Cahiers du CREAD n°4647, 4ème trimestre 1998 et 1er trimestre 1999, pages 6788.
ABDELLATIF BENACHENHOU
*Bilan d'une réforme économique inachevée en Méditerranée
INTRODUCTION.
La mise en œuvre des réformes n’est pas une soirée de gala. La réforme redistribue le pouvoir économique, réorganise les statuts sociaux, transforme rapidement la répartition des revenus, affecte la répartition des rentes et des prébendes. Pour toutes ces raisons, des groupes sociaux vont y gagner et d’autres y perdre. Des stratégies et des alliances multiples vont se déployer, évolutives dans le temps qui vont affecter le cheminement des réformes.
On doit rappeler aussi que la “matière à réformer” n’est pas la même partout. Dans certains pays, les domaines de la réforme sont nombreux en raison du poids initial important de la sphère publique et du caractère marginal de l’économie libérale de marché. Dans d’autres situations, des domaines moins nombreux sont à réformer. Israël et la Turquie représentent notamment ce dernier cas tandis que l’Algérie et la Syrie représentent bien l’autre famille. Dans la revue des résultats de la réforme, on devra garder à l’esprit ces deux types de facteurs. Ces résultats peuvent être classés selon le degré de réussite dans la mise en oeuvre de la réforme.
1. LES SUCCES EN DEMITEINTE.
La stabilisation macroéconomique et la libéralisation externe sont les deux domaines de la réforme où des succès notables ont été atteints.
Mais la structure des économies est telle que les résultats acquis sont fragiles si des progrès ne sont pas faits dans les autres domaines de l’ajustement.
11. La stabilisation macroéconomique.
La stabilisation paraît être le domaine où les résultats obtenus ont été les plus probants dans la plupart des pays. L’inflation a reculé partout, à l’exception de la Turquie, par rapport aux niveaux atteints dans les années 80. Les déficits publics ont aussi reculé partout, en proportion du PNB, au point que la plupart des pays seraient éligibles à l’Union Monétaire Européenne. L’Algérie réalise même un excédent en 1997.
Mais pour combien de temps, à un moment où le prix du pétrole recule et que les finances publiques de nombre de pays vont de nouveau entrer dans une zone de tempête. Notons que le secret du redressement s’est trouvé du côté des dépenses et non du côté des recettes.
En règle générale, les paiements courants extérieurs se sont notablement redressés mais la dynamique de ce redressement est différente d’un pays à l’autre. Les dévaluations n’ont pas eu partout les effets attendus. Elles ont partout affecté le pouvoir d’achat des populations mais leur effet sur la compétitivité est rien moins que certain.
Le coût social de la stabilisation est considérable : la baisse ou la suppression des subventions à la consommation (alimentation, énergie, eau et transport), la baisse relative des dépenses publiques d’éducation et de santé, ont pesé sur les salaires réels des fonctionnaires et du secteur économique. Presque partout, les salaires réels ont diminué ou au mieux stagné. Un processus d’appauvrissement affecte le monde du travail, notamment les couches moyennes.
Parmi les Pays Tiers Méditerranéens (PTM), l’Algérie, l’Egypte, le Maroc ont connu une baisse de leurs dépenses d’équipement.
L’évolution des services publics dans ces pays est très préoccupante et les réseaux d’alimentation en eau potable et d’assainissement ne progressent plus que très lentement. Leur entretien pose de plus en plus de problèmes. Même les finances publiques turques sont en mauvais état et l’endettement public est très important à l’instar de ce qui se passe en Algérie, au Maroc et en Egypte.
Le coût social de la stabilisation n’en garantit malheureusement pas l’irréversibilité. La raison en est que les dérèglements macro
économiques sont intimement liés aux structures économiques et sociales de chaque pays. Faute d’ajustement structurel, les mêmes causes produiront les mêmes effets et les déséquilibres macro
économiques seront de retour.
Ainsi, l’absence de réforme fiscale produira toujours la fragilité des finances publiques comme le montrent clairement les cas du Maroc et de la Turquie. L’absence ou l’insuffisance de restructuration du secteur public pérennisera les déficits des entreprises et leur financement public. L’ouverture économique aggravera le déficit des paiements courants si la production locale n’est pas rendue plus compétitive.
L’inflation repartira si la dévaluation est répétitive et si la production agricole locale est trop limitée. Elle restera latente si des structures oligopolistiques persistent dans la production et le commerce.
L’ajustement structurel est la condition d’une stabilisation durable.
12. La libéralisation économique externe.
Par sa nature même, la libéralisation externe est l’objet principal de la négociation avec les institutions internationales et les partenaires économiques extérieurs de chaque pays. La libéralisation externe a connu des progrès importants dans tous les pays étudiés, à l’exception notable de la Syrie.
Dans tous les cas étudiés, la libéralisation du commerce extérieur a progressé. Les monopoles de l’Etat sur le commerce extérieur ont
disparu ou ont été sérieusement cantonnés; les droits de douane ont baissé partout et doivent continuer à baisser en raison notamment de la mise en oeuvre des accords avec l’Union Européenne et/ou l’OMC; les contingentements ont disparu. Mais les mesures d’exception n’ont pas manqué (en Tunisie par exemple).
Mais il est important aussi de noter la constitution quasi simultanée dans certains pays de nouveaux monopoles privés pour l’importation de certains produits. La libéralisation externe n’a pas été suivie nécessairement par des mesures de libéralisation interne.
Le cadre juridique offert aux investissements directs extérieurs s’est amélioré partout, y compris dans la très austère Syrie. Les conditions d’accueil ont été rendues favorables pour l’investisseur et des garanties lui sont données pour l’exportation de ses capitaux et de ses profits.
Nulle part, à l’exception de la Syrie, l’investisseur étranger n’est obligé de s’associer à une firme locale pour établir des usines. Ce fut longtemps le cas et cette association forcée a pu rebuter plus d’un investisseur. Les pays ont, pour la plupart, adhéré aux conventions internationales de garantie des investissements.
Mais l’attractivité des pays pour les investisseurs étrangers ne s’est pas accrue pour autant, à l’exception du secteur des hydrocarbures et de pays comme la Turquie et Israël. Comme on le verra l’ouverture du secteur des hydrocarbures est la règle partout, à l’exception de la Turquie. Il est vrai que les conditions internationales d’évolution du secteur a aggravé la concurrence entre les différentes zones de production et incite les pays à s’ouvrir au plus vite.
Le retour à la convertibilité commerciale s’est effectué presque partout, facilitant ainsi l’accès aux équipements et aux matières premières pour l’ensemble des entreprises. Mais ce retour s’est fait à la suite de fortes dévaluations qui ont renchéri le coût de l’importation et freiné la demande des entreprises et des ménages.
La Turquie est allée encore plus loin dans le sens de la libéralisation financière puisque, depuis 1989, les Turcs sont autorisés à détenir des comptes en devises dans le pays même. Ils peuvent donc arbitrer entre les placements internes et les placements externes. Ceci a produit une financiarisation croissante de l’économie au détriment de l’investissement productif, comme on le verra.
