alimentation des abeilles domestiques et sauvages en système de grandes cultures

Henry M.1,2, Odoux J.F.3, Alaux C.1,2 , Aupinel P.3, Bretagnolle V.4,5, Di Pasquale G.1,2, Requier F.1,2,6, Rollin O.1,2,6, Decourtye A.2,7,8

1 INRA, UR406 Abeilles et Environnement, Site Agroparc, F-84914 Avignon.

2 UMT Protection des Abeilles dans l’Environnement, Site Agroparc, F-84914 Avignon.

3 INRA, UE1255, UE Entomologie, F-17700 Surgères.

4 Centre d’Etudes Biologiques de Chizé, UMR 7372, CNRS & Université de La Rochelle, F-79360 Beauvoir-sur-Niort.

5 LTER « Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre », Centre d'Etudes Biologiques de Chizé, CNRS, F-79360 Villiers-en-Bois.

6 Universidad Nacional de Río Negro, San Carlos Bariloche, Rio Negro, Argentine.

7 ACTA, Site Agroparc, F-84914 Avignon.

8 ITSAP-Institut de l’abeille, Site Agroparc, F-84914 Avignon.

Correspondance : mickael.henry@inra.fr

Résumé

Durant les 50 dernières années, l’intensification agricole a profondément modifié la physionomie des paysages en Europe. Pour satisfaire les demandes croissantes des populations humaines, les systèmes de grandes cultures produisent aujourd’hui des céréales, maïs et autres oléagineux sur des surfaces de plus en plus étendues, au détriment de la diversité des variétés culturales locales et des habitats semi-naturels comme les prairies et réseaux bocagers. Comme beaucoup d’autres organismes, les abeilles sont affectées par ces changements environnementaux. Bien que les cultures à floraison massive, telles que le colza ou le tournesol, offrent des ressources florales très abondantes pour les abeilles, leur floraison reste temporaire et limitée dans le temps. En conséquence, les apiculteurs ont désormais recours à des transhumances et au nourrissage artificiel pour faire face aux périodes de disette saisonnière récurrentes dans ces zones de grandes cultures. En outre, la diversité des abeilles sauvages est érodée et l’efficacité des mesures de compensation agro-environnementales destinées à semer des mélanges floraux reste à démontrer. Nous proposons ici une revue des travaux de recherche récents entrepris par l’UMT PrADE pour documenter l’écologie de l’alimentation des abeilles et caractériser leurs interactions avec les surfaces cultivées et naturelles dans un système de grandes cultures.

Mots-clés : Apis mellifera, Apoidés, Colza, Physiologie de la nutrition, Pollen, Tournesol.

Abstract : Honeybee and wild bee foraging ecology in open field agroecosystems

Over the past 50 years, agricultural intensification has led to drastic changes in land cover structure and composition in Europe. To meet the increasing demands of human populations, modern open field crop systems have increased the amount and size of cereal, maize and oilseed crop fields at the expense of the diversity of local crop varieties and of semi-natural habitats like pastures, hedgerows and forested

(3)

M. Henry et al

40 Innovations Agronomiques 53 (2016), 39-47

areas. Like many other organisms, bees are affected by those environmental changes. Although the so- called mass-flowering crops such as oilseed rape and sunflower provide bees with locally abundant and attractive floral resources, their blooming only covers short periods of time. Professional beekeepers now have to cope with recurrent seasonal food shortage periods, and resort to transhumance and artificial feeding to limit honeybee colony losses. In the meantime, non-managed wild bee species are threatened, and many doubts persist about the effectiveness of floral resource enhancements as agro- environmental schemes to protect their diversity. We provide here a review of the recent research carried out by the UMT PrADE to document the bee foraging ecology and their interactions with cropped and natural areas in an open field agrosystem.

