• Aucun résultat trouvé

"Le nouveau Musée de l'Homme et l'exposition de 1938"

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager ""Le nouveau Musée de l'Homme et l'exposition de 1938""

Copied!
8
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-01894356

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01894356

Submitted on 12 Oct 2018

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

”Le nouveau Musée de l’Homme et l’exposition de 1938”

Fabrice Grognet

To cite this version:

Fabrice Grognet. ”Le nouveau Musée de l’Homme et l’exposition de 1938”. C. Coiffier (dir.). Le voyage de La Korrigane dans les mers du Sud, Hazan, pp : 44-47., 2001. �hal-01894356�

(2)

Le nouveau Musée de l’Homme et l’exposition de 1938

Fabrice Grognet

L’année 1938 voit l'aboutissement institutionnel d'une progressive maturation et légitimation du projet scientifique d'un homme : Paul Rivet. Cet homme, dans lequel s'associe le "savant et le politique", est en effet le personnage clé d'une métamorphose de la colline de Chaillot, qui aura comme conséquence concrète, l'ouverture au public, le 21 juin 1938, du nouveau Musée de l'Homme dont l'exposition temporaire est alors le voyage de La Korrigane en Océanie.

D'un Trocadéro à l'autre

Tout commence en 1878, au moment de l'Exposition universelle de Paris1. A cette occasion est construit sur le site de la colline de Chaillot un palais destiné à abriter temporairement des collections ethnographiques montrant, par la même occasion, l'expansion coloniale française. Suite à cette présentation, le gouvernement de l'époque, par l'intermédiaire de son ministère de l'Instruction publique, décide, pour des raisons autant politiques que scientifiques, de regrouper toutes les collections ethnographiques qui lui appartiennent, dans le palais du Trocadéro, transformé pour la circonstance en musée.

En 1880, lorsque le Musée d'Ethnographie du Trocadéro (MET) est créé, l'ethnographie cherche encore son identité, tiraillée entre les sciences de la nature et les sciences sociales qui la réduisent, soit à une "histoire naturelle" de l’Homme, soit à une description des "sociétés primitives". Le champ de l'ethnographie n'est pas établi et, de surcroît, il est dominé par celui de l'anthropologie physique, animée par des médecins naturalistes qui règnent en France sur la science de l'Homme, c'est à dire l'anthropologie.

La communauté scientifique des anthropologues de l’époque se répartit entre trois institutions parisiennes : la Société d'ethnographie, la Société d'anthropologie, et le

1 Voir Philippe Peltier, "From Oceania", in William Rubin (ed.), "Primitivism" in 20th Century art, Affinity of the tribal and the Modern, 2vol., New-York, The Museum of Modern Art, 1984, T.1, p.100-101.

(3)

Muséum National d'Histoire Naturelle, lieu de production du savoir, mais surtout lieu d'instruction et de vulgarisation des connaissances scientifiques. Ernest-Théodore Hamy, alors assistant de Quatrefages à la chaire d'Anthropologie du Muséum, devient le directeur de ce nouveau musée qui, au niveau administratif, reste coupé de toutes les institutions scientifiques.

En plus de ce manque de liens avec la communauté scientifique, le musée souffre de sa dépendance envers l'Etat et de ses crédits donnés au compte-gouttes. Sans moyen et sans personnel suffisant, il tend à devenir un lieu d'entassement des collections :

"Quelques parisiens conservent sans doute le souvenir de l'ancien musée d'Ethnographie. C'était une caverne ténébreuse et poussiéreuse, où dormaient quelques gardiens, sous la menaçante protection d'un peuple confus d'idoles africaines ou océaniennes"2.

Avec l'arrivée conjuguée d'un nouveau directeur, Paul Rivet, et d'un nouveau sous- directeur, George Henri Rivière, le moribond MET à la muséographie "bric à brac"3 va connaître une véritable métamorphose, fondée sur le concept de "musée-laboratoire" et calqué sur l’exemple du Muséum national.

En fin stratège, Paul Rivet utilise ses relations scientifiques (création de l'Institut d'ethnologie en 1925, création d'un lien officiel entre le MET et le Muséum en 1928) et politiques4 afin de légitimer un programme scientifique de synthèse alors marginal : l'ethnologie. Cette étude des "faits de races et de civilisations", selon la définition de Rivet, rompt en effet tant avec la traditionnelle anthropologie physique qu’avec la sociologie aux poussées hégémoniques. Pour voir le jour, cette ethnologie réclame des scientifiques neufs5 sans a priori disciplinaire, à l'instar de Georges-Henri Rivière qui puisera largement dans son réseau relationnel, pour procurer mécènes et personnel (souvent bénévole) au musée.

