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Bilan d'une réforme économique inachevée en Méditerranée

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Academic year: 2022

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Cahiers du CREAD n°46­47, 4ème trimestre 1998 et 1er trimestre 1999, pages 67­88.

ABDELLATIF  BENACHENHOU

*

Bilan d'une réforme économique inachevée en Méditerranée

INTRODUCTION.

La  mise  en  œuvre  des  réformes  n’est  pas  une  soirée  de  gala.  La réforme  redistribue  le  pouvoir  économique,  réorganise  les  statuts sociaux,  transforme  rapidement  la  répartition  des  revenus,  affecte  la répartition des rentes et des prébendes. Pour toutes ces raisons, des groupes sociaux vont y gagner et d’autres y perdre. Des stratégies et des alliances multiples vont se déployer, évolutives dans le temps qui vont affecter le cheminement des réformes.

On doit rappeler aussi que la  “matière à réformer” n’est pas la même partout. Dans certains pays, les domaines de la réforme sont nombreux en  raison  du  poids  initial  important  de  la  sphère  publique  et  du  caractère  marginal  de  l’économie  libérale  de  marché.  Dans  d’autres situations, des domaines moins nombreux sont à réformer. Israël et la Turquie représentent notamment ce dernier cas tandis que l’Algérie et la Syrie représentent bien l’autre famille. Dans la revue des résultats de la réforme, on devra garder à l’esprit ces deux types de facteurs. Ces résultats peuvent être classés selon le degré de réussite dans la mise en oeuvre de la réforme.

1. LES SUCCES EN DEMI­TEINTE.

La stabilisation macro­économique et la libéralisation externe sont les deux domaines de la réforme où des succès notables ont été atteints.

Mais la structure des économies est telle que les résultats acquis sont fragiles si des progrès ne sont pas faits dans les autres domaines de l’ajustement.

11. La stabilisation macroéconomique.

La stabilisation  paraît être le domaine où  les résultats obtenus ont été  les plus probants dans la plupart des pays. L’inflation a reculé partout, à l’exception  de  la  Turquie,  par  rapport  aux  niveaux  atteints  dans  les années 80. Les déficits publics ont aussi reculé partout, en proportion du PNB, au point que la plupart des pays seraient  éligibles  à  l’Union Monétaire Européenne. L’Algérie réalise même un excédent en 1997.

Mais pour combien de temps, à un moment où  le prix du pétrole recule et  que  les  finances  publiques  de  nombre  de  pays  vont  de  nouveau entrer  dans  une  zone  de  tempête.  Notons  que  le  secret  du redressement s’est  trouvé  du  côté  des  dépenses  et  non  du  côté  des recettes.

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En  règle  générale,  les  paiements  courants  extérieurs  se  sont notablement  redressés  mais  la  dynamique  de  ce  redressement  est différente d’un pays à l’autre. Les dévaluations n’ont pas eu partout les effets  attendus.  Elles  ont  partout  affecté  le  pouvoir  d’achat  des populations  mais  leur  effet  sur  la  compétitivité    est  rien    moins  que certain.

Le  coût  social  de  la  stabilisation  est  considérable  :  la  baisse  ou  la suppression des subventions à la consommation (alimentation, énergie, eau  et  transport),  la  baisse  relative  des  dépenses  publiques d’éducation  et  de  santé,  ont  pesé  sur  les  salaires  réels  des fonctionnaires et du secteur économique. Presque partout, les salaires réels  ont  diminué  ou  au    mieux  stagné.  Un  processus d’appauvrissement affecte le monde du travail, notamment les couches moyennes.

Parmi  les  Pays  Tiers  Méditerranéens  (PTM),  l’Algérie,  l’Egypte,  le Maroc  ont  connu  une  baisse  de  leurs  dépenses  d’équipement.

L’évolution des services publics dans ces pays est très préoccupante et les  réseaux  d’alimentation  en  eau  potable  et  d’assainissement  ne progressent  plus  que  très  lentement.  Leur  entretien  pose  de  plus  en plus  de  problèmes.  Même  les  finances  publiques  turques  sont  en  mauvais état et l’endettement public est très important à l’instar de ce qui se  passe en Algérie, au Maroc et en Egypte.

Le  coût  social  de  la  stabilisation  n’en  garantit  malheureusement  pas l’irréversibilité.  La  raison    en  est  que  les  dérèglements  macro­

économiques  sont  intimement  liés  aux  structures  économiques  et sociales  de  chaque  pays.  Faute  d’ajustement  structurel,  les  mêmes causes    produiront  les  mêmes  effets  et  les  déséquilibres  macro­

économiques seront de retour.

Ainsi,  l’absence  de  réforme  fiscale  produira  toujours  la  fragilité  des finances publiques comme le montrent clairement les cas du  Maroc et de la Turquie. L’absence ou l’insuffisance de restructuration du secteur public  pérennisera  les  déficits  des  entreprises  et  leur  financement public.  L’ouverture  économique  aggravera  le  déficit  des  paiements courants  si  la  production  locale  n’est  pas  rendue  plus  compétitive.

L’inflation repartira  si  la  dévaluation    est  répétitive  et  si  la  production agricole  locale  est  trop  limitée.  Elle  restera  latente  si  des  structures oligopolistiques  persistent  dans  la  production  et  le  commerce.

L’ajustement structurel est la condition d’une stabilisation durable.

12. La libéralisation économique externe.

Par sa nature même, la libéralisation externe est l’objet principal de la négociation  avec  les  institutions  internationales  et  les  partenaires économiques  extérieurs  de  chaque  pays.  La  libéralisation  externe  a connu des progrès importants dans tous les pays étudiés, à l’exception notable de la Syrie.

Dans  tous  les  cas  étudiés,  la  libéralisation  du  commerce  extérieur  a progressé.  Les  monopoles  de  l’Etat  sur  le  commerce  extérieur  ont

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disparu ou ont été sérieusement cantonnés; les droits de douane  ont baissé partout et doivent continuer à baisser en raison notamment de la mise en oeuvre des accords avec l’Union Européenne et/ou l’OMC; les contingentements ont disparu. Mais les mesures d’exception n’ont pas manqué (en Tunisie par exemple).

Mais  il  est  important  aussi  de  noter  la  constitution  quasi  simultanée dans certains pays de nouveaux monopoles privés pour l’importation de certains  produits.  La  libéralisation  externe  n’a  pas  été  suivie nécessairement par des mesures de libéralisation  interne.

Le  cadre  juridique  offert  aux  investissements  directs  extérieurs  s’est amélioré partout, y compris dans la  très austère Syrie. Les conditions d’accueil ont été rendues favorables pour l’investisseur et des garanties lui  sont  données  pour  l’exportation  de  ses  capitaux  et  de  ses  profits.

Nulle  part, à l’exception de la Syrie, l’investisseur étranger n’est obligé de  s’associer  à  une  firme  locale  pour  établir  des  usines.  Ce  fut longtemps  le  cas  et  cette  association  forcée  a  pu  rebuter  plus  d’un investisseur.  Les  pays  ont,  pour  la  plupart,  adhéré  aux  conventions internationales de garantie des investissements.

Mais l’attractivité des pays pour les investisseurs étrangers ne s’est pas accrue  pour  autant,  à  l’exception  du  secteur  des  hydrocarbures  et  de pays  comme  la  Turquie  et  Israël.  Comme    on    le  verra  l’ouverture du secteur  des  hydrocarbures  est  la  règle  partout,  à  l’exception  de  la Turquie.  Il    est    vrai  que  les  conditions  internationales  d’évolution  du secteur  a  aggravé  la  concurrence  entre  les  différentes  zones  de production et incite les pays à s’ouvrir au plus vite.

Le retour à la convertibilité commerciale s’est effectué presque partout, facilitant ainsi l’accès aux équipements et aux matières premières pour l’ensemble des entreprises. Mais ce retour s’est fait à la suite de fortes dévaluations  qui  ont  renchéri  le  coût  de    l’importation  et  freiné  la demande des entreprises et des ménages.

La Turquie est allée encore plus loin  dans le sens de la libéralisation financière puisque, depuis 1989, les Turcs sont autorisés à détenir des comptes en devises dans le pays même. Ils peuvent donc arbitrer entre les placements internes et les placements externes. Ceci a produit une financiarisation  croissante  de  l’économie  au  détriment  de l’investissement productif, comme  on  le  verra.

