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: Ajustement structurel, configuration sociale et précarisation des conditions d'existence en Algérie

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Cahiers du CREAD n°37, 1er trimestre 1994, pages 7­26.

SAÏD CHIKHI 

[*]

Ajustement structurel, configuration sociale et précarisation des conditions d'existence en Algérie

1. INTRODUCTION

1. La nouvelle société algérienne des années 80 :

Depuis  le  début  des  années  80,  des  programmes  d'ajustement structurel sont mis en oeuvre dans un certain nombre de pays du Tiers­

monde.  L'Algérie  n'a  pas  échappé  à  la  régie  et  depuis  1987,  elle s'efforce de rechercher un ordre économique et social pour atténuer la crise du processus de développement des années 1960 et 1970.

Mais si la prise en compte de la précarité de la situation est nécessaire pour comprendre la mise en oeuvre des réformes initiées en Algérie, elle  n'est  pas  suffisante  pour  pouvoir  faire  de  ces  dernières  une évaluation pertinente et significative.

Il est aussi nécessaire de prendre en considération le contexte socio­

politique  ou  plus  exactement  la  configuration  des  rapports  de  force entre les acteurs en présence au moment où les mesures d'ajustement sont  adoptées.  Ce  préalable  est  indispensable  car,  pour  essentielle que  soit  l'importance  des  facteurs  externes  pour  expliquer  la  crise, celle­ci ne doit, en aucun cas, occulter ni les facteurs inscrits à l'intérieur de la politique économique, ni l'empreinte des positions sociales dont celle­ci est marquée, ni la capacité ou l'incapacité du système politique de  transformer  les  facteurs  sociaux  en  sujets  ;  du  processus  de redressement économique et social. Aussi la présentation de quelques observations  relatives  à  la  structure  sociale  d'ensemble  constitue  un préalable nécessaire à toute analyse des dimensions sociales liées à l'ajustement structurel. 

Or  de  ce  point  de  vue  de  la  configuration  des  rapports  de  force, l'Algérie  a  connu,  au  début  des  années  80,  un  remodelage extrêmement important de son paysage politique et social. Critique et refoulement du populisme, changement de la hase sociale de l'État et substitution de la dérive "libérale" et inégalitaire à la dérive égalitaire et autoritaire,  tels  sont  les  éléments  historiques  fondamentaux  qui singularisent la période dans laquelle bascule l'Algérie dès le début des années 80.

Cela  signifie  qu'au  delà  des  nouveaux  discours  de  légitimation,  des réformes  dont  l'entreprise  publique  est  alors  l'objet,  des  sollicitudes dont bénéficie le capital privé et des mesures économiques et sociales

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concernant le système productif national, le nouveau champ social est marqué  par  l'empreinte  de  couches  sociales  privilégiées.  Ce  qui  est d'ailleurs  visible  "socialement"  au  cours  de  cette  période,  ce  sont l'accumulation des richesses et la multiplication des affaires.

Mais  le  trait  marquant  est  que  ces  couches  privilégiées  ont  d'autres privilèges à défendre que les taux de productivité. En effet, on repère que cette couche de privilégiés s'est avérée incapable de procéder à des  investissements  productifs  à  long  terme  et  d'entraîner  l'économie dans  un  processus  synonyme  d'efficacité  et  de  compétition.  Bien  au contraire, disposant d'appuis solides et de relations importantes dans les  sphères  dirigeantes  de  l'Etat,  elles  ont  accumulé  des  richesses liées davantage aux pratiques monopolistiques et à la spéculation qu'à la capacité d'entreprendre et d'innover.

Du coup, ce sont l'efficacité du capital privé d'une part, et la capacité d'une  véritable  prise  par  l'Etat  sur  les  facteurs  de  développement d'autre part, qui sont en question. Le premier ne constitue pas un centre actif et compétitif de la société et le second apparaît comme un "Etat­

butin"  c'est­à­dire  un  siège  lucratif  d'un  groupement  d'intérêts particuliers dont il est l'otage et un domaine "privé" structuré sur la base de  clientélisme.  Force  est  alors  d'admettre  que  l'économique  paraît constituer,  dans  ces  conditions  de  clientélisme,  d'affairisme  et  de spéculation, un marché politique plutôt qu'être ondé sur une rationalité de compétition productive. 

Plusieurs conséquences découlent de ce point majeur.

L'Etat se transforme en un instrument de renversement des hiérarchies sociales et la politique économique suivie en le plus grand raccourci à une prolétarisation rampante de toute la société. La fortune est devenue l'indicateur  principal  de  la  hiérarchie  sociale  et  le  "manager"  est déclassé  devant  le  riche  qui  envahit  tout  et  incarne  tout.  Ce  riche développe des actions en vue d'une autre redistribution des ressources et d'un modèle plus "libéral" de consommation.

Ces actions arrivent à faire redessiner les contours des écarts sociaux : en 1981­1982, déjà, le revenu annuel des employeurs et des patrons était de plus de 140.000 DA alors que celui des salariés manuels était de 22.000 DA et celui des inactifs, de 3 870 DA. A ces inégalités se substitueront  d'autres  plus  dures  liées  à  la  libéralisation  rampante  du système et au désengagement de l'Etat lesquels finiront par produire à un pôle une situation plus que favorable pour les revenus non salariaux et  à  un  autre  pôle  des  processus  d'exclusion  et  de  précarisation croissantes pour de larges pans de la société.

