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Submitted on 4 Oct 2014

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Rection nominale : retour sur les constructions évaluatives

Alain Polguère

To cite this version:

Alain Polguère. Rection nominale : retour sur les constructions évaluatives. Travaux de Linguis- tique : Revue Internationale de Linguistique Française, De Boeck Université, 2014, 68, pp.83-102.

�10.3917/tl.068.0083�. �hal-01071406�

(2)

Rection nominale :

retour sur les constructions évaluatives

A LAIN P OLGUÈRE Université de Lorraine & ATILF CNRS

1. Introduction

L’étude linguistique d’une construction syntaxique débouche sur au

moins trois acquis : (i) un ensemble de critères d’identification de cette

construction, (ii) une caractérisation de son fonctionnement et de son

rôle dans le code linguistique et (iii) une appellation – c’est-à-dire un

terme donnant à cette construction une réalité notionnelle en linguis-

tique. Les analyses s’arrêtent souvent là. C’est-à-dire qu’une caractérisa-

tion et une nouvelle terminologie sont proposées pour servir éventuelle-

ment de support à d’autres études, mais non pour trouver leur applica-

tion dans la finalité première de la linguistique : la description de la

langue et, donc, l’écriture de grammaires et de dictionnaires (au sens le

plus large). Pourtant, tant que les analyses restent à un niveau théorique,

comment est-il possible de s’assurer de leur validité ? Nous abordons ici

un domaine de la syntaxe – les dépendances syntaxiques régies par le

nom – qui, par définition, est à l’interface entre, d’une part, sémantique

et syntaxe et, d’autre part, lexique et grammaire. Il s’agit de montrer

comment la prise en compte d’une finalité descriptive complète – des-

cription grammaticale, mais aussi lexicographique – permet d’éclairer

l’analyse des structures syntaxiques, trop souvent considérées en ou-

bliant leurs connexions avec l’information lexicale. Nous procédons en

trois étapes. Tout d’abord, section 2, nous précisons ce que nous enten-

dons par dépendances régies afin de clarifier le flou qui entoure trop

souvent l’usage de ce terme et, plus généralement, les termes régir et

rection ; nous identifions ensuite les particularités des dépendances ré-

gies par les noms. Ensuite, section 3, nous justifions le recours à une

perspective plus « lexicale » de l’étude des dépendances nominales ré-

gies, c’est-à-dire une perspective qui prend en compte la nécessité de ré-

férer à ces dépendances dans la description du régime syntaxique des

unités lexicales – information idéalement incluse dans le dictionnaire.

(3)

Finalement, section 4, nous analysons dans une telle perspective le cas des constructions dites évaluatives (Vinet 2003) comme ce chien de Gustave, un classique de la grammaire française

1

.

2. Dépendances nominales régies (DNR) : bases théoriques 2.1 Notion de dépendance syntaxique

Le problème que nous examinons relève, de façon très générale, de l’étude de la valence nominale (Herbst 1988). Plus précisément, il s’agit de considérer la modélisation des dépendances nominales régies – dé- sormais, DNR – en tant que (i) structures particulières de syntagmes, (ii) exprimées en termes de dépendances syntaxiques.

Nous entendons par syntagme un ensemble de lexies reliées entre elles par des dépendances syntaxiques hiérarchiquement organisées ; par exemple :

(1) décision de rester

L’arbre de dépendance syntaxique ci-dessous représente la structure du syntagme (1).

Structure syntaxique de décision de rester

Ce graphe correspond à ce que l’on appelle une Structure Syntaxique de Surface dans la terminologie de la syntaxe de dépendance Sens- Texte, qui est l’approche théorique adoptée ici (Mel’ č uk 1997 ; Kahane 2003)

2

. Une telle structure est constituée des éléments suivants :

1

Nous nous appuyons en partie sur des travaux que nous avons menés à l’OLST, Uni- versité de Montréal, avec Évelyne Arbour Barbaud (Arbour Barbaud 2010) en colla- boration avec Lidija Iordanskaja et Igor Mel’ č uk. Nous remercions Lidija Iordanska- ja, Igor Mel’ č uk, Dorota Sikora ainsi que deux relecteurs anonymes de Travaux de linguistique pour leurs précieux commentaires sur une version préliminaire du pré- sent article.

2

La théorie Sens-Texte postule deux niveaux de représentation syntaxique : niveaux

profond vs de surface. Faute de place et pour simplifier notre exposé, nous ne pre-

nons en compte dans ce qui suit que le niveau syntaxique de surface.

(4)

• des nœuds étiquetés par les lexèmes du syntagme ( DÉCISION , DE et

RESTER ) accompagnés (i) de leurs traits grammaticaux inhérents (partie du discours, etc.) indiqués ici entre parenthèses et (ii) des traits de gram- mèmes exprimés dans la phrase – cf. « sing(ulier) » et « inf(initif) » ;

• des arcs orientés étiquetés par des noms de dépendances syn- taxiques – cf. « objectale oblique » et « complétive prépositionnelle »

3

.