2. DES PROGRES LENTS.

En matière de libéralisation interne, de restructuration du secteur public industriel et commercial et de réforme du secteur financier, les progrès ont été lents pour des raisons différentes d’un pays à l’autre mais selon des tendances communes.

21. La libéralisation économique interne.

La libéralisation des prix est quasi générale. Mais elle  a souvent été faite  à  contretemps.  Elle  était  censée  restaurer  les  marges  et  les capacités d’autofinancement des entreprises. Mais elles l’ont rarement

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fait parce qu’elles ont été au même moment prises dans la tourmente des  dévaluations  et  de  l’ouverture  des  marchés  qui  ont  déstabilisé  leurs structures financières et laminé leurs marges.

La mise en place de structures économiques concurrentielles est plus facile à légiférer qu’à mettre en place. Les lois  sur  la  concurrence  ne manquent pas mais leur mise en oeuvre est problématique (au Maroc, en  Tunisie  et  en  Turquie  notamment).  Les  structures  oligopolistiques privées semblent résister à la réforme.

L’exemple de la Turquie est significatif à cet égard. Les structures du secteur privé restent très oligopolistiques, ce qui renforce évidemment la  pression  à  la  hausse  des  prix,  très  caractéristique  de  l’économie turque.

Selon  Dutz,  le  degré  de  concentration  industrielle  dans  la  production des  50  produits  les  plus  importants  est  très  élevé  en  1988­89  :  trois entreprises contrôlent en moyenne 86% des productions. On admet que l’ouverture du marché à la concurrence étrangère a pu diminuer cette concentration  mais  non  l’éliminer.  Elle  demeure  très  forte  dans  les circuits de distribution et dans les services où  la présence étrangère est encore limitée.

L’Algérie constitue un autre exemple de concentration économique que la réforme a du mal à entamer. En 1990, au sein du secteur industriel, 110  entreprises  concentrent  78%  de  l’emploi  industriel  total  et  70,5%

de la valeur ajoutée. A l’autre extrême, 20550 entreprises de moins de  10 salariés occupent 7% des travailleurs et réalisent 20% de la valeur ajoutée.  Quarante  des  51  branches  industrielles  possèdent  des coefficients de concentration de 100% (4 entreprises au plus réalisent toutes les ventes).

La libéralisation du marché du travail a progressé presque partout. La fixation  administrative  des  salaires,  selon  une  grille  nationale,  qui  a prévalu  dans  certains  pays,  comme  l’Algérie,  a  disparu  au  profit  des conventions collectives. Les dispositions relatives au salaire minimum et au licenciement existent toujours mais en raison  du développement rapide de l’emploi informel, leur impact pratique est très limité. Dans la réalité, si la pression en faveur de la déréglementation du  marché  du travail est relativement fiable, c’est parce qu’elle s’est imposée dans les faits depuis longtemps. 

22. La restructuration du secteur public.

L’autonomie  des  entreprises  publiques  a  été  proclamée  partout  et  a progressé  sur  le  papier,  mais  pour  l’essentiel  leurs  décisions  de gestion restent dépendantes d’autres acteurs.

Le  programme  de  réforme  des  entreprises  publiques  en  Egypte, annoncé  le  1er  mai    1990  par  le  Président  Moubarak,  comportait  un programme  détaillé de privatisation pour la période allant jusqu’à juin 1992.  Ce  programme  prévoyait  la  cession  d’actifs  détenus  par  le

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secteur public dans environ 240 entreprises mixtes, ainsi que la vente de plus de 2000 petites entreprises publiques locales.

Une nouvelle “loi relative aux entreprises du secteur public”, y compris les arrêtés relatifs à de nouvelles sociétés holding et à leurs filiales, a été  promulguée  en  juin  1991,  l’Etat  devant  jouer  davantage  le  rôle d’investisseur que celui d’administrateur d’entreprises.

Un  bureau  des  entreprises  publiques  (PEO)  a  été  créé  en  vue  de  la privatisation, de la liquidation  et de la gestion des avoirs de l’Etat. Le  PEO  organisera et guidera les nouvelles sociétés holding d’Etat, qui seront  propriétaires  des  entreprises  du  secteur  public  et  qui  en assureront  la  gestion.  Le  principal  objectif  d’une  société  holding  sera d’arriver à la rentabilité financière. Le personnel d’encadrement aura la faculté  de  rechercher  une  plus  grande  rentabilité  en  procédant  à  des ajustements  de  portefeuille,  y    compris  à  la  liquidation  et  à  la privatisation d’entreprises du secteur public.

Toutefois,  les  portefeuilles  devraient  être    convenablement  diversifiés afin  que  les  entreprises  soient  suffisamment  soumises  aux  lois  du marché  et  de  manière  à  éviter  toute  concentration  du  pouvoir d’intervention sur le marché.

Jusqu’en 1992, la Banque Nationale d’Investissement joue  un  rôle  de premier plan dans le  financement des investissements des entreprises du  secteur  public.  A  partir  de  juillet  1992,  les  entreprises    doivent  se procurer  des  ressources  auprès  du  système  bancaire contractuellement.  Les  banques  publiques  qui  financent  les  400 entreprises publiques par des crédits importants à faible taux d’intérêt, n’ont jamais été remboursées. Les entreprises les plus déficitaires sont celles du tissage et de la filature, des engrais, de la construction navale et de la métallurgie.,

La  tutelle  sur  les  entreprises  publiques  devait  cesser  et  l’Etat  se comporter  comme  un  simple  actionnaire.  Mais  les  efforts  de restructuration réalisés jusqu’à présent sont faibles et le fonctionnement du secteur public reste centralisé.

En Tunisie, en 1981, le nombre des entreprises publiques est de près de 300 contre 179 en 1969. L’ensemble des transferts du budget de l’Etat au profit des entreprises publiques est passé de 9,8% du  PIB à 12,2%  en  1984.  La  commission  pour  l’assainissement  et  la restructuration des participations publiques (CAREPP) a été créée en 1989  pour  émettre  des  avis  en  matière  d’assainissement  et  de restructuration des entreprises et de moyens à mettre en oeuvre pour les  réaliser.  Mais  l’ensemble  du  processus  qui  peut  aller  jusqu’à  la privatisation se déroule sous l’œil vigilant de la Direction Générale des entreprises publiques qui dépend directement du Premier Ministre, qui  de  fait  contrôle  toutes  les  étapes  de  la  restructuration  et  de  la privatisation.

Dans  le  cas  Turc,  la  restructuration  du  secteur  public  est  confié  à  un Conseil  National  des  Participations  Publiques  créé  en  1983.  Dès

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l’année  suivante,  l’autonomie  de  décisions  en  matière  de  prix  est donnée  aux  entreprises  qui  ne  sont  plus  habilitées  à  recevoir  des subventions, ni à profiter des avantages fiscaux.

D. Akagul écrit à ce propos, en analysant l’évolution du déficit  public  :

“d’un  autre  côté,  si  le  déficit  des  entreprises  économiques  d’Etat, devenues  autonomes,  qui  avait  atteint  9%  du  PNB  en  1979,  a  été ramené aux alentours de 3%, ce n’est pas parce qu’elles ont réglé leurs problèmes  de  productivité,  mais  uniquement  parce  qu’elles  ont  pu augmenter  leurs  prix  à  la  faveur  de  la  déréglementation.  Leur contribution  à  l’inflation,  au  lieu  de  s’exercer  par  le  biais  de    la monétisation  de  leur  déficit,  se  fait  par  la  hausse  de  leur  prix.  En  d’autres  termes,  la  charge  de  leur  inefficacité  a  été  transférée  du budget de l’Etat à celui des consommateurs”. 

Mais les dévaluations successives, l’évolution des marchés des biens et  du  travail  ont  déstructuré  les  finances  des  entreprises  et  leur redressement est plus que jamais problématique. Leurs fonds propres restent limités et leur attractivité faible en cas de privatisation.

En  Algérie,  les  gestionnaires  des  entreprises  publiques,  aux  prises avec des administrations centrales tatillonnes, ont demandé au pouvoir politique, dès le milieu des années 1970, plus d’autonomie de gestion.