Keywords: Apis mellifera, Apoidae, Physiological nutrition, Pollen, Oilseed rape, Sunflower

Introduction

Les systèmes agricoles ont subi des évolutions profondes en France depuis la mise en place de la politique agricole commune, il y a 50 ans. Les grands bassins de production ont suivi une logique d’intensification agricole, se traduisant par le développement de la mécanisation, l’élargissement des parcelles et des exploitations, l’uniformisation des systèmes de cultures et l’utilisation accrue d’intrants chimiques (fertilisants, herbicides, fongicides, insecticides, etc.). Dans les territoires de grandes cultures (rotations alternant céréales, oléagineux, maïs et autres fourrages), les réseaux bocagers qui maillaient autrefois les paysages ont reculé au profit de grandes étendues implantées de quelques cultures seulement. Les habitats dits semi-naturels se réduisent aujourd’hui aux espaces interstitiels étroits entre les parcelles (haies, bords de champs et de chemins), jachères, prairies permanentes et espaces boisés qui ne totalisent qu’une faible proportion de la surface agricole utile. Le recul et la fragmentation des habitats semi-naturels sont considérés comme l’une des principales causes de l’érosion de la biodiversité dans les agrosystèmes.

Comme les autres invertébrés, le groupe des apiformes est affecté par l’intensification agricole. Les apiformes, c’est-à-dire les abeilles au sens large, comprennent non seulement l'abeille domestique Apis mellifera, mais également l'ensemble des abeilles sauvages, soit un millier d’espèces en France métropolitaine et près de 25 000 dans le monde (Michener, 2007). Le déclin des abeilles sauvages observé depuis les années 1980 est étroitement associé au déclin des plantes à fleurs dans les campagnes (Biesmeijer et al., 2006). Parallèlement, l’activité d’apiculture a subi de profondes mutations. Les pratiques traditionnelles ont fait place à des pratiques plus intensives, notamment pour compenser la mortalité accrue des colonies et la diminution des rendements de miel. La durabilité des exploitations apicoles dans les systèmes de grandes cultures est maintenant fragilisée. Les apiculteurs ont recours à des transhumances saisonnières et à du nourrissement artificiel au sucre pour aider les colonies à traverser les périodes de pénuries de ressources florales (Odoux et al., 2014).

Dans ce contexte de la simplification extrême des paysages agricoles, de nombreuses questions émergent sur la disponibilité des ressources florales pour les abeilles. Abeilles domestiques et sauvages partagent-elles les mêmes ressources ? Quelle place occupent les cultures fleuries dans leur alimentation ? La quantité et la diversité des ressources sont-elles limitantes ? Si oui, comment adapter les itinéraires techniques pour pallier les déficiences nutritionnelles ? Depuis 2011, l’UMT PrADE a entrepris divers programmes de recherches visant à documenter l’écologie de l’approvisionnement des abeilles en systèmes de grandes cultures. Cet article présente les principaux résultats obtenus au cours des cinq dernières années de recherches. Ces travaux ont été réalisés en collaboration étroite avec l’UE Entomologie de l’INRA du Magneraud et le CNRS CEBC qui gère la Zone Atelier de Plaine & Val de Sèvre. Ils ont porté principalement sur l’abeille domestique, Apis mellifera, grâce au dispositif ECOBEE de suivi de colonies en conditions réelles d’apiculture (Odoux et al., 2014), mais incluent également des inventaires parallèles d’abeilles sauvages.

(4)

Innovations Agronomiques 53 (2016), 39-47 41

1. L’hétérogénéité spatiale et temporelle des ressources florales en système de grandes cultures.

La Zone Atelier de Plaine & Val de Sèvre (ZAPVS) couvre une superficie de 450 km2, comprenant environ 13 000 parcelles agricoles dont les rotations culturales sont documentées chaque année depuis 1995. Dans cet agrosystème intensif, les ressources florales disponibles pour les abeilles sont de deux types (Rollin et al., 2013) : d’une part des cultures fleuries attractives et d’autre part les ressources florales spontanées dans les habitats semi-naturels résiduels. Les cultures fleuries occupent des surfaces conséquentes, représentées principalement par le tournesol (environ 12% de l’assolement total), le colza (10%), le maïs (9%) ou la luzerne (4%). Hormis les prairies (6% de l’assolement), les espaces dits semi-naturels, ou interstitiels, occupent des surfaces plus restreintes et difficiles à estimer : jardins et vergers (3%), milieux boisés (3%), bords de champs et de routes (3%), réseaux de haies (en moyenne 5km par km2 (source : archives SIG locales et fonds cartographiques IGN). Finalement, même si elles sont par définition inféodées aux parcelles agricoles, les plantes adventices des cultures entrent également dans la catégorie des ressources spontanées potentiellement utilisées par les abeilles (Bretagnolle et Gaba, 2015).