Ainsi, Paul Rivet se retrouve-t-il à la tête de ce dispositif de structuration de l'ethnologie, cumulant enseignement (Institut d'ethnologie), recherche (Société des américanistes, Société des africanistes, Centre d'études océaniennes) et vulgarisation (MET). Le processus de légitimation de l'ethnologie doit cependant contourner les autres institutions anthropologiques qui, dominées par les médecins naturalistes, limitent leur

2 Le jour, 10 mai 1938.

3 Rivet (P) Rivière (GH), 1931, "La réorganisation du Musée d'Ethnographie", Bulletin du Musée d'Ethnographie du Trocadéro, n°1 p : 3.

4 Rivet sera élu député socialiste de Paris en 1935.

(4)

champ de recherche à la seule dimension anatomique. Cette phase d'institutionnalisation de l'ethnologie correspond à une victoire tant scientifique que politique qui, grâce à l’avènement du Front Populaire et l'annonce de l’Exposition internationale des arts et techniques en 19376, se transforme en "triomphe"7 .

Ces deux éléments majeurs décident d'une nouvelle métamorphose du paysage de la colline de Chaillot avec la construction du bâtiment du nouveau "Musée de l'Homme".

Une appellation qui, d'ailleurs, n'est pas du goût de tous, comme en témoigne un article du Figaro, le 18 juin 1938 :

"Nous avons déjà lu cela sur le fronton en toile peinte d'une baraque foraine qui était un humble succédané du musée Dupuytrien. Mais il faut convenir que le titre était difficile à trouver. Oublions ce qu'il a d'un peu voyant et d'un peu vulgaire ”.

Ce musée, qui ouvre ses portes aux publics en juin 1938, s’affirme comme le cadre théorique et muséographique d'une étude et présentation de l'Homme dans toutes ses dimensions, mais aussi comme le garant institutionnel d'un "nouvel humanisme"8 visant à une "réhabilitation des cultures opprimées"9 et à un effort de vulgarisation vers les plus démunis. Aussi le Musée de l'Homme se veut-il populaire, comme le souligne Paul Rivet :

"Le musée de l’Homme a été vraiment conçu pour le peuple. Il sera ouvert le soir après le dîner et il sera par conséquent accessible aux travailleurs (…) Pour me tenir plus étroitement encore en liaison avec le public et connaître ses réactions, j'ai fait mettre dans le musée une boite aux lettres, et chaque visiteur pourra me faire ses suggestions et ses critiques"10.

Toujours est-il que la nouvelle institution connait un succès d'estime dans la presse française – "Aucun pays au monde ne possède à l'heure actuelle d'institution, consacrée aux sciences humaines, qui soit comparable au Musée de l'Homme" (Annales Coloniales, 27 juin 1938) – et même internationale de l'époque : "The Musée de l'Homme offers to the public one of the world's most completely-equipped scientific research centers. " (New-York Herald Tribune, 21 juin 1938).

5 Jamin (J), 1989, "Le savant et le politique Paul Rivet (1876-1958)", Bulletin et Mémoire de la Société d'Anthropologie de Paris, T1, n°3-4, pp : 277-294.

6 Le succès de l'Exposition Coloniale de 1931 à sans doute également facilité les démarches de Paul Rivet.

7 Jamin (J), 1988, "Tout était fétiche, tout devint totem", dans Bulletin du Musée d'Ethnographie du Trocadéro, ed J.M Place, Paris.

8 Un comité de vigilance des intellectuels antifascistes, créé en 1934, réunit Paul Rivet, le philosophe

“ Alain ” et le physicien Paul Langevin.

9 Georges-Henri Rivière a participé à la contre-Exposition coloniale de 1931, qui souhaitait dénoncer un certain nombre de faits coloniaux.

(5)

La création de ce nouveau musée prend donc les allures d'un événement scientifique, culturel, mais aussi politique.

Le "tour du monde en dix minutes"11

"Le président de la République aura aujourd'hui une soirée chargée, puisqu'il inaugurera successivement les nouvelles salles du Musée Guimet et le musée de l'Homme au Palais de Chaillot ; il est donc peu probable qu'il puisse s'attarder longuement devant les prodigieuses collections présentées avec un art et une clarté parfaites dans l'aile Passy de l'ancien Trocadéro".

L'inauguration du musée est un évènement solennel : "Accompagné de MM. Sarraut, ministre de l'Intérieur ; Jean Zay, ministre de l'Education nationale, et Georges Mandel, ministre des Colonies, le Président de la République [Albert Lebrun] a inauguré ce Musée de l'Homme"12.