Cette  guérilla  permanente  entre  la  technocratie  d’entreprise  et  la bureaucratie  économique  d’Etat  va  durer  pendant  toute  la  décennie 1970  sous  les  yeux  du  pouvoir  politique  ravi  de  disposer  de  moyens multiples  de  contrôle  sur  des  capitaines  d’industrie  dont  le  pouvoir économique allait croissant. Il faudra attendre le début des années 80 pour  voir  s’imposer,  non  pas  l’autonomisation  des  entreprises,  mais leur  redimensionnement  censé  accroître  leur  efficacité.  De  fait,  le redimensionnement  de  la  taille  des  entreprises  n’a  pas  été accompagné de la transformation de leur mode de gestion et encore moins de leur environnement économique et institutionnel. L’entreprise reste au service de l’Etat qui a des services à rendre à ses clientèles.

En  1988,  la  loi  sur  les  EPE    (Entreprises  Publiques  Economiques) réorganise la propriété de l’Etat et la gestion des entreprises. Elle crée des Fonds de Participation, sociétés fiduciaires auxquelles elle confie la  gestion  des  actions  de  l’Etat.  Les  entreprises  sont  déclarées autonomes et soumises au principe de commercialité donc à la faillite.

Elles sont libres de décider leurs investissements mais doivent  aussi en  rechercher  le  financement  auprès  des  banques.  Elles  ne  peuvent plus  en  principe  compter  sur  le  Trésor  pour  éponger  leurs  déficits.

Enfin; l’entreprise est libre de fixer ses prix à partir de juillet 1989, sauf les  produits  de  base  importés  qui  restent  subventionnés.  Cette démarche n’a  pas  pour  objectif  de  privatiser  à  terme  les  entreprises puisque les actions sont déclarées incessibles, mais de les placer dans le cadre d’une économie de marché ou règnent le contrat et l’Etat de droit.

Mais  les  lois  de  1988  ont  vite  montré  leurs  limites.  Les  fonds  de participation  se  sont  révélés  des  actionnaires  sans  pouvoirs  et  sans moyens.  L’assemblée  générale  de  chaque  fond  a  un  actionnaire

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unique, situation juridique étrange, et celle de l’ensemble des Fonds de Participation est constituée par les membres du gouvernement, ce qui a  confirmé  le  caractère  politique  de  la  formule  adoptée  et  le  pouvoir des tutelles ministérielles.

Les  entreprises  publiques,  dans  une  situation  financière  fragile  et disposant d’un outil de production vieillissant, ont continué à dépendre de leurs tutelles ministérielles ravies de profiter des contradictions de cette réforme en faux semblant, qui n’a en fait jamais remis en cause leurs pouvoirs.

La situation a changé en apparence à partir de 1996 avec la mise en place  de  onze  holdings,  propriétaires  des  entreprises.  Contrairement aux anciens Fonds de participation, les holdings jouissent d’une réelle autonomie  patrimoniale,  juridique  et  économique.  Les  actions  des entreprises  deviennent  cessibles.  Les  holdings  ont  deux  missions principales;  la  restructuration  du  secteur  public  économique  et  la privatisation  comme  moyen  permettant  le  désengagement  de  l’Etat.

Près  de  400  entreprises  publiques  ont  été  réparties  entre  les  onze holdings.  Mais  ils  ne  couvrent  ni  le  secteur  financier  ni  celui  des hydrocarbures  pour  lesquels  d’autres  formules  ont  été  retenues.  Il  est créé  un  Conseil  National  des  Participations  de  l’Etat  chargé  de  la coordination  et  de  l’orientation  de  l’activité  des  holdings  publics  et placé  sous  l’autorité  du  chef  du  gouvernement  qui  en  assure  la présidence.  Le  caractère  politique  de  cette  institution  n’a  échappé  à personne  et  la  composition    des  Directoires  et  des  Conseils  de surveillance  des  holdings  reflète  bien  évidemment  les  équilibres politiques  du  moment.  Dans  ce  contexte  général,  les  missions  de restructuration, de  réhabilitation  et  éventuellement  de  privatisation  qui leur sont confiées par les textes refléteront ces rapports de force.

L’expérience est trop récente pour être évaluée. Mais on peut observer que  les  holdings  ne  disposent  pas  plus  de  fonds  propres  que  les anciens Fonds de participation. C’est un  propriétaire désargenté à qui on confie un patrimoine déstructuré. Il ne peut que vendre au plus offrant sans  avoir  eu  le  temps  de  restaurer  et  de  repeindre  la  maison.  Les entreprises  publiques  sont  sevrés  de  ressources  :  leur  propriétaire légitime ne peut rien pour elles et les banquiers ne peuvent ni ne veulent leur accorder de ressources longues pour leur assainissement ou leur réhabilitation. La vente est la seule issue, mais dans les conditions les moins bonnes qui  soient.  En  l’absence  d’un  marché  actif  des  valeurs mobilières, les modalités de cession sont plus difficiles à définir.

Progressivement aussi, dans presque tous les pays, les politiques de prix,  de  salaires  et  d’emploi  des  entreprises  publiques  ont  été libéralisées.

23. La réforme du secteur financier.

De  façon  générale,  les  banques  publiques  ont  été  soumises  à  un contrôle plus sévère, notamment par le respect de ratios bancaires plus stricts. C’est le cas en Turquie, où  le paysage bancaire est largement dominé par le secteur privé mais où le secteur public a un poids encore

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important. Après la crise financière de 1994 qui a vu la faillite de deux banques  privées,  le  contrôle  bancaire  a  été  renforcé  dès  1995.  La privatisation de 9 banques publiques est projetée.

En Algérie, l’organisation financière du pays  n’a  guère  évolué  depuis une dizaine d’années. Les cinq banques commerciales publiques  qui finançaient surtout les entreprises publiques se cantonnaient de jure au crédit à court terme, devenu de facto à long terme en ce qui concerne les entreprises publiques dont beaucoup ne remboursent pas la dette initiale dont les intérêts sont capitalisés.

La  réforme  financière  en  cours  depuis  l’adoption  de  la  loi  sur  la monnaie et le crédit en 1990 vise à normaliser les banques algériennes en  les  rapprochant  de  ce  qui  existe  dans  les  économies  de  marché.

Mais  aucune  d’entre­elles  n’a  été  privatisée,  partiellement  ou  totalement.  Aucune  banque  privée  d’envergure  n’est  apparue  sur  le marché.  La  petite  Union  Bank,  au  capital  très  limité,  ne  peut évidemment concurrencer les mammouths publics.

Ceux­ci digèrent lentement les créances douteuses héritées du passé, aidés en cela par une activité lucrative dans le crédit commercial  qui s’est  rapidement  développé  avec  la  libéralisation  du  commerce extérieur  et  par  l’Etat  qui  leur  rachète  des  volumes  importants  de créances douteuses sur les entreprises publiques.

La mutation du système financier au Maroc est  tout  aussi  laborieuse.

Depuis 1993, la loi bancaire a essayé d’unifier le cadre juridique des banques,  de  les  soumettre  à  des  ratios  et  de  développer  la concurrence entre­elles.

Quelques années après la promulgation de la nouvelle loi bancaire, la concurrence entre les banques en matière de prix du crédit n’est pas effective.  Regroupées  dans  le  GPBM  (groupement  professionnel  des banques  marocaines),elles  administrent  leur  prix  à  la  manière  d’un cartel. Les taux d’intérêt réels restent élevés, notamment par les PME (de l’ordre de 5 à 6%).

Un mémorandum économique de la Banque Mondiale, en date de juin 1996, établissait le diagnostic suivant du système financier marocain.

“Au Maroc, bien que les réformes effectuées dans le passé aient abouti à  un  assouplissement  des  prix  du  crédit  et  de  son  allocation,  à l’établissement  d’un  cadre  réglementaire  solide  pour  le  secteur bancaire  et  à  la  promotion  d’une  bourse  de  valeurs  à  laquelle  les privatisations ont imprimé un élan, il reste encore beaucoup à faire. Le secteur  financier  du  Maroc  ne  prête  pas  encore  les  services nécessaires  dans  la  mesure  qu’exige  une  croissance  plus  forte  et durable”.