Les cultures fleuries et les ressources florales spontanées diffèrent par bien des aspects. Bien qu’abondantes dans l’environnement, les cultures fleuries ne sont disponibles que temporairement.

Elles constituent des « pulses » de ressources, offrant aux abeilles des quantités localement massives de nectar et/ou pollen, mais sur de courtes périodes. A l’opposé, la flore spontanée des habitats semi- naturels constitue une ressource délivrée de façon plus parcimonieuse dans l’espace et le temps (Odoux et al., 2012).

Dans cet environnement changeant, l’activité d’apiculture est rythmée par les deux miellées saisonnières : la miellée de colza (avril-mai) et la miellée de tournesol (juillet-août). Entre ces deux périodes de floraison de masse, de fin mai à début juillet, seules les ressources florales spontanées demeurent disponibles. Cette transition d’environ 1,5 mois est perçue comme une phase de disette alimentaire (Figure 1), avec un ralentissement prononcé des apports de pollen et nectar à la ruche (Odoux et al., 2014). Pendant la disette, les habitats semi-naturels peuvent donc jouer un rôle de compensation écologique nécessaire au maintien des colonies d’abeilles domestiques, mais aussi des populations d’abeilles sauvages (Albrecht et al., 2007).

Figure 1 : Cinétique temporelle moyenne de 200 colonies suivies pendant quatre saisons apicoles en système de grandes cultures (avril-septembre). Les suivis de colonies comprenaient la mesure des surfaces totales de couvain sur les cadres, la taille de la population adulte, et la quantité de miel mis en réserves dans le corps de ruche (et donc disponible pour les abeilles car non prélevé par les apiculteurs). Les périodes approximatives de floraison des principales cultures fleuries sont indiquées par les zones grisées (colza, tournesol). La diminution progressive des réserves de miel entre les deux cultures fleuries, alors que les populations atteignent leur maximum, suggère une période de limitation des ressources florales. Tiré de Henry et al.

(2015).

(5)

M. Henry et al

42 Innovations Agronomiques 53 (2016), 39-47

2. Abeilles sauvages et domestiques en grandes cultures : des stratégies d’approvisionnement contrastées.

En dépit de l’intensification agricole qui a uniformisé les systèmes de grandes cultures ces dernières décennies, une grande diversité d’abeilles sauvages subsiste dans les paysages ruraux. Un inventaire à large échelle des abeilles sauvages a été réalisé dans la zone d’étude à partir de 2010. Ceux-ci ont révélé l’existence d’une diversité insoupçonnée d’abeilles sauvages : on estime la richesse spécifique du territoire à environs 300 espèces, soit près d’un tiers de la faune des Apiformes de France métropolitaine (Rollin et al., 2015). Cependant, les abeilles sauvages utilisaient les ressources cultivées ou spontanées différemment des abeilles domestiques, ce qui impliquerait des mesures agro- environnementales (MAE) distinctes et complémentaires pour promouvoir efficacement les populations d’abeilles au sens large dans les zones de grandes cultures (Rollin et al., 2013).

Cette étude a comparé la fréquentation des différents types de ressources par les trois groupes d’abeilles ciblés par les MAE européennes : les abeilles domestiques, les bourdons (Bombus sp.) et les autres abeilles sauvages, pour l’essentiel solitaires contrairement aux deux autres groupes qui vivent en colonies. L’activité de butinage des abeilles a été quantifiée grâce à des captures standardisées au filet dans les cultures fleuries et les habitats semi-naturels herbacés et ligneux du territoire. L’inventaire s’est déroulé pendant trois ans, sur 812 sites. Au total, près de 30 000 abeilles butineuses ont été inventoriées sur 127 espèces de plantes, dont 22 000 abeilles domestiques, 1 500 bourdons et 6 500 autres espèces sauvages.