2. DES PROGRES LENTS.
En matière de libéralisation interne, de restructuration du secteur public industriel et commercial et de réforme du secteur financier, les progrès ont été lents pour des raisons différentes d’un pays à l’autre mais selon des tendances communes.
21. La libéralisation économique interne.
La libéralisation des prix est quasi générale. Mais elle a souvent été faite à contretemps. Elle était censée restaurer les marges et les capacités d’autofinancement des entreprises. Mais elles l’ont rarement
fait parce qu’elles ont été au même moment prises dans la tourmente des dévaluations et de l’ouverture des marchés qui ont déstabilisé leurs structures financières et laminé leurs marges.
La mise en place de structures économiques concurrentielles est plus facile à légiférer qu’à mettre en place. Les lois sur la concurrence ne manquent pas mais leur mise en oeuvre est problématique (au Maroc, en Tunisie et en Turquie notamment). Les structures oligopolistiques privées semblent résister à la réforme.
L’exemple de la Turquie est significatif à cet égard. Les structures du secteur privé restent très oligopolistiques, ce qui renforce évidemment la pression à la hausse des prix, très caractéristique de l’économie turque.
Selon Dutz, le degré de concentration industrielle dans la production des 50 produits les plus importants est très élevé en 198889 : trois entreprises contrôlent en moyenne 86% des productions. On admet que l’ouverture du marché à la concurrence étrangère a pu diminuer cette concentration mais non l’éliminer. Elle demeure très forte dans les circuits de distribution et dans les services où la présence étrangère est encore limitée.
L’Algérie constitue un autre exemple de concentration économique que la réforme a du mal à entamer. En 1990, au sein du secteur industriel, 110 entreprises concentrent 78% de l’emploi industriel total et 70,5%
de la valeur ajoutée. A l’autre extrême, 20550 entreprises de moins de 10 salariés occupent 7% des travailleurs et réalisent 20% de la valeur ajoutée. Quarante des 51 branches industrielles possèdent des coefficients de concentration de 100% (4 entreprises au plus réalisent toutes les ventes).
La libéralisation du marché du travail a progressé presque partout. La fixation administrative des salaires, selon une grille nationale, qui a prévalu dans certains pays, comme l’Algérie, a disparu au profit des conventions collectives. Les dispositions relatives au salaire minimum et au licenciement existent toujours mais en raison du développement rapide de l’emploi informel, leur impact pratique est très limité. Dans la réalité, si la pression en faveur de la déréglementation du marché du travail est relativement fiable, c’est parce qu’elle s’est imposée dans les faits depuis longtemps.
22. La restructuration du secteur public.
L’autonomie des entreprises publiques a été proclamée partout et a progressé sur le papier, mais pour l’essentiel leurs décisions de gestion restent dépendantes d’autres acteurs.
Le programme de réforme des entreprises publiques en Egypte, annoncé le 1er mai 1990 par le Président Moubarak, comportait un programme détaillé de privatisation pour la période allant jusqu’à juin 1992. Ce programme prévoyait la cession d’actifs détenus par le
secteur public dans environ 240 entreprises mixtes, ainsi que la vente de plus de 2000 petites entreprises publiques locales.
Une nouvelle “loi relative aux entreprises du secteur public”, y compris les arrêtés relatifs à de nouvelles sociétés holding et à leurs filiales, a été promulguée en juin 1991, l’Etat devant jouer davantage le rôle d’investisseur que celui d’administrateur d’entreprises.
Un bureau des entreprises publiques (PEO) a été créé en vue de la privatisation, de la liquidation et de la gestion des avoirs de l’Etat. Le PEO organisera et guidera les nouvelles sociétés holding d’Etat, qui seront propriétaires des entreprises du secteur public et qui en assureront la gestion. Le principal objectif d’une société holding sera d’arriver à la rentabilité financière. Le personnel d’encadrement aura la faculté de rechercher une plus grande rentabilité en procédant à des ajustements de portefeuille, y compris à la liquidation et à la privatisation d’entreprises du secteur public.
Toutefois, les portefeuilles devraient être convenablement diversifiés afin que les entreprises soient suffisamment soumises aux lois du marché et de manière à éviter toute concentration du pouvoir d’intervention sur le marché.
Jusqu’en 1992, la Banque Nationale d’Investissement joue un rôle de premier plan dans le financement des investissements des entreprises du secteur public. A partir de juillet 1992, les entreprises doivent se procurer des ressources auprès du système bancaire contractuellement. Les banques publiques qui financent les 400 entreprises publiques par des crédits importants à faible taux d’intérêt, n’ont jamais été remboursées. Les entreprises les plus déficitaires sont celles du tissage et de la filature, des engrais, de la construction navale et de la métallurgie.,
La tutelle sur les entreprises publiques devait cesser et l’Etat se comporter comme un simple actionnaire. Mais les efforts de restructuration réalisés jusqu’à présent sont faibles et le fonctionnement du secteur public reste centralisé.
En Tunisie, en 1981, le nombre des entreprises publiques est de près de 300 contre 179 en 1969. L’ensemble des transferts du budget de l’Etat au profit des entreprises publiques est passé de 9,8% du PIB à 12,2% en 1984. La commission pour l’assainissement et la restructuration des participations publiques (CAREPP) a été créée en 1989 pour émettre des avis en matière d’assainissement et de restructuration des entreprises et de moyens à mettre en oeuvre pour les réaliser. Mais l’ensemble du processus qui peut aller jusqu’à la privatisation se déroule sous l’œil vigilant de la Direction Générale des entreprises publiques qui dépend directement du Premier Ministre, qui de fait contrôle toutes les étapes de la restructuration et de la privatisation.
Dans le cas Turc, la restructuration du secteur public est confié à un Conseil National des Participations Publiques créé en 1983. Dès
l’année suivante, l’autonomie de décisions en matière de prix est donnée aux entreprises qui ne sont plus habilitées à recevoir des subventions, ni à profiter des avantages fiscaux.
D. Akagul écrit à ce propos, en analysant l’évolution du déficit public :
“d’un autre côté, si le déficit des entreprises économiques d’Etat, devenues autonomes, qui avait atteint 9% du PNB en 1979, a été ramené aux alentours de 3%, ce n’est pas parce qu’elles ont réglé leurs problèmes de productivité, mais uniquement parce qu’elles ont pu augmenter leurs prix à la faveur de la déréglementation. Leur contribution à l’inflation, au lieu de s’exercer par le biais de la monétisation de leur déficit, se fait par la hausse de leur prix. En d’autres termes, la charge de leur inefficacité a été transférée du budget de l’Etat à celui des consommateurs”.
Mais les dévaluations successives, l’évolution des marchés des biens et du travail ont déstructuré les finances des entreprises et leur redressement est plus que jamais problématique. Leurs fonds propres restent limités et leur attractivité faible en cas de privatisation.
