Article
Reference
Médecine sexuelle et gynécologie-obstétrique : duetto à une seule voix
BITZER, Johannes, BIANCHI-DEMICHELI, Francesco
BITZER, Johannes, BIANCHI-DEMICHELI, Francesco. Médecine sexuelle et
gynécologie-obstétrique : duetto à une seule voix. Revue médicale suisse , 2017, vol. 13, no.
554, p. 587-588
PMID : 28718599
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:127661
Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.
1 / 1
Éditorial
www.revmed.ch
15 mars 2017
587
Médecine sexuelle et gynécologie-obstétrique :
duetto à une seule voix
Pr JOHANNES BITZER et Dr FRANCESCO BIANCHI-DEMICHELI
La gynécologie-obstétrique est le plus sou- vent considérée par le public et les médecins comme une discipline spécialisée, centrée sur la reproduction et l’endocrinologie de la femme, et qui confie les bébés à naître aux maternités des hôpitaux. C’est aussi une dis- cipline spécialisée en chirurgie des organes génitaux féminins. Dans cette tradition et selon cette perspective, la dimension psycho- sexuelle est le plus souvent absente de la for- mation des gynécologues, de leur
pratique quotidienne ainsi que dans la recherche. Cette absence de la médecine sexuelle en gyné- cologie-obstétrique est tout à fait étonnante. En effet, la prévalence des troubles sexuels chez les femmes est élevée, d’environ 20 à 30 % (comme chez les hommes d’ailleurs). Ces troubles se mani- festent dans toutes les phases de la vie reproductive et dans de
nombreuses situations cliniques. Il suffit de penser aux jeunes femmes qui souffrent de douleurs sexuelles sans cause apparente, aux femmes qui observent un changement de leur plaisir sexuel, positif ou négatif, lors qu’elles prennent la pilule. Ou encore à celles qui perdent tout intérêt sexuel après l’accouche- ment ou lors de la ménopause, se plaignant de douleurs pendant les rapports. Ces dou- leurs sont-elles la cause ou l’effet de leur désintérêt pour l’activité sexuelle ? Toutes ces questions méritent d’être posées.
Pourquoi la médecine sexuelle reste-t-elle en marge de la gynécologie-obstétrique ? Les rai- sons de cette exclusion sont diverses :
• le facteur temps : de longues consultations ou leur multiplication sont souvent néces- saires pour aborder le sujet de la sexualité.
Chronophages, elles sont considérées comme peu rentables.
• L’insuffisance ou l’absence de formation : de nombreux gynécologues ne peuvent offrir qu’une aide limitée aux patientes présentant des problèmes sexuels.
• La difficulté d’intégrer le partenaire dans la consultation pour aborder le sujet de la sexualité en couple.
• Les difficultés dans la relation médecin- malade : comment gérer la distance et le respect de l’intimité sans s’exposer à des risques ? D’une part, trop de proximité avec une patiente risque d’amener les médecins à un comportement de transgression des limites, rendant difficile la gestion des con-
sultations, voire aboutissant à des abus. Ou de pousser la patiente à des comportements de séduction, augmentant les difficultés de sa prise en charge. Ou encore pous- ser la patiente à faire de fausses accusations pour ruiner la répu- tation du médecin. D’autre part, une trop grande distance peut être affectivement mal vécue par la patiente et rendre toute prise en charge inopérante.
• L’importance variable accordée à la sexua- lité par les médecins et par les patientes : la sexualité constitue à la fois une force et un potentiel pouvant être exprimé, supprimé, développé, négligé, transformé. Ceci est vrai tout au long de la vie, de l’enfance à l’ado- lescence, de l’âge adulte jusqu’à la vieillesse.
• La difficulté à définir des normes : l’extra- ordinaire variété et la diversité de la sexualité humaine rend pratiquement impossible une définition objective des normes. Il n’existe aucun paramètre mesurable (comme la tension artérielle ou la glycémie). La santé sexuelle est définie par des paramètres subjectifs comme le degré de souffrance individuelle acceptable, par exemple.
• Le fait que, dans leur pratique quoti dien ne, les gynécologues soient confrontés quasi exclusivement aux conséquences négatives de la sexualité – grossesses non désirées, ma- ladies sexuellement transmissibles, faus ses couches, grossesses extra-utérines, compli- cations obstétricales – peut constituer une résistance. Même la joie des femmes après l’accouchement passe par la souffrance.