Caractériser syntaxiquement le syntagme (1) revient en grande partie à identifier le graphe de dépendances syntaxiques qu’il met en jeu. Bien entendu, dans ce cas particulier, c’est la caractérisation de la dépendance syntaxique régie unissant le nom DÉCISION à son dépendant direct – la préposition DE – qui présente un intérêt particulier. Au-delà du problème de nommage de cette dépendance, se pose celui de l’identification de ce qu’elle exprime, de la façon dont elle est elle-même exprimée, notam- ment dans la linéarisation des éléments lexicaux – cf. la décision de Lulu de rester, qui est plus fluide que la décision de rester de Lulu. Le choix du terme objectale oblique ne peut être bien évalué (adopté ou cri- tiqué) que si l’on sait, notamment, que le même terme est utilisé pour étiqueter la dépendance syntaxique unissant le verbe et son complément dans les syntagmes du type suivant :

(2) [Lulu] décide de partir

Choisir le même terme signifie que l’on postule que les deux dépen- dances ne se distinguent pas fondamentalement par le contenu qu’elles expriment et qu’il n’y a pas lieu de les distinguer relativement à leurs modes d’expressions aux niveaux plus superficiels d’organisation du message linguistique (niveaux morphologique et phonologique). Un tel choix terminologique est une affirmation forte sur la nature de la dépen- dance en question, affirmation qui peut être fausse, et qui pourra éven- tuellement être remise en question si elle s’avère non opératoire lors- qu’appliquée de façon systématique à la description linguistique. Pour une présentation détaillée de la notion de dépendance syntaxique en re- lation avec les autres types de dépendances présents dans la phrase, nous renvoyons le lecteur à Mel’ č uk (2009).

2.2 Spécificité des DNR

On dira qu’une dépendance syntaxique G → D, qui unit un gouver- neur G à un dépendant D, est régie par G quand elle est conditionnée par la valence active

4

de G. Ainsi, parler → français est régie par la valence

3

Pour les noms de dépendance employés ici, on se reportera à Iordanskaja & Mel’ č uk (2009) et Arbour Barbaud (2010).

4

« Valence—or, more precisely, active valence—is a property of lexemes: a lexeme

opens slots for other lexemes that it “attracts” as its dependents » (Mel’ č uk 2009 :

p. 83).

(5)

active du lexème PARLER [une langue] alors que parler → bien ne l’est pas.

Attention ! Cela ne signifie pas qu’un dépendant syntaxique régi ex- prime nécessairement un actant de son gouverneur. Par exemple, Il ← dégouline [une eau noirâtre] est une dépendance régie par

DÉGOULINER , mais n’exprime pas un actant de ce verbe. Elle est cepen- dant, tel que nous le disons plus haut, conditionnée par la valence du verbe gouverneur : le premier actant du verbe – ‘eau [noirâtre] ’ – est ex- primé syntaxiquement d’une façon qui laisse vacante la position requise en français de sujet syntaxique, position syntaxique que l’impersonnel il se charge de remplir. La dépendance en question est donc bien condi- tionnée par la valence syntaxique du gouverneur : c’est une dépendance régie.

Il est important, pour la suite de l’exposé, de bien insister sur le fait que nous entendons précisément la notion de dépendance régie – et de rection – dans le sens qui vient d’être expliqué. En effet, certains auteurs utilisent le terme régir dans un sens beaucoup moins contraint, comme synonyme de gouverner ; ce que nous appelons régir sera alors appelé par eux régir fortement (cf. Cresseils 2006a : p. 21).

Les noms régissent des dépendances lorsqu’ils sont de nature prédi- cative, c’est-à-dire lorsqu’ils sont sémantiquement :

• soit des prédicats sémantiques – noms à sens liant dénotant des faits – tels ARRIVÉE [‘arrivée de X à Y’] , AMOUR [‘amour de X pour Y’] ,

LONGUEUR [‘X, longueur de Y’] , PROXIMITÉ [‘proximité de X avec Y’] , etc. ;

• soit des quasi-prédicats – noms à sens liant dénotant des entités – tels AMI [‘X, ami de Y] , VISAGE [‘visage de X’] , BICYCLETTE [‘bicyclette faite pour être utilisée par X’] , etc.

5

Comme dans le cas des verbes, on considérera qu’un dépendant syn- taxique d’un nom est régi par celui-ci lorsque son expression est condi- tionnée par la valence active de ce dernier.

Le propre des dépendances syntaxiques régies est d’être gérées au- tant par la grammaire de la langue que par son lexique. Pour les étudier, il est donc nécessaire de prendre en compte simultanément l’existence de règles grammaticales et de règles lexicales décrivant la combinatoire syntaxique restreinte des unités lexicales prédicatives, appelées règles de régime syntaxique.

Bref, les dépendances régies (verbales, nominales, etc.) sont tout au- tant un problème de description grammaticale que de description lexico-

5

Pour une présentation des notions de prédicat et quasi-prédicat sémantiques, voir

Mel’ č uk & Polguère (2008) et Polguère (2012).