En Algérie, les gestionnaires des entreprises publiques, aux prises avec des administrations centrales tatillonnes, ont demandé au pouvoir politique, dès le milieu des années 1970, plus d’autonomie de gestion.
Cette guérilla permanente entre la technocratie d’entreprise et la bureaucratie économique d’Etat va durer pendant toute la décennie 1970 sous les yeux du pouvoir politique ravi de disposer de moyens multiples de contrôle sur des capitaines d’industrie dont le pouvoir économique allait croissant. Il faudra attendre le début des années 80 pour voir s’imposer, non pas l’autonomisation des entreprises, mais leur redimensionnement censé accroître leur efficacité. De fait, le redimensionnement de la taille des entreprises n’a pas été accompagné de la transformation de leur mode de gestion et encore moins de leur environnement économique et institutionnel. L’entreprise reste au service de l’Etat qui a des services à rendre à ses clientèles.
En 1988, la loi sur les EPE (Entreprises Publiques Economiques) réorganise la propriété de l’Etat et la gestion des entreprises. Elle crée des Fonds de Participation, sociétés fiduciaires auxquelles elle confie la gestion des actions de l’Etat. Les entreprises sont déclarées autonomes et soumises au principe de commercialité donc à la faillite.
Elles sont libres de décider leurs investissements mais doivent aussi en rechercher le financement auprès des banques. Elles ne peuvent plus en principe compter sur le Trésor pour éponger leurs déficits.
Enfin; l’entreprise est libre de fixer ses prix à partir de juillet 1989, sauf les produits de base importés qui restent subventionnés. Cette démarche n’a pas pour objectif de privatiser à terme les entreprises puisque les actions sont déclarées incessibles, mais de les placer dans le cadre d’une économie de marché ou règnent le contrat et l’Etat de droit.
Mais les lois de 1988 ont vite montré leurs limites. Les fonds de participation se sont révélés des actionnaires sans pouvoirs et sans moyens. L’assemblée générale de chaque fond a un actionnaire
unique, situation juridique étrange, et celle de l’ensemble des Fonds de Participation est constituée par les membres du gouvernement, ce qui a confirmé le caractère politique de la formule adoptée et le pouvoir des tutelles ministérielles.
Les entreprises publiques, dans une situation financière fragile et disposant d’un outil de production vieillissant, ont continué à dépendre de leurs tutelles ministérielles ravies de profiter des contradictions de cette réforme en faux semblant, qui n’a en fait jamais remis en cause leurs pouvoirs.
La situation a changé en apparence à partir de 1996 avec la mise en place de onze holdings, propriétaires des entreprises. Contrairement aux anciens Fonds de participation, les holdings jouissent d’une réelle autonomie patrimoniale, juridique et économique. Les actions des entreprises deviennent cessibles. Les holdings ont deux missions principales; la restructuration du secteur public économique et la privatisation comme moyen permettant le désengagement de l’Etat.
Près de 400 entreprises publiques ont été réparties entre les onze holdings. Mais ils ne couvrent ni le secteur financier ni celui des hydrocarbures pour lesquels d’autres formules ont été retenues. Il est créé un Conseil National des Participations de l’Etat chargé de la coordination et de l’orientation de l’activité des holdings publics et placé sous l’autorité du chef du gouvernement qui en assure la présidence. Le caractère politique de cette institution n’a échappé à personne et la composition des Directoires et des Conseils de surveillance des holdings reflète bien évidemment les équilibres politiques du moment. Dans ce contexte général, les missions de restructuration, de réhabilitation et éventuellement de privatisation qui leur sont confiées par les textes refléteront ces rapports de force.
L’expérience est trop récente pour être évaluée. Mais on peut observer que les holdings ne disposent pas plus de fonds propres que les anciens Fonds de participation. C’est un propriétaire désargenté à qui on confie un patrimoine déstructuré. Il ne peut que vendre au plus offrant sans avoir eu le temps de restaurer et de repeindre la maison. Les entreprises publiques sont sevrés de ressources : leur propriétaire légitime ne peut rien pour elles et les banquiers ne peuvent ni ne veulent leur accorder de ressources longues pour leur assainissement ou leur réhabilitation. La vente est la seule issue, mais dans les conditions les moins bonnes qui soient. En l’absence d’un marché actif des valeurs mobilières, les modalités de cession sont plus difficiles à définir.
Progressivement aussi, dans presque tous les pays, les politiques de prix, de salaires et d’emploi des entreprises publiques ont été libéralisées.
23. La réforme du secteur financier.
De façon générale, les banques publiques ont été soumises à un contrôle plus sévère, notamment par le respect de ratios bancaires plus stricts. C’est le cas en Turquie, où le paysage bancaire est largement dominé par le secteur privé mais où le secteur public a un poids encore
important. Après la crise financière de 1994 qui a vu la faillite de deux banques privées, le contrôle bancaire a été renforcé dès 1995. La privatisation de 9 banques publiques est projetée.
En Algérie, l’organisation financière du pays n’a guère évolué depuis une dizaine d’années. Les cinq banques commerciales publiques qui finançaient surtout les entreprises publiques se cantonnaient de jure au crédit à court terme, devenu de facto à long terme en ce qui concerne les entreprises publiques dont beaucoup ne remboursent pas la dette initiale dont les intérêts sont capitalisés.
La réforme financière en cours depuis l’adoption de la loi sur la monnaie et le crédit en 1990 vise à normaliser les banques algériennes en les rapprochant de ce qui existe dans les économies de marché.
Mais aucune d’entreelles n’a été privatisée, partiellement ou totalement. Aucune banque privée d’envergure n’est apparue sur le marché. La petite Union Bank, au capital très limité, ne peut évidemment concurrencer les mammouths publics.
Ceuxci digèrent lentement les créances douteuses héritées du passé, aidés en cela par une activité lucrative dans le crédit commercial qui s’est rapidement développé avec la libéralisation du commerce extérieur et par l’Etat qui leur rachète des volumes importants de créances douteuses sur les entreprises publiques.
La mutation du système financier au Maroc est tout aussi laborieuse.
Depuis 1993, la loi bancaire a essayé d’unifier le cadre juridique des banques, de les soumettre à des ratios et de développer la concurrence entreelles.
Quelques années après la promulgation de la nouvelle loi bancaire, la concurrence entre les banques en matière de prix du crédit n’est pas effective. Regroupées dans le GPBM (groupement professionnel des banques marocaines),elles administrent leur prix à la manière d’un cartel. Les taux d’intérêt réels restent élevés, notamment par les PME (de l’ordre de 5 à 6%).
Un mémorandum économique de la Banque Mondiale, en date de juin 1996, établissait le diagnostic suivant du système financier marocain.
“Au Maroc, bien que les réformes effectuées dans le passé aient abouti à un assouplissement des prix du crédit et de son allocation, à l’établissement d’un cadre réglementaire solide pour le secteur bancaire et à la promotion d’une bourse de valeurs à laquelle les privatisations ont imprimé un élan, il reste encore beaucoup à faire. Le secteur financier du Maroc ne prête pas encore les services nécessaires dans la mesure qu’exige une croissance plus forte et durable”.