Articles publiés sous la direction de FRANCESCO BIANCHI- DEMICHELI Service de gynécologie et d’obstétrique, HUG, Genève
SELON CETTE PERSPECTIvE, LA DIMENSION PSyCHOSExuELLE
EST LE PLuS
SOuvENT
ABSENTE DE LA
FORMATION DES
gyNéCOLOguES
REVUE MÉDICALE SUISSE
WWW.REVMED.CH 15 mars 2017
588
Toutes ces raisons sont importantes et mé- ritent d’être prises au sérieux. Il y a cepen- dant des solutions dans l’histoire récente de la médecine sexuelle. Avec les travaux de Masters et Johnson, la médecine a pu décrire les différentes phases de la réponse sexuelle, permettant de formuler une classification des troubles sexuels, de standardiser les procé- dures diagnostiques (incluant l’utilisation de questionnaires validés) et de développer dif- férentes interventions thérapeutiques (sensate focus, masturbation training, etc.) et de les comparer.
Des études basées sur des méthodes d’obser- vation menées avec des personnes volontaires (principalement des travailleuses du sexe) et des études en laboratoire (principalement avec des animaux) portant sur les physiolo- gies neurovasculaire et neuromusculaire du cycle de la réponse sexuelle ont été réalisées.
La compréhension de la physiologie de l’érec- tion et de celle de l’excitation féminine a créé les bases du développement et de l’introduc- tion de nouveaux médicaments comme les IPDE-5 ou les traitements hormonaux locaux avec œstrogènes.
En même temps, l’évolution de l’endocrino- logie, en particulier de la neuroendocrinologie, ainsi que les progrès de la neuro-imagerie, ont permis de mieux comprendre la régulation endocrinienne et cérébrale de l’expérience et du comportement sexuel, ouvrant des nou- velles perspectives thérapeutiques endocri- nologiques et psychopharmacologiques.
Dans ce contexte biomédical, d’autres do- maines de la sexologie se sont développés.
La pharmacosexologie, qui traite les effets se- condaires des médicaments sur la fonction sexuelle, la sexologie médicale, qui se con- centre sur les mécanismes spécifiques des maladies et de leur impact sur la fonction sexuelle comme l’oncosexologie, par exemple.
Ou encore la sexologie chirurgicale qui s’inté- resse non seulement aux conséquences des interventions chirurgicales sur la fonction sexuelle, mais vise aussi à développer des in- terventions améliorant la fonction sexuelle ou réduisant les douleurs pendant les rapports sexuels (vestibulectomie, rajeunissement vagi- nal pour les femmes, opérations de la maladie de La Peyronie pour les hommes).
Presque toutes les disciplines psychothérapeu- tiques ont développé des modèles de com-
préhension des motivations, des comporte- ments et des troubles sexuels. Les approches psychanalytiques se concentrent principalement sur les conflits internes entre le « surmoi » et le « ça » ; les approches comportementalistes interprètent les problèmes sexuels comme le résultat de faux processus d’apprentissage;
les approches humanistes se centrent sur les aspects de la croissance individuelle, de l’auto- actualisation et sur le défi de créer sa propre sexualité ; les psychothérapies systémiques se focalisent sur les modes d’interaction et de communication entre partenaires ; les théra- pies corporelles aident les patients à prendre conscience de leur corps, à entrer en contact avec leur fonction sexuelle, à vi-
sualiser les processus internes et à pratiquer certains mouvements qui agissent comme un feedback du corps vers l’esprit.
Comment la gynécologie-obsté- trique peut-elle intégrer toutes ces connaissances et faire profiter les patientes du potentiel de la médecine sexuelle moderne ? Le
défi est majeur. En effet, il faudrait réaliser un concept d’intégration qui tienne compte de la multidisciplinarité et de la multidimen- sionnalité de la sexualité humaine (santé phy- sique et santé mentale). Cette réponse pourrait se réaliser à plusieurs niveaux.
Il faudrait créer des centres académiques multidisciplinaires de médecine sexuelle qui viseraient à développer des programmes de formation et de training aux niveaux pré et post gradué. Ces centres devraient définir des niveaux de formation différents pour les soins primaires, de complexité moyenne et ceux spécialisés. Ils devraient être aussi les prota- gonistes de la recherche en médecine sexuelle et tenir compte des exigences pratiques des différentes spécialités médicales. Pour la pra- tique, il faudrait qu’une formation spécifique en médecine sexuelle fasse partie du curricu- lum obligatoire en gynécologie-obstétrique.
A l’avenir, nous avons besoin d’une collabora- tion multidisciplinaire et multi-universitaire pour assurer qu’une médecine sexuelle scien- tifique ne soit pas seulement intégrée en gynécologie-obstétrique mais aussi dans les autres spécialités de la médecine. Plus large- ment, la gynécologie-obstétrique pourrait et devrait jouer un rôle déterminant dans l’en- semble de ce développement.