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La nouvelle génération Frankenstein est en gestation

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 15 juin 2016

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point de vue

La nouveLLe génération Frankenstein est en gestation

Bertrand Kiefer nous rappelait, il y a peu dans ces colonnes,1 que l’année 2016 était celle du deux-centième anniversaire de l’écriture de Frankenstein. Mary Shelley à la plume dans le petit paradis de Colo- gny, sur les bords genevois du lac Léman.

Sont-ce les hasards ? Est-ce la fatalité ? Ce rappel coïncidait avec l’évocation, dans la revue Science,2 d’un formidable projet – une aventure qui effraierait peut-être Mary Shelley et ce charmant lord Byron « qui logeait dans la même villa que la jeune Shelley, traversant à la nage, à peine han- dicapé par son pied bot, à une époque où quasi personne ne savait nager sauf quel- ques romantiques aventuriers ».

Combien de lecteurs de Science ont lu Mary Shelley ? Et inversement ? Un trait d’union existe pourtant. Frankenstein fait frissonner depuis deux siècles. Mais de- puis deux siècles on le range, la nuit ve- nue, sur l’étagère ou dans la bibliothèque.

Ce sera un peu plus difficile avec les créa- tions-créatures en gestation dans Science.

Résumons : un groupe de chercheurs, en majorité américains, viennent de dé-

voiler un projet dont la clef de voûte est, en substance, la création d’un génome hu- main. Les vingt-cinq promoteurs 3 de ce pro- jet sont dirigés par George Church, profes- seur de génétique à la Faculté de médecine de Harvard et par Jef Boeke de l’Université de New York. On explique que cette initia- tive fait suite à de nombreuses avancées scientifiques et médicales qui permettent aujourd’hui de fabriquer de grandes parties d’ADN à un coût fortement réduit.

Sans doute y a-t-il là un peu de la folie qui excitait tant Mary Shelley et, plus près de la Méditerranée, Prométhée. L’aventure d’outre-Atlantique a déjà un nom : « The Genome Project-Write ». Et l’annonce a déjà déclenché des critiques de plusieurs scien- tifiques peu favorables à l’idée que l’on puisse, demain, « créer des enfants sans parents biologiques ». D’autres dénoncent le secret qui entoure un projet dont ils ne font pas (encore) partie.

Les promoteurs assurent eux-mêmes leur publicité pour des lendemains en- chanteurs. Ce projet devrait être piloté par une organisation à but non lucratif « Cen- ter of Excellence for Engineering Biology » qui cherchera, dès cette année, à lever 100 millions de dollars auprès de différentes entités publiques et privées. Ses promo-

teurs n’ont toute- fois pas donné d’es- timation quant à son coût ultime qui pourrait, selon des estimations, dépas- ser le milliard de dollars. Ce qui est, tout bien pesé, as- sez peu éle vé pour la création d’un être humain nou- veau, débarrassé de ses parents géni- teurs.

« Avant le lan- cement d’un tel pro- jet avec des impli- cations éthiques et théologiques aussi énormes, il est né- cessaire de poser les questions fonda- mentales en com- mençant par le fait de savoir si et dans quelles circonstan- ces nous devrions faire de ces techno-

logies une réalité » écrivent, dans le New York Times, des scientifiques in quiets. Il ne serait pas inutile, non plus, de resituer ce projet dans son contexte – de relire la biographie, les déclarations et les prophé- ties hautement médiatisées du généticien américain George Church.

En 2013, il proposait de cloner des indi vidus néandertaliens. « L’homme de Néan dertal pensait différemment de nous, expliquait-il alors. On sait que sa boîte crânienne était plus grande que la nôtre. Il pourrait même être plus intelligent. Le jour où nous aurons à faire à une épidé- mie, que nous devrons quitter la planète ou quoique ce soit, il est concevable que sa manière de penser puisse nous être béné- ficiaire. »

Pour l’heure, son nouveau projet se borne à développer des outils permettant de réduire, dans la prochaine décennie et de manière considérable, le coût de la con- ception de grands génomes d’organismes vivants. Il vise donc la synthèse du gé- nome humain sans oublier pour autant ceux d’organismes intéressants du point de vue de la santé publique ou, par exemple, de l’agriculture.