En Egypte, il faudra attendre juin 1998 pour voir le parlement égyptien adopter un projet de loi de privatisation des 4 grandes banques publiques qui ôte toutes les limites à l’entrée du secteur privé égyptien ou étranger dans le capital de ces banques. Un projet de loi similaire
est adopté concernant les 4 grandes compagnies d’assurances et de réassurance. Les quatre banques publiques égyptiennes, disposent de 70% des actifs du secteur bancaire du pays, détiennent 60% des dépôts et accordent 68% des prêts. La National Bank of Egypt contrôle a elle seule 27% des dépôts. Les quatre compagnies d’assurances publiques monopolisent environ 80% du marché des assurances et constituent un des plus grands investisseurs institutionnels du pays.
Leur privatisation n’est pas anodine dans le financement général de l’économie égyptienne. Il reste évidemment à savoir ce que sera l’attitude des repreneurs éventuels face à des actifs peu performants de toutes les banques, qui ont conduit les autorités à s’engager dans la privatisation.
Les spécialistes estiment que la privatisation des banques ne peut être que progressive. Les autorités doivent prendre en compte plusieurs facteurs : après les déboires des banques islamiques du début des années 90, les appréhensions des petits déposants (70% de l’ensemble) à l’égard des banques privées. Elles doivent aussi tenir compte de la nécessité de continuer à financer les entreprises publiques dont beaucoup continuent d’obtenir des prêts à découvert qui dépassent de très loin leur capital. La décision a été donc prise de vendre en Bourse une partie du capital de la plus petite banque publique, après une injection d’argent frais pour rassurer les futurs actionnaires.
Ce projet s’est heurté à l’hostilité de certains parlementaires qui critiquent en particulier la possibilité pour les étrangers d’acquérir la totalité du capital des banques et des sociétés d’assurances, principales sources de financement de l’économie. Le Président de l’Union Banques des Egyptiennes et de la Banque Nationale d’Egypte, M. Abdelaziz, a ainsi proposé la privatisation des banques publiques par une augmentation du capital et non par leur mise en vente, en commençant d’abord par une seule banque.
En Syrie, les banques publiques dominent le secteur, et fonctionnent comme des caisses d’allocation des ressources, selon des modalités observables ailleurs. Récemment, le Président de la Chambre Nationale de Commerce et d’Industrie a présenté un long plaidoyer dans la presse en faveur de la création d’une banque privée. La privatisation des banques publiques n’est pas du tout à l’ordre du jour.
En Israël, après la crise financière de 1983 qui a obligé l’Etat à se porter au secours des banques et de racheter des parts contre des titres publics distribués, la participation publique dans le capital des banques s’est encore accrue. Depuis 1993, l’Etat tente de se désengager des banques en vendant ses parts. De plus la réforme du secteur financier s’est fixée pour objectif de moraliser le système en interdisant que les participations croisées entre les banques et industrie conduise à une cartellisation de l’activité de crédit.
La réforme du secteur financier semble très laborieuse dans l’ensemble des pays. Fautil voir là un résultat de la situation difficile des banques publiques, onéreuses à privatiser en raison de la structure de leurs
actifs ou simplement l’influence des gros abonnés que la fin de la
“répression financière” ne semble pas avoir découragés.
La situation des banques publiques est différente d’un pays à l’autre et au sein du même pays. Malgré l’accumulation de créances douteuses, des fonds propres souvent insuffisants et des règles prudentielles plus strictes, ces banques n’ont pas perdu tout moyen d’action. En général, elles sont les seules à disposer de réseaux de collecte importants, de la garantie de l’Etat et aucune n’a fait faillite. Mais, en raison de la structure de leurs actifs encombrés de créances douteuses, elles se sont, de fait, trouvées dans l’incapacité de développer leurs crédits, notamment aux entreprises publiques. La situation de celleci s’est détériorée parce qu’elles se sont trouvées dans l’incapacité de trouver du financement notamment pour le renouvellement et la modernisation de leurs équipements. Elles peuvent difficilement trouver des ressources sur des marchés de valeurs mobilières encore balbutiant.
D’un autre côté, dans le secteur financier, les Etats ne veulent pas se démunir de moyens d’action économique. Comme dans les pays développés, les décideurs souhaitent toujours conserver un instrument de politique industrielle et financière.
Partout, la Banque Centrale est en quête d’autonomie réelle. Là aussi, les législations sont parfois en avance sur les comportements, les réflexes et les rapports de force établis durant l’étatisme. Plus prosaïquement, le statut de la Banque Centrale semble refléter la nature du consensus social concernant le financement de l’action de l’Etat.
Partout cependant, en Tunisie comme au Maroc, en Jordanie et en Egypte, le financement monétaire du déficit public a régressé. C’est le cas aussi en Turquie, mais pas uniquement. En Algérie, la loi sur la monnaie et le crédit de 1990 a renforcé l’autonomie de la Banque d’Algérie en réglementant notamment les avances au Trésor. Pour apprécier la portée de cette loi, il faut garder à l’esprit la conjoncture politique de l’époque. Après la victoire aux élections municipales du parti islamique FIS, les autorités ont jugé bon de sauvegarder le pouvoir monétaire des aléas du populisme ambiant. Mais cette autonomie est fragile. Au sortir de l’accord avec le F.M.I., en juin 1998, le gouvernement a fait adopter une loi de finances complémentaires qui prévoit un déficit budgétaire de 3% . Le financement de ce déficit par la banque d’émission permettra, selon le gouvernement de relancer les dépenses publiques et la croissance. On voit bien que les efforts de stabilisation sont maintenant infléchis.
C’est une situation analogue qu’on retrouve en Turquie où les responsables de l’institut d’émission ont tenté de préserver, sans succès, l’émission monétaire des effets des alliances gouvernementales qui prédominent depuis 1987.
En avril 1994, un amendement à la loi organique réglemente de manière plus sévère les avances de la Banque Centrale au Trésor.
Récemment, le gouverneur turc de la Banque Centrale rappelait l’urgence d’autonomiser cette institution, tant les pressions gouvernementales deviennent fortes.
24. Les privatisations.
Ainsi, les grandes privatisations ont progressé très lentement jusqu’en octobre 1996 : 46 entreprises ont été privatisées sur un total de 314 entreprises dont la privatisation avait été décidée depuis plusieurs années. A partir de cette date, suite au nouvel accord avec le F.M.I., le rythme et l’approche de la privatisation ont changé. En 1996 et 1997, 48 entreprises sont privatisées totalement ou partiellement. Ces privatisations ont été réalisées dans les secteurs les plus florissants (cimenteries, construction immobilière et agroalimentaire) soutenus par une demande locale forte. En 1998, on a programmé la privatisation de 57 autres entreprises. Cellesci nécessitent une restructuration et une réhabilitation préalable.