En Egypte, il faudra attendre juin 1998 pour voir le parlement égyptien adopter  un  projet  de  loi  de  privatisation  des  4  grandes  banques publiques qui ôte toutes les limites à l’entrée du secteur privé égyptien ou étranger dans le capital de ces banques. Un projet de loi similaire

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est adopté concernant les 4 grandes compagnies d’assurances et de réassurance. Les quatre banques publiques égyptiennes, disposent de 70%  des  actifs  du    secteur  bancaire  du  pays,  détiennent  60%  des dépôts et accordent 68% des prêts. La National Bank of Egypt contrôle a  elle  seule  27%  des  dépôts.  Les  quatre  compagnies  d’assurances publiques  monopolisent  environ  80%  du  marché  des  assurances  et constituent  un  des  plus  grands  investisseurs  institutionnels  du  pays.

Leur  privatisation    n’est  pas  anodine  dans  le  financement  général  de l’économie  égyptienne.  Il  reste  évidemment  à  savoir  ce  que  sera l’attitude des repreneurs éventuels face à des actifs peu performants de toutes  les  banques,  qui  ont  conduit  les  autorités  à  s’engager  dans  la privatisation.

Les spécialistes estiment que la privatisation des banques ne peut être que  progressive.  Les  autorités  doivent  prendre  en  compte  plusieurs facteurs  :  après  les  déboires  des  banques  islamiques  du  début  des années  90,  les  appréhensions  des  petits  déposants  (70%  de l’ensemble)  à  l’égard  des  banques  privées.  Elles  doivent  aussi  tenir compte  de  la  nécessité  de  continuer  à  financer  les  entreprises publiques dont beaucoup continuent d’obtenir des prêts à découvert qui dépassent  de  très  loin  leur  capital.  La  décision  a  été  donc  prise  de vendre  en  Bourse  une  partie  du  capital  de  la  plus  petite  banque publique,  après  une  injection  d’argent  frais  pour  rassurer  les  futurs actionnaires.

Ce  projet  s’est  heurté  à  l’hostilité  de  certains  parlementaires  qui critiquent  en  particulier  la  possibilité  pour  les  étrangers  d’acquérir  la totalité  du  capital  des  banques  et  des  sociétés  d’assurances, principales  sources  de  financement  de  l’économie.  Le  Président  de l’Union  Banques des Egyptiennes et de la Banque Nationale d’Egypte, M. Abdelaziz, a ainsi proposé la privatisation  des banques publiques par  une  augmentation  du  capital  et  non    par  leur  mise  en  vente,  en commençant d’abord par une seule banque.

En  Syrie,  les  banques  publiques  dominent  le  secteur,  et  fonctionnent comme des caisses d’allocation des ressources, selon des modalités observables  ailleurs.  Récemment,  le  Président  de  la  Chambre Nationale  de    Commerce  et  d’Industrie  a  présenté  un  long  plaidoyer dans  la  presse    en  faveur  de  la  création  d’une  banque  privée.  La privatisation des banques publiques n’est pas du tout à l’ordre du jour.

En  Israël,  après  la  crise  financière  de  1983  qui  a  obligé  l’Etat  à  se porter  au  secours  des  banques  et  de  racheter  des  parts  contre  des titres  publics  distribués,  la  participation  publique  dans  le  capital  des banques  s’est  encore  accrue.  Depuis  1993,  l’Etat  tente  de  se désengager des banques en vendant ses parts. De plus la réforme du secteur  financier  s’est  fixée  pour  objectif  de  moraliser  le  système  en interdisant  que  les  participations  croisées  entre  les  banques  et industrie conduise à une cartellisation de l’activité de crédit.

La réforme du secteur financier semble très laborieuse dans l’ensemble des pays. Faut­il  voir là un  résultat de la situation  difficile des banques publiques,  onéreuses  à  privatiser  en  raison  de  la  structure  de  leurs

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actifs  ou  simplement  l’influence  des  gros  abonnés  que  la  fin    de  la 

“répression financière” ne semble pas avoir découragés.

La situation des banques publiques est différente d’un pays à l’autre et au sein du même pays. Malgré l’accumulation  de créances douteuses, des fonds propres souvent insuffisants et des règles prudentielles plus strictes, ces banques n’ont pas perdu  tout moyen d’action. En général, elles sont les seules à disposer de réseaux de collecte importants, de la  garantie  de  l’Etat  et  aucune  n’a  fait  faillite.  Mais,  en  raison  de  la structure  de  leurs  actifs  encombrés  de  créances  douteuses,  elles  se sont,  de  fait,  trouvées  dans  l’incapacité  de  développer  leurs  crédits, notamment  aux  entreprises  publiques.  La  situation  de  celle­ci  s’est détériorée parce qu’elles se sont trouvées dans l’incapacité de trouver du financement notamment pour le renouvellement et la modernisation de  leurs  équipements.  Elles  peuvent  difficilement  trouver  des ressources sur des marchés de valeurs mobilières encore balbutiant.

D’un autre côté, dans le secteur financier, les Etats ne veulent pas se démunir  de  moyens  d’action  économique.  Comme  dans  les  pays développés, les décideurs souhaitent toujours conserver un instrument de politique industrielle et financière.

Partout, la Banque Centrale est en quête d’autonomie réelle. Là aussi, les  législations  sont  parfois  en  avance  sur  les  comportements,  les réflexes  et  les  rapports  de  force  établis  durant  l’étatisme.  Plus prosaïquement, le statut de la Banque Centrale semble refléter la nature du  consensus  social  concernant  le  financement  de  l’action  de  l’Etat.

Partout  cependant,  en  Tunisie  comme  au  Maroc,  en  Jordanie  et  en Egypte, le financement monétaire du déficit public a régressé. C’est le cas  aussi  en  Turquie,  mais  pas  uniquement.  En  Algérie,  la  loi  sur  la monnaie  et  le  crédit  de  1990  a  renforcé  l’autonomie  de  la  Banque d’Algérie  en  réglementant  notamment  les  avances  au  Trésor.  Pour apprécier la portée de cette loi, il faut garder à l’esprit la conjoncture politique  de  l’époque.  Après  la  victoire  aux  élections  municipales  du parti islamique FIS, les autorités ont jugé bon de sauvegarder le pouvoir monétaire des aléas du populisme ambiant. Mais cette autonomie est fragile.  Au    sortir  de  l’accord  avec  le  F.M.I.,  en  juin  1998,  le gouvernement a fait adopter une loi de finances complémentaires qui prévoit un déficit budgétaire de 3% . Le financement de ce déficit par la banque  d’émission  permettra,  selon  le  gouvernement  de  relancer  les dépenses  publiques  et  la  croissance.  On  voit  bien  que  les  efforts  de stabilisation sont maintenant infléchis.

C’est  une  situation  analogue  qu’on  retrouve  en  Turquie  où  les responsables  de  l’institut  d’émission  ont  tenté  de  préserver,  sans succès,  l’émission    monétaire  des  effets  des  alliances gouvernementales qui prédominent depuis 1987.

En  avril  1994,  un  amendement  à  la  loi  organique  réglemente  de manière  plus  sévère  les  avances  de  la  Banque  Centrale  au  Trésor.

Récemment,  le  gouverneur  turc  de  la  Banque  Centrale  rappelait l’urgence  d’autonomiser  cette  institution,  tant  les  pressions gouvernementales deviennent fortes.

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24. Les privatisations.

Ainsi, les grandes privatisations ont progressé très lentement jusqu’en octobre  1996  :  46  entreprises  ont  été  privatisées  sur  un  total  de  314 entreprises  dont  la  privatisation  avait  été  décidée  depuis  plusieurs années. A partir de cette date, suite au nouvel accord avec le F.M.I., le rythme et l’approche de la privatisation ont changé. En 1996 et 1997, 48  entreprises  sont  privatisées  totalement  ou  partiellement.  Ces privatisations  ont  été  réalisées  dans  les  secteurs  les  plus  florissants (cimenteries,  construction  immobilière  et  agro­alimentaire)    soutenus par  une  demande  locale  forte.  En    1998,  on  a  programmé  la privatisation  de  57  autres  entreprises.  Celles­ci  nécessitent  une restructuration et une réhabilitation préalable.