En ce qui concerne l’homme, l’ambi- tion n’est pas tant de (re)créer une per- sonne que de « faire croître des organes humains transplantables, de concevoir une immunité vis-à-vis de virus dans des li- gnées cellulaires dont le génome aurait été recodé, d’induire une résistance au cancer dans des lignées cellulaires et d’accélérer le développement de vaccins et de médi- caments efficaces en utilisant des cellules humaines et des organoïdes ».

Outre-Atlantique, l’enthousiasme des promoteurs n’a pas encore contaminé les hautes sphères du pouvoir. Ainsi Francis Collins, généticien aventurier sur les ter res du séquençage et qui dirige aujourd’hui les National Institutes of Health (NIH). « Les NIH n’ont pas considéré que le moment était approprié pour financer un tel effort orienté vers la production à grande échelle tel qu’il est présenté dans l’article de Science, a-t-il déclaré dans la presse. La synthèse de fragments d’ADN d’une taille limitée pour des expériences de laboratoire ne soulève que peu de questions éthiques.

Mais la synthèse de génomes entiers et d’organismes entiers va bien plus loin que nos capacités scientifiques actuelles, et sou- lève immédiatement de nombreux signaux d’alarme éthiques et philosophiques. »

Les promoteurs conviennent certes de Jean-Yves nau

jeanyves.nau@gmail.com

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ActuAlité

www.revmed.ch

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l’importance de discuter des implications éthiques de ce projet. On observera toute- fois que ce même projet avait été conçu en secret lors de deux réunions, dont la der- nière, tenue début mai, n’avait été connue que grâce à quelques « fuites » médiati ques.

Un secret qui avait suscité, euphémisme, un malaise chez certains chercheurs. On ajoutera (sans surprise) que plusieurs des promoteurs sont directement intéressés au développement des techniques de syn- thèse de l’ADN.

Dans Le Monde, le chercheur français Philippe Marlière, spécialiste de la biolo- gie de synthèse, prend ses distances. Il a fait le compte des chercheurs qui ont dé- cliné l’invitation de George Church à par- ticiper à la réunion préparatoire à Harvard.

Et il observe que parmi ceux qui y avaient répondu, peut flotter « un esprit de scepti- cisme ». Selon lui, c’est aussi le position- nement même de George Church qui pose question. « Après avoir prétendu que l’édi- tion du génome était la panacée, il pro- mulgue maintenant que sa synthèse est la voie ultime, note-t-il. L’enjeu de la syn- thèse génomique devrait n’avoir rien à faire avec le transhumanisme, et tout avec la protection des habitats naturels et l’in- tensification des moyens de production industrielle. »

« Les généticiens sont sur le point de franchir une étape troublante qui ouvre la perspective d’une redéfinition radicale de l’humanité, observe pour sa part, tou- jours dans Le Monde, l’ambivalent Laurent Alexan dre, patron de la société de séquen- çage DNAVision. George Church est un généticien brillant et iconoclaste d’Harvard, imprégné de culture transhumaniste. Ces leaders de la biologie de synthèse veulent créer tabula rasa en dix ans un génome hu- main entièrement nouveau permettant de générer des cellules humaines totalement inédites. Cette technique pourrait aussi permettre la création de bébés sans aucun parent, ce qui a ému de nombreux scienti- fiques et théologiens, même si cette pers- pective est plus lointaine et n’est pas un objectif du groupe de Church. Il ne s’agi- rait même plus de concevoir des “ bébés à la carte ”, mais de créer une nouvelle hu- manité : un débat sur l’encadrement des projets transhumanistes devient urgent. »

Conclure ? « De Frankenstein à nous, le scénario reste le même : la créature- monstre échappe à son créateur, jusqu’à le menacer dans son existence, écrit Bertrand Kiefer. Pourtant, mystérieusement, l’hu- main créateur ne peut s’empêcher de la créer, parce que cette créature est aussi lui-même, un prolongement de son être, une incarnation de ses idées et de son pou- voir. Et peut-être même de son destin. »

1 kiefer B. Frankenstein et les machines intelligentes.

rev Med suisse 2016;12:1008.

2 servick k. scientists reveal proposal to build human genome from scratch. science, 2 juin 2016. Le sujet était aussi traité dans le new York times du 13 mai : « scien- tists talk privately about creating a synthetic human genome ».