En tant que première exposition temporaire dans l'enceinte du nouveau musée13, le

"Voyage de La Korrigane en Océanie" est le "rendez-vous de très nombreuses personnalités parisiennes"14. S’y retrouve "l'élégant public de l'inauguration"15, en tenue de soirée, comme le stipule le carton d'invitation16. Grâce aux relations des familles Ganay, Van den Broeck, et Ratisbonne, le Tout-Paris assiste à l’avènement conjuguant vernissage de l'exposition "Korrigane" et inauguration du musée lui-même. "Une grande salle d'exposition met sous nos yeux le butin scientifique et pittoresque que de leur expédition sur La Korrigane ont rapporté de jeunes et sympathiques voyageurs connus et aimés de la société parisienne17", lit-on dans Le Figaro.

Une autre raison peu expliquer ce succès médiatique. En effet, la manifestation de 1938 est résolument tournée vers les arts océaniens, comme l'annonce l'affiche18, mettant en avant les sculptures, masques et bijoux présentés, ainsi que le texte placé en exergue sur premier panneau de l'exposition :

10 Vendredi, 17 juin 1938.

11 Titre de L'intransigeant, 21 juin 1938.

12 Annales Coloniales, 27 juin 1938.

13 Une première exposition sur les indiens du Motto-Grosso (Brésil) avait déjà était organisée du 21 juin au 3 février 1937 par le Musée de l'Homme en construction ; pour cette raison, elle s'était tenue à la galerie de la "Gazette des Beaux-Arts". La manifestation de 1938 n’est pas non plus la première exposition des objets rapportés par La Korrigane : le 26 Octobre 1937, une petite sélection (dont le Dieu Requin de Santa Cruz aujourd'hui au Louvre) avait déjà été proposée au Théâtre des Ambassadeurs à Paris.

14 Courrier du Pacifique, 16 juillet 1938.

15 L'intransigeant, 21 juin 1938.

16 Le New York Hérald Tribune du 15 juin 1938, fait mention de l’inauguration dans sa rubrique

"renseignements mondains".

17 Le Figaro, 18 juin 1938.

(6)

"Tous art est l’expression d’une civilisation. Notre art reflète la civilisation européenne. De même les Océaniens ont créé un art à l’image de leur pensée et de leur vie".

Les arts que l'on appelle alors "primitifs" sont en effet très en vogue à l’époque. Ils ont été mis en valeur par les artistes occidentaux depuis le début du XXe siècle. Le terme

"art primitif" comporte toutefois beaucoup de sous-entendus, comme en témoigne un article paru dans Messidor :

"Ce qui confond d'abord le visiteur, c'est l'extraordinaire richesse des résultats obtenus par des moyens rudimentaires et avec des matériaux bruts.

Le bois, l'os, l'ivoire, la pierre, les coquillages, l'écorce de liane, les cheveux et les plumes, grossièrement utilisés ont admirablement servi l'imagination étincelante des primitifs (…) Les arbres savent devenir pirogues, statues ou tambours (…) L'os de casoar gravé se transforme en poignard redoutable, pour les indigènes de la Nouvelle-Guinée (…) Pour eux, comme pour la plupart des noirs, les manifestations esthétiques sont involontaires et se confondent avec leur activité pratique19."

Le catalogue de l'exposition, préfacé par Paul Valéry, n’est pas moins explicite à ce sujet. Il présente les peuples océaniens comme des "spécimens de la vie primitive (…) cannibales, idolâtres, voluptueux et farouches", qui vivent dans des "réserves insulées"

troublées par "la turbulence des civilisés"20.

Du "voyage" à la "croisière"

L’exposition "Le voyage de La Korrigane » durera jusqu'au mois d'Octobre 1938. Dès l’entrée, un panneau évoque la “Croisière de La Korrigane” (la presse fait d'ailleurs souvent mention du "yacht La Korrigane"), alors que l'affiche mentionne le "voyage".

L’accent n’est donc pas mis sur l’aspect ethnographique, et donc scientifique, sinon il aurait été fait mention d'une "expédition". C'est d'ailleurs le coté aventureux du

"voyage" qui est mis en avant dans le catalogue :

"Cette Korrigane se tire à merveille d'une navigation scabreuse dans des parages mal éclairés, où ne manquent ni les surprises de corail ni les incertitudes sur les atterrissages"21.