Le gouvernement a créé à cet effet des fonds spéciaux alimentés par les  premières  privatisations  et  l’aide  internationale.  Il  s’agit  là  d’une démarche cohérente que n’ont pas respecté d’autres pays. Le cas de l’Egypte illustre aussi le poids de la bureaucratie et des intérêts acquis.

On  observe aussi que la demande de privatisation par les titulaires de capitaux à l’extérieur est très faible. Selon Bromley et Bush les capitaux égyptiens à l’extérieur sont de 60 milliards de dollars, somme bien plus importante que le PNB en 1993.

Au  Maroc,  la  démarche  a  été  très  hésitante  depuis  une  dizaine d’années. En avril 1988, le Roi annonce le processus de privatisation dans un discours devant le parlement. Mais ce n’est qu’en 1991  qu’il installe la commission d’évaluation des entreprises privatisables dont la liste  avait  été  arrêtée  en  1989.  Entre  1993  et  1998,  le  rythme  des réalisations est très lent :  27 entreprises ont été  privatisées sur une liste  de  112  entreprises  privatisables;  le  rôle  de  la  Bourse  de Casablanca a été fort utile parce que les titulaires de bons sur le Trésor public  ont  eu  la  possibilité  de  les  échanger  contre  des  actions d’entreprises privatisées.

Ailleurs,  en  Turquie,  la  fonction  budgétaire  de  la  privatisation  semble l’emporter sur sa fonction économique. L’accumulation  et la croissance dans  ce  pays  sont  déjà  prises  en  charge  par  le  secteur  privé,  en coopération active avec les groupes étrangers. Dès mai 1986, une loi est  votée  et  un  programme  important  de  privatisations  est  lancé  : cimenteries  dès  1987,  aciéries  en  1994  et  entreprises  de télécommunication dans les années suivantes. Le  gouvernement  joue un  rôle  important  dans  le  processus  de  négociation  mais  le  pouvoir judiciaire a un rôle de contrôle.

Ainsi, la mise en place, en avril 1996, de “paquets  de  ressources”  et leur  succès  tout  à  fait  limité  indiquent  le  difficile    progrès  de  la privatisation  en  Turquie,  où    on    observe  une  guérilla  juridique importante  à  propos  de  la  cession  des  actifs  publics.  Récemment encore, les juridictions turques ont annulé les contrats de privatisation de 7 centrales électriques passés en 1997 après avoir annulé la vente au profit de l’Etat de biens appartenant à la sécurité sociale.

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En  Tunisie,  après  près  de  10  ans  d’action  de  la  CAREPP,  les réalisations  en  matière  de  privatisation  sont    modestes.  Après quelques  opérations  de  petite  privatisation    dans  l’hôtellerie  et  les industries  agro­alimentaires,  les  réalisations  marquent  le  pas  malgré l’affichage,  chaque  année,  d’une  liste  d’entreprises  à  privatiser.

Quarante  entreprises  ont  été  concernées  jusqu’à  présent.  La privatisation  des  terres  publiques  semble  par  contre  connaître  un certain momentum en raison, semble­t­il, d’une demande pressante de milieux proches du pouvoir.

Par  contre  le  secteur  des  hydrocarbures  et  celui  des  phosphates  ne sont pas concernés par la privatisation.

En Algérie, les opérations de privatisation  des entreprises publiques ont été engagées en avril 1996, mais ont concerné essentiellement la petite privatisation : sur un chiffre initial de 274 entreprises et activités à privatiser ;117 l’ont été sous différentes formes. La privatisation a été relancée  à  la  fin  de  1997.  Le  gouvernement  a  publié  la  liste  des entreprises ou des unités de production privatisables par branches. Les secteurs des services, des matériaux de construction, de la réalisation des grands travaux et de l’agro­alimentaire sont les plus concernés par ce  programme.  On    reporte  à  1999    la  privatisation  des  grandes entreprises.

Les  procédures  de  privatisation  ne  sont  pas  encore  très  claires  et  le rôle  respectif  des  différents  acteurs  publics  n’est  pas  clairement identifié. La question est particulièrement importante pour les holdings, promus récemment propriétaires des entreprises. Selon  la règle des trois  (usus, fructus et abusus) qui structure la propriété en  économie libérale, les holdings devraient être au centre du dispositif d’évaluation et de vente et le produit de la vente devrait leur revenir pour financer une stratégie  de  redéploiement  et  de  valorisation  de  leurs  actifs.  Mais  la doctrine demeure très floue en la  matière et les éventuels acquéreurs sont dans l’expectative.

En Israël, on sait que le secteur public a toujours été important en raison des  conditions  particulières  de  naissance  et  de  développement  de l’économie. Dès le milieu des années 80, le processus de privatisation a  été  renforcé  et  22  entreprises  ont  été  totalement  ou  partiellement privatisées.  En  1992,  le  gouvernement  met  en  place  la  GCA (Coverment  Companies  Authority)  et  a  fait  adopter  une  loi  autorisant cette  institution  à  sanctionner  les  gestionnaires  d’entreprises  qui feraient  montre  de  résistance  à  la  privatisation.  On  sait    que  le  syndicat,  par    ailleurs  propriétaire  de  nombreuses  entreprises,  s’est toujours  déclaré  plutôt  hostile  à  la  privatisation,  notamment  pour  des raisons d’emploi mais  aussi,  dans  certaines  circonstances,  en  raison de l’insuffisante transparence des opérations de privatisation.

En  matière  de  mise  en  oeuvre  de  celle­ci,  on  doit  noter  l’absence quasi­générale de toute concertation sociale. La définition des cahiers des  charges,  quand  il  y  en  a,  leur  discussion  et  leur  finalisation  sont rarement  l’objet  d’un  dialogue  social  associant  notamment  les syndicats,  les  élus  et  les  repreneurs  des  entreprises  publiques.  De

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manière générale, la question des prix est seule prise en considération, les engagements en matière d’emploi, de développement industriel et de  recherche  sont  marginalisés  ou  absents.  Il    y  a  donc  de  fortes chances  que  l’emploi  et  les  rémunérations  servent  de  variable d’ajustement dans le processus de privatisation. De manière générale, la transparence a manqué. Au Maroc, certains observateurs ont noté le rôle clé joué par l’omnium nord­africain dans le transfert du patrimoine public à des intérêts privés.

25. La réforme des finances publiques.

Les  finances  publiques  ont  été  formellement  restaurées.  Les  recettes fiscales,  non  pétrolières,  ne  semblent  pas  être  très  élastiques  à  la croissance ni au rythme des privatisations. La question de la réforme fiscale est évidemment fort importante. C’est un domaine qui cristallise les oppositions sociales les plus flagrantes et révèle les jeux intérêts les plus  subtils.  Le  cas  d’Israël  est  intéressant  en  matière  de  finances publiques. On  sait que la dépense publique, d’armement et de soutien à l’émigration, est au cœur de l’accumulation du capital dans ce pays.

L’arrivée  au  cours  des  dix  dernières  années  de  près  de  600000 nouveaux  émigrants  et  les  dépenses  de  défense  liées  à  la  crise  du  Golfe ont porté la dépense publique à un niveau inégalé jusque là. Le niveau des prélèvements obligatoires qui a toujours été très important avait commencé à décroître à partir de 1985, dans le cadre des efforts de stabilisation et de libéralisation  menés à cette époque. Les niveaux de  l’impôt  sur  les  revenus  et  sur  les  sociétés  ainsi  que  le  taux  des cotisations  sociales  avaient  commencé  à  décliner.  Cette  pression sociale et fiscale importante était évidemment en contradiction avec les déclarations libérales des autorités.

En Algérie, la fiscalité pétrolière domine encore  les  recettes  de  l’Etat malgré  une  restructuration  de  la  fiscalité  à  compter  de  1991,  avec  la réforme de l’impôt sur le revenu et l’introduction de la TVA. Le monde agricole  continue  à  échapper  à  l’impôt  et  les  revenus  industriels  et commerciaux échappent en partie à la fiscalité. Les recettes publiques restent  très  sensibles  à  l’évolution  des  prix  des  hydrocarbures  et  le gouvernement a du emprunter pour faire face en début 1998 à la chute de ces prix. Le Trésor public a ainsi accru un endettement de plus de 2000  milliards  de  dinars,  en  conséquence  du  rééchelonnement  de  la dette extérieure. A compter de l’an 2000, le poids des remboursements dans l’ensemble des dépenses va être considérable.

