G ERGONNE
Arithmétique sociale. Notions élémentaires sur les métaux considérés comme monnaies
Annales de Mathématiques pures et appliquées, tome 21 (1830-1831), p. 189-216
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I89
ARITHMÉTIQUE SOCIALE.
Notions élémentaires
surles métaux considérés
comme
monnaies ;
Par M. G E P G O N N E (*).
DES
MÉTAUX
COMMEMONNAIES.
JE
me proposed’examiner ,
dans l’essaiqu’on
valire ,
parquelle progression
d’idéesl’usage
des monnaiesmétalliques
a pu s’intro- duire uiliverseilement dans nossociétés, quels
c3c!sgénéraux
ré-sultent de leur
emploi,
etquelle
influencepeut
avoir-leur
circu- lationplus
ou moins abondante sur la valeur des choses et surla richesse des nations. Je n’aurai
qu un petit
nombre de vérités àétablir ,
et des vérités presquetriviales ,
bienqu’elles
soienttrop
souventméconnues ;
maisje signalerai
cheminfaisant ,
deserreurs et des
préjugés
deplus
d’un genre. Unpareil
soin ne meparaît
pas tout à faitdépourvu d’utilité,
car , outre ce que l’er-(*)
Cet essai ,composé
à la fin de 1825, était destiné pour l’Annuaire dudépartement
de l’Hérault de 1826. Le Préfetd’alors,
tout en approuvantl’écrit ,
commeparticulier ,
désirait , comme agent d’un ministère ombra- geux, quej’y
fisse diverses modifications etsuppressions ;
mais, comme ellesauraient dû porter sur les
points
de doctrinesauxquels je
tenais leplus , je préférai
retirer le manuscrit que de le faireparaître
ainsi mutilé et défi- guré. Je le donneaujourd’hui
telqu’il
était alors , enrejetait
dans des no-tes ce que
j’ai
cru devoir yajouter
postérieurement.Tom.
XXI , n.° 7 , I.er janvier
i83r. 25I90 DES METAUX
reur et
l’ignorance
des sainesdoctrines ,
enquelque
matière quece
soit ,
onttoujours
de honteux enelles-mêmes,
il n’arrive quetrop
souvent que les gouvernemens même lesplus
éclairés surles véritables intérêts du
public ,
nepeuvent
tenter tout le bienqu’ils désireraient,
parl’obligation
où il se trouvent derespecter
ou du moins de ne pas heurter trop
brusquement
desopinions qu’ils
savent d’ailleurs fort bien n avoir aucun fondementsolide ,
maisauxquelles
le désir de conserver lapaix publique n exige
pas moins
qu on sacrifie ;
tant il est vraiqu instruire
les hommesc’est en même
temps
les rendreplus
facilementgouvernables.
Je
supposerai,
enpremier lieu ,
que , parquelque
cause quece
puisse être ,
un homme se trouve contraint de passer sesjours
dans un isolement absolu de ses
semblables ,
et dans1 impossibi-
lité d’entretenir aucune relation avec eux.
Indépendamment
detout ce que cette situation aurait
d’affligeant ,
sous lepoint
devue
moral ,
onconçoit
que l’existence d’un tel homme ne pour- rait être que très-misérable. Nous ne faisons vîte etbien ,
en ef-fet,
que ce dont nous faisons notreoccupation unique
et habi-tuelle ;
d’où l’on peut voir àquel point
devrait être malnourri,
mal
vêtu,
mal défendu contre l’inclémence des saisons et les at-taques
desanimaux,
mal pourvu enfin des choses lesplus
néces-saires,
celuiqui ,
pour satisfaire ses besoinsdivers,
serait sanscesse
obligé
d’exercer tour à tour lesprofessions
lesplus dispara-
tes, sans avoir le loisir de se
perfectionner
dans aucune d elles.Donnons ,
aucontraire ,
à cet homme unefamille ;
et , bienqu 1alors
les besoins croissent dans uneproportion
exacte avec lenombre des individus
qui pourront y pourvoir ,
sa situation ne s’entrouvera pas moins améliorée d’une manière très-notable. Le soin de
pourvoir à
ces besoi-ns divers pourra dèslors ,
eneffet ,
êtreréparti
entre les membres de lapetite colonie ,
en raison de la diversité de leursforces,
de leurintelligence
ou mêmesimple-
ment de leurs Inclinations.