Les ingrédients par la constitution de rapports sociaux potentiellement producteurs d'affrontements et de violence sont donc réunis... Le jeune chômeur le plus démuni et la femme la plus exposée, le fonctionnaire apeuré  et  le  producteur  désorienté  constituent  évidemment  les catégories sociales les plus vulnérables dans le cadre de ces rapports sociaux. Ils sont confrontés de plus en plus à l'omnipotence du précaire que ni la profonde crise économique, ni le délabrement avancé de la

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société, ni l'absence d'un projet alternatif ne semble pouvoir réduire un tant soit peu.

2. La crise économique et sociale :

S'il faut remonter, en fait, à la fin des années 70 pour parler de crise du système productif algérien, il est incontestable que les années 1985­86 sont  celles  qui  sont  venues  rompre  brutalement  le  fragile  équilibre économique et social de la décennie antérieure. Entre ces deux années le prix moyen du pétrole brut est passé de 30 à 14.5 $ le baril et les termes de l'échange ont diminué de 50 %. 

Cela  a  suffi  amplement  pour  précipiter  tout  le  système  économique dans une crise profonde laquelle a mis à bas un édifice industriel plus brillant  que  solide.  La  place  de  l'économie  dans  la  division internationale  du  travail,  les  diverses  formes  de  dépendance  du système  productif,  la  "rentisation"  progressive  du  processus d'industrialisation  et  de  salarisation,  la  faiblesse  d'innovation technique... ont mis le système productif dans l'incapacité structurelle à prendre le relais de la rente énergétique comme source de financement de l'accumulation.

A  cette  crise  des  exportations  des  hydrocarbures  est  venue  s'ajouter une contrainte majeure : l'endettement extérieur. La situation financière du pays est déjà difficile en 1985 mais de nouveaux crédits extérieurs sont contractés. De 16 Milliards de dollars en 1980, la dette passe à près de 24 Milliards de dollars en 1989. L'Algérie se retrouve dans une situation  peu  reluisante  puisqu'elle  est  contrainte  de  contracter  des nouveaux emprunts pour être en mesure de rembourser sa dette plus que pour investir.

Cette  situation  est  rendue  indispensable  par  le  service  de  la  dette puisque ce dernier passe entre 1980 et 1989 de 32 % à 75 % ! Ces chiffres signifient que l'endettement extérieur est devenu un rocher de Sisiphe  extrêmement  contraignant  pour  réaliser  une  quelconque croissance.

Celle­ci est en fait en panne mais elle l'est déjà depuis 1979 suite à des décisions prises par la classe politique en proie, alors, au libéralisme rampant. Ces décisions concernent le rythme des investissements qui est à la baisse durant la période 1979­86. Les nouveaux projets sont arrêtés,  les  investissements  sont  réorientés  vers  des  secteurs

"improductifs"  et  le  potentiel  industriel  public  est  soumis  à  la

"restructuration". Alors que la part des investissements dans l'industrie est  de  56.5  %  en  1967­1973,  elle  n'est  plus  que  de  35  %  en  1980­

1984.

Suite  à  la  chute  brutale  des  recettes  pétrolières,  cette  part  tombera encore  au  taux  de  31  %  en  1986.  A  partir  de  cette  date,  l'Algérie donnera l'image d'un pays qui ne parvient plus à produire : les achats d'équipements  connaissent  des  restrictions  brutales  et  la  croissance économique  connaît  alors  des  variations  importantes.  De  4.6  %  en 1985, ce taux de croissance chute à ­ 1,9 en 1987 et à ­ 2,9 en 1988.

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Cette crise économique n'a pas manqué évidemment d'avoir des effets sur  les  mutations  sociales.  Si  l'augmentation  des  recettes  tirées  de l'exportation des hydrocarbures a pu masquer, dans les années 70, les carences  structurelles  du  système  productif  et  faire  gérer  de  manière douce les contradictions sociales, leur baisse brutale va réunir, dans les années 80, la plupart des conditions d'un emballement social de grande ampleur.

C'est avant tout l'élargissement du processus de solarisation qui va se trouver bloqué. En effet, depuis 1984­198, le nombre d'emplois créés régresse  alors  que  la  demande  nouvelle  de  travail  augmente.  La création d'emploi est estimée à 138.000 postes en 1984, elle n'est plus que de l'ordre de 122.000 en 1985, de 116.000 en 1986 et de 88.000 en 1987. Inversement le taux de chômage est en hausse continue : de 635.000 en 1983 représentant un taux de chômage de 16 % ­ le plus bas qu'ait connu l'Algérie ­ les chômeurs sont de l'ordre de 1.200.000 en  1987,  soit  un  taux  équivalent  à  19,2  %.  Il  va  sans  dire  que  cette augmentation  spectaculaire  du  chômage  provoque  de  véritables commotions sociales en mettant des pans entiers de la population en

"quarantaine sociale".

Du  même  coup,  ce  chômage  alourdit  la  charge  démographique  par salarié et pèse lourdement sur la consommation des ménages. Celle­ci connaît d'ailleurs une baisse de 7,6 % en 1988 tandis que le pouvoir d'achat a diminué de 15 % en 1987 et 1988. Au même moment l'Etat ajustait  ses  subventions  pour  les  produits  de  large  consommation entraînant  une  hausse  cumulée  pour  les  années  1985­88  des  indices des prix de 46,7 % ! Si on ajoute à ce record d'inflation, l'existence des pénuries chroniques, on comprendra alors que les titulaires de revenus salariaux et les non salariés sont confrontés, dans leur vécu quotidien, à une  "économie  de  guerre"  liée  à  une  paupérisation  et  à  une précarisation croissantes.