Les résultats montrent que les abeilles domestiques butinent préférentiellement les cultures fleuries (colza, tournesol, luzerne) tandis que les abeilles sauvages préfèrent les fleurs spontanées des habitats semi-naturels herbacés (Figure 2). Pourquoi une telle répartition ? Les abeilles domestiques vivent en colonies constituées de milliers d’individus qu’il faut nourrir. Les cultures oléagineuses, qui procurent une floraison massive sur une courte période seraient donc privilégiées par les colonies. Une autre explication possible, qu’il ne faut pas dissocier de la première, est la sélection au fil du temps par les apiculteurs des colonies les plus productives en miel, et donc favorisant les floraisons de masse pour le butinage. Les abeilles sauvages, pour la plupart solitaires, peuvent également être spécialisées sur des genres ou familles de plantes non cultivées. C’est par exemple le cas de l’andrène Andrena florea qui dépend du pollen de bryone (Bryonia dioica), ou de la collète Colletes hederae étroitement associée au lierre (Hedera helix). Les bourdons, eux, présentent une stratégie intermédiaire entre abeilles domestiques et autres sauvages, utilisant la flore spontanée ou cultivée de façon plus équilibrée.

Figure 2 : Courbes de richesse spécifique des abeilles sauvages cumulées suivant le nombre de sites échantillonnés dans un système de grandes cultures (Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre, Poitou-Charentes), (a) au printemps dans les champs de colza et milieux semi-naturels herbacés environnants, (b) en été dans les champs de tournesols et milieux semi-naturels herbacés environnants. Tiré de Rollin et al. (2015).

(6)

Innovations Agronomiques 53 (2016), 39-47 43

Une catégorie de ressource est toutefois très utilisée par l’ensemble des groupes d’abeilles au printemps : les fleurs des arbres et arbustes, généralement dans les haies, lisières de forêt et autre végétation ornementale (châtaigniers, érables, tilleuls, pommiers, pruniers et diverses autres espèces de la famille des rosacées, etc.). La restauration et la gestion appropriée des habitats ligneux apparaissent donc comme un levier d’action efficace pour promouvoir les abeilles au sens large dans les zones de grandes cultures.

Cette étude montre que les MAE orientées habitats (restauration des habitats semi-naturels) auront un fort rendement en terme de nombre d’espèces d’abeilles favorisées par unité de surface, tandis que les MAE orientées ressources (implantations de jachères et bandes fleuries) seront plus efficaces pour promouvoir la densité de quelques espèces communes et mobiles, y-compris l’abeille domestique introduite par l’apiculture. Ces approches sont donc complémentaires car elles favorisent un relâchement du phénomène de compétition possiblement engendré par les espèces communes et majoritaires (abeilles domestiques, certains bourdons) sur les espèces moins communes et aux exigences écologiques plus spécifiques, particulièrement en période de disette (Rollin et al., 2013).

Des données complémentaires restent à acquérir quant au rôle des plantes adventices des cultures dans le maintien des populations d’abeilles (Bretagnolle et Gaba, 2015). Certaines adventices, comme le coquelicot (Papaver rhoeas) associé aux parcelles de blé, peuvent être massivement collectées par les abeilles domestiques en période de disette (Requier et al., 2015). Cependant, selon leur position dans les parcelles, notamment la distance aux bordures, les adventices seront théoriquement moins accessibles aux abeilles sauvages les plus petites qui ont un domaine vital restreint (Bailey et al., 2014).

3. Les plantes adventices fournissent jusqu’à près de 50% du pollen aux abeilles domestiques dans les systèmes de grandes cultures.

Les suivis démographiques et sanitaires des colonies d’abeilles domestiques sur le territoire (dispositif ECOBEE ; Figure 2), ont permis de dresser un état des lieux précis de l’alimentation d’Apis mellifera en système de grandes cultures (Odoux et al., 2014 ; Requier et al., 2015). La méthodologie est basée sur des analyses palynologiques de pelotes de pollen échantillonnées à l’entrée de la ruche au moyen de trappes à pollen. Celles-ci sont composées d’une grille avec des ouvertures étroites à travers lesquelles les abeilles doivent se faufiler, perdant ainsi une partie de leurs pelotes de pollen. Les pelotes récupérées dans un tiroir sont ensuite homogénéisées, dégraissées et identifiées au microscope. En complément, des analyses palynologiques sont effectuées sur des échantillons de miel. En effet, le miel contient des grains de pollen résiduels provenant des plantes visitées pour le nectar. En les identifiant, on peut ainsi obtenir une idée approximative des principales plantes butinées pour le nectar. Les analyses palynologiques réalisées sur 450 échantillons de pollen et 67 de miel (Requier et al., 2015) ont recensé 228 espèces ou groupes de plantes visitées par les abeilles domestiques. Elles ont permis de préciser les parts respectives de l’effort de butinage allouées à la collecte de nectar ou de pollen selon les types de ressources fleuries.