Ainsi,
tandis que l’un des fils se de-COMME
MONNAIES.
I9Ivouera tout entier à la
chasse ,
un autres’occupera
exclusivement de lapêche ;
celui-ci se consacrera à 1 éducation destroupeaux ;
celui-là à la culture des terres ; uncinquième
à l’entretien de 1 habitation commune et de sonmobilier,
et ainsi des autres. Lamère et ses filles , de leur
côté , prendront
soin de filer et de tis.ser la toison des brebis ou les fibres des
plantes ,
de lesfaçon-
ner en divers vêtemens
appropriés à
la variété dessaisons ;
ellesprépareront
à tous les alimens nécessaires à leursubsistance ;
fan-dis que le chef de la famille pourra réserver, pour sa
p,art
desoins,
lapolice ,
la direction et la surveillancegénérale
de tousles travaux. Les
occupations
dechaque
individu se trouvant ainsicirconscrites dans des limites assez
étroites ,
il arrivera que bien- tôtl’observation, l’expérience
et la réflexionsuggéreront
aux unscomme aux autres les moyens de
faire,
à lafois ,
mieux etplus
promptement. L’exigence
sur cepoint
croissant sans cesse , enproportion
de laperfection,
de l’abondance et de laprompte
con- fection desproduits ,
legoût
etl’esprit
d’invention sedévelop- peront
pardegrés ,
et bientôt cette société naissante pourra con- naîtrel’aisance ,
le luxe et même le loisir.C’est ainsi
qu’a
pu être très-naturellement révélé à l’homme undes secrets de l’art social les
plus
féconds enprécieuses
consé-quences :
je
veux dire leprincipe
de la division du travailqui ,
dans nos sociétés
modernes ,
a reçu undéveloppement
sigénéral
et si étendu. Si
présentement
on nous offrechaque jour,
dansnos rues et sur nos
places , quarante épingles
pour un sous(*) ,
c’est parce
qu’une épingle ,
avant d’être livrée aupublic ,
passe tour à tour dans les mains de treize ouvriers. Un ouvrierqui
of-frirait de
fabriquer ,
à luiseul ,
uneépingle
pourquarante
sous(*)
Au moment oùj’écrivais
ceci , uncolporteur parcourait
tous lesjours
les rues de
Montpellier
, en annonçant par ce cri le genre de son négoce.I92
DES METAUXferait
peut-être
un mauvaismarche ;
car, sans mêmeparler
dela
préparation
des manièrespremières,
ilpourrait
fort bien y em-ployer plus
d unedemi-journée ;
et lajournée
d’un ouvrier tantsoit peu habile et
intelligent
vaut bien au moinsquatre
francs.Faisons
présentement
sortir lapetite
famille de sonisolement ,
comme nous en avions fait tout à 1 heure sortir 1 individu. Etablis-
sons autour d’elle d’autres
familles,
enplus
ou moinsgrand
nom-bre. On
conçoit
que dès lors leprincipe
de la division du tra-vail pourra recevoir une nouvelle extension. Nous
avions ,
iln’y
a
qu’un instant ,
des individuschasseurs, pécheurs ,
pasteurs ,agriculteurs ,
etc. ; maisprésentement
ces dfférentesprofessions
pourront
êtreréparties
entre les diverses famillesqui ,
à leur tour,répartiront
entre les individus dont elles serontcomposées
les di-verses sortes de travaux que l’exercice de chacune de ces
profes-
sions pourra
réclamer. Ainsi ,
parexemple ,
dans la famille deschasseurs ,
les unsfabriqueront
des arcs et desflèches ,
et lesautres des filets et des
pièges ;
ceux-ci dresseront des chiens ou des oiseaux deproie ;
ceux-làdépouilleront
legibier
et ellprépa-
reront les chairs de manière à
pouvoir
les conserver saines pen- dant untemps plus
ou moinslong ;
et larépartition
desoccupations
diverses se fera ci’une manière
analogue ,
dans les autresfamilles ,
pour
l’avantage général
de lapetite république.