Mais  si  la  conjoncture  sociale  est  plutôt  pénible  pour  l'ensemble  des salariés, elle ne l'est pas du tout pour ceux qui tirent leurs revenus de l'entreprise, des affaires et surtout de la spéculation. Ce qui veut dire que les différenciations sociales qui étaient faiblement cristallisées à la fin  des  années  70  ont  été,  plutôt  que  réduites  dans  un  contexte d'urgence nationale, considérablement augmentées.

Que  peuvent  alors  apporter  les  réformes  économiques  initiées  par  le système  politique  ?  Si  ces  réformes  sont  de  toute  évidence nécessaires,  sont­elles  de  nature  à  être  porteuses  d'un  projet  de transformation  sociale  ou  vont­elles  au  contraire  aggraver  le  "coût social" supporté par la société ?

3. Le programme d'ajustement structurel :

C'est  en  1987  que  l'Algérie  est  engagée  dans  un  programme d'ajustement  structurel  et  c'est  entre  les  années  1988­90  que  ce programme  connaît  une  nette  accélération.  Bien  que  relevant  de décisions  "endogènes"  et  non  pas  des  directives  provenant  des institutions  financières  internationales,  les  observateurs  indiquent

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néanmoins que ce programme est "sévère" et va au delà de ce que ces dernières auraient attendu de l'Algérie !

C'est  dire  l'ampleur  de  la  restructuration  de  l'économie  à  laquelle  ont abouti les réformes initiées et la force des secousses provoquées par ces mêmes réformes au niveau du champ social. Pourtant c'est dès le début des années 1980 que des actions de "rectification" et qu'un vaste dispositif symbolique ont été arrêtés. Concernant ce dernier point, il a été  surtout  question  de  désidéologiser  tous  les  critères  de comportement et de représentation en vigueur du temps du populisme.

En  clair  il  s'agissait  à  partir  de  l'adoption  de  nouveaux  slogans, vocables  et  paradigmes  de  démonétiser  dans  l'esprit  des  agents sociaux les valeurs qui ont trait soit au nationalisme soit à l'égalitarisme et  de  les  convertir  aux  conceptions  et  aux  paradigmes  favorables  au libéralisme  économique.  Il  est  vrai  que  la  conscience  collective  était devenue  sensible  aux  déséquilibres  économiques  de  l'ancien processus  de  développement  mais  les  ajustements  symboliques proposés  tendaient,  en  réalité,  à  préparer  cette  même  conscience collective à admettre un certain nombre de renoncements. 

Cet  ajustement  symbolique  et  ces  renoncements  convergent,  de  fait, vers la légitimation d'un nouveau mode de gestion de la force du travail et du rapport salarial. Or, c'est justement à ce niveau que les premières grandes  actions  "d'assainissement"  ont  été  engagées.  Placé  sous  le signe des réformes, le secteur public industriel est chargé désormais uniquement de produire, d'acheter et de vendre et, donc inversement, il doit se décharger du "social".

C’est  ce  qu’il  a  fait  en  cessant  de  "transporter",  de  loger"…  bref,  en mettant fin au "fordisme périphérique" dont il s’était doté auparavant.

Ce même secteur public a adopté une nouvelle discipline d'usine qui a consisté notamment à sanctionner les absentéistes, les récalcitrants et les grévistes. Il a arrêté le recrutement pour limiter aussi le turn­over et, enfin, il a procédé, à partir de 1984 soit deux années après le secteur privé, à des dégraissages au niveau des agents jugés pléthoriques ou indésirables.  Les  résultats  ne  se  sont  pas  fait  attendre  :  130.000 emplois sont supprimés entre 1985 et 1987, le volet de chômage jugé nécessaire par les pouvoirs publics pour la "mise au travail" est atteint voire dépassé et le climat social exprimé par les indicateurs classiques des  entreprises  (conflits  de  travail,  absentéisme,  turn­over...)  est

"assaini".

Tout s'est passé donc comme si le dispositif symbolique et la "mise en crise"  du  système  productif  ont  bien  servi  pour  mettre  en  oeuvre  un nouvel "ordre disciplinaire" perçu désormais comme nécessaire avant d'établir  un  nouveau  consensus  social  sur  le  principe  que  le  salut  est désormais dans le recours à un programme d'ajustement structurel.

C'est dans "cette ambiance de restauration" qu'est mis alors en place un  cadre  institutionnel  libéral  et  qu'une  sévère  politique  d'ajustement, dépassant le stade des énoncés symboliques et juridiques, a été mise

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en  application.  Celle­ci  a  pour  objectif  de  mettre  en  oeuvre  une désertification  de  l'économie  et  de  promouvoir  des  règles d'organisation et de régulation de l'économie selon les lois du marché.

Ce programme affecte tout particulièrement le secteur public et para­

public  :  les  entreprises  d’Etat  sont  rendus  autonomes  en  vue  d’en accroître leur rentabilité et leur efficacité et leurs résultats économiques et  financiers  ne  dépendent  plus  d'injonctions  administratives  ni  des ressources de l'Etat.

