A NNALES DE L ’ UNIVERSITÉ DE G RENOBLE
F LUSIN
Jean Bistési (1906-1943)
Annales de l’université de Grenoble, tome 21 (1945), p. 17-20
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Jean Bistési (1906-1943)
Le 2g novembre
ig-113,
Jean BISTÉSI,professeur
à l’Institut d’Électrochimieet
d’Électrométallurgie,
chefdépartemental
du groupe de Résistance « Combat », était assassiné dans son laboratoire par lapolice
allemande.Pour honorer sa mémoire, l’Université de Grenoble a autorisé l’Institut
d’Électrochimie à faire apposer dans le hall d’entrée une
plaque
commémora-tive portant la
suscription
suivante :Dans cet Établissement le 2g novembre
1943
JEAN BISTESI
professeur
est tombé pour la France, assassiné par la
police
allemande.Cette
plaque
a étéinaugurée
le 29 novembre ia~4, à 1 i h. 30, enprésence
de Mme BISTÉSI, des autorités
préfectorales, municipales
et universitaires, descollègues,
des amis, des camarades de résistance, des anciens élèves de Jean BiSTEsi et de nombreux étudiants.Dans une allocution émouvante, M. FLUSIN, directeur de l’Institut d’Électro- chimie et
d’Électrométallurgie,
retraça la carrière et fit revivre la noblefigure
de
l’héroïque disparu.
Allocution de M. FLUSIN à la cérémonie commémorative de la mort de Jean
BISTESI,
le 29 novembre 1944.Il y
a un anjour
pourjour,
et, àquelques
minutesprès,
heurepour heure, que Jean BISTÉSI, l’un des maitres les
plus aimés,
l’undes collaborateurs les
plus
estimés de cette maison, fut abattuici,
àla
porte
de sonlaboratoire,
par les revolvers de laGestapo.
Nous avons eu,
hélas,
àdéplorer,
dans l’Université el dans laville,
de nombreuses autres mortstragiques.
Mais nous avons ressentiet nous conservons une
impression particulièrement pénible
du2
18
meurtre de
Bistési, commis
pour ainsi dire au milieu de nous,alors (lue les élèves votaient à
peine
dequitter
les salles de cours et de travauxpratiques,
alors queprofesseurs
etemployés s’apprêtaient
(1
partir
à leur tour et que, rassemblés contre un mur et les mainsen l’air sous la menace du
revolver,
ils durent attendre la fin de la sinistre exécution.Et comme il nous a été
interdit,
par ordresupérieur,
de rendreles derniers devoirs à notre
regretté collègue,
comme la vie et lamort de Bistési sont un haut
exemple
delabeur,
de dévouement et depatriotisme,
l’Université de Grenoble a autorisé l’Institut à apposer ence jour anniversaire,
uneplaque commémorative,
destinée àrappeler
auxpromotions
futuresqui
se succéderont ici la mémoire dudisparu
et sonhéroïque
sacrifice.Jean Bistési est
originaire
desVosges ;
ilnaquit
le 9juillet 1906
dans la
petite
ville deFraize,
aupied
du col du Bonhomme.Il fit de solides et brillantes études : à 21 ans, il sortait de l’Institut
polytechnique
de Grenoble avec sondiplôme d’ingénieur
électricien,ayant
obtenuparallèlement
celui de licencié es sciences à laFaculté,
avec les certificats
supérieurs
deMathématiques générales,
de Chimiegénérale, d’Électrochimie
etd’Électrométallurgie.
Alors
qu’il
était encore élève à l’Institutélectrotechnique,
leConseil de l’Université avait eu à l’entendre comme témoin dans
une
importante
affairedisciplinaire.
J’avais étéfrappé
desqualités
dont il avait fait preuve au cours de sa
déposition :
maîtrise desoi,
souci de l’exactitude et de la mesure, facilité deparole
et clartéd’exposition.
Ce fut donc avec
grand plaisir
queje
vis Bistési s’orienter versl’électrochimie et que
je
l’accueillis dans monlaboratoire,
où ilentra le i5 août 1927, en
qualité
d’attaché au service d’échantillon- nages etd’analyses
desproduits électrométallurgiques.