Mais un tel état de choses
exige impérieusement qu’un
autreprincipe
vienne se combiner avec celai de la division du travail.SI,
eneffet, chaque
familleprétendait
demeurer seulepropriétaire
de la totalité des fruits de son industrie et de ses
conquêtes
surla nature ; des travaux ainsi restreints à un seul
objet
les met-traient toutes dans une excessive abondance de certaines choses
et dans le dénuement le
plus
absolu de toutes les autres ; elles auraient toutes dusuperflu
et toutes, en mêmetemps,
se trou- veraientprivées
des choses lesplus
nécessaires. Il faudradonc,
si chacun veut
jouir
du fruit des travaux de tous , que tous aientrecours aux
échanges ;
etc’est ,
eneffet, l’expédient auquel
ellesI93
COMME
MONNAIES.
ne
manqueront
pas de songer. C’est ainsi que le commerce , les ren-dant nécessaires les uns aux autres r en même temps
qu’il
ré-pandra
un bien-êtregénéral ,
établira entre elles un contactjour-
nalier,
des relations de bonvoisinage qui
embelliront leur exis-tence
morale ,
en leur faisantgoûter
le charme de la sociabilité, Heureux sil’exigence
des forts et l’astuce desfaibles ,
ne vientpas bientôt troubler cette
précieuse harmonie ,
et faire sentir im-périeusement
à tous le besoin d’une forceréprimante (*).
Ce que sont entre elles des familles
voisines ,
les nations le sontplus
engrand ; mais ,
avec cette différence notable que cequi
peut
fort bien n’être que pure convenance pour celles-là devientsouvent nécessité
rigoureuse
pourcelles-ci , placées
comme ellesle sont sur des territoires
très-divers ,
dont la variété doit entraî-ner forcément celle de leurs
occiipations.
Parmi les diverses con-trées habitées de notre
globe ,
il en est, eneffet qui
ne sontpropres seulement
qu’au labourage
ou aupâlurage ,
d’autres à la culture de lavigne ,
de l’olivier ou dumûrier ;
là ce sont d’im-menses
forêts , séjour
d’animaux que la chasse fait tomber au pou- voir del’homme;
ici ce sont des lacs et desétangs qui
ne sau-raient lui
permettre
que l’exercice de lapèche ;
ailleurs c’est unsol rebelle à tous les genres de
cultures
maisduquel
onpeut
extraire des minérauxplus
ou moinsprécieux.
Il est enfin despopulations
nombreuses disséminées sur un territoire absolumentimproductif,
etalors ,
ou bien elles serépandent
sur les autresterritoires pour y
échanger
leur travail contre les choses nécessai-res à leur
subsistance ,
oubien
ellesleur industrie ,
sans se
déplacer ,
auxproduits
bruts des contrées voisinesqu’elles
(*)
Je neparle
ici qued’échange d’objets
matériels, afin de ne pas coin-pliquer
la question ; mais on sent assezqn on
peut aussiéchanger
des ser-vices contre des denrées , ou même des services contre d’autres services d’une
nature differente.
I94
DESMETAUX
rendent propres à une multitude
d usages divers ;
de sorte que la condition de 1 homme sur la terre serait desplus déplorable
sansle commerce
qui ,
établissant entre les diverses nations des rela- tionségalement avantageuses à
toutes , devient à la fois la causeet la condition de la
perpétuité
de leurséjour
dans les lieux oùelles se trouvent établies
(xy.