(6)

logique/lexicographique ; c’est le propre de tout phénomène que l’on pourrait qualifier comme relevant de la microsyntaxe.

Les DNR posent cependant un problème particulier du fait que le nom, contrairement au verbe, n’est pas fait avant tout pour gouverner, mais pour être gouverné. Alors que le verbe est le gouverneur type de la phrase, le nom est le complément type du verbe. Les langues outillent en conséquence les noms beaucoup moins que les verbes pour l’expression syntaxique de leurs actants. Cela se manifeste principalement de trois fa- çons :

1) les dépendants syntaxiques régis par les noms sont beaucoup plus souvent optionnels que les dépendants régis des verbes ;

2) la distinction entre dépendants régis et non régis (circonstants) est formellement moins marquée dans le cas de la gouvernance nominale que dans le cas de la gouvernance verbale ;

3) il est infiniment plus fréquent qu’un actant sémantique ne puisse pas s’exprimer comme dépendant syntaxique régi dans le cas des noms prédicatifs que dans le cas des verbes.

Pour toutes ces raisons, l’identification des DNR, dans chaque langue, est un problème particulièrement ardu, même si, en contrepartie, on fait face à un nombre moins élevé de dépendances à discriminer que dans le cas de la rection verbale.

3. Pour une approche plus lexicale de l’étude des DNR

Après quelques remarques sur les pratiques courantes d’étude des syntagmes nominaux, nous proposerons plusieurs principes de modéli- sation des DNR. Ces principes sont fondés sur (i) une prise en compte simultanée des impératifs de description grammaticale et lexicale, et (ii) une approche orientée vers la synthèse linguistique (d’un contenu à exprimer aux formes d’expression de ce contenu) plutôt que vers l’ana- lyse.

3.1 Remarques préliminaires sur les pratiques courantes Comme Tesnière (1959) – précurseur de l’approche « valencielle » de la syntaxe bien avant que celle-ci fasse son chemin dans la linguis- tique formelle moderne –, nombre de linguistes et grammairiens conti- nuent de n’attribuer une valence qu’aux unités lexicales verbales, parfois adjectivales. L’approche consistant à considérer que ce qui est valide pour les verbes l’est tout autant pour les noms prédicatifs n’est pas du tout dominante.

Les dépendances nominales sont donc envisagées la plupart du temps

sous l’angle strictement grammatical, y compris dans les approches de

(7)

dépendance (Tesnière 1959 ; Creissels 2006b). Dans le cas contraire, la stratégie courante pour aborder les régimes nominaux est de se rapporter aux régimes verbaux lorsqu’il y a correspondance effective : la déci- sion → de la Cour ~ La Cour ← décide (van den Eynde 1998). Cela laisse bien entendu de côté un nombre considérable de noms prédicatifs, qui n’ont pas de contrepartie verbale, et ne permet pas d’aborder la rec- tion nominale dans sa spécificité. Surtout, la position prédominante – en linguistique au sens large, et non seulement en linguistique française – est vraisemblablement celle qui ne reconnaît de rection nominale que dans le cas des déverbaux : « Only nouns which are related to corre- sponding verbs have argument structure » (Alexiadou & Grim- shaw 2008 : p. 4), où corresponding verbs est entendu comme signifiant

‘verbes qui sont la source d’une dérivation morphologique’. C’est une position qu’il convient de rejeter, car elle contredit les observations les plus élémentaires que l’on peut faire sur les contraintes qu’imposent les noms non déverbaux sur l’expression de leurs actants. Un nom comme

MEURTRE , qui est un prédicat sémantique non déverbal, régit au même titre qu’un nom comme ACCOUCHEMENT , qui est, lui, déverbal ; un qua- si-prédicat sémantique comme LIVRE [‘livre écrit par X traitant de Y et destiné à Z’] régit, car il impose des contraintes sur l’expression de ses actants sémantiques, même si ce fait peut être difficile à évaluer si l’on ne se donne pas les moyens de faire apparaître de telles contraintes, en exami- nant les correspondances interlangues, par exemple : un livre de Sten- dhal ~ a book by Stendhal.

3.2 Mettre la microsyntaxe au régime lexical

Nous visons dans le présent exposé à promouvoir une approche de nature plus « lexicale » de l’étude des DNR. Qu’entendons-nous par là ?

Avant tout, il s’agit d’aborder le problème non sous l’angle unique de la syntaxe, mais aussi sous l’angle complémentaire de la lexicologie/lexicographie et, plus particulièrement, de la description des régimes des unités lexicales. Il faut accoupler l’identification des dépen- dances régies à la description systématique des régimes lexicaux, telle que pratiquée dans des approches aussi diverses que la Lexicologie Ex- plicative et Combinatoire (Mel’čuk et al. 1995), l’approche dite prono- minale – cf. la base PROTON des valences verbales du français (van den Eynde & Miertens 2003) –, la frame semantics – cf. la base Frame- Net (Ruppenhofer et al. 2010) – ou, bien entendu, le lexique-grammaire (Gross 1975).