Le premier panneau comporte une carte retraçant le périple du bateau à travers le monde, ainsi que des photographies de La Korrigane. Le pavillon (un aigle bleu sur

18 Voir Michel Rouzier, "L'affiche ethnographique", Gradhiva, n°7, 1989-1990, p.92.

19 Messidor, 1er juillet 1938.

20 Charles van den Broeck, Le voyage de La Korrigane en Océanie, cat. Exp., Paris, Musée de l’Homme, préface de Paul Valéry, p.1.

21 Ibid., p.2.

(7)

fond or) du bateau rappelle les armoiries de la famille de Ganay. Mais aucune photo ne présente l'équipage.

La place accordée aux photographies dans cette exposition laisse entrevoir le grand nombre de clichés réalisés par les participants du "voyage" (6000, selon Charles van den Broeck). Les thèmes traités sont des plus divers. Certaines images montrent La Korrigane au mouillage dans des paysages typiques des mers du Sud, d'autres replacent dans leur contexte des objets exposés, d'autres encore représentent des scènes de vie locale des archipels visités.

L'impression laissée par cette exposition est celle d'une accumulation, dépourvue de véritable thème structurant. Il s'agit d’avantage d'une présentation d’objets spectaculaires, comme si les membres de l'expédition22 avaient eu du mal à choisir parmi les deux mille cinq cents pièces collectées. Près de 800 objets sont ainsi exposés, regroupés en séries (plats, louches, lances…), ou présentés isolément pour les plus monumentaux d’entre eux (tambour du Vanuatu, pirogue des Tuamotu ou de Santa Cruz). Chacun est accompagné d'un cartel.

L'agencement des vitrines reprend le parcours suivi par La Korrigane, de la Polynésie vers l'Indonésie. Toutefois, certaines zones géographiques, la Mélanésie notamment, sont plus représentées que d'autres car la collecte y a été plus abondante : deux vitrines sont ainsi consacrées à la Polynésie française, une à la Nouvelle Zélande, deux à Fidji, deux à la Nouvelle Calédonie, quatre aux Nouvelles-Hébrides (actuel Vanuatu), une aux îles Santa Cruz, une à l'île de Rennel, quatre aux îles Salomon, quatre à l'archipel des Amirautés, huit à la Nouvelle-Guinée (avec près de trois cents objets) et deux à l'Indonésie.

Cette exposition du voyage de La Korrigane tranche ainsi résolument avec le reste du musée qui suit les principes muséographiques de Georges-Henri Rivière – vitrines sans mannequin où les objets sont accompagnés de textes rédigés par les ethnologues, avec des photographies de terrain disposées à proximité.

Loin du débat actuel entre musée résolument ethnologique et musée d'arts, le Musée de l'Homme de l'époque a pris le parti d'associer les deux aspects de manière

22 Si Charles Van den Broeck, attaché au Muséum National d'Histoire Naturelle en 1937, devient le premier responsable (bénévole) du département Océanie du nouveau Musée de l’Homme, les de Ganay et Ratisbonne ont participé également à l'élaboration de l'exposition. Ainsi, les collections personnels des uns (les de Ganay et Van den Broeck pour les îles Marquises) et des autres (les Ratisbonne pour la Nouvelle Guinée, et les de Ganay pour l'Indonésie) sont mises à contribution, en plus des objets destinés au MET.

(8)

complémentaire, l'un dans les galeries permanentes et l'autre dans les expositions temporaires.

Références

Documents relatifs

Je présente dans ce travail la création en ligne d’une production d’un conte réalisé par des apprenants lors d’une séance de Travaux Dirigés en situation de français

Dans un travail de recherche publié il y a quelques temps, et qui portait sur l’image de soi et de l’autre à travers les textes proposés dans le manuel de

L’énoncé [dxelt kursi] (U.C 6) marque un dysfonctionnement au niveau de la fonction du contexte, parce que l'expression est étrangère au thème abordé, ce qui reflète

L’énoncé [dxelt kursi] (U.C 6) marque un dysfonctionnement au niveau de la fonction du contexte, parce que l'expression est étrangère au thème abordé, ce qui

La conquête du marché intérieur et extérieur du mobilier exige que les prix et les conditions des sciages locaux soient compétitifs par rapport aux bois importés; cela est

La répartition par sexe montre que : chez la femme, le taux brut d’incidence de cancers est de 162,9 pour 100 000 habitants, avec un taux standardisé de 195,4 pour 100

Sous l é’ gide des CPR (Chantiers Populaires de Reboisement) d’abord, des services forestiers ensuite, utilisant la toute puissance de l ’ Etat pour imposer les

Exit, voice and loyalty a ainsi pour objectif d’étudier les conditions de développement, conjoint ou non, des deux modes d’action, leur efficacité respective dans