Dans les
premiers àges
de lacivilisation ,
où le manque de gran- des routes , de moyens commodes et prompts decorrespondance-
et de
transport ,
depolice
et de forcepublique ,
rendaient les relations depeuple
àpeuple également
rares etpérilleuses,
il de-vait être d’ordinaire assez difficile à ceux
qui possédaient
du su-perflu ,
dans certain genre , de découvrir enquelles
contrées ilspourraient
en faire unéchange avantageux
contre lesobjets
dontils se trouvaient
dépourvus ;
ilpouvait
se faire d’aillearsqu’ils
ne rencontrassent que dans des localités assez distantes entre elles
et à se defaire de tout ce
qu’ils
avaient detrop ,
et à sepourvoir
de tout ce
qui
leurmanquait ;
cequi
aurait nécessité desdépla-
cemens
continuels,
extrêmementpénibles ,
surtoutlorsqu’il
auraitfallu traverser des contrées tout à fait
désertes ,
n’offrant aucuneressource pour la subsistance des voyageurs ni aucune
garantie
pour leur sûreté. Ce
qu’on
trouva de mieux pour atténuer ces divers inconvéniens fut de convenir de certains lieuxoù ,
àdes
époques déterminées ,
on se rendrait de toutesparts
pour y con-sommer toutes sortes
d’échanges.
Telle estl’origine ,
très-natu-relle,
de cesgrandes foires,
de toustemps
si célèbres dans l’O-rient,
et dont1 Institution ,
entre autresavantages, procurait
à ceuxqui
lesfréquentaient,
la faculté de voyager entroupe ,
et censé-(*)
C’est donc , engénéral,
entendre mal ses intérêts que de vouloir for-cer le sol pour en tirer des
produits
qui ne lui sont pas propres, etqu’on
obtiendrait avec avantage en
échange
des chosesqu’il
est naturellement dis-posé à produire en abondance.
COMME
MONNAIES. I95
qnemment
avecplus
de sécurité. Ces institutions ont été très-uti- les àl’époque qui
les a vunaître ; peut-être
même leur existence est-elle ’encore nécessaire dans certainescontrées ;
mais elles n’ensont pas moins l’indice d’une civilisation
très-imparfaite.
En An-gleterre
et en Hollande iln’y
apoint
defoires ,
parce que le com-merce y est
toujours
etpartout également florissant ;
et , si l’onen rencontre encore dans
quelques
contrées de1 Europe ,
elles nes’y
maintiennentpius
que par l’effct d’unelongue habitude ;
leurimportance
y va sans cesse endéclinant ,
et ,plutôt
ouplus tard
elles doivent infaillement
disparaître.
Dans
1 origine
clesfoires ,
il estprobable
que chacun y trans-portait
lui-même lesobjets qu’il
avait desseind’y échanger; mais ,
comme de
fréquens déplacemens
devenaienttrop
onéreux et in-commodes ,
onpeut conjecturer
que , peu à peu , les hommes lesplus actifs,
lesplus intclligens
et lesplus intrépides
se seront of-ferts, moyennant
la cession d’une certaineportion
desobjets
échan-geables , d’y
consommer deséchanges
pour leursvoisins ,
commepour eux-mêmes. Ce
service, également profitable
à ceuxqui
lerecevaient et à ceux
qui
lerendaient ,
sera devenu peu à peu uneprofession
distincte de celles dechasseur ,
depêcheur ,
de pas- teur,d agriculteur
et defabricant ;
il se sera formé une classed’hommes
qui , n ayant
eux-mêmes ricn àéchanger,
se serontchargés
de consommer leséchanges
de toutes les autresclasses
et telle peut êire
l’origine
de la classe descourtiers,
intermédiai-res utiles entre les
producteurs
de toutes les contrées. On auraremarqué plus
tard que , dans l’intervalle d’une foire à la sui-vante , on
pouvait
désirer desatisfaire ,
par deséchanges,
à desbesoins divers
qu’on
n’avait pas su ouqu’on
n avait pas pupré-
voir à
l’avance ;
ceuxqui ,
lespremiers ,
auront f:ut cette remar-que auront
imaginé
derapporter
des foires desobjets
propres à satisfaire ces besoins, de lesemmagasiner
pour les livrerensuite ,
avec
bénéfice ,
à mesure des demandes. Ainsi se sera formée la classe desmarchands ,
dont l’existence aura rendu laprévoyance
I96
DES METAUXet les
déplacemens
des autrescitoyens
de moins en moins né-cessaires.