Quant  au  secteur  privé,  il  est  vivement  encouragé  :  de  nouvelles législations incitent l'investissement privé, l'investissement en sociétés mixtes  et  l'association  avec  les  capitaux  étrangers.  Enhardis  par  les nouvelles  lois  et  les  nouveaux  discours,  les  entrepreneurs  algériens proclament  désormais  haut  et  fort  leurs  prétentions  sociales  et politiques et finiront par fonder de solides organisations patronales. Ils sont  bien  présents  sur  la  nouvelle  scène,  exprimant  ainsi  la  grande transformation  de  l'Algérie  :  après  que  celle­ci  ait  connu  le

"nationalisme économique" le plus fort du continent, elle est aujourd'hui en pleine dérive libérale.

Faut­il  ajouter  que  la  nette  ouverture  aux  capitaux  étrangers  implique aussi  l'approfondissement  de  son  insertion  dans  la  division internationale du travail et forcément sa vulnérabilité aux stratégies des acteurs externes ?

Le  programme  d'ajustement  structurel  comporte  d'autres  volets  dont celui  de  réduire  la  demande  globale  à  travers  les  outils  monétaire  et financier. Cette réduction de la demande globale ne diffère pas, de fait, des programmes d'ajustement mis en oeuvre à l'initiative du FMI dans un certain nombre de pays : il s'agit d'aboutir à la baisse des dépenses publiques  (en  social,  en  embauche,  en  compression  des  effectifs,  en suppression des subventions...) à une réforme fiscale, à une restriction du  crédit  et  de  la  masse  monétaire  et  enfin  à  la  dévaluation  de  la monnaie nationale.

La mise en oeuvre de ces différents volets du programme d'ajustement structurel  induisent  évidemment  un  impact  social  et  suscitent  par  là même une nouvelle dynamique du système social et entraînent par la même occasion de nouvelles logiques d'action des acteurs sociaux. Le tout  est  de  savoir  si  ces  effets  sont  propices  à  l'accélération  du redressement  économique  ou  si,  au  contraire,  ils  font  peser  sur  la société algérienne de graves déchirures ou des tensions sociales plus aiguës. 

2. AJUSTEMENT STRUCTUREL,  CHOMAGE  ET

FRAGMENTATION DU MARCHE DU TRAVAIL 1. Ajustement, emploi et chômage :

Les types d'ajustement qui s'opèrent sur le marché du travail et la crise qui frappe de plein fouet l'économie algérienne ont fini par induire l'effet majeur  de  l'Algérie  d'aujourd'hui  :  la  question  du  chômage,  avec  son cortège d'exclusion, de misère et d'indignation. Cette question a été au

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coeur du mouvement social qu'a connu la société et risque encore de demeurer d'une importance stratégique pour l'avenir immédiat.

Produit à la fois par la forte croissance démographique (3,1 % entre 85 et  90)  et  par  l'écart  de  plus  en  plus  grand  entre  l'offre  de  travail  et la faiblesse  de  création  d'emplois  le  chômage  a  atteint  une  dimension démesurée. Alors que les demandeurs d'emplois sont estimés à plus de 220.000 par an, ce sont uniquement 20.000 emploi qui sont créés en 1988. 76.000 en 1030 et 90.000 en 1990.

Encore  faut­il  souligner  que  ce  dernier  volume  correspond  pour  une bonne part à des palliatifs consistant, dans une conjoncture politique et sociale  tendue,  à  offrir  des  emploie  "fictifs"  plutôt  que  du  travail.

L'ampleur  du  phénomène  est  attesté  par  le  taux  du  chômage  qui  a atteint,  en  1929,  22.19  %,  et  par  l'hypothèse  retenue,  en  cas  de stagnation  au  niveau  actuel,  d'un  taux  de  chômage  affectant  plus  du tiers de la population en l'an 2000.

Aux effets dévastateurs de cette distanciation continue entre l'offre et la demande d'emploi vient s'ajouter les dégraissages des effectifs sous le motif de "pléthore du personnel" ou de "diminution d'activité" ou même de "cessation totale d'activité". Cette politique de délestage est rendue possible  par  la  flexibilité  du  rapport  salarial  introduite  par  la  nouvelle législation  du  travail  qui  donne  toute  latitude  à  l'entrepreneur  de procéder  à  des  licenciements  et  sans  autorisation  préalable  des services centraux administratifs.

L'ère de l'emploi garanti et stable est donc révolue et compte tenu du fléchissement des investissements et de la "nouvelle donnée libérale", il n'est  plus  surprenant  de  voir  monter  la  courbe  des  pertes  d'emplois.

Les sources officielles parlent de 125.000 à 150.000 emplois perdus entre  1989  et  1990,  mais  d'autres  sources  avancent  le  chiffre  de 320.000 ; la vérité est sûrement entre les deux évaluations.

Le retournement du marché du travail est donc brutal : non seulement la politique  économique  ne  réussit  pas  à  juguler  l'accroissement  du nombre de chômeurs mais même la gestion de la main d'oeuvre tend de  plus  en  plus  à  interrompre  les  carrières  professionnelles  en prescrivant la situation d'emploi. La structure du chômage telle qu'elle se présente à la fin de 1989 est éclairante à ce sujet : hormis 32,40 % du  total  des  chômeurs  qui  sont  en  état  "d'inactivité"  volontaire (démissions...), la plus grande partie des chômeurs, 67,60 %, le sont par décision de l'employeur : fin de chantier (20,05 %), licenciements individuels ou collectifs  (19,71  %),  fin  de  contrat  (17,74  %)  cessation d'activité (12,1 %).