Au début du printemps, plus de 80% des apports polliniques proviennent d’arbres (châtaigniers, érables), d’arbustes ou d’autres plantes associées aux milieux boisés (ronces, aubépines, prunus sp.).

Le colza, à l’inverse ne participe que marginalement à l’apport de pollen (environ 15%), mais contribue à l’essentiel de l’apport en nectar (>80%). A la fin du printemps, pendant la disette printanière qui succède à la floraison du colza, les flux moyens de pollen entrant à la ruche diminuent d’un facteur trois.

C’est pourtant à cette période que la diversité des pollens récoltés est maximale (18 à 26 espèces par échantillonnage d’une journée par les trappes à pollen). La majorité du pollen provient alors de plantes de la strate herbacée, et en particulier des plantes classées comme adventices des cultures (jusqu’à près de 50% du volume pollinique rapporté). Les principales plantes herbacées contribuant au volume pollinique incluent en particulier le coquelicot Papaver rhoeas, la mercuriale Mercurialis annua, le réséda Reseda lutea, ou encore les brassicacées du genre Sinapis.

(7)

M. Henry et al

44 Innovations Agronomiques 53 (2016), 39-47

Au cours de l’été, entre juillet et début août, l’alimentation de l’abeille domestique est de nouveau influencée par la présence d’une culture oléagineuse, le tournesol. Comme le colza, le tournesol est surtout butiné pour son nectar (>80% de l’apport en nectar), mais plus minoritairement pour son pollen (15%), difficile à agréger en raison de sa structure échinée. A cette période, l’apport de pollen est pour moitié assuré par le maïs. Le maïs a un système de pollinisation anémophile (par le vent). Il ne dépend pas des abeilles pour sa pollinisation et ne produit pas de nectar. Mais ses grains de pollen abondants et de grande taille sont facilement amalgamés par les abeilles. Celles-ci n’hésitent pas à le collecter en quantité, malgré sa faible valeur nutritive (teneur en protéines et lipides) (Di Pasquale et al., 2016) et sa forte teneur en amidon que les abeilles sont incapables de métaboliser.

Finalement, en automne, pour préparer leurs colonies à l’hiver, les apiculteurs ont l’habitude de leur faire bénéficier des ressources fournies par les milieux boisés et les intercultures. Une étude s’intéressant aux mécanismes écophysiologiques confirme l’intérêt de cette pratique (Alaux et al., 2016). La probabilité de survie hivernale des colonies est dépendante de la qualité physiologique et vitalité des abeilles. Cette vitalité est elle-même significativement améliorée par la présence de milieux boisés (par exemple les lisières forestières où les abeilles peuvent trouver du lierre, principale source de pollen à cette saison) et des aménagements floristiques tels que les couverts intercultures mellifères (mélanges floraux comprenant par exemple des variétés de moutarde, tournesol, phacélie, trèfle, vesce et autres fabacées facilitant la fixation d’azote).

4. Physiologie de la nutrition : importance de la qualité et de la diversité pollinique pour la santé des abeilles domestiques.

Les abeilles au sens large dépendent de deux types de ressources alimentaires : le nectar comme source de carbohydrates et le pollen comme source de protéines, lipides, acides aminés, vitamines et minéraux. Le nectar assure les apports énergétiques nécessaires aux individus. Chez l’abeille domestique, le nectar collecté et régurgité chargé d’enzymes par les butineuses, est partiellement déshydraté, puis mis en réserve dans les cellules sous forme de miel. Les réserves de miel dans la colonie fluctuent selon la disponibilité des ressources florales, l’activité des butineuses et les besoins de la colonie. Elles augmentent en phase de miellée mais diminuent pendant l’hiver et pendant les périodes de disette. Dans une moindre mesure, le pollen est également stocké dans les cellules sous forme de pain d’abeille. Il est surtout utilisé par les jeunes ouvrières qui achèvent leur constitution et deviennent nourrices. Le pollen est essentiel pour le développement hormonal et des glandes hypopharyngiennes des nourrices et ainsi de la sécrétion de la nourriture destinée aux larves. Le pollen est donc indispensable pour le développement de la colonie et sa survie. A l’échelle individuelle, une privation de pollen aura également des répercussions sur la santé des abeilles, notamment leur immunocompétence et leur tolérance aux pathogènes (Alaux et al., 2010, 2011 ; Di Pasquale et al., 2013), ou encore la survie. Pour mieux appréhender les risques de malnutrition des abeilles dans le contexte des ressources fluctuantes du système de grandes cultures étudié, la qualité nutritive des principales espèces de pollen a été mesurée (Requier et al., 2015), ainsi que leurs effets sur la physiologie des nourrices (Di Pasquale et al., 2016).