Dans le modèle lexicographique auquel nous nous référons, chaque

unité lexicale (quasi-)prédicative se voit associer un schéma de régime

(Milićević 2009) formulé en termes de correspondances entre dépen-

(8)

dances sémantiques actancielles et dépendances syntaxiques explicite- ment nommées, qui expriment les dépendances actancielles. Les règles générales de la grammaire font bien entendu elles aussi référence aux noms de dépendance. Les noms de dépendances sont donc, formelle- ment, ce qui permet le passage du relais entre le lexique et la grammaire dans la construction de la phrase. Bien choisis, ils permettent l’écriture de règles plus ciblées et plus simples en distinguant toutes les dépen- dances qui doivent l’être, mais sans établir plus de distinctions qu’il ne convient.

Prenons un exemple simple. Nous examinerons plus bas (section 4), pour illustrer notre démarche, des syntagmes nominaux du type (3) : (3) ce chien de Gustave

Une question que l’on doit notamment se poser dans le contexte de l’identification de la dépendance chien → de [Gustave] est de savoir si elle est aussi présente dans le syntagme ci-dessous :

(4) ton docteur de mari

6

Il est impossible de répondre à cette question sans examiner attenti- vement quels contenus sémantiques sont exprimés en (3) vs (4), conte- nus qui doivent être caractérisés en termes de connexions prédicat-actant et organisation communicative du message. Il faut ensuite considérer comment les dépendances syntaxiques elles-mêmes s’expriment aux ni- veaux morphologique et phonologique.

3.3 Du contenu aux modes d’expression des DNR

Il est bien connu que la complémentation nominale, identifiée sim- plement par la séquence « N de N », exprime des contenus très distincts, notamment :

(5) a. le jouet de Marc = le jouet qui appartient à Marc b. la ville de Paris = la ville dont le nom est « Paris » c. ce cochon de Jean = Jean, qui est un cochon

d. la peur du noir = la peur provoquée par le noir La paraphrase, telle qu’utilisée ci-dessus, est un moyen de mettre en évidence des différences de contenus exprimés. Des manipulations comme la pronominalisation des dépendants permettent de discriminer fonctionnellement des dépendances superficiellement identiques : (6) a. le jouet de Marc = son jouet

b. la ville de Paris ≠ sa ville

6

Ma Pat, qu’en pense ton docteur de mari, de tout ça ? [Forum de discussion Internet]

(9)

c. ce cochon de Jean ≠ son cochon d. la peur du noir ≠ sa peur

En réalité, les données ci-dessus indiquent que ce n’est vraisembla- blement pas la même préposition de qui est employée dans tous les syn- tagmes considérés et que, strictement parlant, les chaînes syntagma- tiques ne sont pas identiques : par exemple, nous avons « N de I.B.1 N » pour (5a) vs « N de II.2 N » pour (5b), si l’on suit la numérotation du Petit Robert 2011

7

. On pourra consulter Foolen (2004 : p. 90-92) sur le sens des prépositions utilisées dans ce type de constructions dans les langues germaniques et romanes qui la possèdent.

On distingue donc potentiellement les dépendances syntaxiques en fonction du contenu qu’elles expriment ; mais il est évident que deux dé- pendances syntaxiques doivent être distinguées, même si elles expriment la même configuration sémantique et permettent de construire des para- phrases exactes, pour peu qu’elles mettent en jeu des moyens lexicaux, morphologiques, etc., radicalement différents. C’est le cas de la dépen- dance épithète (7b), qui est distincte de la complémentation (7a), même si elle permet dans ce cas précis d’exprimer le même contenu :

(7) a. frontière de la France b. frontière française

À l’inverse, on peut choisir de ne pas distinguer deux dépendances exprimant des contenus différents si elles se comportent formellement de la même façon : leur distinction ne servirait à rien, car elle ne sélec- tionnerait pas des règles spécifiques de linéarisation, d’accord, etc. Tel est le cas de la dépendance syntaxique principale régie par un verbe à la voix active, un verbe à la voix passive et un verbe impersonnel : on ne considérera qu’une dépendance syntaxique, appelée subjectale

8

, puisque tous ces sujets syntaxiques se comportent de façon identique aux ni- veaux subséquents d’organisation de la phase (niveaux morphologique et phonologique).

Pour bien comprendre la logique appliquée ici, il faut abandonner la seule perspective de l’analyse (perspective explicitement ou implicite- ment adoptée par la plupart des grammairiens) pour prendre le point de vue de la synthèse linguistique. Le nom attribué à une dépendance syn- taxique sert de clé d’accès aux règles permettant l’expression d’un contenu linguistique. Il ne sert aucunement à rendre compte d’éven- tuelles ambiguïtés. Faute de place, nous ne pouvons développer plus ce

7

Dans le Petit Robert 2011, DE I.B.1 reçoit une caractérisation sémantique « Apparte- nance » et DE II.2 une caractérisation grammaticale « Appos. (après le nom) ».

8

Voir Iordanskaja & Mel’ č uk (2009 : p. 170-173) et Mel’ č uk (2014) ; le terme anglais

utilisé dans ces études est subjectival.