Le gouvernement a créé à cet effet des fonds spéciaux alimentés par les premières privatisations et l’aide internationale. Il s’agit là d’une démarche cohérente que n’ont pas respecté d’autres pays. Le cas de l’Egypte illustre aussi le poids de la bureaucratie et des intérêts acquis.
On observe aussi que la demande de privatisation par les titulaires de capitaux à l’extérieur est très faible. Selon Bromley et Bush les capitaux égyptiens à l’extérieur sont de 60 milliards de dollars, somme bien plus importante que le PNB en 1993.
Au Maroc, la démarche a été très hésitante depuis une dizaine d’années. En avril 1988, le Roi annonce le processus de privatisation dans un discours devant le parlement. Mais ce n’est qu’en 1991 qu’il installe la commission d’évaluation des entreprises privatisables dont la liste avait été arrêtée en 1989. Entre 1993 et 1998, le rythme des réalisations est très lent : 27 entreprises ont été privatisées sur une liste de 112 entreprises privatisables; le rôle de la Bourse de Casablanca a été fort utile parce que les titulaires de bons sur le Trésor public ont eu la possibilité de les échanger contre des actions d’entreprises privatisées.
Ailleurs, en Turquie, la fonction budgétaire de la privatisation semble l’emporter sur sa fonction économique. L’accumulation et la croissance dans ce pays sont déjà prises en charge par le secteur privé, en coopération active avec les groupes étrangers. Dès mai 1986, une loi est votée et un programme important de privatisations est lancé : cimenteries dès 1987, aciéries en 1994 et entreprises de télécommunication dans les années suivantes. Le gouvernement joue un rôle important dans le processus de négociation mais le pouvoir judiciaire a un rôle de contrôle.
Ainsi, la mise en place, en avril 1996, de “paquets de ressources” et leur succès tout à fait limité indiquent le difficile progrès de la privatisation en Turquie, où on observe une guérilla juridique importante à propos de la cession des actifs publics. Récemment encore, les juridictions turques ont annulé les contrats de privatisation de 7 centrales électriques passés en 1997 après avoir annulé la vente au profit de l’Etat de biens appartenant à la sécurité sociale.
En Tunisie, après près de 10 ans d’action de la CAREPP, les réalisations en matière de privatisation sont modestes. Après quelques opérations de petite privatisation dans l’hôtellerie et les industries agroalimentaires, les réalisations marquent le pas malgré l’affichage, chaque année, d’une liste d’entreprises à privatiser.
Quarante entreprises ont été concernées jusqu’à présent. La privatisation des terres publiques semble par contre connaître un certain momentum en raison, sembletil, d’une demande pressante de milieux proches du pouvoir.
Par contre le secteur des hydrocarbures et celui des phosphates ne sont pas concernés par la privatisation.
En Algérie, les opérations de privatisation des entreprises publiques ont été engagées en avril 1996, mais ont concerné essentiellement la petite privatisation : sur un chiffre initial de 274 entreprises et activités à privatiser ;117 l’ont été sous différentes formes. La privatisation a été relancée à la fin de 1997. Le gouvernement a publié la liste des entreprises ou des unités de production privatisables par branches. Les secteurs des services, des matériaux de construction, de la réalisation des grands travaux et de l’agroalimentaire sont les plus concernés par ce programme. On reporte à 1999 la privatisation des grandes entreprises.
Les procédures de privatisation ne sont pas encore très claires et le rôle respectif des différents acteurs publics n’est pas clairement identifié. La question est particulièrement importante pour les holdings, promus récemment propriétaires des entreprises. Selon la règle des trois (usus, fructus et abusus) qui structure la propriété en économie libérale, les holdings devraient être au centre du dispositif d’évaluation et de vente et le produit de la vente devrait leur revenir pour financer une stratégie de redéploiement et de valorisation de leurs actifs. Mais la doctrine demeure très floue en la matière et les éventuels acquéreurs sont dans l’expectative.
En Israël, on sait que le secteur public a toujours été important en raison des conditions particulières de naissance et de développement de l’économie. Dès le milieu des années 80, le processus de privatisation a été renforcé et 22 entreprises ont été totalement ou partiellement privatisées. En 1992, le gouvernement met en place la GCA (Coverment Companies Authority) et a fait adopter une loi autorisant cette institution à sanctionner les gestionnaires d’entreprises qui feraient montre de résistance à la privatisation. On sait que le syndicat, par ailleurs propriétaire de nombreuses entreprises, s’est toujours déclaré plutôt hostile à la privatisation, notamment pour des raisons d’emploi mais aussi, dans certaines circonstances, en raison de l’insuffisante transparence des opérations de privatisation.
En matière de mise en oeuvre de celleci, on doit noter l’absence quasigénérale de toute concertation sociale. La définition des cahiers des charges, quand il y en a, leur discussion et leur finalisation sont rarement l’objet d’un dialogue social associant notamment les syndicats, les élus et les repreneurs des entreprises publiques. De
manière générale, la question des prix est seule prise en considération, les engagements en matière d’emploi, de développement industriel et de recherche sont marginalisés ou absents. Il y a donc de fortes chances que l’emploi et les rémunérations servent de variable d’ajustement dans le processus de privatisation. De manière générale, la transparence a manqué. Au Maroc, certains observateurs ont noté le rôle clé joué par l’omnium nordafricain dans le transfert du patrimoine public à des intérêts privés.
25. La réforme des finances publiques.
Les finances publiques ont été formellement restaurées. Les recettes fiscales, non pétrolières, ne semblent pas être très élastiques à la croissance ni au rythme des privatisations. La question de la réforme fiscale est évidemment fort importante. C’est un domaine qui cristallise les oppositions sociales les plus flagrantes et révèle les jeux intérêts les plus subtils. Le cas d’Israël est intéressant en matière de finances publiques. On sait que la dépense publique, d’armement et de soutien à l’émigration, est au cœur de l’accumulation du capital dans ce pays.
L’arrivée au cours des dix dernières années de près de 600000 nouveaux émigrants et les dépenses de défense liées à la crise du Golfe ont porté la dépense publique à un niveau inégalé jusque là. Le niveau des prélèvements obligatoires qui a toujours été très important avait commencé à décroître à partir de 1985, dans le cadre des efforts de stabilisation et de libéralisation menés à cette époque. Les niveaux de l’impôt sur les revenus et sur les sociétés ainsi que le taux des cotisations sociales avaient commencé à décliner. Cette pression sociale et fiscale importante était évidemment en contradiction avec les déclarations libérales des autorités.
En Algérie, la fiscalité pétrolière domine encore les recettes de l’Etat malgré une restructuration de la fiscalité à compter de 1991, avec la réforme de l’impôt sur le revenu et l’introduction de la TVA. Le monde agricole continue à échapper à l’impôt et les revenus industriels et commerciaux échappent en partie à la fiscalité. Les recettes publiques restent très sensibles à l’évolution des prix des hydrocarbures et le gouvernement a du emprunter pour faire face en début 1998 à la chute de ces prix. Le Trésor public a ainsi accru un endettement de plus de 2000 milliards de dinars, en conséquence du rééchelonnement de la dette extérieure. A compter de l’an 2000, le poids des remboursements dans l’ensemble des dépenses va être considérable.
