SUR LE NOIRCISSEMENT DES VIEILLES CIRES
R. CHAUVIN
Station de Recherches sur l’Abeille et les Insectes sociaux,
Bures sur Yvette (Seine-el-Oise).
SOMMAIRE
Il existe dans les vieux rayons un ensemble de corps
déposés
sur la cire, ou à l’état demélange, qui
augmentent
beaucoup
leurépaisseur
et leur densité. Parmi eux on peut dénombrer de lapropolis
en
petite quantité ;
une substancehydro
et alcalisoluble, enquantité plus
forte. Cette substancecomprend
un matérielhydrocarboné, qui
réduit le Fehling ; unpolypeptide phosphoré,
et sans douteun corps voisin des mélanines. On ne peut rien dire
jusqu’à
présent del’origine
de ces substancesTous les
praticiens
de l’Abeille savent que la couleur des cires dans la ruche passerapidement
dujaune
brun très clair au brun foncé. Mais il ne semble pasqu’on
sesoit
beaucoup posé
dequestions
sur les causes de cenoircissement,
tout au moins àma connaissance. Au
début,
la substancequi
recouvre les rayons est facilement soluble dans l’acétonequ’elle
colore enjaune ;
elle se dissout en rose dans le sulfure de carbone et donne avec le trichlorure d’antimoine la réactioncaractéristique
descaroténoïdes ;
ils’agit
sans doute d’un corpsqui provient
despoussières
depollen
innombrables
qui
sedéposent partout dans la ruche. D’ailleurs, lorsqu’on
fait passer
les butineuses de retour des champs
sur unpapier blanc, il est facile de constater que
la couleur du papier
vire rapidement
au jaune rougeâtre.
Mais
plus
tard unpigment
noir sedéveloppe qui
n’a rien de commun avec les caroténoïdes. Il nes’agit
d’ailleurs pas d’un seul corps mais d’unmélange complexe,
comme nous allons le voir. On a admis tacitement
qu’il
devaitprovenir
de débris variés que les Abeillesincorporent
à la cire au cours deplusieurs années ; ou encore des
excréments larvaires qui
sont, comme on le sait, rejetés
au-dessous du cocon juste
avant la
nymphose. Quant
à lapremière hypothèse,
il existe sans doute de nombreuxdébris que la
microscope peut mettre en évidence dans la cire (voir
travail de RIERA
dans le même fascicule)
mais un examen même superficiel
montre qu’il s’y
trouve en
outre des substances non
figurées
et entraînables par divers solvants. En cequi
con-cerne la seconde
hypothèse,
il est bien exact que des excréments enquantités
nonnégli- geables
sontdéposées
entre lescinq
à six coconsempilés
dans une celluleâgée
d’unrayon ; mais ils se confinent au fond de la
cellule ;
et si l’onregarde
lapartie
inférieured’un vieux rayon, là où les
phénomènes
sontparticulièrement
nets, on se rendcompte
que le bord de la
cellule,
oùn’atteignent
pas lesexcréments,
est lui aussi trèsépais
etlargement
encrassé. De toutefaçon,
des essaisd’extraction,
mêmerudimentaires,
montrent que le
problème
estbeaucoup plus complexe.
ESSAIS
D’EXTRACTION
Des morceaux de rayons très
durs,
trèsépais
etnoirs,
sans miel nicouvain,
ont étésélectionnés,
écrasés sommairement etépuisés
à chaud par un solvant des corps gras(benzène,
acétone outoluène) qui
doit enlever lescires ;
l’alcoolbouillant, qui
doit enlever la
propolis
insoluble dans le benzène ou letoluène ;
l’eauchaude ;
enfin l’extraction se termine par une macération dans l’eau ammoniacaleà
p. 100. Les résultats sontdifférents,
pour le même échantillon de vieux rayons, suivant la mé- thodeemployée :
On notera des
pertes importantes, variables suivant les échantillons et qui
tiennent
vraisemblablement au fait que les vieux rayons contiennent une
quantité importante
d’eau difficile à éliminer
complètement ; j’ai préféré
lanégliger.
On remarquera aussi la
présence
d’un extractifhydro-et
alcalisolubleimportant.
Les résidus sont essentiellement formés des cocons,
qui
retiennent encore entre leurs fondsimbriqués,
desquantités importantes
d’excréments larvairesqu’on
nepourrait
extraire
complètement
que parbroyage.
DISCUSSION
Les cires extraites ont une couleur assez foncée et
peuvent
évidemment entraîner d’autres matièresliposolubles,
dont l’étude seraitplus compliquée ; je
les ai laissées de côté. I,’alcoolqui
a servi à extraire lapropolis
est àg 5 °
et entraîne des matériauxhydrosolubles
comme onpeut
s’en assurer enévaporant
à secaprès l’opération. et
en
reprenant
par l’alcool absolu à chaud : alors laplus grande partie
de lapropolis
passeen
solution,
mais il reste un résidu brunqui
est seulementhydrosoluble.