(10)

point fondamental. Nous invitons le lecteur à se reporter à Iordanskaja

& Mel’ č uk (2009) pour une présentation détaillée de l’approche adoptée, appliquée systématiquement à l’identification des dépendances régies par le verbe en français.

Pour illustrer l’application de cette approche à l’identification et au nommage des DNR, nous allons maintenant examiner le cas des dépen- dances du type ce chien → de Gustave et, plus généralement, des constructions dites évaluatives.

4. Le cas de ce chien de Gustave et autres constructions évaluatives

Nous avons choisi d’illustrer notre propos avec la dépendance syn- taxique mise en jeu dans ce chien → de Gustave pour principalement deux raisons. Premièrement, elle a beaucoup été étudiée par les lin- guistes et l’on en possède déjà d’excellentes descriptions, tout particu- lièrement celle de Gaatone (1988), sur laquelle nous nous appuierons largement. Deuxièmement, ce n’est pas, comme nous le montrerons, une DNR pure, dans la mesure où elle n’est pas nécessairement régie, ce qui rend sa modélisation plus complexe sur le plan de l’interaction entre in- formation lexicale et information grammaticale. En attendant de l’avoir clairement identifiée, nous désignerons la dépendance à l’étude par le symbole D.

4.1 Un classique de la grammaire

La dépendance syntaxique D – en français ou dans les nombreuses autres langues qui en font usage – a été fréquemment étudiée du fait de sa nature très particulière (Milner 1978 : 174-197 ; Gaatone 1988 ; En- glebert 1992 : p. 40-50 ; Vinet 2003 ; Foolen 2004).

Foolen (2004), notamment, est une référence incontournable sur la construction syntaxique en question de par la perspective multilingue qu’il adopte : langues germaniques – anglais, allemand et néerlandais – et romanes – catalan, espagnol, français, italien, portugais et roumain

9

. Il caractérise les composants de la construction syntaxique à l’étude, pour toutes les langues en question, de façon fort synthétique et claire :

In the Germanic and Romance languages, the construction has three oblig- atory slots, namely two noun phrase slots and a slot for a preposition that relates the two noun phrases. This preposition is invariably the semanti-

9

Foolen (2004 : p. 80-81) mentionne aussi des langues d’autres familles qui, sans pos-

séder à proprement parler la construction syntaxique qui nous intéresse ici, possèdent

des constructions particulières semblant servir des buts communicationnels iden-

tiques – cf. les exemples cités pour le russe et le finnois.

(11)

cally most ‘neutral’ preposition available in the language, namely of (Eng- lish), van (Dutch), de (French), etc. There are strong constraints on the de- terminer of the second NP and less strong conditions on that of the first de- terminer (an unmarked definite article like the in English is not allowed).

(Foolen 2004, p. 76)

Il n’est pas rare de voir dans la littérature la dépendance syntaxique D associée à d’autres dépendances qui sont, cependant, relativement dis- tinctes ; par exemple : Tesnière (1959 : p. 445-448), qui réunit ce co- chon de Morin et des syntagmes comme la ville de Paris ou le roi des rois, dans le contexte de la translation O > A ; Havu & Pierrard (2008), qui réunissent ce fripon de valet et une place de libre, en tant que prédi- cations secondes.

Selon nous, la caractéristique sémantico-syntaxique fondamentale de D apparaît dans l’équivalence paraphrastique suivante :

ce chien de Gustave = Gustave, qui est un chien.

Attention ! Il est essentiel de mettre les syntagmes « N

1

de N

2

» [ce chien de Gustave] construits sur D en relation avec des syntagmes nomi- naux paraphrastiques « N

2

, qui est N

1

» [Gustave, qui est un chien] et non avec des phrases du type « N

2

est N

1

» [Gustave est un chien]

comme on le fait fréquemment. Seule la paraphrase nominale permet d’élucider la structure sémantique et communicative du syntagme en question. Cette approche du paraphrasage des expressions évaluatives est utilisée, par exemple, par Frei (1929 : 274-275). La grammaire de ré- férence Quirk et al. (1985 : §17.47) fait de même pour l’anglais, allant jusqu’à dire à propos de la partie en gras dans l’expression évaluative the fool of a policeman qu’elle « correspond à un adjectif » (p. 1285).

Les études comme Gaatone (1988) – que nous prenons ici comme ré- férence sur la question – ont bien identifié les particularités de D, mais n’ont pas suffisamment pris en compte la nature lexicalement contrôlée de celle-ci, comme nous tenterons de l’expliquer plus loin. Revenons, tout d’abord, sur les observations faites par D. Gaatone.

4.2 Gaatone (1988) revisité

Gaatone propose une étude très minutieuse de D, mais dans le cadre plus général de ce qui a été appelé constructions affectives, terme abrégé en CA et que Gaatone reprend à son compte. Il distingue trois types de CA – A, B et C –, qu’il caractérise de la façon suivante.