Une remarque importante s'impose à la lecture de ces chiffres : la part importante des licenciements à laquelle il faudrait ajouter une partie de la rubrique "fin de contrat" désigne un phénomène nouveau : il s'agit là d'une stratégie patronale adaptant la gestion de la force de travail aux fluctuations du marché, aux coûts salariaux et à la sélection de la main­

d'oeuvre.

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Il  faut  souligner  encore  que  beaucoup  d'employeurs  attendent  par

"humanité" (!) la mise en place d'un dispositif social d'assistance pour procéder à  de  plus  amples  licenciements...  Mais  si  l'emploi  est  pour l'entreprise  un  marché,  il  est  pour  le  travailleur  histoire  de  vie.  Aussi cette  stratégie  patronale  nouvelle  ressoude­t­elle  pour  un  temps  la solidarité  des  travailleurs  en  conflits  spectaculaires  :  pour  protester contre  les  licenciements,  50.000  travailleurs  partent  en  grève  dans  la ville d'Oran en Février 91 et des dizaines d'entre eux qui ont perdu leur identité de travailleurs entament à Alger et pendant plus de deux mois une grève de la faim.

La  déchirure  du  tissu  social  induite  par  le  chômage  par  absence d'alternative positive de la part des pouvoirs publics face à la crise ou par  décision  des  employeurs  est  plutôt  profonde  et  a  engendré,  par moments, des turbulences urbaines.

D'autres  risques  de  séisme  social  ne  sont  pas  à  écarter  non  plus compte tenu de la récession économique : 200 entreprises publiques locales et plusieurs dizaines unités privées dans les branches du BTP et des textiles ont fermé leur porte durant l'année 90. Beaucoup d'autres sont vouées à la mort lente suite aux difficultés d'approvisionnements, des effets  de  la  dévaluation  de  la  monnaie  nationale...  Dans  tous  les cas, les opérateurs n'ont pas fait montre de capacités d'acteurs sociaux pouvant seconder l'Etat en matière de redressement économique.

Beaucoup  d'entre  eux  s'orientent  vers  le  marché  spéculatif  ou  les services  peu  créateurs  d'emplois  tandis  que  d'autres  déclenchent  la grève du capital : les opérateurs privés des BTP et des textiles mettent, en avril et mai 1991, leurs chantiers et leurs usines à l'arrêt mettant ainsi des  centaines  de  milliers  de  travailleurs  en  chômage  technique.  Une telle dynamique des mutations sociales génératrice de conflits ouverts et de tensions sociales aiguës met en péril la cohésion nationale et est peu  propice  à  la  mobilisation  des  acteurs  sociaux  pour  réaliser justement  l'objectif  du  programme  d'ajustement,  à  savoir  le redressement économique.

2. Précarisation et flexibilité de la force de travail :

Pendant les années 70 la gestion de la main d'oeuvre tendait de plus en  plus  vers  l'intégration  du  personnel.  Celle­ci  signifiait  stabilité  de l'emploi  et  promotion  pour  les  travailleurs  dont  le  nombre  tendait  à croître rapidement. Dès le début des années 80, surgit à l'autre pôle les prolétaires  exclus  du  marché  du  travail.  Il  s'agit  des  chômeurs  que  la crise et l'ajustement structurel ont jetés plus ou moins durablement sur le pavé.  Entre  ces  deux  pôles  surgit  aujourd'hui,  un  ensemble  nouveau, produit spécifique de l'ajustement structurel : la masse des travailleurs précarisés.

Ce troisième pôle ­ les travailleurs précarisés ­ répond à une volonté économique  et  sociale  qui  tend  à  limiter  le  personnel  permanent  en reportant  les  à­coups  de  la  crise  sur  un  volant  croissant  de  main d'oeuvre ne bénéficiant pas de garantie d'emploi durable. Au sein de cette masse, il convient de repérer les travailleurs à temps partiel, les

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travailleurs placés sous contrat à durée déterminée, les travailleurs de

"l'économie souterraine" auxquels il faut adjoindre les travailleurs (ses) des  ateliers  clandestins  impliqués  dans  une  forme  archaïque  de soumission du travail au capital et les travailleurs (ses) à domicile ­là c'est surtout "l'enfermement doré" des femmes.

Il semble que ce soit la restructuration des entreprises publiques, leur autonomie  de  gestion  et  l'extension  du  secteur  privé  qui  aient développé  cette  politique  de  précarisation  en  tant  que  technique  de gestion  du  personnel.  Il  semble  aussi  que  cette  dernière  se  soit développée face au marché du travail complètement transformé par le chômage  lequel  a  vulnérabilisé  les  prolétaires  et  les  a  amenés  à accepter des emplois qu'auparavant ils rejetaient. Il faut souligner, à ce propos, un fait nouveau majeur : après avoir refusé pendant longtemps le travail salarié en chantier et en usine, les jeunes prolétaires sont prêts désormais  à  accepter  n'importe  quel  emploi  précaire  au  plan  des conditions de travail et de salaire.

Cette tendance risque d'être accentuée sous l'effet de la flexibilité de la force de travail par les changements récents du contexte institutionnel à savoir la modification de la législation du travail impliquant notamment la  possibilité  de  recourir  facilement  au  contrat  à  durée  déterminée  : expression bien connue et pouvant se traduire facilement par "emplois subalternes et précaires".

