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Une instrumentalisation du RSA par les employeurs ? Le RSA à l’épreuve des pratiques de recrutement et de gestion de la main-d’œuvre

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Texte intégral

(1)

de recrutement et de gestion de la main-d’œuvre

Mathieu Béraud

(*)

, Anne Eydoux

(**)

, Émilie Fériel

(***)

, Jean-Pascal Higelé

(****)

Cet article part d’un débat concernant l’impact éventuel de la mise en œuvre du RSA sur la demande

de travail et les pratiques des entreprises : le dispositif est-il neutre ou risque-t-il d’inciter les

employeurs à développer des emplois de mauvaise qualité (bas salaires, temps partiels courts) ? À

partir d’une enquête qualitative menée auprès d’une quinzaine d’établissements, l’article interroge

la connaissance qu’ont les employeurs du dispositif et la manière dont, le cas échéant, ils l’intègrent

à leurs pratiques de gestion de la main-d’œuvre. Il montre que le débat autour de l’impact du RSA

sur la demande de travail recouvre un malentendu quant au travail non qualifié : les employeurs

n’instrumentalisent pas le RSA parce qu’ils ont à leur disposition d’autres instruments de baisse des

coûts, mais aussi parce qu’ils recherchent chez leurs salariés des qualités précises, dont ils pensent

souvent que les allocataires sont dépourvus.

Le revenu de solidarité active (RSA) a fusionné et remplacé en juin 2009 le revenu minimum d’insertion (RMI), principal minimum social, et l’allocation de parent isolé (API). Selon son promoteur Martin HirsCh(1), tout comme le RMI répondait à la nouvelle pauvreté des années 1980 issue du chômage de masse, le RSA se devait de résoudre la « nouvelle équation sociale » de la pauvreté laborieuse (hirsCh, 2005, 2006). Le dispo‑ sitif est un minimum social destiné aux ménages pauvres et calculé en fonction des ressources et de la composition du ménage concerné. Il comprend une allocation de base (le RSA socle) et un méca‑ nisme d’intéressement à l’emploi (le RSA activité). Le nouveau calcul est censé supprimer les effets de seuil qui subsistaient dans les mécanismes

(*) 2L2S‑GREE (Laboratoire lorrain de sciences sociales – Groupe de recherche sur l’éducation et l’emploi), Centre associé Céreq (Centre d’études et de recherche sur les qualifi‑ cations) et MSH Lorraine (Maison des sciences de l’homme), université de Lorraine ; mathieu.beraud@univ‑lorraine.fr (**) Centre d’études de l’emploi, Ciaphs – université Rennes‑2 (Centre interdisciplinaire d’analyse des processus humains et sociaux) ; anne.eydoux@cee‑recherche.fr

(***) 2L2S‑GREE, Centre associé Céreq et MSH Lorraine, université de Lorraine ; emilie.feriel@univ‑lorraine.fr

(****) 2L2S‑GREE, Centre associé Céreq et MSH Lorraine, université de Lorraine ; jean‑pascal.higele@univ‑lorraine.fr (1) Martin Hirsch promeut le RSA dès 2005 comme président de la commission « Familles, vulnérabilité, pauvreté » dili‑ gentée par le ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille. Mettant l’accent sur l’emploi des parents comme clé de la lutte contre la pauvreté des enfants, cette dernière propose une réforme des minima sociaux. Nommé haut‑commissaire aux solidarités actives de 2007 à 2010, Martin Hirsch est aux commandes lors des expérimentations du RSA dans trente‑ quatre départements et de sa généralisation en juin 2009.

d’intéressement antérieurs (2), et rendre toute situa‑

tion de reprise d’emploi durablement payante (le cumul entre allocation et revenu d’activité n’est plus limité dans le temps). Par ailleurs, le mécanisme d’intéressement ne concerne pas les seuls alloca‑ taires du RSA socle mais s’adresse à l’ensemble des travailleurs pauvres. Enfin, le RSA comprend un volet d’accompagnement vers l’emploi de l’en‑ semble des allocataires. Ces derniers sont priés de se rapprocher de Pôle emploi ou d’autres acteurs de l’insertion tandis que les conseils généraux ont la responsabilité d’assurer dans les départements le pilotage des politiques d’insertion (eydoux, tuChsZirer, 2011). Au total, le RSA se présente comme l’aboutissement d’un processus de réforme de la solidarité destiné à faire du principal minimum social un dispositif général et permanent de stimu‑ lation de l’offre de travail.

Dès sa conception, la question de son articula‑ tion avec la demande de travail des entreprises a été soulevée. Supprimer la limite de durée du cumul allocation‑salaire ne risque‑t‑il pas d’alimenter une offre de travail permanente pour des emplois à très bas salaire (et/ou à temps partiel très court) et d’encourager les employeurs à en faire un outil de gestion de la main‑d’œuvre ? La loi n° 2008‑1249 (2) Mais ce dispositif n’est pas exempt d’ambiguïtés. Ainsi, le fait que le RSA s’adresse aux ménages plutôt qu’aux indi‑ vidus trouble son mécanisme incitatif, notamment s’agissant des couples pour lesquels l’incitation à la bi‑activité n’est pas acquise (PériVier, 2009 ; eydoux, 2012). Par ailleurs, le calcul

du RSA activité s’avère générer structurellement des « indus » en raison du décalage entre les situations déclarées chaque trimestre par les allocataires et l’évolution de leur situation réelle.

(2)

du 1er décembre 2008 « généralisant le revenu de

solidarité active et réformant les politiques d’in‑ sertion » prévoyait d’ailleurs « une évaluation des conséquences du dispositif sur le recours au temps partiel dans les secteurs marchand et non marchand ». Le Comité national d’évaluation du RSA qui s’est vu confier l’évaluation du dispositif rappelait dans son rapport intermédiaire de 2010 que « le complément aux revenus d’activité que constitue le RSA pourrait conduire à une hausse des offres d’emploi à temps partiel et une augmentation du temps partiel subi, ou à de moindres augmenta‑ tions de salaire » (p. 49).

Le présent article s’inscrit dans le prolongement de ce questionnement, relayé en 2010 par un appel à projets de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du

Travail (3) intitulé « Impact du RSA sur la demande de

travail ». Il s’appuie sur les résultats d’une recherche éponyme menée en réponse à cet appel à projets (Béraud et al., 2012) et repris dans les travaux du Comité national d’éValuation du RSA (2011, annexe 9). Cette recherche a pour objet premier (4)

d’appréhender ce que connaissent et pensent les employeurs du RSA et de ses allocataires afin d’ana‑ lyser leurs éventuels usages ou détournements du dispositif. Elle repose sur une enquête qualitative (3) Selon cet appel à projets, « des craintes ont été exprimées que la mise en place du RSA s’accompagne d’un recours accru au temps partiel subi, aux contrats courts et crée des trappes à bas salaire » (voir le texte de l’appel à projets disponible à l’adresse : http://travail‑emploi.gouv.fr/IMG/pdf/AaP_RSA‑‑ 2‑2‑2.pdf ; consulté le 27 novembre 2014).

(4) Un deuxième objet de la recherche était d’explorer la manière dont s’organise dans les départements la mobilisation des employeurs autour de l’insertion des allocataires du RSA. Il n’est pas utilisé dans cet article.

Encadré 1

Méthodologie de l’enquête

L’enquête qualitative repose principalement sur des entretiens semi-directifs auprès d’employeurs de quinze établissements, choisis de façon à privilégier un échantillon diversifié (taille, activité, stratégie globale, pratiques de gestion des ressources humaines) plutôt que représentatif. Le choix s’est porté sur des secteurs d’activité susceptibles d’employer un volant plus ou moins important de travailleurs pauvres et sur deux régions (Île-de-France et Lorraine) aux caractéristiques socioéconomiques différentes. Le secteur des services à la personne ayant été écarté par le commanditaire Dares du fait de la prédominance des particuliers employeurs, quatre secteurs ont été finalement retenus : bâtiment-travaux publics (BTP), commerce-distribution, hôtel-lerie-restauration, et nettoyage. Les trois derniers sont caractérisés par l’étendue des bas salaires et par une forte proportion d’emplois à temps partiel et de contrats à durée déterminée (CDD). Le premier comporte davantage d’emplois stables et à temps plein mais mobilise des publics en insertion, via l’apprentissage et les clauses d’insertion des marchés publics. Des entretiens exploratoires auprès des services économiques ou sociaux de conseils généraux ont permis d’inclure dans l’échantillon des employeurs ayant recruté des allocataires du RSA ou des publics en insertion, susceptibles de connaître ou de s’approprier le dispositif. Les contacts auprès d’unions syndicales régionales ou départementales dans les secteurs d’activité retenus n’ont pas donné d’information sur des employeurs qui instrumentaliseraient le RSA. Ceux auprès des organisations patronales ou associations d’employeurs (Medef (1) et Crepi (2)-Lorraine) nous ont orientés vers des entreprises

affichant des objectifs de responsabilité sociale à l’égard de publics en insertion ou au RSA.