Pour mesurer les chances de financement des politiques  publiques  à l’avenir, il est important de garder cette fragilité des finances publiques à l’esprit. La dernière preuve en a été donnée en juin 1998 lorsque le gouvernement  a  du,  de  nouveau,  recourir  aux  avances  de  la  Banque Centrale en vue de relancer les dépenses d’équipement.

Au  Maroc,  la  réforme  fiscale  reste  timide.  Les  recettes  douanières représentent  toujours  plus  de  20%  des  recettes  fiscales,  et  près  de 30%  si  on  ajoute  le  montant  de  la  TVA  perçue  à  l’importation.  Les exonérations  sont  nombreuses.  Les  revenus  agricoles,  qui  sont théoriquement  exonérés  jusqu’en  l’an  2000,  ne  sont  compensés  par

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aucune  autre  imposition  du  secteur.  La  décision  de  1984,  au  beau  milieu  de la mise en oeuvre de l’ajustement structurel convenu avec le F.M.I., d’exonérer le monde agricole de toute imposition , révèle bien la nature des alliances : préserver les paysans appauvris tout en faisant un cadeau  royal  à  une  bourgeoisie  rurale  dynamique  et  utile  au  pouvoir.

Les revenus de l’immobilier sont mal connus et faiblement imposés. Le secteur  informel  de  production  et  du  commerce  reste  largement  en dehors de l’assiette fiscale. Mais on observe que dans ce pays, ce sont les  dépenses  publiques  d’équipement  qui  en  ont  été  l’instrument principal.  Les  investissements  publics  au  Maroc  ne  représentent  plus que  16%  alors  que  les  autres  dépenses  sont  restés  relativement stables. Les  conséquences  à  moyen  et  long  terme  de  cette  politique seront évidemment plus graves qu’on ne l’imagine.

On doit aussi signaler la position  particulière de la Turquie qui n’arrive pas à rendre la recette publique aussi élastique à la croissance qu’on pouvait  l’espérer.  Le  poids  du  secteur  informel  est  probablement  la raison  de cet écart..

La politique budgétaire dans ces pays est de plus en plus complexe et les  arbitrages  entre  secteurs  sont  difficiles.  Les  dépenses  de fonctionnement des administrations sont difficiles à réformer en raison du  poids  important  des  rémunérations  des  fonctionnaires  qui constituent la base sociale de beaucoup de régimes et de syndicats.

La  réforme  de  la  fonction  publique  est  prévue  dans  toutes  les déclarations  officielles  mais  sa  réalisation;  en  vue  d’une  meilleure efficacité  des  services  publics  est  très  lente.  Le  renforcement  de l’éducation pour réduire les inégalités coûte cher si on veut améliorer la qualité  et  faciliter  le  renouvellement  des  qualifications  pour  faciliter l’intégration dans l’économie régionale. Une donnée fondamentale doit être rappelée ici : dans tous ces pays, notamment en Afrique du Nord, le poids de la dette est dominant. Au  Maroc, par exemple, 32%  des dépenses publiques sont consacrées au service de la dette. Nulle part, en  dépit  d’endettements  publics  très  importants,  notamment  au Maghreb, en Egypte et en Turquie, n’apparaît une stratégie financière claire  des  Etats.  Nous  verrons  ultérieurement  que  la  restauration  des finances publiques est un  impératif du développement dans ces pays.

26. La réforme agricole.

Dans tous les pays étudiés, l’agriculture présente deux caractéristiques essentielles  :  la  propriété  privée  y  est  dominante  et  les  agriculteurs, notamment les petits paysans n’ont pratiquement aucun rôle significatif dans  la  prise  des  décisions  qui  les  concernent.  Comme  cela  a  été  indiqué  précédemment,  les  situations  agricoles  sont  différentes,  avec des potentiels et des résultats de production diversifiés.

Mais  des  problèmes  communs  attendent  des  solutions  qui  tardent  à venir. Trois exemples nous permettrons de mieux comprendre la portée et les limites des politiques de réforme agricole suivies et la nature des problèmes non réglés.

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En Egypte, suivant les recommandations des institutions internationales et  surtout  de  l’US  Aid  depuis  1987,  les  Egyptiens  ont  conduit,  avec continuité et ténacité une politique de libéralisation du secteur agricole qui a touché les prix, les fermages et les transactions foncières. Cette politique  a  touché  progressivement  toutes  les  cultures,  à  commencer par le blé  dès la fin  des années 80 puis le riz, le maïs et le coton. Les prix ont été libérés, les obligations de culture annulées et les livraisons obligatoires  supprimées.  Les  subventions  aux  intrants  ont  été supprimées,  sauf  partiellement  pour  le  machinisme  agricole.  Les circuits de  commercialisation des produits, y compris à l’exportation, et ceux  d’approvisionnement  de  l’agriculture  ont  été  privatisés  et échappent  dorénavant  au  secteur  étatique  mais  aussi  au  secteur coopératif. Seule la filière de la canne à sucre reste réglementée. En 1992, une loi agraire va démanteler le système mis en place du temps de  Nasser  pour  réglementer  les  fermages.  On  estime  à  30%  la proportion des exploitants agricoles et à 24% le pourcentage des terres concerné par la libération des fermages. En  octobre 1997, cet objectif était  atteint.  Les  fermages  ont  été  multipliés  par  2  ou  3  selon  les régions  et  un  nombre  important  de  paysans,  de  30  à  50%  ont  été amenés  à  quitter  les  terres  affermées.  Certains  d’entre  eux  sont devenus des paysans sans terre.        

Cette loi agraire a provoqué de nombreuses rebellions dont certaines ont été réprimées sans ménagement.

Les  résultats  atteints  grâce  à  cette  libéralisation    sont  notables.  Les productions et les rendements de la plupart des cultures se sont accrus de manière significative, notamment pour le blé, le maïs et la tomate.

Concernant  le  blé,  le  taux  d’autosuffisance  a  continué  à  progresser régulièrement  depuis  10  ans,  passant  de  23%  en  1985  à  51%    en 1995. Des surplus exportables apparaissent dans certaines cultures, ce qui  explique  la  position  de  négociation  des  Egyptiens  face  à  l’Union Européenne. Mais l’élevage a stagné ou reculé dans certaines régions parce que  les  prix  relatifs  ont  favorisé  les  productions  végétales.  Les effets économiques et sociaux ne sont pas encore mesurés. La réforme agricole  en  Egypte  reflète  parfaitement  les  contradictions  du développement  agricole  dans  ce  pays.  La  croissance  agricole  a  été obtenue avec un coût social important et, comme on le  sait aussi, avec un coût environnemental substantiel en raison  du gaspillage de l’eau et d’une  chimisation    croissante  de  l’agriculture  qui  limite  le  modèle européen et arrive à des rendements analogues.

En  Algérie,  une  démarche  analogue  a  été  suivie  depuis  1987    mais avec  des  résultats  économiques  moins  probants.  Après  bien  des réformes,  toutes  marquées  par  de  l’illusion  juridique,  les  terres publiques des 3200 domaines agricoles socialistes sont réparties entre quelque 22000 exploitations, attribuées à de petits collectifs ou à des individus. Les mécanismes d’accès aux terres, qui restent propriété de l’Etat,  et  surtout  aux  moyens  de  production  ont  été  bien  complexes, n’excluant  pas  des  inégalités  et  des  discriminations  flagrantes  en particulier  auprès  des  villes,  grandes  consommatrices  de  fruits  et légumes et éventuellement de terrains à bâtir. Dix ans après, en raison

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de  la  crise    latente  des  collectifs  constitués  mais  aussi  de  la multiplication des transactions illicites sur les terres données en usufruit, c’est la propriété de l’Etat qui est  remise en cause et leur privatisation amorcée. Mais cette privatisation ne va pas régler, à elle toute seule, la crise  de  la  production  agricole.  Elle  intervient  à  un  moment  de renchérissement  brutal  des  moyens  de  production  (engrais, machinisme  agricole,  semences),  élévation  des  taux  bancaires  et assèchement des ressources que le Trésor mettait à la disposition  des exploitations agricoles. Les banques toujours créancières des anciens domaines  agricoles  socialistes  sont  réticentes  à  prêter  à  des exploitations dont la leur parait fragile, qui remboursent peu et dont les titres  de  propriété  ne  peuvent  encore  constituer  hypothèque.

