La recherche didactique face aux défis de l’enseignement des mathématiques
Michèle Artigue LDAR & IREM
Université Paris Diderot – Paris 7
Les mathématiques, science diverse, vivante
et ouverte sur le monde
Les mathématiques, pilier de la culture scolaire
Une éducation mathématique de qualité doit permettre de se forger une image positive et appropriée des mathématiques. (…) Elle doit
permettre aux élèves de comprendre à quels besoins répondent les mathématiques qui leur sont
enseignées, et aussi que ces mathématiques
s’inscrivent dans une longue histoire qui se conjugue avec celle de l’humanité. (…)
Elle doit aussi permettre aux élèves de voir les
mathématiques comme une science qui peut et doit contribuer à la résolution des problèmes majeurs
auxquels le monde doit aujourd’hui faire face (….) Elle doit donc en particulier permettre aux élèves de
comprendre la puissance des mathématiques comme outil de modélisation pour comprendre et agir sur le monde.
Les mathématiques, pilier de la culture scolaire
Il ne suffit plus aujourd’hui de maîtriser les savoirs basiques concernant les
nombres et les grandeurs qui ont longtemps constitué la condition
mathématique de l’intégration sociale.
La culture numérique dans laquelle baignent de plus en plus les sociétés actuelles, les responsabilités nouvelles que doivent assumer les individus, en tant que citoyens ou à titre personnel, l’incertitude grandissante qui marque le monde dans lequel nous vivons,
nécessitent une révision de l’idée de littéracie mathématique.
Les mathématiques, pilier de la culture scolaire
Comme c’était le cas hier, l’enfant doit apprendre à acquérir le sens des
nombres et des formules, apprendre à estimer, mesurer, jouer avec les ordres de grandeur. Cependant, d’une part ces bases ne suffisent plus à répondre aux besoins actuels qui se sont
fortement accrus, d’autre part on ne peut penser leur apprentissage même, sans prendre en compte les conditions sociales actuelles d’usage de ces
connaissances, ni les moyens
nouveaux que les technologies offrent pour cet apprentissage.
Le contraste entre les ambitions et la réalité
• Des sociétés qui se sont habituées à l’ignorance mathématique.
• Des systèmes éducatifs qui se sont habitués au décrochage mathématique de nombreux
élèves.
• Des systèmes éducatifs qui se sont habitués au manque d’intérêt même de ceux qui
réussissent dans cette discipline.
Pourtant une discipline…
• Une discipline où développement scientifique et enseignement sont tout particulièrement imbriqués.
• Une discipline où la réflexion sur
l’enseignement s’est très tôt institutionnalisée, avec notamment la création de la Commission Internationale de l’Enseignement des
Mathématiques (aujourd’hui ICMI) dès 1908.
Mais aussi une discipline où il faut faire face
• A la forte dépendance du champ des contextes et des cultures,
• A sa sensibilité aux changements de toutes sortes qui limite fortement la durée de vie des équilibres et solutions
trouvées.
• Aux mouvements de balanciers qu’imposent souvent les choix politiques.
• Au fait que toutes les paroles sont souvent mises sur le
même plan, qu’elles relèvent de l’opinion, de l’expérience
personnelle, ou d’un travail approfondi d’expérimentation
ou de recherche.
Quels apports de la recherche
didactique ?
Quelques repères historiques
• Une réflexion et des activités très précoces mais une recherche didactique qui ne se développe vraiment qu’après la seconde guerre mondiale.
– La création de la CIEAEM en 1950.
– Le rôle d’Hans Freudenthal et le premier congrès ICME à Lyon en 1969.
– La création de la revue Educational Studies in Mathematics en 1969.
– La création des premiers groupes d’étude affiliés à
ICMI, Histoire et Pédagogie des Mathématiques,
Psychologie de l’Education Mathématique en 1976.
Quelques repères historiques
• La création de structures régionales (CIAEM…), de sociétés (MERGA, ERME…), d’associations (ARDM…)
• L’institutionnalisation de la recherche (DEA, Masters, doctorats, séminaires, écoles d’été, postes,
laboratoires…)
• La multiplication des revues
• Le développement des collaborations
internationales (études ICMI, études comparatives,
projets européens…)
Projets européens
Le contexte français
• La volonté dès le départ de construction d’un champ scientifique autonome, a la fois fondamental et
appliqué, portée par des chercheurs visionnaires comme Guy Brousseau, Gérard Vergnaud, Yves Chevallard.
• L’importance attachée aux liens avec la communauté mathématique.
• Le rôle des IREM qui a permis de développer une recherche en contact étroit avec le terrain.
• L’institutionnalisation rapide : DEA et doctorats, revue,
séminaire national, école d’été, association.
Le contexte français
La théorie des situations: une vision systémique et épistémologique
Savoir
Elèves Enseignant
Une méthodologie cohérente avec cette
vision systémique : l’ingénierie
didactique
L’apprentissage vue comme combinaison
entre adaptation et
acculturation
Le contexte français
• L’extension à une perspective institutionnelle avec la théorie anthropologique du didactique (Yves Chevallard).
• De nouvelles constructions originales et puissantes :
– La notion de praxéologie qui modélise les pratiques tant mathématiques que didactiques.
– L’échelle des niveaux de co-détermination didactique.
– La dialectique des médias et des milieux et la notion de programme d’étude et de recherche comme
fondement d’une ingénierie didactique rénovée.
Les apports de la didactique : le
thème des fonctions
La notion de fonction
• Une notion au cœur des mathématiques depuis le 18
esiècle.
• La reconnaissance de son importance pour
l’enseignement avec les réformes du début du
20
esiècle.