4.2.1 Type A : « ce fripon de valet »

Le type A – pour lequel Gaatone donne des exemples comme ce fri-

pon de valet, un imbécile de gendarme, ta saleté de brasserie – relève

très directement de la dépendance D que nous étudions ici. Il s’agit pour

(12)

Gaatone de la CA de référence, qu’il caractérise formellement comme une séquence « (DET) N

1

de N

2

».

Sur le plan sémantique, Gaatone note que N

1

et N

2

ont le même réfé- rent et que N

1

est un terme « appréciatif » qui « qualifie » N

2

(p. 163). Il souligne fort justement qu’il est impossible de déterminer sur une base strictement sémantique tous les noms pouvant fonctionner comme le N

1

de la construction A – c’est-à-dire, pouvant être les gouverneurs syn- taxiques de D. Son article mentionne les noms suivants : FRIPON ,

IMBÉCILE , SALETÉ , ENTÊTÉ , BRUTAL , BANDIT , CHAMEAU , ( PETIT )

JOUFFLU , HONNÊTE HOMME , MAUVAIS SUJET , VIEIL HOMME , VIEILLARD ,

CRAPULE , BRAVES GENS , JOYAU , MERVEILLE , CHOUCHOU , GÉNIE , HÉROS

et PRODIGE

10

.

Les CA du type A manifestent certaines particularités sur le plan morphologique. Ainsi, N

1

doit avoir le même genre grammatical que N

2

: ce coquin de proverbe ~ cette coquine de phrase ~ *ce coquin de phrase. Gaatone note que la concordance

11

de genre est cependant ab- sente si N

1

n’existe pas dans le lexique avec le genre requis – cette sale- té de réfrigérateur

12

. Pour ce qui est du nombre grammatical, on constate que N

1

et N

2

doivent aussi correspondre : ces gredins de concierges. Gaatone analyse de plus longuement la détermination du syntagme, montrant bien que cette dernière est avant tout contrôlée par le « gouverneur sémantique » N

2

et non par le gouverneur syntaxique N

1

. Faute de place, nous renvoyons le lecteur à la minutieuse analyse de Gaatone pour plus de détails sur la question.

Toutes ces observations témoignent d’une idiosyncrasie importante de la construction A. Étonnamment, Gaatone s’arrête en chemin et omet de tirer la conclusion logique de cette observation : il s’agit de construc- tions régies par le nom gouverneur.

En fait, c’est précisément dans cette « contradiction » entre la forme de la CA, présentant, en règle générale, un ordre recteur-régi, et sa structure sé-

10

Il est possible que nous ayons omis par inadvertance quelques noms mentionnés pour le type A dans Gaatone (1988). Pour une tentative d’identification d’une classe des noms français pouvant occuper la position N

1

, voir notamment Milner (1978 : p. 177- 190).

11

Gaatone parle d’accord. Nous préférons cependant utiliser le terme concordance dans la mesure où aucune flexion n’est ici en jeu. Le nom N

1

doit être du même genre grammatical que N

2

; il ne s’accorde pas avec lui, comme un adjectif peut s’accorder avec le nom dont il est épithète. Le lien entre un nom comme COQUIN

N

et son corres- pondant féminin COQUINE

N

en est bien un de dérivation, et non de flexion (Mel’čuk 2000).

12

Notre exemple.

(13)

mantique, présentant un ordre inverse, que résiderait le caractère particu- lier de la CA. (Gaatone 1988, p. 163-164)

Pour Gaatone, le fait que le dépendant syntaxique N

2

soit l’élément perçu comme sémantiquement qualifié par N

1

empêche de considérer qu’il soit syntaxiquement régi par N

1

même si, par ailleurs, tout semble démontrer que c’est bien le cas. Une unité lexicale comme CHIEN II ‘in- dividu méprisable [qu’est X] ’, est manifestement un quasi-prédicat (cf.

section 2.2 ci-dessus) et D, dans la structure considérée, introduit bien l’expression de son actant sémantique (X). Compte tenu de ce fait et du caractère non prévisible des gouverneurs lexicaux potentiels de D relevé par Gaatone, nous voyons dans les constructions du type A un cas clair de rection. Rappelons, à ce propos, qu’il est tout à fait courant qu’un ré- gisseur syntaxique soit « secondaire » sur le plan sémantique. Ainsi, res- sent dans la collocation Jules ressent de la panique régit bien entendu son complément d’objet panique. Pourtant, il s’agit d’un verbe support

13

, sans apport sémantique significatif puisque la prédication véritable est exprimée dans cette collocation entièrement par le sémantème ‘panique [de X face à Y] ’ (= ‘paniquer’).

Nous pouvons donc d’ores et déjà énoncer le fait suivant : D est une DNR dans les constructions du type ce chien → de Gustave – CA du type A dans Gaatone (1988).

4.2.2 Type B : « cette sapristi de roue »

Gaatone est beaucoup plus bref à propos de ce deuxième type de CA, et nous le serons aussi. Elle est selon lui distincte de la précédente dans la mesure où N

1

est remplacé ici par une interjection. Gaatone symbolise alors le type B par la formule : « (DET) I de N

2

».