L’investissement  agricole  stagne  depuis  une  dizaine  d’années, notamment  pour  les  grandes  cultures.  De  plus,  dans  un  pays régulièrement  frappé  par  la  sécheresse,  les  assurances  agricoles jouent et aucun fond de garantie n’a été mis en place. Dans ce contexte général,  la  production  et  les  rendements  ne  progressent  guère.

Contrairement à l’agriculture égyptienne qui dispose de ressources en eau et en recherche agronomique substantielles, la réponse de l’offre agricole aux prix a été bien moins évidente en Algérie, alors que ces prix ont été libéralisés bien plus tôt.

En Turquie ou  l’agriculture jouit de conditions naturelles très favorables, l’autosuffisance  alimentaire  est  un  fait  et  le  volume  des  produits exportables en fruits et légumes croissant.

On a pu écrire à ce propos que, “dans la plupart des pays, l’irrigation prend  une  part  majeure  sinon  écrasante  des  quantités  totales  d’eau utilisées : plus de 80% dans presque tous les pays du Sud et jusqu’à 90%  en  Libye.  Cette  part  est  généralement  sans  commune  mesure avec celle des apports  de la production de l’agriculture irrigué au P.I.B.

du pays. Cet état de faits donne lieu à débat dans plusieurs pays  en particulier sur les décisions d’allocation de ressources et sur le prix de l’eau  d’irrigation  généralement  trop  faible.  Le    maintien  et  à  fortiori l’augmentation  des  allocations  d’eau  à  l’irrigation  pourraient,  dans certains  cas,  handicaper  le  développement  d’autres  secteurs  de production à plus forte valeur ajoutée”.

En  effet,  selon  les  informations  complémentaires  fournies  par  la Banque  Mondiale,  70%  de  la  ressource  destinée  à  l’agriculture  est consommée  en  pure  perte.  Si  l‘eau  est  gaspillée  dans  l’agriculture, c’est  en  raison  de  son  faible  prix.  Au  Maroc,  par  exemple,  l’eau d’irrigation est cédée à 10 centimes  le  m3  pour l’irrigation , 2,40 F à 6,40  F  pour  l’alimentation    humaine.  En    Jordanie,  l’eau  potable  est vendue à 1,90 F et l’eau d’irrigation est cédée à 25 centimes.

De plus, il est impossible de récupérer par la tarification les ressources allouées aux investissements dans de nombreux projets d’irrigation qui ne  disposent  pas  alors  des  fonds  nécessaires  à  l’exploitation  et  à  la maintenance des équipements.

27. La réforme de la protection sociale.

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Presque partout, les systèmes d’accès gratuit à la santé ont été remis en cause, avec la réintroduction du ticket modérateur.

Les  transferts  sans  contrepartie  ont  été  démantelés  au  profit  de mécanismes  de  mise  au  travail,  notamment  des  jeunes  au  chômage.

En Egypte  et en Jordanie, de nouvelles institutions ont été mises  en places pour organiser ces actions de transfert.

En  matière  de  protection  sociale,  les  réalisations  sont  nombreuses mais  fragiles.  Les  subventions  à  la  consommation  ont  disparu  ou baissé presque partout sauf en Syrie, affectant le pouvoir d’achat des consommateurs  mais  contribuant  très  sérieusement  au  rééquilibrage des finances publiques (3 à 6 points de PIB selon les pays).

L’histoire sociale de ces ajustements de prix est bien connue : de 1977 à 1989, de nombreuses révoltes ont enflammé les capitales arabes de la région. En Egypte, c’est à trois reprises, en 1997, 1984 et 1986 que les révoltes du pain se sont produites. A deux occasions,  en  1981  et 1984, la hausse des prix a conduit à des manifestations importantes à Casablanca et a incité le gouvernement à reconsidérer ses décisions.

En janvier 1984, c’est au tour de Tunis de s’enflammer contre la hausse du  pain    et  la  décision  fut  reportée.  Lorsque  le  gouvernement  dut  de nouveau baisser les subventions deux ans plus tard. C’est en acceptant simultanément  l’indexation  des  salaires  sur  les  prix.  De  même,  en Jordanie,  en  mars  1989,  les  rues  furent  occupées  en  protestation contre  la  hausse  des  prix.  Tus  ces  événements  ont  conduit  les gouvernements à mettre au point des mécanismes de compensation à la hausse des prix pour les plus démunis.

Des “filets sociaux de sécurité” tentent de protéger les revenus des plus démunis  et  des  institutions  nouvelles  ont  été  mises  en  place  pour développer  des  programmes  de  promotion    de  l’emploi  des  jeunes, notamment. En  Egypte, la création du fonds social de développement dès  1992  a  permis  de  mobiliser  des  ressources  extérieures  pour financer  différents  types  de  création  d’emplois,  notamment  par  le soutien aux PME. L’innovation a consisté à retirer la gestion de cette institution  à  l’administration  et  de  la  confier  à  un  conseil d’administration  dans  lequel  sont  représentés  les  bailleurs  de  fonds.

On espère de ce montage une plus grande efficacité dans la sélection des  programmes  et  des  projets  et  donc  de  meilleures  chances  de réussite et de remboursement des prêts. L’évaluation faite récemment du fonctionnement du fond indique un certain succès même si le coût unitaire  de  l’emploi  créé  semble  très  important  limitant  ainsi  l’impact social de la création du Fond. Une démarche analogue a été adoptée en  Jordanie  avec  la  création  d’un  Fond  National  d’Aide,  après  la suppression des subventions à la consommation.

Dans  ces  deux  expériences,  les  bailleurs  de  fonds  ont  encouragé  la participation des ONG dont ils attendent une meilleure identification des besoins  sociaux  et  une  plus  grande  participation  des  populations  à l’exécution des projets.

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La  réforme  des  régimes  de  sécurité  sociale  est  indispensable  et difficile  dans  tous  ces  pays.  Les  régimes  de  maladie  et  de  retraite, basés sur la répartition, ont du mal à équilibrer leurs comptes. Dans les années  70,  avec  la  croissance  de  l’emploi  et  l’aisance  des  finances publiques, la générosité a prévalu. La médecine a été déclarée gratuite dans  certains  pays  et  l’âge  de  la  retraite  abaissé  au    motif    de  faire place aux jeunes.

Avec  la  crise  des  années  80,  les  cotisations  ont  baissé  et  les subventions  de  l’Etat  sont  moindres.  Les  taux  de  recouvrement  des cotisations  patronales  baissent  un  peu  partout  et  le  paiement  des prestations  devient  problématique.  En  Algérie,  le  paiement  des retraites devient  un    problème  politique.  En  Tunisie  et  en  Turquie,  la Banque  Mondiale  finance  des  opérations  de  restructuration  des caisses  afin  d’en  accroître  le  contrôle.  Certains  experts  vont  jusqu’à proposer la privatisation de la gestion des caisses afin d’en améliorer la productivité.

3. UN  DOMAINE  IMPORTANT  POUR  L'EVALUATION  :  LE DEVELOPPEMENT DU SECTEUR PRIVE.

Le secteur privé est appelé aux commandes de l’accumulation dans la transition vers un régime de croissance libéral en économie  ouverte. Il est donc important d’analyser les tendances d’évolution des entreprises pour vérifier si le rôle qui leur a été attribué, est bien  tenu.

De manière évidemment différente selon les pays, la situation peut­être résumée  de  la  manière  suivante  :  en  dépit  de  la  permanence  des déclarations de principe en faveur du secteur privé, malgré le nombre et la  diversité  des  moyens  mis  en  oeuvre  en  faveur  de  son développement, les résultats atteints jusqu’à présent sont fragiles et les performances  de  l’accumulation  du  secteur  privé  encore  peu convaincantes.