Les analyses palynologiques (Requier et al., 2015) suggèrent que les abeilles tendent à collecter des pollens de meilleure qualité nutritive au cours du printemps. En effet, les pollens les plus récoltés (en volume) à cette période sont aussi ceux qui présentent les plus fortes teneurs en protéines et en minéraux. Au même moment, les quantités de couvain dans les ruches sont à leur maximum. Cette relation entre récolte de pollen et qualité nutritive peut donc être perçue comme une stratégie adaptative des colonies visant à optimiser la qualité de l’alimentation larvaire et donc la vitalité des futurs adultes.

Cette hypothèse n’est toutefois pas supportée par le consensus généralement admis selon lequel l’abeille domestique a un comportement de butinage extrêmement généraliste et opportuniste, indépendant de critères qualitatifs. Plus tard dans la saison, en revanche, la relation entre récolte de

(8)

Innovations Agronomiques 53 (2016), 39-47 45

pollen et qualité nutritive disparaît. C’est en particulier vrai l’été, puisque le pollen de maïs, de piètre qualité nutritive, est pourtant de loin le plus récolté (50% du volume pollinique ramené à la ruche).

En reproduisant les variations nutritionnelles saisonnières des abeilles en système de grandes cultures, des tests de laboratoire ont démontré que la faible qualité nutritive du régime pollinique en période de floraison du maïs est reliée à une moins bonne vitalité des abeilles (Di Pasquale et al., 2016). Des groupes expérimentaux de jeunes nourrices ont été élevés avec des échantillons polliniques prélevés dans la zone d’étude à six périodes différentes de la saison apicole. Outre leur longévité, deux mesures physiologiques liées à la qualité et la vitalité des nourrices ont été effectuées : le développement des glandes hypopharyngiennes et la production de vitellogénine, glycolipoprotéine à la fonction d’antioxydant et impliquée dans la sécrétion de la nourriture larvaire. Le développement physiologique des nourrices a suivi des trajectoires différentes selon le régime pollinique reçu. Les longévités les plus réduites et les conditions physiologiques les plus faibles ont été obtenues avec le régime pollinique d’été dominé par le maïs – également caractérisé par les plus bas taux de protéines et lipides. Ce lien entre lacune nutritive et déficience physiologique des nourrices suggère un phénomène de malnutrition saisonnière en début d’été. Des explications alternatives liées aux pesticides ont été écartées car aucun résidu chimique n’a été détecté dans l’échantillon expérimental de pollen. L’hypothèse d’une malnutrition estivale reste à préciser en conditions de plein champ. Mais elle pourrait constituer un facteur de stress supplémentaire qui, combiné à la disette printanière, contribuerait à affaiblir les colonies au cours de la saison apicole.

5. Un processus d’affaiblissement à retardement : la disette alimentaire et ses effets en cascade.

Les dernières études sur l’évolution de l’état des colonies au cours de la saison apicole montrent que le prix de la disette printanière se paye plus tard dans la saison, après une série d’effets en cascade (Requier et al., 2016). La disette printanière caractérisée par une restriction des apports de pollen (Odoux et al., 2014 ; Requier et al., 2015) crée un ralentissement de la production de couvain, donc une diminution de la taille de population adulte plus tard en été, avec en conséquence une mise en réserve réduite de miel en fin d’été et finalement des risques accrus de mortalité de la colonie au cours de l’hiver suivant. Il semble également que l’effet de l’intensité de la disette printanière soit lié à de plus forts taux d’infestation de l’acarien Varroa à la fin de l’été - sans que les mécanismes sous-jacents soient encore complètement déchiffrés. Un lien peut être proposé avec la régulation du comportement hygiénique des ouvrières visant à retirer le couvain infesté par Varroa : lorsque les réserves de pollen viennent à manquer, les ouvrières sont contraintes de réduire leur comportement hygiénique car elles sont mobilisées plus précocement vers l’activité de butinage (Janmaat et Winston, 2000). Des analyses plus avancées montrent que les colonies les moins affectées par la disette sont celles qui ont davantage investi dans la production de couvain plutôt que le miel dès le début du printemps.