Dans le cas de cette structure, le gouverneur syntaxique du syntagme n’étant pas un nom, mais une interjection, il est impossible selon Gaa- tone de considérer que ce gouverneur exerce un quelconque contrôle sur la structure du syntagme en question.

Nous pensons quant à nous qu’une interjection peut tout à fait régir une forme de complément et que les interjections se distinguent juste- ment sur ce plan. Putain [de toi/de Jean !] est une interjection qui se carac- térise notamment par le fait qu’elle régit un actant ; sa structure actan- cielle est ‘Putain de X’. Quelqu’un qui veut s’exclamer Putain ! parce que sa voiture de ne démarre pas peut tout à fait choisir de dire Putain de voiture ! Par contre, s’il choisit de s’exclamer avec Merde !, il ne peut dire *Merde de voiture ! La possibilité d’utiliser ou non la structure en

13

Plus précisément, c’est une valeur de la fonction lexicale Oper

1

– sur les fonctions

lexicales, voir Mel’ č uk et al. (1995, p. 129-148).

(14)

question dépend donc, comme dans le cas précédent, de l’unité lexicale qui en est le gouverneur syntaxique.

En conclusion, les CA du type B manifestent aussi un cas de dépen- dance régie, dont rien ne nous indique qu’elle soit distincte de celle mise en jeu dans le type A. Nous considérerons que nous sommes vraisembla- blement toujours en présence de D.

4.2.3 Type C : « son pharmacien de père »

Ce dernier type de CA est identifié par Gaatone comme suivant le même patron que le type A : « (DET) N

1

de N

2

». Il traite beaucoup plus superficiellement ce cas-ci, notant avant tout que les CA du type C se caractérisent par le fait que le choix de N

1

, contrairement à ce qui était le cas pour le type A, est complètement libre. Notamment, N

1

n’a pas en soi de valeur « affective » et si une évaluation ou une attitude quelconque du locuteur vis-à-vis de ce qui est dénoté par N

1

est expri- mée ici, cela semble provenir directement de la construction syntaxique elle-même et non du sémantisme de N

1

.

Il nous semble que le cœur du problème est là. Bien que N

2

dénote effectivement un actant sémantique de N

1

– pharmacien = ‘ [X est un] in- dividu qualifié pour l’exercice professionnel de la pharmacie’ –, la com- binatoire syntaxique de N

1

(son régime) nous indique que cet actant X ne s’exprime pas en tant que dépendant régi. Et c’est en utilisant juste- ment N

1

comme s’il régissait N

2

(= X) que le locuteur parvient à véhicu- ler un contenu particulier, que Gaatone qualifie de « plaisant » et rele- vant d’une « faible affectivité ». On constate donc que l’on n’est pas ici en présence d’une DNR, mais d’une dépendance qui est utilisée par le locuteur strictement pour exprimer un contenu particulier, que Miller (1978 : p. 177) désigne par le terme de calembour syntaxique. Il s’agit d’une structure syntaxique porteuse d’une signification propre, c’est-à- dire un phrasème syntaxique (Mel’čuk 1987).

Une question que nous devons maintenant nous poser est de savoir si les trois types de syntagmes identifiés dans Gaatone (1988) mettent en jeu une même dépendance syntaxique D. C’est à cette question que nous allons tenter de répondre.

4.3 Quelle(s) dépendance(s) ?

Nous postulerons, dans un premier temps, une seule et unique dépen- dance D pour chacun des trois types A, B et C, quitte à établir une dis- tinction entre plusieurs dépendances dans un second temps, si cette dis- tinction apporte véritablement une plus-value à la modélisation.

Contrairement à ce que fait Gaatone (1988), nous pensons qu’il est

plus productif de partir des CA du type C pour considérer la dépendance

(15)

D, dans la mesure justement où nous sommes ici en présence de struc- tures où D se manifeste de façon « autonome », c’est-à-dire tout à fait indépendamment de N

1

(ou I, dans le cas des CA de type B) et N

2

. Nous sommes ainsi en accord avec l’angle d’attaque proposé par A. Foolen :

So, instead of saying, as the Dutch reference grammar ANS [= Algemene Nederlandse Spraakkunst] does, that the first noun must contain an affect- ive meaning, which is then transposed to the construction as a whole, I would prefer to see it the other way around: the construction has an ex- pressive meaning, and this constructional meaning ‘attracts’ words that

‘resonate’ with this affective meaning. (Foolen 2004 : p. 84)

Il s’agit donc en tout premier lieu de considérer une dépendance syn- taxique ayant un contenu propre : expression par le locuteur d’une cer- taine ironie vis-à-vis du fait que N

2

est un N

1

. Cette information est de nature communicative ; plus précisément, elle relève de ce que la théorie Sens-Texte appelle la structure rhétorique de la représentation séman- tique des énoncés (Mel’čuk 2001). D ayant un contenu propre, il est im- portant de l’identifier par un nom spécifique. Certains termes ont déjà été proposés. Ainsi, Gaatone (1988 : p. 162) mentionne, sans l’adopter vraiment, le nom d’apposition inverse. Larrivée (1994) quant à lui, fai- sant avant tout référence aux CA de type A, parle d’épithète antéposée.