Il est essentiel de remarquer , avant d aller
plus
avant , que , dans les diverses transactions entre lesproducteurs
de toutes sor-tes , les
échanges
entre lesobjets
de même dénomination ne pou- vaient ni ne devalent constamment se faire dans les mêmes pro-portions ,
mais tantôt à1 avantage
d’une denrée et tantôt à l’avan-tage
d’une autre ; car ,indépendamment
de laplus
ou moins bonnequalité , qui peut
faireplus
ou moins rechercher une même den-rée,
onconçoit
facilement quesi ,
sur un mêmemarché ,
le bléest tellement abondant
qu’il
ne soit pas certain que la totalitépuisse
en êtreéchangée,
et le vin tellement rarequ’il
nepuisse
satisfaire à toutes les
demandes ,
les possesseurs deblé ,
dans lacrainte de ne pas se défaire de leur
denrée , feront,
àl’envie
des offres séduisantes aux possesseurs de vin
qui,
de leur côté 9se trouvant assaillis par la multitude
toujours
croissante des de-mandeurs, profiteront
de la concurrence pour élever deplus
enplus
leursprétentions
dans les conditionsd’échange.
Il faudradonc se
résigner
à donnerbeaucoup
de blé pour avoir un peu de vin : ce sera le contrairesi ,
àl’inverse ,
le blé est rare etle vin abondant
(*).
Le
rapport
de valeur des choseséchangeables
est donc de na-ture à varier sans cesse , suivant leur
plus
ou moinsgrande
abon-dance ou rareté
relative ;
il varieaussi ,
à abondance relativeégale ,
suivant que les demandes sontplus
ou moinsnombreuses;
et l’on
conçoit
que , pour desobjets qui
ne sont pas d’une né-(*)
Ilne faut pas perdre
de vuequ’il
doit en être exactement de même dans les conditionsd’échange
des denrées contre des services ou des ser-vices contre d’autres services ; et voilà
pourquoi,
parexemple ,
les méde-cins ne s’établissent pas très-volontiers en
grand
nombre dans un climat très- sain.COMME
MONNAIES.
I97cessité
indispensable ,
et , àplus
forteraison ,
pour desobjets
aux-quels l’opinion
et la mode donnent seuls de la vogue, le nom- bre des demandespeut , d’époque
à autre ,éprouver
d’excessives variations. Parexemple,
à une certaineépoque ,
bienqu’il
yeût,
dans les
magasins
de nosmarchands ,
un assez bon nombre dekaléïdoscopes ,
la multitude des demandes leur avait faitacqué-
rir une assez
grande
valeur.Aujourd’hui ,
aucontraire ,
que per-sonne ne les
recherche ,
n’en restât-ilqu’un
seul dans le com-merce, il y serait d’une valeur à peu
près
nulle.La multitude non moins que les oscillations continuelles des rap-
ports
de valeur des choseséchangeables
a dù bientôt devenir une source d’embarras dans lestransactions ,
car , en faisant même abstraction de cesoscillations,
il y a , parexemple, près
decinq
mille manières de comparer cent
objets
deux àdeux,
et le nom-bre des
espèces
de choseséchangeables
s’élève bien au-delà decent.
Mais ils’offrait ,
pour amoindrir cettedifficulté ,
un moyentout à fait
analogue
à celui dont nous faisonsjournellement
usage dans lacomparaison
deslongueurs ,
destemps ,
despoids ,
etc,Il consistait à comparer seulement tous les
objets échangeables
àun seul d’entre eux , choisi arbitrairement pour cette destination.
Supposons,
parexemple,
que cetobjet
soit le sel. Du momentqu on
saura que , dans leséchanges ,
cent mesures de selrepré-
sentent
également vingt-cinq
mesures de blé et douze mesures devin,
on saura , par làmême ,
que ces deuxquantités
de blé etde vin sont
équivalentes ,
et peuvent devenir ainsi lesujet
d’uneéchange
immédiat. De cette sorte , iln’y
aura pasplus
de rap-ports
à étudier et à retenir dans sa mémoire que de choses échan-geables,
cequi
estincomparablement plus simple.