Dans les établissements sélectionnés, nous avons interviewé de un à trois « employeurs » (directeur/trice des ressources humaines [DRH], responsable du personnel, chef.f.e d’établissement, gérant.e, chargé.e du recrute-ment ou des affaires sociales, etc.). Les entretiens visaient à interroger leur connaissance et leurs représentations du RSA et de ses allocataires, à mettre en évidence les éventuels usages du dispositif ainsi que des initiatives spécifiques ou innovantes en matière de recrutement de publics en difficulté ou d’action sociale en direction des travailleurs pauvres. Pour compléter le point de vue des employeurs, nous avons cherché à nous entretenir avec des représentants du personnel (délégué.e syndical.e ou élu.e du personnel) et des responsables de fédérations et unions syndicales.

L’enquête s’est heurtée à de nombreux écueils. Du côté des employeurs d’abord : nombre de ceux que nous avons contactés, ignorants du dispositif ou se sentant peu concernés, n’ont pas souhaité nous rencontrer. Du côté des représentants du personnel surtout : certains établissements n’en comptaient pas, ou les personnes sollicitées ne s’intéressaient pas au RSA et refusaient l’entretien. Les responsables de fédérations et d’unions syndicales CGT et CFDT (3) rencontrés nous ont d’ailleurs dit ne pas avoir de « remontées » sur le RSA dans les

entreprises. L’objet RSA se prête mal à un travail monographique car les employeurs et les représentants du personnel sont rarement informés du fait que des salariés sont au RSA. Par ailleurs, s’entretenir avec ces derniers supposerait une autre approche que monographique, par les caisses d’allocations familiales, ce qui n’était pas l’objet de la recherche.

(1) Mouvement des entreprises de France.

(2) Club régional d’entreprises partenaires de l’insertion.

(3)

auprès d’employeurs de quinze établissements (5) de

diverses tailles, appartenant à des secteurs utilisateurs d’une main‑d’œuvre à bas salaire (6) et susceptibles

de recruter des allocataires et d’employer des salariés éligibles au RSA (voir encadrés 1 et 2). À l’heure du bilan du dispositif (eydoux, Gomel [coord.], 2014 ; eydoux, Gomel, 2014), c’est à notre connaissance, la seule recherche/évaluation ex post portant sur l’ap‑ propriation du RSA par les employeurs.

Encadré 2

Les quinze établissements retenus par secteur d’activité

(Voir l’annexe pour une présentation détaillée, les noms sont des noms d’emprunt.)

Bâtiment-travaux publics :

– Bâti-rénov : entreprise de moins de 30  salariés, spécialisée en couverture, plomberie, chauffage ; – Gros œuvre : entreprise de 15  salariés, spécia-lisée dans le gros œuvre ;

– Travaux publics : direction régionale (1 500 sala-riés) de la branche travaux publics d’un grand groupe international.

Commerce-distribution :

– Habillement : franchise de prêt-à-porter, affiliée à une chaîne de discount vestimentaire, rattachée à une holding familiale (12 salariés) ;

– Magasin bio : regroupe deux magasins d’une chaîne de produits biologiques (22 salariés) ;

– Soft discount : supermarché de proximité concur-rençant les hard-discounters (140 salariés) et appar-tenant à un groupe de grande distribution ;

– Hypermarché : hypermarché (près de 200  sala-riés) d’un groupe de grande distribution ;

– Hard discount : direction régionale d’une enseigne de hard discount alimentaire (environ 1 000 salariés dans 80  magasins, en entrepôt et à la direction régionale).

Hôtellerie-restauration :

– Bistrot parisien : petit restaurant familial géré bénévolement par le père de famille, ancien chef cuisinier ; compte un apprenti et 7 salariés (dont les filles du gérant) ;

– Self : établissement d’une grande entreprise de restauration rapide (37 salariés) ;

– Resto presto : franchise gérant six restaurants d’une enseigne de restauration rapide (environ 200 salariés) ;

– Hôtel premier prix : regroupe deux hôtels (70 sala-riés) d’un groupe, Chaîne hôtelière ;

– Parc de loisirs : parc d’attraction (plusieurs milliers de salariés).

Nettoyage :

– Bureaunet : entreprise de nettoyage de bureaux de 15 à 20 salariés ;

– Net’indus : établissement de près de 150 salariés d’une enseigne nationale de nettoyage appartenant à un groupe international de services aux entreprises.

(5) Le terme d’établissement est utilisé ici de façon large et correspond à diverses formes juridiques : entreprise indépen‑ dante, filiale, franchise, etc.

(6) Par définition, les travailleurs à bas salaires sont ceux dont le salaire est inférieur aux deux tiers du salaire médian. Les trois quarts de ces travailleurs sont des femmes et la même proportion est à temps partiel (demailly, 2012).

L’article revient tout d’abord sur la question de l’impact du RSA sur la demande de travail et sur le débat concernant sa possible instrumentalisation par les employeurs pour offrir des salaires plus bas ou des emplois de moindre qualité. À partir de l’ex‑ ploitation de l’enquête qualitative, il montre ensuite que le dispositif ne fait pas réellement l’objet d’une appropriation stratégique des employeurs. Non seulement ces derniers le connaissent mal et n’iden‑ tifient que rarement les allocataires, mais ils ont à leur disposition d’autres instruments dédiés pour réduire le coût du travail. L’article aborde enfin un point aveugle du débat : la qualité du travail dans les emplois non qualifiés (7) qu’occupent le plus

souvent les allocataires qui travaillent. Recherchant des qualités spécifiques pour ces emplois, les employeurs considèrent très souvent que les allo‑ cataires du RSA, comme les autres publics en insertion avec lesquels ils sont souvent confondus, en sont dépourvus.

L

a question de l’impact du RSA

sur la demande de travail

Avant même sa conception et sa généralisation, le RSA a suscité un débat public quant à ses effets, bénéfiques ou « pervers », sur la demande de travail. Ce débat prolonge des travaux de chercheurs qui ont alimenté la réflexion, non pas sur la base d’éva‑ luations ex post du RSA, alors inexistantes, mais à partir d’hypothèses informées par des travaux théoriques ou portant sur d’autres dispositifs. Un retour sur les recherches portant sur les liens entre la demande de travail et le soutien au revenu des travailleurs pauvres, ainsi que sur le débat concer‑ nant les effets possibles du RSA sur les pratiques des employeurs, est utile pour préciser les ques‑ tionnements à l’origine de notre recherche et les difficultés qu’ils soulèvent.

Demande de travail et soutien au revenu des travailleurs pauvres

Considérer que le RSA ou tout dispositif de soutien au revenu des travailleurs pauvres agit sur la demande de travail peut conduire à penser ces dispositifs, non pas (seulement) comme des instru‑ ments de lutte contre la pauvreté, mais comme des instruments d’une politique économique de l’offre.

Le soutien au revenu des travailleurs pauvres peut, dans une perspective néoclassique, être mis au service de la compétitivité des entreprises, d’une concurrence accrue sur le marché du travail et de la (7) L’emploi non qualifié désigne généralement des emplois qui se situent au bas des échelles de qualification convention‑ nelle ou de rémunération et/ou sont occupés par des travailleurs ayant peu d’expérience et un faible niveau de formation (amossé, Chardon, 2007).

(4)

création d’emplois, notamment à bas salaires. Ainsi, Pierre CahuC, Gilbert Cette et André ZylBerBerG (2008) voyaient dans la réforme du RMI l’oppor‑ tunité de créer un minimum social permettant d’accompagner une modération salariale autour du Smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance) et de lutter ainsi contre le chômage des travailleurs non qualifiés. Plus récemment, considérant que « les éléments empiriques [dispo‑ nibles] suggèrent que le Smic est trop élevé et que les augmentations du Smic détruisent des emplois » (p. 49), CahuC (2011) estimait qu’« à long terme, une stratégie sensée consisterait donc à diminuer progressivement le salaire minimum réel et à faire monter parallèlement en charge les dispositifs d’impôt négatif » (p. 50).