La vision de Felix Klein
« Nous, qui sommes appelés les réformateurs, voudrions mettre le concept de fonction au centre de
l’enseignement, car de tous les concepts mathématiques des deux siècles passés, c’est celui qui joue le rôle majeur partout où la pensée mathématique est utilisée. Nous
voudrions l’introduire dans l’enseignement aussi tôt que possible, avec un usage constant de la méthode
graphique, la représentation des relations fonctionnelles dans le système de coordonnées x y, qui est aujourd’hui utilisée dans toutes les applications pratiques des
mathématiques. »
La notion de fonction
• Une notion au cœur des mathématiques depuis le 18
esiècle.
• La reconnaissance de son importance pour
l’enseignement avec les réformes du début du 20
esiècle.
• Une notion qui a motivé un très grand nombre de recherches didactiques, partout dans le
monde.
Quelques apports importants
• La dualité processus/objet et les dangers d’une centration trop précoce sur la dimension objet de la notion.
• Le rôle joué dans la conceptualisation par les interactions entre registres de représentations.
• La reconnaissance et l’expression de régularités (patterns) comme voie d’entrée dans le monde fonctionnel et plus généralement le monde de l’algèbre.
• Le potentiel pour l’enseignement et l’apprentissage de la modélisation fonctionnelle de situations intra et extra mathématiques.
• La mise en évidence du riche potentiel des technologies
numériques pour soutenir l’enseignement et l’apprentissage de cette notion.
• La distinction entre points de vue ponctuel, global, local sur la notion de fonction.
Le projet EdUmatics
• Un projet Comenius impliquant 7 pays et 20
partenaires : 10 laboratoires universitaires et 10 établissements secondaires associés.
• Un projet visant le développement collaboratif de ressources pour former les enseignants de
mathématiques européens à l’intégration des
technologies numériques dans leur enseignement.
• Les fonctions très présentes dans les cinq modules développés et au cœur du module 3 centré sur
fonctions et modélisation fonctionnelle.
EDuMatics: www.edumatics.eu
Cinq modules coordonnés
La famille des enseignes
Une entrée classique: des fonctions pour modéliser
des co-variations entre grandeurs géométriques
Ce que permet la technologie
Ce que permet la technologie
• Une approche expérimentale du problème qui peut-être appuyée de diverses façons et ne nécessite pas une
modélisation algébrique de la situation.
• Une interaction réelle entre des approches qualitatives et quantitatives, entre cadres numérique, algébrique et géométrique, ainsi qu’entre les différents registres
sémiotiques associés.
• La possibilité de varier facilement dimensions et formes et d’étudier ce qui se généralise ou pas.
• En résumé, un travail plus riche, plus représentatif d’une activité mathématique authentique et avec plus de
responsabilité mathématique donnée à l’élève.
La famille des poursuites
• L’extension à des situations permettant de rapprocher
l’enseignement de la culture des élèves, via l’utilisation de clips vidéos.
• Où les fonctions interviennent dans la modélisation de situations extra-mathématiques.
• Où les élèves vont utiliser la technologie pour créer leurs propres simulations et jouer ensuite avec ces simulations.
• Des situations plus ouvertes où des fonctions diverses peuvent progressivement émerger pour répondre à des questions suscitées par la réalisation des simulations ou leur exploitation, dans l’esprit des PER de la théorie
anthropologique.
Exemple de vidéo (1)
Exemple de vidéo (2)
Exemple de vidéo (3)
Exemple de vidéo (4)
Poursuite simple : une simulation
Entrée des résultats et représentation
graphique
Vérification avec l’expression
fonctionnelle
En résumé
• Des types de situations très différents mais dont la construction s’appuie, dans les deux cas, sur les acquis de la recherche didactique :
– sur l’enseignement et l’apprentissage des fonctions,
– sur l’intégration des technologies numériques à l’enseignement.
• Ainsi que sur les acquis plus transversaux de la
TSD et de la TAD.
La recherche didactique: de l’élève vers l’enseignant
• Une recherche longtemps centrée sur l’élève et qui a capitalisé les acquis sur tous les domaines
d’apprentissage mathématique.
• Mais une recherche qui, au cours des deux dernières décennies, s’est déplacée vers l’enseignant, ses
pratiques, sa formation, son développement
professionnel, comme le montrent différentes
études, revues et Handbooks, ce déplacement
donnant lieu à des développements théoriques
spécifiques.
Recherche et vigilance didactique
Recherche et vigilance didactique
La recherche didactique: instrument de vigilance
• Au-delà de la production de savoirs et de son rôle de moteur et soutien à l’action didactique, la recherche a aussi une fonction sociale de vigilance.
• Ces dernières années, cette vigilance a notamment concerné :
– les tensions curriculaires entre contenus et compétences, – les évaluations standardisées à grande échelle,
– la promotion de méthodes pédagogiques comme c’est
actuellement le cas pour les démarches d’investigation
(Inquiry Based Learning/Pedagogy).
Inquiry Based Learning
• Le rôle déclencheur en Europe du rapport
Rocard (2007) commandité par la Commission Européenne.
• Le financement important de projets visant la dissémination à grande échelle en Europe de ce type de pédagogie, comme le montrent le
portail scientix.eu et le réseau Proconet.
• L’inscription dans les curricula de nombreux
pays européens.
Projets européens et IBL
Quelques leçons de Fibonacci et Primas
• Le constat que, lorsque les projets débutent, de nombreuses questions demeurent :
–
sur l’efficacité réelle de ces méthodes et les conditions de cette efficacité,
–
sur les stratégies à adopter pour la dissémination et la formation des enseignants,
–