Ils’adapta rapidement
à ses nouvellesfonctions, parfois délicates,
et iljustifia
en tous
points
la confiance quej’avais
mise en lui.Dès le mois de novembre
ig3o, époque
de la création dudiplôme d’ingénieur-électrochimiste-électrométallurgiste,
il futchargé
dequelques
conférences et travauxpratiques
relatifs au nouvel ensei-gnement.
La encore, il obtint d’excellents résultats et ilprit
peu à peu unepart
deplus
enplus
directe et étendue à la formation de nosjeunes ingénieurs.
Devenu l’un de nos maîtres les
plus
écoutés et lesplus aimés,
iln en restait pas moins un chimiste de
grande
valeur et de haute19 conscience. Dans tes
premiers
mois de la guerre, alors que laquestion
du ravitaillement de la France en minerai de
tungstène
devenaitangoissante,
le Comitéélectrométallurgique
de France me demandaitde laisser détacher Bistesi en mission dans l’Indochine pour mettre
au
point
surplace l’échantillonnage
des minerais detungstène
indi-gènes
et créer un laboratoired’analyses spécialisé.
Conscient de
l’importance
de cettemission,
Bistésiaccepta
sanshésiter de
quitter
les siens et de menerpendant près
decinq
moisune vie de labeur écrasant, souvent dans la brousse et
toujours
dans un climat
épuisant.
Parti au début dejanvier 1940,
il regagna la France à la fin demai, probablement
par le dernier avionqui
revint de
Saïgon
àMarignane.
A
peine
était-il de retour à l’Institut que la tourmente se déchaînasur la France. Et Bistési
allait,
comme tantd’autres,
suivre secrète-ment le chemin
qu’il
estimait être celui de l’honneur.Maintenant
qu’il
n’estplus
et queje
cherche àévoquer
laphysio-
nomie de cet être
d’élite, je
le revois avec safigure
fine aux traitsdélicats,
sonregard
à la fois doux etrésolu,
son air réfléchi etparfois
un peuironique,
saparole toujours
calme mais où l’onsentait percer, à certains moments, une volonté inébranlable.
Cette
physionomie
n’était d’ailleurs que le reflet de sesqualités
intérieures :
goût
de l’ordre et dutravail,
consciencescrupuleuse,
caractère franc et
droit, incapable
de seplier
auxcompromissions,
enfin coeur
loyal
et sur. Il était estimé de tous sescollègues,
aiméde tous ses élèves. Pendant ses seize années de service à
l’Institut,
j’ai
eu l’occasion de le connaître et del’apprécier
sous bien desangles différents ;
il nem’a jamais déçu.
De moncôté, j"ai
été pour lui un ami aussi bienqu’un
chef etje
sentaisqu’il
me rendait l’affec- tion queje
lui avais accordée. Je nepuis oublier,
etje
m’excuse de lerappeler ici,
l’émotion aveclaquelle
nouséchangeâmes,
à sonretour de
Saïgon,
le baiser que ma fille lui avait donné là-bas pour moi au moment de sondépart.
Mais ce coeur
exquis
quej’ai
senti bien des fois battre enlui, qui
a pu
l’apprécier
mieux que son admirable et courageuse compagne, devantqui
nous nous inclinons bien bas. Nous ne pouvons,hélas,
lui offrir par nous-mêmes d’autres consolations que la promesse de faire survivre dans cette maison la mémoire de son mari.Cependant,
à uneFrançaise
commeelle,
s’offrentaujourd’hui
desmotifs nouveaux de consolation.
Qu’elle
se souvienne etqu’elle
compare’
Novembrer c~~ 3 :
la France sous la bottegermaine,
ses20
enfants esclaves ou bien
traqués
et abattus comme des bêtes fauves.Novembre
1944 :
l’envahisseur chassé du sol de lapatrie,
lesFrançais
recouvrant la liberté et
l’honneur,
une nouvelle arméedebout,
ardente aucombat,
hier sur leRhin,
demain au delà.C’est à des hommes comme Bistési que nous
devons,
pour unetrès
grande part,
ce rétablissementprodigieux.
Haussantjusqu’à
l’héroïsme leur
conception
dudevoir,
ils ont, auprix
de leurvie,
rendu à la France
l’indépendance
et lagrandeur.
Nous nous enga-geons ici à ne