L’impact des dispositifs de soutien au revenu des travailleurs pauvres sur la demande de travail et sur les comportements (ou les pratiques) des employeurs est pourtant resté un point aveugle des travaux menés en France sur la prime pour l’emploi (PPE) ou sur le RMI. Ces travaux se foca‑ lisent encore presque exclusivement sur l’offre de travail (les revenus et le retour à l’emploi) (8).

Elena stanCanelli et Henri sterdyniaK (2004) remarquent d’ailleurs, dans leur bilan des études sur la PPE, qu’« aucune [...] n’analyse l’impact qu’au‑ raient de telles réformes sur les politiques salariale et de gestion des carrières par les entreprises » (p. 37). Les auteurs formulent une conjecture sur le lien entre PPE et évolutions des salaires et de l’em‑ ploi, suggérant un effet de substitution d’emplois à bas salaires à des emplois mieux payés : « une subvention aux emplois peu payés pourrait inciter les entreprises à en proposer au détriment d’em‑ plois correctement rémunérés » (p. 37). Toutefois, de tels questionnements sur la qualité de l’emploi avaient déjà surgi lors de la proposition de l’allo‑ cation compensatrice de revenu à la fin des années 1990. Ils n’étaient d’ailleurs pas nouveaux puisque, dès le début du xixe siècle en Angleterre, le système de Speenhamland qui garantissait une quantité de blé minimale aux familles pauvres, était accusé de permettre aux employeurs d’imposer de faibles salaires (Gautié, marGolis, 2009).

Des recherches récentes sur les expériences étrangères de crédit d’impôt (Working Family

Tax Credit, WFTC au Royaume‑Uni et Earned Income Tax Credit, EITC, aux États‑Unis), si

elles se focalisent surtout sur l’offre de travail, permettent de tirer des enseignements relatifs à la demande de travail. Dans leur synthèse des expériences américaine et britannique, Fanny miKol et Véronique rémy (2009b) montrent que celles‑ci s’accompagnent d’une modération voire (8) Sur la PPE, voir stanCanelli, sterdyniaK (2004) ; sur

le RSA, voir par exemple allèGre (2011), BourGeois, taVan

(2010), monGin (2008).

d’une baisse des salaires. Les travaux menés sur la WFTC au Royaume‑Uni suggèrent en effet que les employeurs s’approprieraient de l’ordre de 35 % des montants du crédit d’impôt et que le dispositif conduirait même à une baisse générale des salaires pour l’ensemble des travailleurs non qualifiés, qu’ils soient ou non bénéficiaires de la WFTC. Les travaux portant sur l’EITC américain pointent également une baisse des salaires horaires, surtout pour les salariés les moins qualifiés ou les moins diplômés (bénéficiaires ou non du crédit d’impôt) et la « captation » d’une partie des montants de l’aide par les employeurs. Une seule recherche a cherché à modéliser ex ante l’impact du RSA sur le marché du travail. À l’aide d’un modèle d’ap‑ pariement à la Pissarides, miKol et rémy (2009a) soulignent des effets voisins de ceux des crédits d’impôts : l’introduction du RSA aurait des effets positifs sur la participation au marché du travail et sur l’emploi mais affecterait la composition des emplois, notamment en augmentant la part du temps partiel (9).

La littérature économique et sociologique montre que les liens entre les dispositifs de soutien aux revenus des travailleurs pauvres et la faiblesse des salaires ou la précarité de l’emploi ne sont pas univoques : les crédits d’impôts ou les minima sociaux, qui trouvent leur origine dans le dévelop‑ pement de la pauvreté laborieuse, alimenteraient à leur tour la précarité de l’emploi. Dans leurs travaux de comparaison des travailleurs pauvres en France et aux États‑Unis, Pierre ConCialdi et Sophie Ponthieux (2000) considèrent que la « politique fiscale [américaine] de soutien aux bas salaires », qui contribue à améliorer le niveau de vie des familles de ces travailleurs, est « la conséquence de la faiblesse structurelle du salaire minimum », mais ils estiment également que « l’introduction en France de ce type de dispositifs de soutien aux bas salaires pourrait [...] s’accompagner, à moyen et long terme, d’une dégradation du niveau relatif de salaire minimum garanti » (pp. 26‑27). Dans son ouvrage La montée des incertitudes. Travail,

protections, statut de l’individu, Robert Castel

(2009a) analysait la création et l’évolution des minima sociaux en France (comme l’API ou le RMI, et leur évolution avec le RSA) à partir des transformations du travail et de la condition sala‑ riale. Selon l’auteur, les dérégulations du travail auraient contribué au développement d’un « préca‑ riat », une frange de travailleurs en deçà du salariat, peinant à accéder au statut classique de l’emploi et aux protections qui lui sont attachées. Ces trans‑ formations du salariat expliqueraient à leur tour celles du régime de protection des travailleurs (9) Notons que le modèle présente des limites : en particu‑ lier, il n’intègre pas les effets du financement du RSA, se base sur un schéma simplifié du dispositif et ne tient pas compte de la PPE.

(5)

intervenues à partir du milieu des années 1970 : la mise en place de minima sociaux pour compléter les assurances sociales, ainsi que le développement des politiques d’insertion et « d’activation » des chômeurs et allocataires de minima sociaux. Pour Castel, ces transformations seraient ambivalentes : en maintenant les travailleurs précaires dans des situations d’activité intermédiaires entre l’emploi et l’assistance, non seulement elles entretiendraient et institutionnaliseraient le précariat, mais elles s’avéreraient stigmatisantes.

L’impact du RSA sur les pratiques des employeurs en débat

Ces divers travaux ont contribué à alimenter un débat concernant les effets potentiels du RSA sur la demande de travail, les salaires ou la qualité des emplois, un débat opposant ceux qui considèrent que le RSA apporte la « solution » à la pauvreté laborieuse en concentrant son action sur l’offre de travail, à ceux qui estiment qu’il pourrait inciter les employeurs à profiter du soutien apporté aux travailleurs par le dispositif en proposant davantage d’emplois à bas salaires et/ou à temps partiel.

Dès 2008, des économistes et sociologues se sont ainsi saisis des tribunes que leur offraient des sites internet spécialisés ou des journaux quoti‑ diens pour évoquer l’« aubaine (10) » que pourrait

représenter le RSA pour les employeurs : face à un volant de travailleurs pauvres « subventionnés » de manière pérenne, ceux‑ci auraient plus de faci‑ lité à pourvoir des emplois faiblement rémunérés et à temps partiel court. Sur le site internet La vie

des idées, Jacky Fayolle s’inquiète en 2008 des

effets négatifs du RSA sur les salaires : « Bien que le RSA n’affecte pas directement le coût du travail [...], le risque que la mise en place du RSA soit,

nolens volens, un effet d’aubaine collectif pour

la partie patronale dans la négociation salariale ne peut être sous‑estimé ». Dans le quotidien Le

Monde du 25 juin 2009, Castel (2009b) envi‑

sage le RSA comme « une incitation, du côté des employeurs, à maintenir et à proposer des emplois à bas salaires et à temps partiel puisque les sala‑ riés qu’ils recruteront ainsi seront déjà en partie subventionnés ».