Tous ces éléments ­crise, ajustement, technique de précarisation­ ont fini par dessiner un spectre nouveau du marché du travail. Les "ouvriers et employés" qui forment un noyau relativement stable voient leur part dans l'emploi passer de 44,70 % en 1977 à 34,9 % en 1987 : l'emploi stable  a  donc  régressé.  Or  le  recours  au  travail  précaire  semble,  au contraire, s'être accéléré.

En effet, les placements de postes d'emplois temporaires sont de 12 % du  total  des  placements  en  1984,  de  17  %  en  1986  et  de  36  %  en 1989. Il y a tout lieu de penser qu'un tel spectre va s'élargir à l'avenir avec  d'autres  dégraissages  prévus  et  qui  constituent  justement  l’anti­

chambre de la flexibilité de la force de travail en cours.

A  ce  stade  de  cette  analyse,  deux  remarques  semblent  émerger.

Premièrement,  il  est  clair  que  le  désengagement  de  l'Etat  et  que l'ajustement      structurel ont  accentué la précarisation des travailleurs lesquels  sont  rendus  vulnérables  sur  le  marché  du  travail.

Deuxièmement,  le    tarissement  des  embauches,  le  dégraissage,  la flexibilité de la force de travail ont des retombées sur plan social.

Ces  retombées  sont  multiples  et  complexes  mais  deux  d'entre  elles peuvent être retenues. La première est qu'avec le développement des techniques de  précarisation  apparaît  un  autre  facteur  supplémentaire de  régression  sociale  et  culturelle  et  dont  les  jeunes  et  les  femmes seront les premières cibles. La seconde est que le monde du travail est pris  à  revers  à  travers  un  processus  de  fragmentation.  Des  divisions sont  de  plus  en  plus  introduites  à  l'intérieur  même  du  salariat  et  les

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segments "périphériques" de la force de travail ­ les moins stables, les moins protégés ­ risquent de s’élargir très rapidement.

L'identité collective de ce monde du travail peut, dans ces conditions, être  quelque  peu  sapée  et  ne  plus  aller  de  soi.  Cette  prise  à  revers provoque  aussi  une  fragilisation  des  réseaux  de  socialisation  et  de solidarité  ouvrant  ainsi  la  voie  à  la  recomposition  d'une  identité collective sur d'autres bases (islamisme notamment).

3. AJUSTEMENT STRUCTUREL 1. Précarisation sociale et pauvreté :

Les effets sociaux du programme d'ajustement structurel ne s'analysent pas uniquement en termes d'emplois et de chômage mais ils doivent être appréciés en fonction de la structure du système social. Or de ce point de  vue,  les  données  sur  le  chômage  sont  plus  dramatiques.  En effet il a été indiqué que ce chômage touche plus particulièrement les ménages dont les chefs sont eux­mêmes en chômage ou en inactivité : 52  %  des  chômeurs  appartiennent  à  cette  "catégorie  socio­

professionnelle"­ . De même, une autre enquête a révélé que 73 % des jeunes chômeurs (âgés de 18 à 26 ans) sont fils d'ouvriers, manoeuvres et assimilés : ce sont donc les jeunes des familles les plus pauvres qui se  retrouvent  au  chômage  et  ce  sont  aussi  les  couches  sociales  les plus démunies qui supportent le plus la charge du chômage. Autrement dit,  la  stagnation  de  la  création  d'emplois  affecte  directement  les couches  sociales  déjà  marginalisées  lesquelles  connaissent simultanément une augmentation du chômage et la baisse du pouvoir d'achat  des  ménages.  Cela  signifie  qu'une  nette  tendance  à  la précarisation  sociale  est  apparue  et  qu'une  paupérisation  croissante gagne de larges sections de la population.

D'autres  statistiques  le  montrent  bien.  La  consommation  en  termes réels  de  l'algérien  baisse  d'environ  20  %  entre  1984  et  1988.  Cette même  consommation  vient  de  connaître  pour  la  seule  année  90,  un recul de 8 %. Il est évident qu'une telle diminution de la consommation frappe  plus  particulièrement  les  couches  populaires  compte  tenu  du système social global qui fonctionne toujours en faveur des groupes de revenus les plus élevés. Mais ce qui alourdit encore plus le coût social du  désengagement  de  l'Etat  et  du  programme  d'ajustement  est l'inflation  qui  a  atteint  ses  premiers  records  :  l'indice  des  prix  a enregistré une hausse 46,7 % pour les années cumulées 1985 ­ 1988 et de 26 % pour les seules années 1989 ­ 1990 .

C'est assurément la dérive de la monnaie nationale qui a contribué, par ses effets, au sérieux déclin des revenus réels de la population. Conçue pour  encourager  les  investissements  étrangers  et  connaissant  une dépréciation  de  l'ordre  de  300  %  (1,11  DA/FF  en  Janvier  89  ­  3,42 DA/FF  Février  91)  cette  dérive  a  entraîné  une  explosion  des  prix tellement insoutenable que les experts et les opérateurs privés locaux parlent  de  "contraction  sérieuse  de  la  demande"  et  que  le  nouveau Ministre  de  l'Economie  la  qualifie  ainsi  que  la  politique  monétaire  et

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financière poursuivie "d'organisation orchestrée de la paupérisation de la plus grande masse des algériens".