Unepartie
des dérivés
hydrosolubles précipite
d’ailleurs par l’alcool. Nous n’avons pasprocédé
àune étude
systématique
de lapropolis
des rayons ; on saitdepuis longtemps
que les Abeilles ont coutume d’en enduire les cellules et que d’autrepart
une certaine quan- tité de cire se trouvemélangée
à lapropolis
brutequi
enduit les cadres. Mais on admet- tait que la couleur foncée des rayonspouvait
être due à cettepropolis ;
il est facilepourtant
de constater quelorsqu’on épuise
un rayon par l’alcool bouillant sa couleur foncée reste presque inaltérée etqu’il
est encorepossible
d’en retirer un abondantmatériel brun noir
hydrosoluble.
D’autrepart,
lapropolis
de rayovcsdiffère
de laPro-
polis
decadres ;
d’abordaprès évaporation
de l’alcoolqui
a servi àl’extraire,
elle estprivée
de l’odeuragréable qui
caractérise habituellement cettesubstance ;
corrélati-vement, une
analyse pratiquée
par BARBIER nous a montré laquasi-absence
de frac-tions volatiles distillant vers
8o O - 9 oo,
alorsqu’elles
sontprésentes
dans lapropolis
obtenue par
raclage
descadres ;
d’autrepart,
et surtout, LAVIE aprouvé
que si lepouvoir antibiotique
de lapropolis
de rayon est aussi net que celui de lapropolis
decadres,
par contre lapropolis
de rayon n’estpas antifongique (et l’on sait d’ailleurs
que les cadres d’Abeilles moississent assez facilement hors de la
ruche)
alors que lapropolis
des cadres l’estfortement (pour
le détail des testsemployés,
voir thèse de LA V I E,
1959).
L’exiractî’l hydrosoluble.
L’extractif
hydro-
ou alcalisoluble seprésente
sous la forme d’uneliqueur
rougebrun très foncée
qui
concentrée à sec fournit unepâte
brun noir trèshygroscopique,
d’un
goût
amer etqui, lorsqu’elle
estlégèrement réhydratée,
a lapropriété
de s’étireren
longs fils ; cette particularité
se rencontre aussi parmi
les pectines;
c’est pourquoi
mon
collègue
ULRICH de laSorbonne, qui
en estspécialiste,
a bien voulu lesrechercher,
et
je
l’en remercie bien vivement.Malheureusement,
la recherche despectines
dansla
pâte
brun-noir n’a pas donné de résultatspositifs. J’ai
tenté alorsquelques
réac-tions élémentaires :
La
liqueur précipite
par l’acétatebasique
et l’acétate neutre deplomb (précipi-
tation
incomplète),
par le sulfate de cuivre et l’eau de chaux. Elle neprécipite
paspar Na Cl à saturation ni par
S0 4 (NH 4h
La substance réduit fortement leFehling:
sur 500 mg de dérivé on trouve par la méthode de Bertrand 30 mg de sucre calculé
en
glucose.
Mais on n’en trouve pasdavantage après une hydrolyse
de 3 heures à
chaud,
enprésence
de 3 p. ioo d’acidesulfurique.
On nepeut
donc direqu’il s’agisse
d’un hétéroside. Toutes les autres réactions que
j’ai tentées, notamment celles des
phénols,
ne m’ont donné aucun résultat.Analyse
élémentaire.Elle a été
pratiquée
par mescollègues
GuE&UEN du Laboratoire de Biochimie de l’I. N. R. A. àJouy
enJosas,
et Po!,orovsxr du Laboratoire de Biochimie de la Faculté deMédecine,
queje
remercie vivement.On obtient en g par
kg
de matière sèche(CuE&UEN).
La
chromatographie
exécutée par POLONOVSKI(butanol -
acideacétique-eau ; 5/3/1
)
montre une abondance de taches colorables à laninhydrine
cequi correspond
à des groupes
-NH! libres, qui peuvent être ceux d’acides aminés ou de peptides ;
elles
se colorent aussi au réactif
d’Isherwood, qui signe la présence
de dérivés phosphori-
ques. Mais aucune de ces taches ne se colore par le réactif de
Draggendorf ;
il n’existedonc pas d’amines
quaternaires. Lorsqu’on précipite
laliqueur
brute parl’alcool,
lafraction non
précipitable
renferme surtout uncomposé qui
donne unegrande
tacheoit se trouvent à la fois des groupes
-NH 2
et-P0 3 H 2 (phosphopeptide) ;
par électro-phorèse
surpapier,
cephosphopeptide migre
vers lacathode ;
il est doncplutôt basique.
On se trouve donc en
présence,
comme il fallaits’y
attendre d’unmélange
com-plexe
où il semble que l’onpuisse distinguer
deux groupes de corpsprincipaux a)
deshydrates
decarbone, quelle qu’en puisse être la nature, mucilages,
gommes, etc. b)
des corps azotés et
phosphorés
dont unphosphopeptide.
Les dérivés noirs.