Voilà donc encore un pas de
plus
dans la voie des transactionsfaciles ;
et ce pas n’a pas tardébeaucoup
à être suivi d’un aufrebien
plus digne
de remarque. Dèsqu’en
effet l’on aurapris
leparti
d’évaluer toutes les denrées en mesures de 1 uned’elles ,
l’i-dée de recevoir celle-ci comme
objet d’échange
contre les autres ,Tom. XXI 26
I98
DES METAUXdans le cas même où celui
qui l’accepterait
n en aurait aucun be- soin pour son usage , et ne consentirait à la recevoir que dansl’espoir
deéchanger
ensuite contre d’autresobjets plus
à sa con-venance ; cette
idée , dis-je ,
n’a pas dù tarder à éclore. Cette nouvelle manière deprocéder
dans leséchanges , offre ,
eneffet
des
avantages
faciles à saisir. J’aiaujourd’hui
une surabondance deblé ,
queje
désireéchanger
contre diverses autresdenrées ,
maison ne m’offre
présentement
que du sel dontje
n’ai nulbesoin ;
je l’accepte néanmoins ,
et mes voisinsqui
en sontdépourvus ,
etqui
apprennent quej’en possède
bien au-delà de ce queje puis
enconsommer, viennent d’eux-mêmes m’offrir d’en
échanger
des por-tions
plus
ou moins notables contre ces mêmesobjets
quej’avais
le dessein
d’acquérir ,
et quepeut-être je
n’aurais puéchanger
directement contre mon blé que par
beaucoup
de soins et de dé-placemens.
Tant
qu’on
n’avaitcomparé
tous lesobjets échangeables
à unseul d entre eux que d une manière
purement fictive,
et seulementdans la vue de rendre moins nombreux les rapports à étudier pour
se mettre en état de consommer facilement toutes sortes d’échan- ges, ce terme de
comparaison pouvait-,
sansinconvénient ,
êtrequelconque ,
et l’onpourrait
indifféremment toutexprimer
en me-sures de terre , de
vin ,
d huile ou deblé ,
enbijoux
enfruits,
en têtes de
bétails,
tout aussi bienqu’en
mesures de sel. Mais ilne
pouvait plus
en être de même du moment que l’on consen- tait àaccepter ,
enéchange
de toutes les autres , la chose à la-quelle
on lescomparait
toutes ; le choix de cet intermédiaire ces-sait dès lors d’être
indifférent.
On sent
d’abord ,
eneffet ,
que l’exclusion devait être donnée à toutes les choses nontransportables
et nonemmagasinables ,
c’est-à-dire ,
aux;
elle devait l’êtreégalement
à tou-tes les choses
qui ,
comme leskaléïdoscopes,
dont nousparlions
tout à
l’heure ,
n’ontqu une
valeurd opinion
et de modequi
peut,
duiour
aulendemain ,
se trouver presque totalement anéan-COMME MONNAIES. I99
tie. Le
sel ,
que nous avons d abordpris
pourexemple,
auraitbien été
exempt
de cesinconvéniens , mais, comparé
à ungrand
nombre
d’objets d’échange ,
il ne peut leséquivaloir qu’en
très-grande
masse ; et voilà dès lors des frais detransport ,
d’emma-gasinement
et de surveillance très-onéreux pour les contractans.Il est en
Europe
telsparticuliers
àqui
une de nos vastescapi-
tales suffirait à
peine
pour réceler safortune ,
s’il luiprenait
lafantaisie de la convertir toute en sel.
Le
vin ,
bien quegénéralement
d’une valeurbeaucoup plus grande,
à volumeégal,
conviendraitpeut-être
moins encore. Saqualité peut varier ,
eneffet,
suivant le territoire et l’année où il estrecueilli,
et suivant lesprocédés
de fabrication. Sa conser-vation
exige
d’ailleursquelques soins ;
et , s’il gagne d’ordinaireen
qualité
avec letemps ,
il arrive aussiparfois
que le temps ledétériore. Les mêmes considérations sont
plus
ou moinsapplica-
bles
àl’huile ,
au blé et à laplupart
des fruits de la terrequi ,
dans diverses
contrées ,
ont été ou ont pu être four à tour em-ployés
comme mesure commune dans leséchanges.