C'est  dire  le  choc  de  l'austérité  imposée  au  plus  grand  nombre  et l'ampleur de  la  paupérisation  induite  par  la  réduction  brutale  des  bas revenus. Les titulaires de ces bas revenus s'appauvrissent de fait et se trouvent  écartés  de  plus  en  plus  des  circuits  de  consommation  d'un certain  nombre  de  produits  si  bien  que  l'expression  "groupes  de population  vulnérables"  a  fait  récemment  son  apparition  dans  les discours officiels.

Cette  aggravation  des  conditions  d'existence  constitue  un  sérieux élément d'incertitude pour les ménages populaires mais ce qui est plus insupportable pour ces derniers c'est que si le programme d'ajustement implique  une  baisse  des  revenus  réels  pour  maintes  personnes,  il exerce  au  même  moment,  des  effets  redistributions  en  faveur  de certains  groupes  sociaux.  Ces  derniers,  les  employeurs  et  les catégories "supérieures", ont développé des actions dans le sens d'une plus  grande  concentration  des  revenus  :  l'écart  des  revenus  salariaux serait de l'ordre de 1 à 17 aujourd'hui.

Comment s'étonner alors que la précarisation croissante, l'aggravation de la paupérisation et l'accentuation de la concentration des revenus ne favorisent  nullement  le  redressement  économique  et  la  maîtrise  des mutations  sociales  ?  Comment  assurer  à  travers  crise  et  chômage, marginalisation  et  inégalités  croissantes  un  système  d'identification stable pour le corps social ? Or ce dernier est en pleine décomposition et  est  enveloppé  d'un  épais  brouillard  d'incertitudes  parce  que l'écrasante majorité des acteurs sociaux ont été affaiblis en subissant les frais de l'ajustement structurel.

Ces acteurs sociaux vivent, en effet, sous la menace potentielle de la paupérisation  et  de  la  marginalisation.  Après  ceux  qui  ne  disposent d'aucun niveau d'instruction, c'est au tour des lycéens et des diplômés de l'enseignement supérieur de devenir des chômeurs et de rejoindre l'ensemble  populaire.  Les  producteurs  se  rapprochent,  eux  aussi,  du peuple : subissant le couperet des lois du marché et vivant à la limite du minimum  vital,  de  nombreux  segments  précarisés  de  la  population ouvrière participent désormais à une dimension sociale populaire. Il en est de même des couches moyennes.

Après avoir connu une ascension rapide du temps du populisme, ces couches se sont accrochées désespérément à leur statut mais elles ont fini, comme dans les sociétés latino­américaines, par se paupériser et rejoindre les "petits". Bref, des pans entiers de la société dégringolent sous les effets conjugués de l'inflation, de la dégradation des conditions d'existence et du chômage, dans le marais de la pauvreté.

2. Ajustement structurel, politique et demandes sociales :

Cette  situation  nouvelle  singularisée  tout  à  la  fois  par  la  baisse  du niveau  de  vie,  l'aggravation  de  la  misère  et  le  renforcement  de  la concentration des revenus produit des effets dévastateurs sur le tissu

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économique  et  social.  Le  moins  qu'on  puisse  dire  est  qu'elle  ne favorise pas  la  mobilisation  de  la  population,  ni  l'augmentation  de  la productivité du travail, ni le développement d'une "culture du travail" et de l'esprit d'entreprise si indispensable pour que l'Algérie cesse, à tout le moins, de reculer.

En attendant, une telle situation suscite des réactions sociales des plus diverses. Pour ceux qui ne peuvent s'affirmer ni comme travailleurs ni comme citoyens ­ les chômeurs, les marginaux ­ la conscience sociale est  déterminée  plus  par  le  dénuement  et  l'exclusion  que  par  des stratégies sociales et politiques.

Rejetés dans la misère matérielle et morale, ils sont plus attentifs aux paroles exaltantes des leaders religieux qu'aux paroles investigatrices des élites "modernistes". Dépourvus de tout cadre d'expression et de lieux  propres  d'action,  ils  finiront  par  prendre  d'assaut,  entre  1986  et 1991, les villes.

Là, les masses urbaines pauvres et marginalisées adoptent ce que B.

Badie appelle la "culture de l'émeute" : la révolte remplace le conflit, la rage la critique, la violence la contestation.... Privées de communication et d'identité, de culture et de libertés essentielles, se souciant fort peu de politique et de "l'esprit des lois", ces couches marginales côtoient et font  naître  la  violence  quotidienne,  que  celle­ci  soit  populaire  ou institutionnelle.

Concernant  les  autres  acteurs  sociaux,  les  ouvriers  et  les  couches moyennes  paupérisées  notamment,  les  tensions  qui  naissent  de  la pauvreté  et  de  l'inégalité  provoquent,  à  leur  niveau,  une  sorte  de

"populisation"  de  leurs  résistances.  Cela  signifie  que  leurs  pratiques sociales prennent une certaine distanciation par rapport au salariat et qu'elles sont désormais centrées sur les conditions d'existence liées à la pauvreté.

Les  travailleurs  affirment,  dans  ce  cadre,  la  priorité  des  problèmes sociaux  sur  la  crise  économique,  celle  de  leur  pouvoir  d'achat  sur  le remboursement de la dette... Des milliers de grèves exprimeront leurs contestations : 1933 grèves en 1988, 3389 au 1989, 2023 en 1990 et une grève générale de 2 jours en Mars 1991.