En 2009, une controverse de chercheurs et d’experts se noue dans la revue Travail, genre et

sociétés autour des effets du RSA sur la pauvreté

(10) Nous parlerons d’aubaine plutôt que d’effet d’aubaine. Cette dernière notion renvoie au fait que les employeurs bénéfi‑ cient d’un dispositif sans avoir modifié leur comportement (par exemple, une aide à l’emploi pour des salariés qui auraient de toute façon été recrutés). Dans le cas du RSA, les employeurs ne touchant pas l’allocation (réservée aux ménages éligibles), il ne peut y avoir d’effet d’aubaine. Mais si le dispositif leur permet de recruter plus facilement sur des temps partiels très courts ou sans augmenter les salaires, il peut constituer une aubaine.

et l’emploi, effets rapportés aux comportements des employeurs vis‑à‑vis du temps partiel et des bas salaires qui concernent les femmes bien plus que les hommes. Critiquant une phrase (sexiste) de Hirsch vantant le caractère satisfaisant du salaire « d’appoint » des femmes « mariées », Jean Gadrey (2009) formule ainsi le problème : « Comment penser qu’avec de telles représentations du rôle des femmes, le RSA n’apparaîtra pas comme une aubaine pour les employeurs des secteurs les plus gourmands en temps partiel court, qui n’auront aucune difficulté à faire valoir auprès de ceux et surtout celles qu’ils recrutent à quart de temps que l’État va multiplier leur maigre salaire par 2,3 (pour les personnes seules) ? » (p. 162). ConCialdi (2009) conclut, quant à lui, qu’au « motif de lutter contre la pauvreté, le RSA va contribuer à tirer encore davantage vers le bas les salarié.e.s les plus modestes, ce qui ne pourra que fragili‑ ser aussi l’ensemble des salariés » (p. 181). Ces inquiétudes ne sont alors pas partagées par tous. Denis ClerC (2009), s’il recommande de ne pas sous‑estimer « l’opportunisme » des employeurs, paraît douter que ces derniers détournent un dispo‑ sitif économiquement « neutre » pour l’entreprise puisque l’allocation est destinée aux travailleurs. Selon lui, considérer qu’un complément de salaire décomplexerait le recours aux emplois à temps très partiel donnerait trop de poids à la fibre sociale des employeurs, qui « n’ont jamais eu la réputation de prendre des gants en matière sociale et de s’inquiéter de la façon dont leur personnel parvenait à boucler ses fins de mois » (p. 171). Plus catégorique, Yannick l’horty (2009) affirme que le RSA ne présente aucun risque de conduire au développement de mauvais emplois puisqu’il constitue au contraire la solution à la pauvreté laborieuse : « Il n’est guère pertinent de soutenir que le RSA va inciter les employeurs à proposer des bas salaires. On ne dispose d’aucune étude qui pourrait le confirmer, alors que l’on dispose d’une très abondante documentation indiquant que les bas salaires se sont largement dévelop‑ pés en l’absence de RSA. Il est en tout cas injuste de reprocher au RSA de pérenniser les mauvais emplois, en déplaçant la norme de l’emploi stable et en validant en quelque sorte la pauvreté labo‑ rieuse. Il est, en effet, important de mettre les causalités dans le bon sens. Le développement des travailleurs pauvres est un problème. Le RSA est une solution. [...] C’est bien une réforme répara‑ trice » (pp. 169‑170).

Cette controverse sur les effets potentiels du RSA recouvre en partie l’opposition entre des (micro)économistes néoclassiques selon lesquels le chômage (ou la pauvreté) est volontaire et trouve une solution passant par les incitations monétaires, et des économistes hétérodoxes pour qui les inci‑ tations monétaires ne sont pas des instruments pertinents. L’économie néoclassique a notamment

(6)

produit une abondante littérature sur les « trappes » à chômage. Celles‑ci désignent le risque que les minima sociaux ou les allocations chômage ne découragent les pauvres ou les chômeurs d’accep‑ ter un emploi ou de travailler davantage en raison des effets de seuil liés à la perte de leurs droits sociaux à partir d’un certain niveau de salaire ou d’une certaine durée de travail. L’argumentation de l’horty (2009) s’inscrit dans ce registre. À l’inverse, pour ConCialdi (2009), le RSA ne peut apparaître comme une solution car ni le chômage ni la pauvreté ne sont volontaires. Selon lui, « la trappe à chômage n’existe pas » car « toutes les enquêtes le montrent : l’immense majorité (plus des trois quarts) des allocataires du RMI effectuent des démarches actives de recherche d’emploi et un tiers de ceux qui en retrouvent un n’y ont guère d’intérêt financier » (p. 181). Le RSA ne stimulerait alors pas une offre de travail qui existe déjà, mais il pourrait encourager les employeurs à proposer des emplois de faible qualité sachant que leurs salariés les plus pauvres peuvent demander un complément de revenu. Les allocataires du RSA n’étant pas des chômeurs (ou des inactifs) volontaires, le disposi‑ tif ne serait pas la réponse à la pauvreté laborieuse mais risquerait de l’alimenter.

En plus de ces controverses de chercheurs et d’experts, des articles de presse relatant le cas de l’entreprise de prêt‑à‑porter Camaïeu ont contribué à nourrir des inquiétudes quant aux possibles effets du RSA sur le comportement des employeurs. Un délégué syndical Force ouvrière a ainsi dénoncé une instrumentalisation du dispositif par son employeur : « Quand je demande une augmen‑ tation à la DRH, on me répond : “Pas la peine, il y a le RSA” » (Libération, 14 juin 2012) ; « Cette mesure, c’est clairement un effet d’aubaine pour la direction de Camaïeu, qui en profite pour maintenir ses salariés dans la misère » (Républicain lorrain, 16 juin 2012). De son côté, la direction a invoqué des « cas particuliers » (Libération, 14 juin 2012) et s’est défendue d’utiliser le RSA à des fins stra‑ tégiques : « Il est faux de dire que nous utilisons le dispositif RSA comme un argument permettant de refuser une augmentation à nos collaborateurs. Les modalités d’obtention du RSA liées à des condi‑ tions familiales particulières sont indépendantes de notre politique salariale » (Nord éclair, 20 juin 2012).

Trancher le débat ?

Notre recherche a pour origine le débat public qui vient d’être évoqué. Mais à ce jour, il n’existe pas d’analyse quantitative des effets du RSA sur la demande de travail qui permette de le clore. Des conjectures peuvent être esquissées à partir de travaux conduits dans d’autres pays, notamment sur les dispositifs de crédits d’impôts. Mais ces derniers diffèrent du RSA, tout comme le contexte institutionnel français diffère des contextes

britannique et américain, ce qui rend les hypothèses fragiles. En effet, les mesures américaine et britan‑ nique de soutien au revenu des travailleurs pauvres sont bien plus visibles pour les employeurs que le RSA en France : aux États‑Unis et au Royaume‑ Uni, où le régime d’imposition est à la source (pay as you earn), les employeurs sont informés de l’identité des salariés bénéficiant des crédits d’impôts versés par leur intermédiaire. En France, les allocataires du RSA ne sont pas repérables en tant que tels par les employeurs, qui tendent à les confondre avec l’ensemble des publics en insertion éligibles aux aides à la formation et à l’emploi ou avec les candidats proposés par les intermédiaires de l’emploi. Par ailleurs, les crédits d’impôts sont automatiques tandis que le RSA est un droit quérable, dont l’ampleur du non‑recours limite les effets, notamment pour les travailleurs pauvres (11).

Enfin, dans le contexte institutionnel français, la baisse des salaires horaires (hors décision poli‑ tique) est bornée par le plancher du Smic horaire, si bien que les marges d’ajustement des employeurs résident surtout dans la qualité des emplois via le développement des emplois à bas salaires et à temps partiel éventuellement très court.

Notre approche de l’impact du RSA sur la demande de travail est qualitative et n’aborde qu’un aspect de la question posée par la Dares. Les discours des employeurs permettent de cerner leur connaissance (ou méconnaissance) du RSA, leurs perceptions des allocataires et leurs éventuels usages (ou mésusages) du dispositif. Ils informent sur le niveau microéconomique de leurs pratiques, telles qu’ils les décrivent. Mais ils ne peuvent servir à cerner l’aspect macroéconomique de la question, celle de l’existence d’un soutien général et permanent apporté (entre autres) par le RSA à une offre de travail flexible ou à bas salaire. Ce soutien n’est en effet pas nécessairement perçu par les employeurs, et son éventuel effet négatif sur les prétentions salariales des travailleurs ou sur la qualité des emplois qu’ils sont prêts à accep‑ ter s’avère pratiquement impossible à distinguer, de leur point de vue, de celui d’autres allocations, comme celle du régime d’assurance‑chômage (l’allocation de retour à l’emploi, ARE) ou celle du régime de solidarité (l’allocation de solidarité spécifique, ASS), auxquelles le RSA peut d’ail‑ leurs se combiner. En outre, ce soutien apporté par le RSA n’est pas nouveau et les employeurs ne perçoivent pas nécessairement le changement par rapport aux dispositifs antérieurs : le RMI et l’API étaient déjà assortis de mesures (certes temporaires) d’intéressement. Enfin, le RSA a été (11) Les travaux du Comité national d’éValuation du rsa

(2011) ont montré que près de la moitié des ménages éligibles au RSA n’en fait pas la demande : le non‑recours concerne 35 % des ménages éligibles au RSA socle ou socle + activité et 68 % des ménages éligibles au RSA activité seul.