Dans tous les pays étudiés, quoique à des dates différentes, la volonté de  développer  le  secteur  privé  et  d’en  faire  le  moteur  principal  du développement a été affirmée de manière permanente. Pour l’Egypte, Israël et la Tunisie, les années 70 ont marqué le début du  mouvement.

En liquidant l’expérience socialiste attachée au nom de Ben Salah, la Tunisie  ouvre  une  période  d’appui  au  secteur  privé  de  manière diversifiée  :  incitations  fiscales  et  financières  se  multiplient.  Des institutions d’appui au secteur privé sont mises en place. Entre 1972 et 1993,  1600  entreprises  nouvelles  ont  été  établies  en  Tunisie,  créant près  de  120000  emplois.  Plus  de  60%  des  capitaux  sont  nationaux.

90% des capitaux étrangers sont européens, essentiellement français et  allemands.  L’autorisation  préalable  est  supprimée  en  décembre 1993.  Les  entreprises  privées  se  développent  et  diversifient  leurs activités,  notamment  en  partenariat  de  sous­traitance  avec  des entreprises  européennes  dans  le  textile  et  la  confection.  Cette concentration  sectorielle  permet de tirer  profit des débouchés ouverts au  pays  dans  le  cadre  de  l’association  avec  la  communauté économique européenne.

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L’Egypte met en oeuvre la politique d’ouverture (infitah) dès l’arrivée du Président Sadate au pouvoir au début des années 1970. Le pays va  mettre à profit l’afflux des capitaux arabes du Golfe qui se sont accrus à la faveur de la hausse des prix du pétrole en 1973. Le tourisme et le secteur de la construction connaissent un certain essor, facilité par les envois des émigrés égyptiens. De grands groupes privés, comme celui d’Osman, éphémère Premier Ministre, voient le jour et consolident leur pouvoir économique, sinon politique.

Dans  les  années  80,  c’est  au  tour  du  Maroc  et  de  la  Turquie  de réaffirmer leur engagement en faveur du secteur privé.

En 1980, l’artisan du libéralisme turc, Turgut Ozal faisait la déclaration de  principe  suivante    «  depuis  1980,  nous  sommes  passés  d’une économie  étatisée  à  une  économie  libérale,  autrement  dit,  d’un système planifié de type semi­socialiste à une société offrant à chaque individu  une    plus  grande  liberté  grâce  à  un  processus  général  de libéralisation.  Nous  avons  libéralisé  les  importations  et  les  changes, aboli le contrôle des prix. Nous n’avons investi les revenus de l’Etat que dans la réalisation d’infrastructures. Nous avons rendu possible l’action du  secteur  privé  et  des  hommes  entreprenants.  Nous  avons  entamé  une politique de privatisation.  Ainsi les énergies réprimées depuis des siècles  se  sont­elles  trouvées  tout  à  coup  libérées,  permettant  aux hommes  d’affaires  et  aux  constructeurs  turcs  de  s’implanter  dans  le monde  extérieur.  L’équilibre  économique s’est instauré dans le cadre du marché. Le développement ne dépend plus de la seule volonté de l’Etat. Nous avons mis en marche un processus d’évolution organique qui progresse de lui­même ». 

Dans les années 80, c’est au tour de l’Algérie, de la Jordanie et de la Syrie de prendre de nouvelles mesures en faveur du développement du secteur privé.

En 1988, l’Algérie supprime la sacro­sainte autorisation préalable qui avait  gouverné  l’investissement  privé  pendant  plus  de  20  ans.  Mais l’allocation de devises reste gérée administrativement et les contraintes bureaucratiques  sont  toujours  présentes,  notamment  pour  l’accès  aux terrains.  Le  gouvernement  renouvelle  son  appui  par  la  loi  d’octobre 1994 qui organise un guichet unique pour les investisseurs et accorde des avantages financiers et fiscaux substantiels. Mais le véritable signal est  intervenu  en  octobre  1994  avec  la  possibilité  donnée  aux entreprises  privées  d’accéder  aux  devises.  Malheureusement,  cette mesure aura peu d’effets sur l’investissement productif. Des conditions macro­économiques  défavorables  vont  affaiblir  l’incitation  à  investir  : pertes de change liées à la dévaluation, rétrécissement des marchés lié  à  la  déprotection  et  à  la  stabilisation.  Paradoxalement,  dans  ce pays,  la  décennie  1990  se  caractérise  par  une  relative  libéralisation mais  l’investissement  privé    stagne.  Les  entreprises  privées  se convertissent dans le commerce dont la  profitabilité  est  supérieure  et les risques moins grands que dans l’industrie.

La Syrie a adopté en 1991 la loi n° 10 qui trace le cadre de l’activité des entreprises privées locales et étrangères.

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Les  statistiques  officielles  indiquent  une  progression  très  forte  des investissements  privés.  1500  projets  d’une  valeur  globale  de    9  milliards de dollars auraient été approuvés. En effet, on a assisté  à une croissance  de  l’investissement  dans  l’agro­alimentaire,  dans  la production  pharmaceutique,  dans  les  transports,  dans  le  petit équipement ménager et, bien entendu, dans le textile et la confection où le  pays  a  de  bonnes  traditions.  Selon    les  statistiques  officielles,  le  secteur  privé  serait  responsable  de  65%  de  la  valeur  ajoutée  dans l’industrie et de 75% de la valeur ajoutée dans les transports. Il fournirait 75%  de  l’emploi  et  réaliserait  60%  de  l’investissement  global.  Ces réalisations  placeraient  la  Syrie  parmi    les  pays  les  plus  ouverts  à l’économie  de  marché.  Mais  il  est  probable  que  tous  les  projets  ne soient  pas  suivis  d’effets  et  il  est  difficile  de  connaître  le  taux  de réalisation des investissements. L’allocation administrative des devises et le  mode archaïque de fonctionnement du secteur du crédit obligent à rester prudent face à ces statistiques. Plusieurs indices, comme la fuite des capitaux, concordent dans le même sens.

Dans  le  cas  de  la  Turquie,  l’accumulation  du  secteur  privé  s’est consolidée progressivement depuis plusieurs décennies. Depuis 1994, elle a dépassé largement en rythme et en  valeur absolue l’accumulation dans  secteur  public.  Le  secteur  privé  réalise  actuellement  70%  de l’investissement  global.  Des  programmes  annuels  d’incitation  à l’investissement sont définis.

Ainsi, en Turquie ou le poids du secteur privé dans l’accumulation est dominant et de manière croissante, la qualité de  l’accumulation qui a de l’importance en économie ouverte laisse à désirer. D. Akagul écrit à ce propos : « à la recherche de rente dans un secteur industriel protégé de  la  concurrence  s’est  substituée  la  recherche  de  rente  dans  les activités  commerciales  et  financières.  La  disparition  des  quotas d’importation,  qui    constituaient  une  source  de  rentes,  fut contrebalancée  par  les  possibilités  qu’offraient  les  incitations  à l’exportation  qui  s’adressaient  aux  firmes  exportatrices  et,  non  aux producteurs,  les  exportations  fantômes  se  chiffrant  en  milliards  de dollars.  La  Bourse  d’Istanbul,  très  largement  dominée  par  les  titres publics, et qui de ce fait se prête facilement aux délits d’initiés a permis aux personnalités proches  du  pouvoir  d’accumuler  des  fortunes.  Pour résumer, on peut dire que si le discours dominant à partir  des années 80 affirmait la confiance accordée à l’initiative privée, les pratiques du pouvoir en revanche, loin de faire disparaître les anciennes rationalités fondées sur la recherche de rente, ont empêché que se développe une rationalité  fondées  sur  la  recherche  de  profit  dans  les  secteurs productifs ».

Les  juristes  nous  offrent  aussi  une  analyse  digne  d’intérêt.  Ils  notent partout  le  penchant  des  entrepreneurs  de  la  Méditerranée  à  préférer des structures juridiques particulières d’entreprises : sociétés en nom collectif,  sociétés  à  responsabilité  limitée.  Ils  dénombrent  un  nombre très  réduit  de  sociétés  anonymes,  mêmes  parmi  les  entreprises  les plus puissantes de chaque pays. A la faveur du lancement des bourses de  valeurs  mobilières,  au  Caire  comme  à  Casablanca,  à  Istanbul

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