Comme il s’agit d’une structure clairement identifiable comme complé- mentation nominale en français, le terme de complétive évaluative semble bien plus approprié

14

. On pourrait aussi proposer complétive af- fective. Cependant, ce dernier terme viserait avant tout les emplois de D dans les constructions de type A, qui ne sont pas pour nous les construc- tions « de départ ». L’adjectif évaluative (Vinet 2003) est plus vague et plus compatible avec les différents usages de la dépendance en question.

Maintenant, pourquoi faudrait-il considérer qu’une autre dépendance est impliquée dans les constructions du type A ? Commençons par repré- senter ce que veut exprimer le locuteur lorsqu’il dit ce chien de Gustave, en mettant en regard cette représentation avec celle de la structure syn- taxique de surface du syntagme en question. La figure ci-dessous établit cette correspondance, en se fondant sur le fait que le syntagme représen- té a pour paraphrase Gustave, qui est un chien (Ce chien de Gustave ne mérite pas qu’on s’occupe de lui = Gustave, qui est un chien, ne mérite pas qu’on s’occupe de lui) – cf. plus haut, section 4.1.

14

Certains auteurs, voir par exemple Van de Velde (2001), refusent de considérer que

l’on est en présence ici d’une complémentation. Mais c’est parce qu’une assimilation

est implicitement faite entre être complément et être communicativement dominé,

c’est-à-dire que l’on omet de reconnaître la possible non-harmonie entre une dépen-

dance syntaxique et une dépendance communicative (de nature sémantique).

(16)

Correspondance sémantique-syntaxe pour chien de Gustave

Dans la représentation sémantique ci-dessus, le soulignement rend compte du fait que ‘Gustave’ est le sémantème communicativement do- minant. (Le graphe en question exprime en tout premier lieu ‘Gustave’

et non ‘chien II ’.) Le caractère « contradictoire » de la construction mentionné dans Gaatone (1988) vient ainsi du fait que le sémantème qui domine communicativement la structure sémantique est exprimé comme dépendant syntaxique. Néanmoins, ce dépendant syntaxique est aussi un actant sémantique de son gouverneur, qui est un lexème plein somme toute ordinaire sur le plan sémantique

15

. Il peut être défini de la même façon que n’importe quel quasi-prédicat sémantique :

‘ [X qui est un] chien II ’ = ‘ [X qui est un] homme méprisable du fait de son caractère et/ou de son comportement’.

L’article lexicographique de CHIEN II devra mentionner une telle dé- finition, de même qu’il devra indiquer que la valence de ce lexème lui permet de régir l’expression de son actant sémantique. Nous proposons de considérer que c’est justement la dépendance D, appelée désormais complétive évaluative, qui est monopolisée ici par le régime de CHIEN II , comme l’indique la figure ci-dessous

16

.

Régime syntaxique du lexème CHIEN II

Au-delà du cas particulier de CHIEN II , il faut considérer qu’il existe en français un sous-ensemble de quasi-prédicats nominaux « évaluatifs »

15

C’est d’ailleurs le même type de dichotomie sémantico-syntaxique que l’on trouve dans les expressions quantitatives du type une majorité d’électeurs (Milner 1978).

16

Pour une présentation de la notion de schéma de régime et du détail de la formalisa-

tion du régime utilisée ici, voir Mil ć evi ć (2009).

(17)

N

éval

qui ont la propriété de pouvoir régir la dépendance complétive éva-

luative pour introduire un actant sémantique qui est communicativement

dominant dans le message exprimé. Dans un tel cas, le N

éval

gouverne

(18)

le cas pour les verbes, l’écriture du régime syntaxique des noms doit être, avec l’identification et le nommage des différentes dépendances syntaxiques impliquées, l’angle d’attaque de la modélisation des constructions nominales. Celles-ci doivent toujours être modélisées en prenant en considération l’information associée, dans le lexique, aux unités lexicales qu’elles mettent en jeu.

Le cas particulier de la dépendance complétive évaluative a démon- tré qu’une dépendance, lorsqu’elle est régie, ne pose ni un « pur » pro- blème grammatical, ni un « pur » problème lexical. Il s’agit d’un pro- blème d’interface, où les informations de nature lexicale commandent à la grammaire de construire telles ou telles structures, même si ces struc- tures peuvent avoir par ailleurs une existence autonome dans le système grammatical de la langue. On notera l’affinité étroite entre l’approche mise ici de l’avant et les approches grammaticales dites de construction (Fillmore et al. 1988), qui débouchent tout naturellement sur des projets de nature lexicographique, puisque le lexique « construit » la phrase au moins autant que la grammaire.

Finalement, il convient de mentionner qu’il nous a fallu omettre dans notre exposé, pour des raisons d’espace, la prise en considération du problème crucial de la caractérisation de la structure syntaxique pro- fonde des syntagmes évaluatifs ; seule la structure syntaxique de surface a été considérée ici, ce qui ne donne qu’une vision partielle des phéno- mènes étudiés

17

.

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