(7)

mis en place dans un contexte de crise, susceptible de contribuer à diminuer les prétentions en termes de salaires et de qualité de l’emploi de demandeurs d’emploi devenus plus nombreux face à une offre qui se raréfiait. Étant donné que le RSA a coïncidé avec la crise, s’est substitué à des minima sociaux assortis de mesures d’intéressement, et coexiste avec des allocations de chômage qui elles‑mêmes comportent des mesures incitatives à l’emploi (activité réduite), le soutien propre du RSA à des emplois faiblement rémunérés et/ou à temps partiel est délicat à repérer au moyen d’entretiens auprès des employeurs.

D

es « effets pervers » du RSA sur

les pratiques des employeurs ?

Nos entretiens montrent que les employeurs n’observent aucun effet du RSA sur les comporte‑ ments d’offre de travail des candidats à l’embauche ou des salariés. Leur méconnaissance du RSA et leur difficulté à repérer les allocataires éventuels rendent peu probable une large instrumentali‑ sation pour agir sur les salaires ou la qualité des emplois. Elle est d’autant moins plausible que les employeurs disposent d’autres dispositifs pour réduire le coût du travail. De rares employeurs revendiquent l’embauche d’allocataires du RSA dans le cadre d’une démarche de responsabilité sociale de l’entreprise, qui est cependant de faible ampleur au regard du volume d’emplois de l’entre‑ prise. S’il y a instrumentalisation du RSA, c’est ici davantage pour l’affichage que dans un objectif de rationalisation de l’emploi.

Le RSA, dispositif méconnu des employeurs

Les entretiens menés auprès des employeurs révèlent que la plupart méconnaissent le RSA (voir encadré 3). Certains considèrent qu’il est réservé à des personnes sans emploi et/ou le confondent avec le RMI. Seuls deux interviewés en ont une idée assez précise sans être très sûrs d’eux : « Je crois [qu’un allocataire du RSA], c’est quelqu’un qui est

au RMI ; il continue de travailler et il a le droit à un complément de revenu… mais je n’en sais pas plus » (coordinateur emploi dans le BTP). Tous

disent n’avoir reçu aucune information sur le dispo‑ sitif de la part de la hiérarchie de leur entreprise (ou du siège lorsqu’il s’agit d’un groupe) et n’en avoir communiqué aucune aux salariés. Même la personne chargée des affaires sociales au siège d’un groupe hôtelier, qui traite avec une assistante sociale des demandes d’aide (financière, au logement, etc.) émanant de salariés, ne connaît pas bien le dispositif et continue à parler d’API après sa transformation en RSA majoré.

Encadré 3

Des employeurs qui méconnaissent le RSA et n’en constatent aucun impact

Interrogés lors de la prise de contact télépho-nique ou au cours de l’entretien, les employeurs avouent souvent leur méconnaissance du dispo-sitif :

« Le RSA, c’est quoi ? [...] Je ne peux pas vous

aider, vous voyez, le RSA je ne connais pas. » (Directrice commerciale, Bistrot parisien.) « Le dispositif du RSA, je ne le connais pas ;

donc je vais vous laisser parler. »

(Responsable régional des RH, Hard discount.) « J’avoue, je ne connais pas du tout le système. [...] Pour moi, quand on est au RMI ou au RSA, c’est

qu’on ne travaille pas. »

(Responsable RH, Hôtel premier prix.)

Lorsque l’entreprise appartient à un groupe, à la question de savoir s’ils ont une information sur le RSA en provenance du siège, les employeurs ont tous répondu par la négative :

« On n’est pas du tout informé. »

(Responsable régional des RH, Hard discount.)

« Même au niveau du groupe, on n’a pas du tout été informé. »

(Responsable RH, Hôtel premier prix.)

Les réponses des employeurs à une question portant sur les éventuels changements introduits par le RSA par rapport au RMI montrent que dans l’ensemble, ils n’en perçoivent pas :

« Peut-être… je n’en sais rien ! »

(Responsable RH, Hypermarché.)

« Je n’ai pas l’impression que ça change quelque chose. [...] Déjà avant, c’était comme ça. »

(Responsable de secteur, Net’indus.)

Le plus souvent, les employeurs ne constatent pas de différence entre le RSA et le RMI : comme le résume la gérante d’une petite entreprise de nettoyage (Bureaunet), « ça touche le même public.

Non pour moi, c’est la même chose, c’est juste les lettres qui ont changé ». Interrogés plus en détail sur

un possible changement de comportement de candi‑ dats à l’embauche devenus plus enclins à accepter les emplois à temps partiel ou à bas salaire qu’ils proposent, ils ne repèrent aucun effet de ce type. Les employeurs ne distinguent pas le RSA des alloca‑ tions chômage ou du RMI, car ils ne savent pas à quelles prestations sociales leurs salariés sont éven‑ tuellement éligibles. Mais ces prestations, et le RSA en particulier, sont souvent perçues comme décou‑ rageant le travail : « Ils préfèrent garder le RSA et

puis avoir les avantages que de travailler » (respon‑

sable de secteur Net’indus). Le seul impact repéré est donc à l’inverse de l’esprit du dispositif. Selon la gérante de Bureaunet, il serait plus désincitatif que le RMI : « Nous, on pense ça du RSA : quand

(8)

on a vu le truc-là arriver, on s’est dit : “On va plus pouvoir les faire bosser.” Et effectivement, c’est plus difficile. »

Encadré 4

Des employeurs « pas concernés » refusant d’être accusés de « détourner » le RSA

Aux yeux des employeurs interrogés, le RSA n’est pas un sujet pour l’entreprise :

« On n’est pas concerné par ça. »

(Gérant, Bâti-rénov.)

« Enfin, non, ce n’est pas un sujet qui est abordé. »

(Responsable RH, Net’indus.)

Les deux interlocuteurs ayant une connais-sance du RSA n’expriment pas un point de vue différent :

« Ce n’est pas à nous d’utiliser le dispositif du RSA. Objectivement, nous, on est acteurs de l’emploi, pas acteurs d’un dispositif. Ce qui est important, c’est que le dispositif soit connu des éventuels chercheurs d’emploi. [...] Ça, c’est le rôle

du Pôle emploi et des autres acteurs de l’emploi : Plie [Plan local pour l’insertion et l’emploi], maisons

de l’emploi, missions locales, etc. Une fois que

cette connaissance existe, nous, les employeurs, on propose des emplois. Sincèrement, nous, employeurs, on n’a pas d’emplois dirigés particu-lièrement pour le RSA. »

(Responsable RH, Parc de loisirs.)

« Je vois ça plutôt vu du côté de l’attributaire du RSA [...], le dispositif doit surtout motiver les personnes

en recherche d’emploi que les employeurs [...]. » (Responsable RH, Net’indus.)

Le directeur du supermarché Soft discount se montre à la fois critique et méfiant vis-à-vis de l’enquête : « Je suis un peu perplexe par rapport,

oui, à la valeur ajoutée des remontées que vous pourrez obtenir auprès des employeurs. [...] On est

en train de sous-entendre qu’on pourrait, euh [...]

détourner l’objectif premier du RSA à des fins… [...]

Nous, encore une fois, on a un besoin, point, on y répond ! »

Le défaut d’information des employeurs sur le RSA s’explique assez largement par le fait qu’ils ne se sentent pas concernés par un dispositif rele‑ vant des pouvoirs publics et destiné aux candidats à l’embauche ou aux salariés (voir encadré 4). À son évocation, certains disent d’emblée qu’ils ne sont pas des interlocuteurs pertinents et/ou ne voient pas en quoi il y aurait pour eux un enjeu. Le responsable régional des ressources humaines de Hard discount pose ainsi la question : « Quel

avantage pour l’entreprise, le RSA ? » ; un autre,

travaillant pour le grand parc d’attraction enquêté rappelle que le RSA est versé aux salariés et non aux entreprises : « Le revenu, il n’est pas chez nous,

il est chez le bénéficiaire. À la limite, ce n’est pas notre sujet… très honnêtement. » Notre enquête

est même suspecte pour le directeur du supermar‑ ché Soft discount : interrogé après la médiatisation de l’affaire Camaïeu, il n’apprécie guère qu’on suggère un possible « détournement » du dispositif par les employeurs.