Quant
auxpièces
debétail ,
outrequ’elles peuvent
varier devaleur d’une manière assez
notable ,
dans la mêmeespèce,
d’in-dividu à
individu ;
outre que , pour les conserver, il faut lesnourrir ,
etqu’elles
sontsujettes
aux maladies et à la mort ; quevoudrait-on que fit le
propriétaire
d’un b0153ufqui
voudrait se pro-curer du blé ou du
vin ,
pour la moitié seulement de sa valeur?Les mêmes motifs d’exclusion existent à
l’égard
des meubles , desvêtemens ,
despierres précieuses
etgénéralement
de tous les ob-jets qui
ne sauraient être fractionnés sansperte.
Sous cerapport,
le vin et le sel seraient debeaucoup préférables.
Nous voilà
donc ,
par cesconsidérations,
amenés à reconnaitre que le meilleur intermédiaire dans lestransactions ,
que la chose que l’on peut leplus
volontiers se déterminer à accepter enéchange
de toutes les autres, doit être un
objet
d’un facile transport , que le temps nepuisse altérer,
et dont la conservationn’exige
aucun200 DES METAUX
soin ;
unobjet qui
soittoujours identique
aveclui-même ,
enquel-
que lieu et à
quelque époque qu’il
ait étérecueilli ;
etqui
sousun volume
médiocre, présente , indépendamment
descaprices
deta
mode ,
une valeur assezconsidérable ,
dérivantuniquemmcnt
de sa nature et des services
qu’on
enpeut tirer ;
uuobjet
enfinqui ,
neperdant
rien de sa valeur par un fractionnement illi-mité, puisse
seprêter
auxéchanges
même lesplus
minimes. Atous ces divers
caractères ,
le lecteur adéjà
dû reconnaître lesmétaux ,
et surtout les métauxprécieux ;
aussi sont-ce eux en ef-fet que , sans aucun concert, les nations ont fini par destiner unanimement à cet usage , parce
qu’ils
réunissent à undegré
éminent et réunissent seuls toutes les conditions nécessaires pour le bien
remplir.
Si les gouvernemens sont ensuite intervenus danscette sorte de convention
tacite ça
été seulement pour enrégler
l’exécution et
empêcher
lesabus ;
et nous allons voir bientôt que, si leurintervention
a pu êtrequelquefois désastreuse,
elle n apas été non
plus
sansquelque
utilité.Les métaux ont d’abord été
simplement
donnés et reçus en lin-gots Informes ;
et c’estainsi ,
enparticulier , qu’ils
circulaient àRome ,
sous lespremiers
rois. Maisalors ,
àchaque échange ,
il devenait nécessaire d’èlre pourvu d’instrumens
divers ,
propres à constater lapureté
dulingot,
à le fractionner enproportion
dela valeur de
1 objet qu’on
voulaitacquérir
et à s’assurer dupoids
de ses
fragmens ;
toutesopérations qui exigent
une habitude etdes connaissances que tout le monde ne saurait
également possé- der,
et dont l’exécutionpouvait
d’ailleurs entrainer uneperte
detemps
et même un déchetplus
ou moinspréjudiciables
aux con-tractans,
Un moyen de parer à tous ces embarras
s’offrait,
pour ainsi dire delui-même,
et on ne dut pas tarderd’y
recourir. Il suf-fisait,
eneffet, qu’il
s’élevàt une classeparticulière
d artistesqui,
dans la vue d un bénéfice
convenable, se chargeassent
à la foisdu soin de
vérifier
ledegré
depureté
deslingots,
de les divi"COMME
MONNAIES.
20Iser en
fragmens
de dimensionsdiverses ,
mais tellement invaria- bles dans leur forme et dans leurpoids
que laplus légère
sous-traction de matière
pût
facilement être reconnue àl’0153il,
etqui appliquassent
ensuite surchaque fragment
uneempreinte qui
engarantît
le titre et lepoids.
C’est sous cette forme commode que les métaux ont reçu le nom demonnaies, d’espèces
ou de numé-raire
métallique ,
etqu’ils
circulentaujourd’hui
par toute la terre pour servir d’intermédiaire dans tous les contrats.La conversion des
métaux
en monnaies est une industriequ’on
aurait
fort
bien puabandonner ,
comme tantd’autres ,
aux combi-naisons de l’intérêt
particuiier.