3 Jef D. Boeke, george Church, andrew Hessel, nancy J.

kelley, adam arkin, Yizhi Cai, rob Carlson, aravinda

Chakravarti, virginia W. Cornish, Liam Holt, Farren J. isaacs, todd kuiken, Marc Lajoie, tracy Lessor, Jeantine Lunshof, Matthew t. Maurano, Leslie a. Mitchell, Jasper rine, susan rosser, neville e. sanjana, Pamela a. silver, David valle, Harris Wang, Jeffrey C. Way, Luhan Yang. Corresponding author : jef.boeke@nyumc.org

nos concitoYens malades

L’année de ma naissance, le philosophe américain John Rawls a énuméré ce qu’il appe lait les biens primaires.

Ces biens dont tout le monde a besoin. Certains sont natu­

rels : parmi eux la santé bien sûr, mais aussi l’imagination ou l’intelligence. D’autres sont sociaux. Ils compren­

nent les libertés et les droits fondamentaux, la liberté de mouvement et le libre choix parmi un nombre large d’oc­

cupations, l’accès aux posi­

tions de pouvoir et de res­

ponsabilité, le revenu et la fortune, et celui qui d’après lui est le plus important de tous : les bases sociales du respect de soi. Il veut parler ici de la reconnaissance des citoyens par les institutions, qui sous­tend notre sens de notre propre valeur et la confiance de mettre nos pro­

jets à exécution.

Selon lui, tous les citoyens ont un intérêt à obtenir plus de ces biens primaires. C’est la tâche d’une société d’éva­

luer à quel point ils y par­

viennent. C’est la manière dont ces biens sont distri­

bués qui est la mesure d’un système politique.

Nous le savons tous, cer­

taines maladies représentent ici une double atteinte. En plus d’ôter la santé, la mala­

die et surtout la chronicité rognent également les bases sociales du respect de soi.

Quand la maladie est aiguë, c’est une parenthèse. On l’ouvre le temps de guérir, puis on la referme.

Lorsqu’elle est chronique, c’est le restant de la vie qui peut glisser dans une sorte de citoyenneté de seconde zone. Cela passe parfois par le regard de nos semblables.

L’essayiste anglais, Christopher Hitchens, mort récemment d’un cancer de l’œsophage, déplorait l’absence d’un guide de bonnes manières qui aurait régi les rapports entre les « habitants de la ville de la santé » et ceux de la maladie. Il y aurait mis des conseils comme n’adopter ni euphémismes ni déni avec les membres de sa famille et de se rappeler avec les autres que « Comment ça va ? Ne vous met pas sous serment de donner une réponse complète ou honnête. » Il aurait aussi demandé aux per­

sonnes bien portantes de ne raconter qu’« avec retenue » tout témoignage qui aurait concerné une maladie diffé­

rente. On pourrait aussi ajou­

ter, ne demandez pas à la personne malade de vous consoler, vous, de la peine que son mal vous cause. Les patients nous racontent cer­

taines de ces maladresses. Ils nous racontent aussi com­

ment certains de leurs amis disparaissent tout bonne­

ment, faute de savoir com­

ment éviter de les commettre.

Le monde serait un tout petit peu meilleur s’il y avait au rayon des cartes de vœux une image un peu débile flan­

quée de l’inscription « je ne sais pas quoi dire mais je pense à toi ».

Cette atteinte passe cepen­

dant aussi par nos institu­

tions. La maladie chronique limite la liberté de mouve­

ment à ce qui est compatible avec l’accès au traitement. Le choix des occupations se fait humble. L’accès aux positions de pouvoir et de responsabi­

lité ? Seulement dans des cas exceptionnels. Les bases socia les du respect de soi, quant à elles, devront faire façon de cette situation où les exigences du travail sont au mieux difficiles à remplir, alors que nous continuons de le considérer comme le socle de notre identité. A chaque tournant, nos arrangements signalent qu’ils n’ont pas été pensés pour ces personnes.

Le rôle qui leur est assigné, combattre la maladie et la vaincre, dévalorise ceux qui n’y parviennent pas entière­

ment et insulte les morts. A mesure que le cancer, mais aussi les maladies cardiaques et toute une série d’autres infirmités se soignent mieux, à mesure que se floute la dis­

tinction entre maladie et handicap, comment allons­

nous intégrer ces concitoyens comme binationaux, déten­

teurs d’un passeport de la maladie en plus de leurs papie rs de citoyen ? La tâche est urgente et nécessairement politique ; reste à trouver qui s’en saisira…

Carte blanChe

Pr Samia Hurst

Médecin et bioéthicienne Institut éthique, histoire, humanités

Faculté de médecine CMU, 1211 Genève 4 samia.hurst@unige.ch

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Références

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