I,a
genèse
de l’encrassement des rayons par ces dérivés reste trèsobscure ; j’avais songé d’abord qu’ils pouvaient
venir d’une sécrétion tégumentaire
de l’Abeille
qui
passe des millions de fois sur les rayonslorsqu’on
les maintientquelques
annéesdans les ruches. On devrait alors y trouver des traces des mélanines
tégumentaires
si abondantes chez les
ouvrières ;
en effet comme l’a montré BVIGGLESWORl’H les abra- sions cuticulaires sont trèsfréquentes
chez les insectes du sol parexemple, qui
sefrottent d’habitude contre des corps
durs ;
il n’est pasimpensable qu’elle puisse
seproduire
aussi chez l’Abeille bien que d’une manièrebeaucoup
moinsmarquée,
car lacire est fort molle. En tout cas des mesures de
l’épaisseur
de la couche chitineuse chez lesjeunes
et les vieilles ouvrières ne nous ont pas montré de différences. Mais onpeut s’y prendre d’une autre façon ;
l’extraction des mélanines du tégument
des Abeilles
est possible
en broyant
des ouvrières entières au mixer et en épuisant
la pâte
ainsi
obtenue par l’ac.
chlorhydrique
pur ; on lave avecsoin,
et on met en contact huitjours
avecl’ammoniaque
pure ; onpeut
s’attendre à ce que l’acide aitattaqué
lachitine,
et libère enpartie
au moins les mélaninesqui s’y trouvent incorporées,
de
manière à ce que
l’ammoniaque puisse
les dissoudre. On obtient en effet uneliqueur
brune
qui, neutralisée, laisse déposer
des flocons noirs. D’autre part,
on peut
rechercher
s’il ne se trouverait point
dans les extraits aqueux de rayons vieillis un dérivé ana-
logue.
Si onagite vigoureusement
avec du noir animal l’extrait aqueuxtotal,
lave à l’eaudistillée, puis élue avec l’ammoniaque
à 5 p. ioo, on obtient une solution noire
qui précipite
en gros floconsaprès
neutralisation. M. Por,owovsxr a bien voulu enpratiquer l’analyse
élémentaire.Evidemment,
il existe unegrande analogie
decomposition
entre les deux subs- tances, surtout en cequi
concerne leurgrande
richesse ensoufre ;
ceci ferait songer àune mélanine pour le corps noir des
cires,
sans que l’onpuisse
se prononcer encore d’une manière assurée. D’autrepart,
si l’onpratique l’electrophorèse
des deuxpig-
ments
(Po L o N ovsxi)
on y découvre desdifférences ;
celui des rayonsprésente
deuxtaches : l’une
grise qui
nemigre
pas(on
ne la trouve pas dans les mélaninesd’Abeilles)
l’autre brun rouge,
qui migre
moins vite que la tachecorrespondante
desAbeilles ;
elle est fluorescente. Le
pigment
des Abeilles est d’un brunplus foncé, non fluorescent.
Il
peut s’agir dans le cas du « noir de cire » d’une combinaison de la mélanine avec des sels minéraux.
CONCLUSIONS
A la
phase préliminaire
oùje
me trouve encore, il est évidemmentimpossible
detirer des conclusions
trop
affirmatives.Cependant
ilparaît
évidentqu’une
série dedérivés
pratiquement inconnus, quoique
très visibles etabondants,
sedéposent
surles cires. Nous
ignorons
encore si ces dérivés fortementpigmentés
viennent en toutou en
partie
des aliments de l’Abeille ou de l’Abeille elle-même. Nous avons vu que laprésence
d’une mélaninequi proviendrait
dutégument
des Abeilles estpossible,
mais non démontrée. D’autre
part,
lesglandes
taYSalesqui
ont été étudiées parA RNHART
,
serventpeut-être
à autre chosequ’à
l’adhésion ausubstrat,
comme le voulait cet auteur. Nous avons des raisons de penser <lue leur sécrétion estliposoluble,
et
abondante ;
ellepourrait
donc encrasser les cires sans que l’onpuisse
l’enséparer.
Pour le
savoir, j’ai découpé aussi exactement <lue possible
trois fragments
de
rayon
égaux quant à leurs dimensions (r 3 , 5
X 7,! cm, épaisseur
2,5 cm). I,’un, A, est jaune pâle
et léger ;
le second,
B, brun foncé ;
C est brun-noir et très lourd.
Pour la même
surface,
parconséquent,
les abeillesajoutent
bien de la cire aurayon, bien que le
pourcentage
de la cire aupoids
total diminue.Reçu pour
publication en juin
!.9C!.SUMMARY
BLACKENING OF OLD tt-AB
There is in old combs
aggregated
substancesdeposited
on the wax,increasing
its thickness anddensity.
Among these has been found a small amount ofpropolis,
and a larger amount of ahydro-
and alkali- soluble substance. This substance contains a carbohydrate material
reducing
Fehling solution, a phosphoruspolypeptide, undoubtedly
a substance related to melanins. So farnothing
can be said as to the
origin
of these substances.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
AtiW tnx2 L., 1923. Arc/¡. Rienellh., 5, 3J.8y L
AVIE P., igoo Les substances antibactériennes dans la <o]omiie d’Abeilles. Thèse Paris, r90 1), Ailli.
Abeille, 3