Il est seulementprésumable qu’alors
on aurait vu , dans nos
marchés ,
despièces
de monnaiequi ,
sous la même
dénomination ,
auraient étéplus
ou moins estiméeset
recherchées,
suivant la marque dufabricant ,
comme il ar- rivejournellement
pour tant d’autresproductions
de l’industrie. Il aurait pu se faire aussi que certainsfabricans,
malfêmés,
eus-sent frauduleusement couvert leur mauvaise monnaie de la mar-
que de
quelqu’un
de leursconfrères ,
mieuxqu’eux
enpossession
de la confiance du
public ;
c’est encore là ce que nous voyons arriver dans d’autres genres defabrication ;
et les tribunaux au-raient eu à faire
justice
des uns comme des autres. Afin doncd’empêcher
la confusion et lesmécomptes journaliers qu’aurait
en-traîné un tel état de
choses ,
les gouvcrncmens ont cru devoirse réserver le
monopole
de cette branched’orfèvrerie,
et en celails ont
fait ,
sansdoute ,
une chose utile. A lavérité ,
ils ontautrefois bien honteusement abusé de ce
monopole ;
mais l’étatprésent
des lumières et de la moralepuhlique
nousgarantit
suf-fisamment pour l’avenir contre le retour de ces
fraudes,
non moinspréjudiciables ,
ausurplus ,
à l’autoritéqui
nerougirait
pas des’en souiller, quelles pourraient
l’être à ses victimes. Outre la sé- curitéplus grande
que peutinspirer
la fabrication des monnaies inise entre les mains des gouvernemens , lepublic
y trouve en-core un autre
avantage.
Cettefabrication ,
eneffet
est un tra-202 DES METAUX
vail
qui
entraîne des frais et vautconséquemment
unsalaire ;
or . les gouvernemens,
qui
fontbeaucoup plus
engrand
que nepourraient
lè faire desparticuliers ,
font par là mêmeplus
éco-nomiquement,
et peuvent ainsi livrer cettefaçon
à meilleurcompte.
Il faut bien remarquer , en
effet,
que,de
mêmequ’une
massed’argent façonnée
en vaisselle vautplus
que la même masseen lingot,
à raison du service
qu’on
retire de lavaisselle ,
et que lelingot
ne saurait
rendre ; pareillement
une massed’argent façonnée
enécus doit valoir
plus
que la même massebrute ,
et cela à rai-son de
l’usage
dont cettefaçon
le rendsusceptible.
Le métal ainsi modifié a , dans lestransactions ,
une valeurqu’il n’est
pasplus
au
pouvoir
des gouvernemens d’accroitre que de diminuer.Qu’ils fassent
leur monnaieplus
forte ouplus faible , qu’ils
y introdui-sent de
l’alliage ,
dans uneproportion plus
ou moinsconsidérable , qu’ils
lui donnnent enfinquelle
dénomination il leurplaira ,
peuimporte,
lesparticuliers
sauronttoujours
biens’arranger
en con-séquence
dans leurs transactions. A lavérité,
les gouvernemenspourraient
bien statuer que , dans lesmarchés ,
on donnera tellequantité
dechaque
denrée enéchange
de tel ou tel nombred’écus ;
et de telles folies ne sont même pas sans
exemples.
Mais si unefois on
s’engage
dans cette voiepérilleuse ,
il faudraaussi ,
pour êtreconséquent,
rendre leséchanges obligatoires,
car autrement ilsn’auraient pas
lieu ;
et , pour maintenir une tellelégislation,
ilfaudra
régner
par lesabre ,
comme àConstantinople,
ou bienpar les
échafauds,
comme nous l’avons vu à uneépoque
detrop
douloureuse mémoire.
Comme une
purification complète
desmétaux,
en mêmetemps qu’elle
seraitlongue
etcoûteuse ,
les rendrait trop mous , et par suitetrop
faciles à entamer par le choc ou lefrottement,
onest
généralement
contenu detolérer,
dans ceuxqui
doivent êtreconvertis en
monnaie , J’alliage,
enquanrité déterminée,
de mé-taux d‘une
qualité
inférieure. EnFrance ,
parexemple ,
la mon-naie