Conclusion

Outre les risques associés aux pesticides et aux pathogènes, les colonies d’abeilles en système de grandes cultures doivent composer avec des contraintes alimentaires : restrictions en quantité et en qualité du pollen disponible. Ces restrictions nutritionnelles sont de nature à contribuer à l’affaiblissement des colonies. Les mesures environnementales visant à promouvoir les ressources florales, particulièrement à la fin du printemps et en été, faciliteront la durabilité de l’apiculture dans ces systèmes agricoles. Les abeilles sauvages, de leur côté, seront surtout favorisées par des mesures de restauration des habitats semi-naturels. Dans tous les cas, deux types de mesures seront efficaces pour l’ensemble des groupes d’abeilles : restaurer les milieux boisés du paysage (ressources

(9)

M. Henry et al

46 Innovations Agronomiques 53 (2016), 39-47

nectarifères des haies et lisières forestières) et limiter au strict nécessaire le contrôle des plantes adventices des cultures.

Remerciements

Ces études ont été réalisées par une équipe pluridisciplinaire (instituts de recherche et instituts techniques agricoles et apicoles : INRA, CNRS, ACTA, ITSAP-Institut de l’abeille) rassemblant des spécialistes de l'apidologie, de la biologie du comportement et de l'agro-écologie. Elles ont été portées par l'Unité Mixte Technologique PrADE d'Avignon, et menée en partie sur le dispositif ECOBEE et la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre (région Poitou-Charentes), un territoire dédié à des programmes de recherche sur la biodiversité et les agrosystèmes. Les programmes de recherche ont été financés par les fonds CAS DAR (projet POLINOV) et les fonds européens FEAGA (projet RISQAPI).

Références bibliographiques

Alaux C., Allier F., Decourtye A., Odoux J.-F., Tamic T., Chabirand M., Delestra E., Decugis F., Le Conte Y. Henry M., 2016. A ‘Landscape physiology’ approach to assess bee health highlights the benefits of floral landscape enrichment and semi-natural habitats. Scientific Reports. Sous Presse.

Alaux C., Dantec C., Parrinello H., Le Conte Y., 2011. Nutrigenomics in honey bees: digital gene expression analysis of pollen’s nutritive effects on healthy and varroa-parasitized bees. BMC Genomics, 12, 496.

Alaux C., Ducloz F., Crauser D., Le Conte Y.L., 2010. Diet effects on honeybee immunocompetence.

Biology Letters, rsbl20090986.

Albrecht M., Duelli P., Müller C., Kleijn D., Schmid B., 2007. The Swiss agri-environment scheme enhances pollinator diversity and plant reproductive success in nearby intensively managed farmland.

Journal of Applied Ecology, 44, 813-822.

Bailey S., Requier F., Nusillard B., Roberts S.P., Potts S.G., Bouget C., 2014. Distance from forest edge affects bee pollinators in oilseed rape fields. Ecology and evolution, 4, 370–380.

Biesmeijer J.C., Roberts S.P.M., Reemer M., Ohlemuller R., Edwards M., Peeters T., Schaffers A.P., Potts S.G., Kleukers R., Thomas C.D., Settele J., Kunin W.E., 2006. Parallel Declines in Pollinators and Insect-Pollinated Plants in Britain and the Netherlands. Science, 313, 351-354.

Bretagnolle V., Gaba S., 2015. Weeds for bees? A review. Agronomy for Sustainable Development, 35, 891-909.

Di Pasquale G., Alaux C., Le Conte Y., Odoux J.-F., Pioz M., Vaissière B.E., Belzunces L.P., Decourtye A., 2016. Variations in the Availability of Pollen Resources Affect Honey Bee Health. PloS One, 11, e0162818.