En définitive, les employeurs rencontrés connaissent mal le RSA qui ne leur est pas destiné. Ils privilégient de fait d’autres dispositifs parmi ceux effectivement à leur disposition pour réduire le coût ou accroître la flexibilité du travail.

Des stratégies de réduction des coûts privilégiant d’autres dispositifs

Les employeurs disposent de mesures dédiées pour réduire le coût du travail, en particulier pour la main-d’œuvre peu qualifiée ou à bas salaires. Il s’agit des aides à l’emploi et à la formation (12)

mais aussi des mesures générales d’exonération de cotisations sur les bas et moyens salaires (dites « loi Fillon », pour des salaires atteignant jusqu’à 1,6 fois le Smic) ou encore du temps partiel, qui autorise le recours à des heures complémentaires moins coûteuses que les heures supplémentaires des temps complets (13).

Plusieurs des employeurs interrogés disent avoir bénéficié d’aides à l’emploi ou à la forma‑ tion et profité d’effets d’aubaine pour des salariés en insertion qu’ils auraient de toute façon recru‑ tés ou qu’ils avaient embauchés sans connaître leur éligibilité. Ces résultats sont conformes aux conclusions des travaux menés depuis plus d’une décennie sur ces dispositifs, qui mettent en évidence un effet modeste sur le volume global d’emplois et l’ampleur des effets d’aubaine (BeauJolin-Bellet et al., 2002), notamment dans le secteur marchand où l’aide est rarement jugée déterminante par les employeurs, contrairement à ce qui est observé dans le secteur non marchand (FendriCh et al., 2010). Les employeurs rencontrés soulignent toutefois les limites de ces mesures : ils manquent d’information et les jugent à la fois complexes à utiliser et volatiles. Ils les considèrent donc comme des appuis fragiles à une stratégie de réduction des coûts, ce qui complique leur inté‑ gration à une gestion prospective des ressources humaines (voir encadré 5).

(12) On peut citer les contrats aidés dans les secteurs marchand et non marchand, assortis de réductions de cotisa‑ tions sociales (contrat unique d’insertion, emplois d’avenir, contrat de génération, etc.), ou encore les mesures d’alter‑ nance entre périodes de travail et de formation (contrat de professionnalisation, contrat d’apprentissage, contrat d’inser‑ tion dans la vie sociale, etc.).

(13) Notons que ces mesures qui visent la baisse du coût du travail se combinent dans certains secteurs (hôtellerie‑restaura‑ tion, bâtiment) à des mesures de baisse de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée).

(9)

Encadré 5

Les dispositifs de l’emploi, une source d’effets d’aubaine… difficile à mobiliser

Plusieurs employeurs ont profité d’effets d’aubaine en utilisant des aides à l’emploi ou à la formation :

« J’ai essayé de recruter deux jeunes [en CAP en alternance]. [...] La dame [du conseil régional]

m’a dit : “Vous allez toucher tant.” [...] Bon, ben tant

mieux ! [...] Ça ne changeait rien, parce que de toute

façon, moi, ce que je voulais, c’était accompagner deux jeunes sur ce métier-là, c’est tout. »

(Responsable RH, Hypermarché.)

« Je l’ai pris en CDD, ça se passait bien, et après, on a transformé son CDD en CDI et c’est là qu’on a fait appel à l’ANPE [Agence nationale pour l’emploi] pour savoir s’il y avait [...] des contrats

aidés. Parce que lui, il était chômeur de longue durée, et c’est là qu’ils nous [...] ont proposé ce

produit-là [le CIE, contrat initiative-emploi]. [...]

Mais le produit n’existerait pas, on l’aurait quand même embauché. »

(Responsable recrutement, Gros œuvre.) Mais l’intégration de ces dispositifs dans les stratégies de gestion de la main-d’œuvre se heurte à plusieurs obstacles. Le premier est l’insuffisance d’information :

« Nous avons très peu d’informations. [...] C’est

beaucoup à nous d’aller à la pêche [...]. Il n’y a pas

une sensibilisation particulière auprès des entre-prises. »

(Responsable RH, Hypermarché.)

« Le problème, [...] c’est que personne ne nous

expose [les dispositifs de l’emploi]. [...] Si on ne

toque pas à leur porte, ben personne ne nous dit : “Il y a ça comme produit qui existe.” »

(Gérant, Bâti-rénov.)

La complexité des mesures et la multiplicité des intermédiaires constituent le deuxième obstacle évoqué :

« Ça change tout le temps. Enfin, moi, j’arrive plus à suivre. »

(Gérante, Bureaunet.)

« Je trouve que c’est extrêmement compliqué pour les entreprises : les chambres de commerce, les maisons de l’emploi, les missions locales, les Pôles emploi [...]. On ne sait plus à qui s’adresser,

on ne sait plus qui gère quoi. »

(Responsable RH, Hypermarché.)

Enfin, la volatilité des mesures et des budgets qui leur sont consacrés est soulignée :

« En règle générale, les contrats aidés, dépassé le mois d’avril, on n’a plus rien. Si vous faites votre embauche au mois de juin, [...] il y a plus de budget. »

(Gérante, Bureaunet.)

« Je vais profiter de la mesure et si du jour au lendemain, la mesure s’arrête et qu’elle n’est pas remplacée par un équivalent, je vais me prendre 10 ou 20 % de plus sur ma masse salariale et cela va complètement me biaiser mes objectifs. Je ne veux

pas fonctionner avec cela. Si je peux en profiter, je le prends, cela sera un plus, mais je ne le mets pas dans mes objectifs ; [...] je ne vais pas l’intégrer car

cela peut être une catastrophe ! »

(Responsable de recrutement, Resto presto.) C’est plutôt dans des entreprises en difficulté engagées dans une stratégie d’économie sur les coûts ou dans des entreprises en phase d’instal‑ lation que les employeurs recourent à ces aides. On retrouve ici un résultat mis en avant par Anne BelleVille et Anne saint-martin (2002) qui montraient que les entreprises utilisatrices régu‑ lières des mesures d’aide à l’emploi sont plus petites et plus vulnérables que celles qui en ont un usage occasionnel, et que les employeurs enre‑ gistrant les meilleures performances économiques préfèrent faire appel à des mesures générales de réduction des coûts du travail. Du fait de la complexité des aides à l’emploi, mais aussi de l’existence d’autres dispositifs de réduction des coûts salariaux plus simples et accessibles, les employeurs interrogés disent privilégier le recours à des contrats ordinaires de type CDD ou CDI. Le responsable régional des ressources humaines de Hard discount explique pourquoi il opte plutôt pour cette solution : « Nous, on a des

besoins, on a besoin de faire travailler des gens.

[...] Alors, pourquoi on ferait quelque chose

d’in-termédiaire qui, d’un point de vue administratif, serait beaucoup plus contraignant et qui finale-ment apporte une rémunération au salarié qui est moindre ? » Certains employeurs précisent que

ces contrats leur permettent de bénéficier d’exo‑ nérations de cotisations sociales ou des avantages du temps partiel. La gérante de la petite entreprise de nettoyage Bureaunet, où les salaires avoisinent souvent les 400 euros par mois, souligne l’inté‑ rêt que présentent à ses yeux les contrats à temps partiel très courts. Comme nous l’avons déjà signalé plus haut, ils sont assortis de cotisations réduites et les salariés acceptent généralement d’effectuer des heures complémentaires, moins coûteuses pour l’employeur que les heures supplémentaires majorées : « Il ne faut pas se le

cacher : le temps partiel bénéficie d’abattements de charges beaucoup plus intéressants que sur un temps plein ; ça aussi, ça compte. »

De manière générale, les exonérations de coti‑ sations sociales sur les bas et moyens salaires qui se sont développées depuis 1993 apparaissent aux employeurs aisément compréhensibles et simples à utiliser du fait de leur automaticité et de leur relative stabilité dans le temps. Le travail à temps partiel leur permet, quant à lui, de combiner les avantages de la flexibilité et des exonérations de cotisations sociales tout en disposant d’un volant de main‑d’œuvre ajustable aux variations de l’activité. Dans les secteurs étudiés, ces mesures

(10)

participent de manière diffuse à la réduction du coût du travail ainsi qu’au maintien d’un important volant de salariés à bas salaires, potentiellement éligibles au RSA. Un responsable de la fédération Ports et docks de la CGT interrogé estime d’ail‑ leurs que le désintérêt affiché par les employeurs à propos du RSA tient à la généralisation des exonérations sur les bas et moyens salaires : « Si

vous supprimez l’abattement de 10 % sur les bas salaires, peut-être que les employeurs

s’intéresse-ront plus au RSA (14). »

Le RSA, ingrédient marginal de la responsabilité sociale de l’entreprise

La seule appropriation revendiquée du RSA l’est dans le cadre de démarches de responsabi‑ lité sociale de l’entreprise (RSE). Si le RSA n’est regardé comme un outil de baisse des coûts par aucun des employeurs rencontrés, le recrutement de publics en difficulté, éventuellement d’alloca‑ taires du RSA, est pour quelques‑uns un ingrédient de la RSE.