Certes  ces  contestations  définissent  les  intérêts  des  travailleurs  au sens  où  ces  derniers  ne  veulent  pas  être  seuls  à  faire  les  frais  de l'ajustement  et  à  payer  la  facture  de  la  dette,  mais  ces  contestations prennent la forme de défense populaire : elles résistent à la rupture de l'égalitarisme  plutôt  qu'elle  ne  formulent  un  nouveau  processus  de développement  ;  elles  sont  plus  orientées  vers  la  défense  du  pauvre que  vers  la  démocratisation  des  rapports  sociaux,  elles  sont  plus soucieuses  de  sauvegarder  le  niveau  de  consommation  que  de participer à des stratégies négociées de mobilisation productive.

Dans  tous  les  cas,  les  revendications  procèdent  d'une  conscience populaire défensive mais elles expriment fort peu une volonté collective d'émancipation nationale ou du redressement économique.

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Ce  redressement  économique  implique  évidemment,  à  l'autre  pôle, l'apparition  d'une  catégorie  de  véritables  entrepreneurs.  Or  la bourgeoisie algérienne demeure largement parasitaire et préfère faire fuir ses capitaux à l'étranger ou les jeter dans la spéculation : la moitié de la masse monétaire algérienne, soit environ 170 Milliards de dinars, est engloutie actuellement dans le système de l'économie informelle ! Faisant sauter en éclats le mythe de I'efficacité du secteur privé si cher à  la  doctrine  néo­libérale,  cette  bourgeoisie  adopte  des comportements où le paraître compte plus que le faire, les réseaux de contrebande plus que le calcul rationnel, la consommation ostentatoire et  les  dépenses  de  luxe  improductives  plus  que  l'investissement productif.  Tous  ces  comportements  produisent  des  cassures  morales entre  les  groupes  sociaux  et  contribuent  assurément  à  la  forme présente d'une société dont les éléments de décomposition semblent l'emporter sur les facteurs de la maturité.

Pourtant on peut considérer l'avènement du multipartisme introduit par la  nouvelle  constitution  de  Février  1989  comme  faisant  partie  de  ces facteurs  de  la  maturité.  Ce  multipartisme  est,  tout  comme  les  autres réformes  politiques  concernant  les  libertés  d'expression, d'organisation...  né  de  la  reconnaissance  du  fait  que  l'écart  entre  la société  et  l'Etat  ne  pouvait  plus  être  comblé  par  les  mécanismes traditionnels d'intégration politique.

Les  émeutes  d'Octobre  1988  ont  brusquement  attiré  l'attention  de  la classe politique sur les risques que connaîtrait le système social global si la situation qui avait régné jusqu'alors ne changeait pas.

Or  ces  changements  tardent  à  venir  et  la  transition  à  la  libéralisation politique  demeure  bien  fragile.  Non  seulement  la  liaison  entre  cette transition et la satisfaction des demandes sociales les plus pressantes ne  s'est  pas  toujours  opérée  mais  le  libéralisme  politique  semble encore  n'être  qu'un  moyen  de  réaliser  le  projet  de  libéralisation économique.

Celle­ci risque d'être plus radicale dans les années à venir puisque la privatisation  des  entreprises  publiques  et  la  rationalisation  de l'administration sont à l'ordre du jour. Cette transition est encore fragile parce  que  l'Algérie  ne  cesse  de  reculer  quant  à  ses  capacités  de production  et  parce  que  la  répartition  du  revenu  national  demeure encore très inégalitaire.

Tout porte à croire alors que la société fonctionne sur deux registres. Un registre  constitutionnel  s'adressant  aux  élites  et  appelant  aux  libertés démocratiques et un second registre qui sacrifie au nom de la crise les couches  populaires  sur  l'autel  de  l'ajustement  structurel  !  Sans  doute est­ce  là  la  spécificité  engendrée  par  la  constitution  du  capitalisme périphérique dominé par l'économie­monde mais trois gouvernements, deux états  de  siège  et  des  centaines  de  morts  (en  moins  de  3  ans) constituent un coût social déjà lourd pour une société qui s'épuise..

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Les  conséquences  sociales  de  la  crise  et  de  l'ajustement  structurel apparaissent graves et préoccupantes. Mais les problèmes de l'Algérie ne sont pas si désastreux qu'ils ne puissent trouver de solution dans le cadre d'un projet national de société.

L'Algérie  dépend  certes  de  l'évolution  de  la  crise  de  l'endettement extérieur qui paralyse actuellement tout effort d'investissement et donc la  capacité  d'élaborer  une  politique  de  redressement.  Elle  dépend aussi de la capacité de ses propres acteurs sociaux de transformer les demandes  sociales  en  décisions  politiques,  de  penser  à  nouveau  en termes de  développement,  de  lutter  pour  l'investissement  productif  et contre les inégalités sociales. L'avenir démocratique est à ce prix.

REFERENCES

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­  BENISSAD  H.  :  La  réforme  économique  en  Algérie  ou  l'indicible  ajustement structurel, O.P.U 1991, Alger.

­  EL­KENZ  A.  :  L'Algérie  et  la  modernité,  Codesria,  1989  (a)  Au  fil  de  la  crise, Bouchène 1989 (b) Alger. 

­ LACHAUD J. P. Le désengagement de l'Etat et les ajustements sur le marché du travail en Afrique francophone. Institut international d'études sociales. 1989. Genève.

­  LIABES  D.  :  Précarisation croissante  et  aggravation  des  inégalités  sociales  –  in  : l'Etat du Maghreb, la Découverte, 1991, Paris.

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° 21, 1990, Alger.

Notes

[*] CREAD­ALGER (Août 1991)

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Références

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