Pour mesurer les chances de financement des politiques publiques à l’avenir, il est important de garder cette fragilité des finances publiques à l’esprit. La dernière preuve en a été donnée en juin 1998 lorsque le gouvernement a du, de nouveau, recourir aux avances de la Banque Centrale en vue de relancer les dépenses d’équipement.
Au Maroc, la réforme fiscale reste timide. Les recettes douanières représentent toujours plus de 20% des recettes fiscales, et près de 30% si on ajoute le montant de la TVA perçue à l’importation. Les exonérations sont nombreuses. Les revenus agricoles, qui sont théoriquement exonérés jusqu’en l’an 2000, ne sont compensés par
aucune autre imposition du secteur. La décision de 1984, au beau milieu de la mise en oeuvre de l’ajustement structurel convenu avec le F.M.I., d’exonérer le monde agricole de toute imposition , révèle bien la nature des alliances : préserver les paysans appauvris tout en faisant un cadeau royal à une bourgeoisie rurale dynamique et utile au pouvoir.
Les revenus de l’immobilier sont mal connus et faiblement imposés. Le secteur informel de production et du commerce reste largement en dehors de l’assiette fiscale. Mais on observe que dans ce pays, ce sont les dépenses publiques d’équipement qui en ont été l’instrument principal. Les investissements publics au Maroc ne représentent plus que 16% alors que les autres dépenses sont restés relativement stables. Les conséquences à moyen et long terme de cette politique seront évidemment plus graves qu’on ne l’imagine.
On doit aussi signaler la position particulière de la Turquie qui n’arrive pas à rendre la recette publique aussi élastique à la croissance qu’on pouvait l’espérer. Le poids du secteur informel est probablement la raison de cet écart..
La politique budgétaire dans ces pays est de plus en plus complexe et les arbitrages entre secteurs sont difficiles. Les dépenses de fonctionnement des administrations sont difficiles à réformer en raison du poids important des rémunérations des fonctionnaires qui constituent la base sociale de beaucoup de régimes et de syndicats.
La réforme de la fonction publique est prévue dans toutes les déclarations officielles mais sa réalisation; en vue d’une meilleure efficacité des services publics est très lente. Le renforcement de l’éducation pour réduire les inégalités coûte cher si on veut améliorer la qualité et faciliter le renouvellement des qualifications pour faciliter l’intégration dans l’économie régionale. Une donnée fondamentale doit être rappelée ici : dans tous ces pays, notamment en Afrique du Nord, le poids de la dette est dominant. Au Maroc, par exemple, 32% des dépenses publiques sont consacrées au service de la dette. Nulle part, en dépit d’endettements publics très importants, notamment au Maghreb, en Egypte et en Turquie, n’apparaît une stratégie financière claire des Etats. Nous verrons ultérieurement que la restauration des finances publiques est un impératif du développement dans ces pays.
26. La réforme agricole.
Dans tous les pays étudiés, l’agriculture présente deux caractéristiques essentielles : la propriété privée y est dominante et les agriculteurs, notamment les petits paysans n’ont pratiquement aucun rôle significatif dans la prise des décisions qui les concernent. Comme cela a été indiqué précédemment, les situations agricoles sont différentes, avec des potentiels et des résultats de production diversifiés.
Mais des problèmes communs attendent des solutions qui tardent à venir. Trois exemples nous permettrons de mieux comprendre la portée et les limites des politiques de réforme agricole suivies et la nature des problèmes non réglés.
En Egypte, suivant les recommandations des institutions internationales et surtout de l’US Aid depuis 1987, les Egyptiens ont conduit, avec continuité et ténacité une politique de libéralisation du secteur agricole qui a touché les prix, les fermages et les transactions foncières. Cette politique a touché progressivement toutes les cultures, à commencer par le blé dès la fin des années 80 puis le riz, le maïs et le coton. Les prix ont été libérés, les obligations de culture annulées et les livraisons obligatoires supprimées. Les subventions aux intrants ont été supprimées, sauf partiellement pour le machinisme agricole. Les circuits de commercialisation des produits, y compris à l’exportation, et ceux d’approvisionnement de l’agriculture ont été privatisés et échappent dorénavant au secteur étatique mais aussi au secteur coopératif. Seule la filière de la canne à sucre reste réglementée. En 1992, une loi agraire va démanteler le système mis en place du temps de Nasser pour réglementer les fermages. On estime à 30% la proportion des exploitants agricoles et à 24% le pourcentage des terres concerné par la libération des fermages. En octobre 1997, cet objectif était atteint. Les fermages ont été multipliés par 2 ou 3 selon les régions et un nombre important de paysans, de 30 à 50% ont été amenés à quitter les terres affermées. Certains d’entre eux sont devenus des paysans sans terre.
Cette loi agraire a provoqué de nombreuses rebellions dont certaines ont été réprimées sans ménagement.
Les résultats atteints grâce à cette libéralisation sont notables. Les productions et les rendements de la plupart des cultures se sont accrus de manière significative, notamment pour le blé, le maïs et la tomate.
Concernant le blé, le taux d’autosuffisance a continué à progresser régulièrement depuis 10 ans, passant de 23% en 1985 à 51% en 1995. Des surplus exportables apparaissent dans certaines cultures, ce qui explique la position de négociation des Egyptiens face à l’Union Européenne. Mais l’élevage a stagné ou reculé dans certaines régions parce que les prix relatifs ont favorisé les productions végétales. Les effets économiques et sociaux ne sont pas encore mesurés. La réforme agricole en Egypte reflète parfaitement les contradictions du développement agricole dans ce pays. La croissance agricole a été obtenue avec un coût social important et, comme on le sait aussi, avec un coût environnemental substantiel en raison du gaspillage de l’eau et d’une chimisation croissante de l’agriculture qui limite le modèle européen et arrive à des rendements analogues.
En Algérie, une démarche analogue a été suivie depuis 1987 mais avec des résultats économiques moins probants. Après bien des réformes, toutes marquées par de l’illusion juridique, les terres publiques des 3200 domaines agricoles socialistes sont réparties entre quelque 22000 exploitations, attribuées à de petits collectifs ou à des individus. Les mécanismes d’accès aux terres, qui restent propriété de l’Etat, et surtout aux moyens de production ont été bien complexes, n’excluant pas des inégalités et des discriminations flagrantes en particulier auprès des villes, grandes consommatrices de fruits et légumes et éventuellement de terrains à bâtir. Dix ans après, en raison
de la crise latente des collectifs constitués mais aussi de la multiplication des transactions illicites sur les terres données en usufruit, c’est la propriété de l’Etat qui est remise en cause et leur privatisation amorcée. Mais cette privatisation ne va pas régler, à elle toute seule, la crise de la production agricole. Elle intervient à un moment de renchérissement brutal des moyens de production (engrais, machinisme agricole, semences), élévation des taux bancaires et assèchement des ressources que le Trésor mettait à la disposition des exploitations agricoles. Les banques toujours créancières des anciens domaines agricoles socialistes sont réticentes à prêter à des exploitations dont la leur parait fragile, qui remboursent peu et dont les titres de propriété ne peuvent encore constituer hypothèque.