Plusieurs des grandes entreprises enquêtées mettent en avant une démarche de responsabilité sociale (ou « sociétale »). Celle‑ci est plus volon‑ tiers tournée vers l’insertion des « publics en difficulté » que vers l’action sociale en direction des salariés pauvres ou précaires et ne fait pas réelle‑ ment du RSA un outil stratégique central. L’intérêt manifesté pour les actions d’insertion s’apparente parfois à de l’affichage, surtout lorsqu’il s’agit de convaincre les commanditaires d’un appel d’offres que l’entreprise se conforme aux clauses d’inser‑ tion, comme dans le cas de l’entreprise Travaux

publics (voir encadré 6).

Dans certains cas, l’objectif d’insertion de publics en difficulté ou d’allocataires du RSA est intégré de manière plus volontariste dans les démarches de RSE. Le parc d’attraction et la chaîne hôtelière enquêtés revendiquent une démarche autoproclamée « citoyenne », soutenue par une étroite collaboration avec les intermé‑ diaires de l’insertion du territoire (voir encadré 7). Toutefois, à l’échelle des entreprises concernées, les engagements en matière d’insertion restent marginaux, et il est possible qu’ils s’inscrivent dans une logique de contreparties négociées sur le territoire, entre les entreprises et les inter‑ médiaires de l’insertion ou les élus ; les acteurs rencontrés sont cependant peu diserts sur ce type de négociations.

(14) La fédération Ports et docks de la CGT chapeaute égale‑ ment le secteur du nettoyage (Béraud et al., 2012).

Encadré 6

Insérer des publics en difficulté, engagement « sociétal » ou « affichage » ?

Pour le DRH de Travaux publics, l’engage-ment social de l’entreprise consiste à investir dans l’insertion des publics en difficulté au-delà de ce qu’imposent les clauses d’insertion afin que l’entreprise soit susceptible d’obtenir un meilleur classement lorsqu’elle répond à des marchés publics :

« Au niveau du groupe, on a quand même une forte impulsion et une forte volonté de faire du sociétal et de s’engager ; alors, déjà parce que

[...], de par les marchés auxquels on répond [...],

on a des clauses d’insertion régulières ; donc c’est important qu’on s’y intéresse. Et en plus [...], on veut

aller au-delà par philosophie et par souhait de s’in-vestir et aussi parce qu’on est convaincus que ça fait partie maintenant [...] de la prestation. La

majo-rité de nos clients sont des clients publics, donc évidemment extrêmement sensibles à l’approche sociétale ; et plus une société et un groupe comme le nôtre donnons des garanties d’une volonté socié-tale forte, meilleur c’est pour nous ; moi, j’en suis convaincu. »

L’entreprise s’est ainsi engagée comme parte-naire du plan « Espoir banlieues » afin de recruter des jeunes des quartiers en difficulté. Mais sur le terrain, le coordinateur emploi tempère le discours de RSE du DRH en considérant qu’il s’agit d’un affi-chage :

« Ça ne m’a pas paru utile, on fait de la discrimi-nation avec les critères imposés. Ça ne m’a absolu-ment rien apporté : il y a eu 120 embauches en trois ans et 110 licenciés pour raison disciplinaire. Mais il y a le terrain et il y a la com. »

De la même manière, à Net’indus, le site web annonce un engagement social qui semble sans effet sur les pratiques de recrutement dans l’établis-sement étudié.

Même lorsqu’il est intégré dans les straté‑ gies de RSE des grandes entreprises, le RSA n’en constitue pas un élément clé. D’une part, il existe d’autres dispositifs d’insertion que les entreprises savent utiliser lorsqu’elles sont dési‑ reuses d’afficher des actions en faveur de publics en difficulté : le plan « Espoir banlieues » en est un exemple (cf. supra, encadré 6). D’autre part, il existe des leviers plus sûrs que le RSA pour améliorer la situation sociale de la main‑d’œuvre. Par exemple, s’appuyant sur la charte sociale de la chaîne Magasin bio, le responsable rencontré emploie la vingtaine de salariés de ses magasins à temps complet et à un salaire supérieur d’au moins 10 % au Smic. Un tel engagement est de nature à éviter à la plupart d’entre eux d’avoir à recourir au RSA, ce qui rend le dispositif inutile dans la démarche de RSE.

(11)

Encadré 7

L’intégration d’allocataires du RSA une démarche citoyenne ?

L’entreprise Parc de loisirs a un partenariat avec une association travaillant pour le conseil général à l’insertion des allocataires du RSA et propose chaque année quatre-vingts  postes à des travail-leurs en insertion :

« On travaille pas mal sur l’insertion des publics

en grande difficulté : par exemple, les titulaires de minima sociaux et les gens qu’on appelle de façon très pudique “très éloignés de l’emploi”. Là, on [leur]

a [...] réservé quatre-vingts postes en CDI par an [...].

Donc, nous, on travaille avec une association [...]

qui fait pour nous la sélection [...]. Nous, on ne sait

pas quelle est la raison de l’éloignement de l’em-ploi, ça ne nous regarde pas. Eux travaillent avec les missions locales, les Plie, etc. Ils nous

“four-nissent”, j’allais dire, une sélection de candidats qui entrent dans ce programme d’insertion. Et [...] nous,

on s’engage, s’ils valident les compétences qu’ils doivent valider, à les embaucher en tant que CDI. »

Les allocataires du RSA font donc partie des publics cibles de ces quatre-vingts postes réservés à l’insertion. Se défendant de viser les subventions à l’emploi, ce responsable RH affiche une démarche « citoyenne » :

« Les aides à l’emploi, c’est pas des dispositifs faits pour les grandes entreprises. [...] Pour nous, le

retour sur investissement, il est naturel, à partir du moment où on peut démontrer notre implication dans ces domaines-là. Ce n’est pas ce qu’on va nous financer qui va faire une différence majeure. »

Le discours est celui de la responsabilité sociale et territoriale : « L’incitation pour nous, on la trouve

objectivement dans la notion de citoyenneté : si on veut s’inscrire durablement comme un employeur local, c’est assez légitime de s’intéresser à ce type de population [...]. »

De la même manière, le groupe Chaîne hôtelière s’est engagé à insérer dix allocataires du RSA par an dans ses différents établissements, ce qui repré-sente un engagement de très faible ampleur compte tenu de sa taille : « On fait dans la dentelle », estime un responsable de l’emploi au siège du groupe qui dit préférer ce modeste investissement afin de réussir au mieux l’insertion des personnes concer-nées.

Le secrétaire confédéral CFDT chargé du RSA ne voit donc pas dans le dispositif un outil particulière‑ ment pertinent ou ambitieux des démarches de RSE : « Il y a des employeurs qui ont la fibre insertion et qui vont essayer de trouver les moyens pour que des gens éloignés de l’emploi puissent accéder à l’emploi. Mais le RSA n’est pas un bonus qui fait que ces employeurs-là ont la fibre insertion ; ils l’ont de toute façon, quoi. Ce n’est pas un outil qui permet [...] à des employeurs de s’engager dans l’insertion. Je pense qu’il faut autre chose et il y a autre chose. Il faut changer sa poli-tique de recrutement, il faut changer sa polipoli-tique de

tuteur, sa politique de référent, sa politique d’emplois nouveaux, sa politique de sécurisation des parcours. Enfin, voilà… et je pense pas que le RSA soit l’outil numéro un pour permettre de faire ça. »

Au total, le RSA n’est par conséquent que rare‑ ment un point d’appui stratégique des employeurs dans leur gestion de la main‑d’œuvre. Plutôt que de l’instrumentaliser, ils recourent de manière oppor‑ tuniste à des dispositifs dédiés comme les aides à l’emploi ou à la formation et bénéficient de l’auto‑ maticité des exonérations de cotisations sur les bas salaires, des facilités d’usage du temps partiel ou de mesures fiscales sectorielles. Le RSA qui s’adresse à l’offre de travail est donc rarement perçu comme une source d’économie potentielle sur les coûts ou comme un ingrédient clé des démarches de RSE. Nos enquêtes ne permettent pas de conclure que les employeurs ne tirent jamais avantage du dispositif. Mais elles suggèrent que les détournements du RSA relèvent de l’exception, ce que conforte d’ailleurs un examen des préoccupations des employeurs lorsqu’il s’agit de pourvoir leurs emplois non quali‑ fiés : ils montrent peu d’intérêt pour les allocataires du RSA.