Di Pasquale G., Salignon M., Le Conte Y., Belzunces L.P., Decourtye A., Kretzschmar A., Suchail S., Brunet J.-L., Alaux C., 2013. Influence of pollen nutrition on Honey Bee health: do pollen quality and diversity matter? PLoS One, 8, e72016.

Henry M., Odoux J.-F., Requier F., Rollin O., Tamic T., Toullet C., Le Mogne C., Peyra E., Decourtye A., Aupinel P., Bretagnolle V., 2015. Abeilles domestiques dans une plaine céréalière intensive : la composition du paysage influence la dynamique des colonies. Abeilles et paysages: enjeux apicoles et agricoles, Update Sciences & technologies, Quae (Eds E. Maire et D. Laffly), pp. 115-119.

Janmaat A.F., Winston M.L., 2000. Removal of Varroa jacobsoni infested brood in honey bee colonies with differing pollen stores. Apidologie, 31, 377-385.

Michener C.D., 2007. The Bees of the World, 2nd Revised edition. Johns Hopkins University Press.

Odoux J.-F., Aupinel P., Gateff S., Requier F., Henry M., Bretagnolle V., 2014. ECOBEE: a tool for long-term bee colony monitoring at landscape scale in West European intensive agrosystems. Journal of Apicultural Research, 53, 57-66.

Odoux J.-F., Feuillet D., Aupinel P., Loublier Y., Tasei J.-N., Mateescu C., 2012. Territorial biodiversity

(10)

Innovations Agronomiques 53 (2016), 39-47 47 and consequences on physico-chemical characteristics of pollen collected by honey bee colonies.

Apidologie, 43, 561-575.

Requier F., Odoux J.-F., Henry M., Bretagnolle V., (2016) Carry-over effect of spring pollen shortage threatens survival of honeybee colonies in winter. Journal of Applied Ecology. In Press

Requier F., Odoux J.-F., Tamic T., Moreau N., Henry M., Decourtye A., Bretagnolle V., 2015. Honey bee diet in intensive farmland habitats reveals an unexpectedly high flower richness and a major role of weeds. Ecological Applications, 25, 881-890.

Rollin O., Bretagnolle V., Decourtye A., Michel N., Vaissière B.E., Henry M., 2013. Differences of floral resource use between honey bees and wild bees in an intensive farming system. Agriculture, Ecosystems & Environment, 179, 78-86.

Rollin O., Bretagnolle V., Fortel L., Guilbaud L., Henry M., 2015. Habitat, spatial and temporal drivers of diversity patterns in a wild bee assemblage. Biodiversity and Conservation, 1-20.

Cet article est publié sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0)

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/

Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue « Innovations Agronomiques », la date de sa publication, et son URL ou son DOI)

Références

Documents relatifs

Je remercie également tous les spécialistes de l’Observatoire des Abeilles pour leurs déterminations au long de ces années ; dans l’ordre alphabétique : Matthieu AUBERT ,

Base de données botanique sur Internet pour la disponibilité des ressources aux abeilles domestiques dans un paysage de culture.. Colloque apicole international Franco-Roumain :

Comportement de butinage de l’abeille domestique et des abeilles sauvages dans des vergers de pommiers

Ricketts  &  Imhoff  2003).  Il  n'y  a  encore  aucune  définition  exhaustive  de  ce  qui  est  urbain  (McIntyre,  Knowles‐Yánez  &  Hope  2000), 

tallation de nichoirs à pollinisateurs sauvages – Fortel et al., 2016 ; abandon des pesticides et gestion raisonnée des ressources florales – Garbuzov, 2015) pourraient ainsi

Ces espèces ont en effet pour point commun de nicher dans les arbres creux.. Les nichoirs qu’el- les adoptent ne sont rien d’autre que des arbres creux

Andrena bicolor Andrena (Euandrena) bicolor Fabricius, 1775 Andrena dorsata Andrena (Simandrena) dorsata (Kirby, 1802) Andrena flavipes Andrena (Zonandrena) flavipes Panzer, 1799

On doit se protéger d’une combinaison et une voilette pour ne pas se faire piquer. Le miel (qui est très sucré) se mange sur une tartine, une crêpe, sur