L’investissement agricole stagne depuis une dizaine d’années, notamment pour les grandes cultures. De plus, dans un pays régulièrement frappé par la sécheresse, les assurances agricoles jouent et aucun fond de garantie n’a été mis en place. Dans ce contexte général, la production et les rendements ne progressent guère.
Contrairement à l’agriculture égyptienne qui dispose de ressources en eau et en recherche agronomique substantielles, la réponse de l’offre agricole aux prix a été bien moins évidente en Algérie, alors que ces prix ont été libéralisés bien plus tôt.
En Turquie ou l’agriculture jouit de conditions naturelles très favorables, l’autosuffisance alimentaire est un fait et le volume des produits exportables en fruits et légumes croissant.
On a pu écrire à ce propos que, “dans la plupart des pays, l’irrigation prend une part majeure sinon écrasante des quantités totales d’eau utilisées : plus de 80% dans presque tous les pays du Sud et jusqu’à 90% en Libye. Cette part est généralement sans commune mesure avec celle des apports de la production de l’agriculture irrigué au P.I.B.
du pays. Cet état de faits donne lieu à débat dans plusieurs pays en particulier sur les décisions d’allocation de ressources et sur le prix de l’eau d’irrigation généralement trop faible. Le maintien et à fortiori l’augmentation des allocations d’eau à l’irrigation pourraient, dans certains cas, handicaper le développement d’autres secteurs de production à plus forte valeur ajoutée”.
En effet, selon les informations complémentaires fournies par la Banque Mondiale, 70% de la ressource destinée à l’agriculture est consommée en pure perte. Si l‘eau est gaspillée dans l’agriculture, c’est en raison de son faible prix. Au Maroc, par exemple, l’eau d’irrigation est cédée à 10 centimes le m3 pour l’irrigation , 2,40 F à 6,40 F pour l’alimentation humaine. En Jordanie, l’eau potable est vendue à 1,90 F et l’eau d’irrigation est cédée à 25 centimes.
De plus, il est impossible de récupérer par la tarification les ressources allouées aux investissements dans de nombreux projets d’irrigation qui ne disposent pas alors des fonds nécessaires à l’exploitation et à la maintenance des équipements.
27. La réforme de la protection sociale.
Presque partout, les systèmes d’accès gratuit à la santé ont été remis en cause, avec la réintroduction du ticket modérateur.
Les transferts sans contrepartie ont été démantelés au profit de mécanismes de mise au travail, notamment des jeunes au chômage.
En Egypte et en Jordanie, de nouvelles institutions ont été mises en places pour organiser ces actions de transfert.
En matière de protection sociale, les réalisations sont nombreuses mais fragiles. Les subventions à la consommation ont disparu ou baissé presque partout sauf en Syrie, affectant le pouvoir d’achat des consommateurs mais contribuant très sérieusement au rééquilibrage des finances publiques (3 à 6 points de PIB selon les pays).
L’histoire sociale de ces ajustements de prix est bien connue : de 1977 à 1989, de nombreuses révoltes ont enflammé les capitales arabes de la région. En Egypte, c’est à trois reprises, en 1997, 1984 et 1986 que les révoltes du pain se sont produites. A deux occasions, en 1981 et 1984, la hausse des prix a conduit à des manifestations importantes à Casablanca et a incité le gouvernement à reconsidérer ses décisions.
En janvier 1984, c’est au tour de Tunis de s’enflammer contre la hausse du pain et la décision fut reportée. Lorsque le gouvernement dut de nouveau baisser les subventions deux ans plus tard. C’est en acceptant simultanément l’indexation des salaires sur les prix. De même, en Jordanie, en mars 1989, les rues furent occupées en protestation contre la hausse des prix. Tus ces événements ont conduit les gouvernements à mettre au point des mécanismes de compensation à la hausse des prix pour les plus démunis.
Des “filets sociaux de sécurité” tentent de protéger les revenus des plus démunis et des institutions nouvelles ont été mises en place pour développer des programmes de promotion de l’emploi des jeunes, notamment. En Egypte, la création du fonds social de développement dès 1992 a permis de mobiliser des ressources extérieures pour financer différents types de création d’emplois, notamment par le soutien aux PME. L’innovation a consisté à retirer la gestion de cette institution à l’administration et de la confier à un conseil d’administration dans lequel sont représentés les bailleurs de fonds.
On espère de ce montage une plus grande efficacité dans la sélection des programmes et des projets et donc de meilleures chances de réussite et de remboursement des prêts. L’évaluation faite récemment du fonctionnement du fond indique un certain succès même si le coût unitaire de l’emploi créé semble très important limitant ainsi l’impact social de la création du Fond. Une démarche analogue a été adoptée en Jordanie avec la création d’un Fond National d’Aide, après la suppression des subventions à la consommation.
Dans ces deux expériences, les bailleurs de fonds ont encouragé la participation des ONG dont ils attendent une meilleure identification des besoins sociaux et une plus grande participation des populations à l’exécution des projets.
La réforme des régimes de sécurité sociale est indispensable et difficile dans tous ces pays. Les régimes de maladie et de retraite, basés sur la répartition, ont du mal à équilibrer leurs comptes. Dans les années 70, avec la croissance de l’emploi et l’aisance des finances publiques, la générosité a prévalu. La médecine a été déclarée gratuite dans certains pays et l’âge de la retraite abaissé au motif de faire place aux jeunes.
Avec la crise des années 80, les cotisations ont baissé et les subventions de l’Etat sont moindres. Les taux de recouvrement des cotisations patronales baissent un peu partout et le paiement des prestations devient problématique. En Algérie, le paiement des retraites devient un problème politique. En Tunisie et en Turquie, la Banque Mondiale finance des opérations de restructuration des caisses afin d’en accroître le contrôle. Certains experts vont jusqu’à proposer la privatisation de la gestion des caisses afin d’en améliorer la productivité.
3. UN DOMAINE IMPORTANT POUR L'EVALUATION : LE DEVELOPPEMENT DU SECTEUR PRIVE.
Le secteur privé est appelé aux commandes de l’accumulation dans la transition vers un régime de croissance libéral en économie ouverte. Il est donc important d’analyser les tendances d’évolution des entreprises pour vérifier si le rôle qui leur a été attribué, est bien tenu.
De manière évidemment différente selon les pays, la situation peutêtre résumée de la manière suivante : en dépit de la permanence des déclarations de principe en faveur du secteur privé, malgré le nombre et la diversité des moyens mis en oeuvre en faveur de son développement, les résultats atteints jusqu’à présent sont fragiles et les performances de l’accumulation du secteur privé encore peu convaincantes.
Dans tous les pays étudiés, quoique à des dates différentes, la volonté de développer le secteur privé et d’en faire le moteur principal du développement a été affirmée de manière permanente. Pour l’Egypte, Israël et la Tunisie, les années 70 ont marqué le début du mouvement.