L

es raisons du désintérêt

des employeurs pour les

allocataires du RSA

Notre enquête ayant montré que les employeurs s’intéressaient peu au RSA, les promoteurs du dispo‑ sitif se sont félicités de son ciblage sur l’offre de travail qui en fait un dispositif d’incitation à l’emploi sans effet pervers sur la demande de travail. Ainsi, Hirsch, interprétant le rapport final du comité d’éva‑ luation du RSA, déclare en 2011 qu’« il n’y a pas eu d’effet d’aubaine, ni pour les employeurs ni pour les salariés » (Les Échos, 14 décembre 2011) et que « le comité n’a pas non plus relevé d’effets d’aubaine sur la multiplication des temps partiels dans les entreprises ni sur une baisse des salaires. Le RSA ne crée pas de précarité » (Le Figaro, 14 décembre 2011). Les exemples d’employeurs détournant le dispositif à leur avantage (et au détriment des sala‑ riés) ne sont vraisemblablement pas légion. Mais cela tient sans doute à autre chose qu’au ciblage du RSA sur l’offre de travail. S’agissant du recru‑ tement et de la gestion de leur main‑d’œuvre sur les emplois non qualifiés, les employeurs ont d’autres préoccupations concrètes que la baisse du coût du travail. Les travailleurs qui occupent ces emplois ne sont en effet pas pour autant des travailleurs sans qualité (Gadrey et al., 2009), et les employeurs recherchent bien des compétences précises chez leurs candidats. La quête du « bon profil » les conduit souvent à écarter certaines candidatures lors des recrutements, en particulier celles des publics en insertion dont font partie les allocataires du RSA.

(12)

S’ils ne connaissent pas leur statut indemnitaire, ils se saisissent d’indices tels que l’éligibilité aux aides à l’emploi pour stigmatiser ces candidats.

Recrutement : l’obsession du « bon profil » Notre enquête montre que les employeurs attendent des qualités précises de leurs salariés occupant des emplois non qualifiés. Leurs attentes renvoient à leurs perceptions du travail concret et ne se formulent pas toujours en termes de savoirs ou de savoir-faire qu’un diplôme viendrait certifier, mais bien souvent en termes de savoir‑être. Nous retrouvons ici le primat des compétences sociales sur les qualifications techniques observé en particu‑ lier dans le secteur des services où les interactions avec la clientèle sont nombreuses (Bailly, léné, 2013). Les employeurs rencontrés sont fréquem‑ ment confrontés à des difficultés de recrutement et/ ou à des problèmes de turnover (15), qu’ils expliquent

par la motivation insuffisante des candidats ou des salariés face à des conditions de travail et d’em‑ ploi difficiles. Les bas salaires sont fréquemment associés à des emplois à temps partiel, à horaires atypiques et/ou variables, ou encore à un travail pénible ou sous pression ; autant de caractéristiques qui influencent les pratiques de recrutement, notam‑ ment leur fréquence, leur durée, les canaux et les acteurs mobilisés, ainsi que les critères valorisés (Fondeur, 2013 ; rieuCau, saloGnon, 2013).

Dans les entreprises que nous avons enquêtées, l’enjeu est d’embaucher une main-d’œuvre fiable et qui pourra être pérennisée malgré la faible qualité des emplois offerts. Les recruteurs s’efforcent alors d’anticiper les problèmes en sélectionnant des candidats qu’ils jugent capables de « tenir le

poste ». Les compétences comportementales, rela‑

tionnelles et sociales, regroupées sous le terme de « savoir‑être », sont particulièrement recher‑ chées pour satisfaire aux exigences du travail réel (contact avec la clientèle, ponctualité, répétitivité des tâches, travail à horaires atypiques, sous pres‑ sion ou dans le froid, etc.). Sont alors visés des travailleurs « motivés », à même d’accepter dans la durée les conditions de travail difficiles qui leur sont imposées. Les salariés doivent accepter les principes organisationnels et répondre aux critères de productivité qui leur sont assignés. La disponi‑ bilité temporelle joue par exemple un rôle essentiel dans les activités où les horaires sont atypiques, décalés ou variables (nettoyage, hôtellerie‑restau‑ ration, commerce). La présentation de soi, les (15) Des quatre secteurs enquêtés, seul celui du BTP enregistre un taux de rotation inférieur à la moyenne. L’hôtellerie‑ restauration et le nettoyage se caractérisent par une intense mobilité de la main‑d’œuvre dont les taux de rotation sont toujours deux à trois fois supérieurs à la moyenne de l’ensemble de l’économie. Cette caractéristique fait que la problématique de recrutement est marquée par l’appel à une main‑d’œuvre toujours soupçonnée de pouvoir faire défection (Forté,

monChatre, 2013).

compétences relationnelles et l’aptitude à travail‑ ler sous pression sont des critères cruciaux dans les emplois au contact avec le client (commerce, hôtel‑ lerie‑restauration). Dans le bâtiment, les candidats doivent être prêts à endurer des conditions de travail physiquement éprouvantes (voir encadré 8).

Encadré 8

Le « bon profil », candidat compétent, motivé et disponible

Le savoir-être et la motivation sont les premières qualités ciblées par le responsable RH de Hard

discount :

« Ce qu’on recherche, c’est pas tellement des CV [...]. Des fois on a des CV [...] presque vides,

mais derrière on a une personne qui [...] a envie

vraiment de faire quelque chose [...]. Je considère

toujours que quelqu’un qui ne sait pas faire mais qui a envie d’apprendre, apprendra [...]. On a assez peu

de critères si ce n’est la motivation et la volonté de réussir. »

Pour le responsable de secteur de Net’indus, la motivation est le critère déterminant : « J’ai déjà

des gens qui m’ont appelé : “Je n’ai pas d’expé-rience, mais j’ai envie de travailler” ; je préfère ça ! »

De même, le responsable d’Hypermarché indique :

« Moi, ce que je viens regarder quand je recrute quelqu’un c’est : est-ce qu’il est motivé pour venir travailler ? Et est-ce qu’il a les compétences pour exercer le métier  ? Après le reste, sa disponibi-lité… »

À Travaux publics, le savoir-être et la motivation sont également placés en tête des compétences recherchées :

« Quand on fait du recrutement, il y a le savoir-faire et le savoir-être. Les jeunes, le savoir-savoir-faire, on s’en moque. On part de zéro, donc vous connaissez rien aux travaux publics, etc. C’est pas grave. [...]

Ce qui est beaucoup plus dur, c’est de leur donner le goût du métier primo, et puis de leur donner le goût du travail et de la vie en entreprise. Et ça, c’est extrêmement important surtout dans nos métiers

[...] qui sont passionnants mais difficiles, où les gars,

ils embauchent à 7 heures et demie le matin et ils partent travailler en plein air, où il y a une notion de travail en équipe, d’effort physique… Le savoir-être c’est… Si on a un gars qui a un super savoir-être, il évoluera dans l’entreprise parce qu’on lui apprendra le métier. »

Pour déceler ces qualités chez les aspirants aux emplois non qualifiés qu’ils proposent, les employeurs utilisent une diversité de critères et de méthodes. Dans les secteurs étudiés, le diplôme n’est pas déterminant. Si l’expérience peut être considérée comme un atout dans les situations où une opéra‑ tionnalité immédiate est recherchée, son absence n’est pas non plus rédhibitoire. Pour apprécier la motivation, le savoir‑être, la disponibilité et l’adap‑ tabilité aux conditions de travail des candidats, les employeurs peuvent mobiliser des signaux objec‑ tivables (caractéristiques sociodémographiques,

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