En liquidant l’expérience socialiste attachée au nom de Ben Salah, la Tunisie ouvre une période d’appui au secteur privé de manière diversifiée : incitations fiscales et financières se multiplient. Des institutions d’appui au secteur privé sont mises en place. Entre 1972 et 1993, 1600 entreprises nouvelles ont été établies en Tunisie, créant près de 120000 emplois. Plus de 60% des capitaux sont nationaux.
90% des capitaux étrangers sont européens, essentiellement français et allemands. L’autorisation préalable est supprimée en décembre 1993. Les entreprises privées se développent et diversifient leurs activités, notamment en partenariat de soustraitance avec des entreprises européennes dans le textile et la confection. Cette concentration sectorielle permet de tirer profit des débouchés ouverts au pays dans le cadre de l’association avec la communauté économique européenne.
L’Egypte met en oeuvre la politique d’ouverture (infitah) dès l’arrivée du Président Sadate au pouvoir au début des années 1970. Le pays va mettre à profit l’afflux des capitaux arabes du Golfe qui se sont accrus à la faveur de la hausse des prix du pétrole en 1973. Le tourisme et le secteur de la construction connaissent un certain essor, facilité par les envois des émigrés égyptiens. De grands groupes privés, comme celui d’Osman, éphémère Premier Ministre, voient le jour et consolident leur pouvoir économique, sinon politique.
Dans les années 80, c’est au tour du Maroc et de la Turquie de réaffirmer leur engagement en faveur du secteur privé.
En 1980, l’artisan du libéralisme turc, Turgut Ozal faisait la déclaration de principe suivante « depuis 1980, nous sommes passés d’une économie étatisée à une économie libérale, autrement dit, d’un système planifié de type semisocialiste à une société offrant à chaque individu une plus grande liberté grâce à un processus général de libéralisation. Nous avons libéralisé les importations et les changes, aboli le contrôle des prix. Nous n’avons investi les revenus de l’Etat que dans la réalisation d’infrastructures. Nous avons rendu possible l’action du secteur privé et des hommes entreprenants. Nous avons entamé une politique de privatisation. Ainsi les énergies réprimées depuis des siècles se sontelles trouvées tout à coup libérées, permettant aux hommes d’affaires et aux constructeurs turcs de s’implanter dans le monde extérieur. L’équilibre économique s’est instauré dans le cadre du marché. Le développement ne dépend plus de la seule volonté de l’Etat. Nous avons mis en marche un processus d’évolution organique qui progresse de luimême ».
Dans les années 80, c’est au tour de l’Algérie, de la Jordanie et de la Syrie de prendre de nouvelles mesures en faveur du développement du secteur privé.
En 1988, l’Algérie supprime la sacrosainte autorisation préalable qui avait gouverné l’investissement privé pendant plus de 20 ans. Mais l’allocation de devises reste gérée administrativement et les contraintes bureaucratiques sont toujours présentes, notamment pour l’accès aux terrains. Le gouvernement renouvelle son appui par la loi d’octobre 1994 qui organise un guichet unique pour les investisseurs et accorde des avantages financiers et fiscaux substantiels. Mais le véritable signal est intervenu en octobre 1994 avec la possibilité donnée aux entreprises privées d’accéder aux devises. Malheureusement, cette mesure aura peu d’effets sur l’investissement productif. Des conditions macroéconomiques défavorables vont affaiblir l’incitation à investir : pertes de change liées à la dévaluation, rétrécissement des marchés lié à la déprotection et à la stabilisation. Paradoxalement, dans ce pays, la décennie 1990 se caractérise par une relative libéralisation mais l’investissement privé stagne. Les entreprises privées se convertissent dans le commerce dont la profitabilité est supérieure et les risques moins grands que dans l’industrie.
La Syrie a adopté en 1991 la loi n° 10 qui trace le cadre de l’activité des entreprises privées locales et étrangères.
Les statistiques officielles indiquent une progression très forte des investissements privés. 1500 projets d’une valeur globale de 9 milliards de dollars auraient été approuvés. En effet, on a assisté à une croissance de l’investissement dans l’agroalimentaire, dans la production pharmaceutique, dans les transports, dans le petit équipement ménager et, bien entendu, dans le textile et la confection où le pays a de bonnes traditions. Selon les statistiques officielles, le secteur privé serait responsable de 65% de la valeur ajoutée dans l’industrie et de 75% de la valeur ajoutée dans les transports. Il fournirait 75% de l’emploi et réaliserait 60% de l’investissement global. Ces réalisations placeraient la Syrie parmi les pays les plus ouverts à l’économie de marché. Mais il est probable que tous les projets ne soient pas suivis d’effets et il est difficile de connaître le taux de réalisation des investissements. L’allocation administrative des devises et le mode archaïque de fonctionnement du secteur du crédit obligent à rester prudent face à ces statistiques. Plusieurs indices, comme la fuite des capitaux, concordent dans le même sens.
Dans le cas de la Turquie, l’accumulation du secteur privé s’est consolidée progressivement depuis plusieurs décennies. Depuis 1994, elle a dépassé largement en rythme et en valeur absolue l’accumulation dans secteur public. Le secteur privé réalise actuellement 70% de l’investissement global. Des programmes annuels d’incitation à l’investissement sont définis.
Ainsi, en Turquie ou le poids du secteur privé dans l’accumulation est dominant et de manière croissante, la qualité de l’accumulation qui a de l’importance en économie ouverte laisse à désirer. D. Akagul écrit à ce propos : « à la recherche de rente dans un secteur industriel protégé de la concurrence s’est substituée la recherche de rente dans les activités commerciales et financières. La disparition des quotas d’importation, qui constituaient une source de rentes, fut contrebalancée par les possibilités qu’offraient les incitations à l’exportation qui s’adressaient aux firmes exportatrices et, non aux producteurs, les exportations fantômes se chiffrant en milliards de dollars. La Bourse d’Istanbul, très largement dominée par les titres publics, et qui de ce fait se prête facilement aux délits d’initiés a permis aux personnalités proches du pouvoir d’accumuler des fortunes. Pour résumer, on peut dire que si le discours dominant à partir des années 80 affirmait la confiance accordée à l’initiative privée, les pratiques du pouvoir en revanche, loin de faire disparaître les anciennes rationalités fondées sur la recherche de rente, ont empêché que se développe une rationalité fondées sur la recherche de profit dans les secteurs productifs ».
Les juristes nous offrent aussi une analyse digne d’intérêt. Ils notent partout le penchant des entrepreneurs de la Méditerranée à préférer des structures juridiques particulières d’entreprises : sociétés en nom collectif, sociétés à responsabilité limitée. Ils dénombrent un nombre très réduit de sociétés anonymes, mêmes parmi les entreprises les plus puissantes de chaque pays. A la faveur du lancement des bourses de valeurs mobilières, au Caire comme à Casablanca, à Istanbul