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N° 13

Réflexions sur la culture

et les politiques culturelles au Maroc

Sanae Ghouati Université Ibn Tofail- Maroc

Préliminaires

Quand on s’intéresse à la culture, l’une des premières préoccupations, à mon sens, est de chercher à se positionner soi-même par rapport à ce terme. Il est primordial de prendre conscience de son identité culturelle.

Que faire alors pour déterminer sa propre culture et prendre conscience de ce qui nous détermine culturellement, par rapport aux autres? Comment mesurer la dynamique de sa culture? Car une culture est en interaction permanente ; elle connaitra un double mouvement si elle est saine ; une dynamique interne due à l’évolution naturelle de la vie au sein même de la communauté; et une dynamique externe par les rapports qu’elle tisse avec les autres cultures. Elle bouge aussi dans un sens vertical : vers le haut si elle est bien gérée ou vers le bas si elle connaît des déficiences au niveau de sa gestion ou cesse de s’alimenter de ce qui la régénère. Une culture n’est jamais fixe et toute tentative de la figer peut causer sa ruine. Quelle sont donc les manifestations d’une culture saine et quels sont les signes d’une culture décadente

? Comment faire fructifier l’interaction d’une culture avec d’autres cultures qui cohabitent (au sein de la même communauté) ou des cultures voisines qui peuvent changer le visage d’une culture donnée ? Ce sont là autant de questions qui méritent, chacune d’elles, d’être l’objet de débats intellectuels ou sociaux, d’analyses de professionnels, d’en faire un véritable chantier de recherche vu son importance pour la croissance car elles permettent de pointer les disfonctionnements d’une culture donnée. Ces questions

méritent tout l’intérêt des responsables de ce secteur et doivent figurer dans n’importe quel programme politique puisque ce sont ces derniers qui s’occupent de la gestion culturelle.

Ces questions ont préoccupé les intellectuels marocains depuis l’indépendance, mais comme le pays était encore un grand chantier fraîchement décolonisé et fragile, il fallait d’abord sortir de plusieurs décennies d’aliénation culturelle, poser ses marques, les déterminer puis gérer la culture et le patrimoine matériel et immatériel(1). Les politiques culturelles de cette période, n’avaient d’autre choix que de suivre la politique générale qui était de rassembler cette société composite (arabes, amazighs, juifs), unifier le pays et constituer un Etat. Et dans la même lignée, il fallait s’occuper d’abord de rassembler les acquis culturels de ce peuple, les répertorier pour pouvoir les valoriser et les rendre plus visibles. Cette opération a pris le temps qu’elle a pris avec tous les aléas relatifs à la gestion de la culture qui ont parfois rendu les choses plus difficiles. Puis, avec la mondialisation et l’anéantissement des frontières, que permettent les nouvelles technologies, le flot migratoire vers le nord et aussi, un phénomène assez surprenant, le flot des nordistes et des sub-sahariens vers le Maroc, une situation interculturelle inédite nécessitait qu’on fasse le point sur ce qu’est la culture marocaine, ce qu’on entend par

«marocain». C’est la raison pour laquelle des réflexions autour de l’identité culturelle du marocain commencent à préoccuper les intellectuels. En quoi le marocain se distingue-

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t-il des autres ? As-t-ils des traits culturels spécifiques ? Beaucoup de livres sont sortis récemment comme The Moroccan Character ةيبرغملا ةيصخشلا,(2) Comment peut-on être marocain ?(3) qui apportent un éclairage sur ce qui définit l’être marocain dans le monde aujourd’hui. C’est surtout une manière de se définir et de se positionner par rapport à l’autre sans rompre les liens d’ouverture sur l’autre.

Ces questionnements autour de l’identité culturelle doivent, pour leurs auteurs, être entendues à la fois comme une contribution à une prise de conscience commune de notre

«marocanité» sans tomber dans le piège de l’identité au sens étroit du terme. C’est surtout un appel à ne pas se contenter de subir sa marocanité, mais de la construire ensemble de façon à responsabiliser l’individu et le mettre au service de la collectivité pour mieux réussir le vivre ensemble. C’est une manifestation d’une appartenance à un pays ayant une histoire et une culture qui le distinguent des autres.(4)

Quelques définitions de la « culture » Avant d’esquisser la réflexion sur la culture au Maroc, il me semble judicieux de me situer d’abord théoriquement par rapport aux nombreuses définitions du terme « culture ».

Je prendrai comme point de départ cette définition générale et officielle qui prend en compte tous les aspects constitutifs d’une culture ; il s’agit de celle de L’UNESCO :

«L’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances.»(5)

Cette définition englobe l’essentiel, elle introduit même une dimension importante, qu’on ne trouve pas dans les autres définitions, celles des droits fondamentaux de l’être humain, citoyen. En plus de cette définition dont les termes nous rapprochent de la réalité culturelle, l’approche anthropologique est également très intéressante car elle réfléchit sur le fonctionnement de la culture en général, indépendamment des peuples. Nous

pensons de manière précise à celui qui a fait de ce champ un objet de recherche profond et passionnant. Il s’agit d’Edward Hall qui a consacré plusieurs livres à différentes aspects de la culture, en appuyant ses réflexions anthropologiques par l’étude de cas particuliers de différentes cultures du monde.

Il a abordé plusieurs aspects de la culture dans ses différents travaux.

Dans Au-delà de la culture(6), par exemple, Hall critique les modèles culturels qui façonnent les comportements. Il pense en particulier à la culture au sens de l’Europe occidentale qui classent les cultures, en en discréditant celles qui ne répondent pas aux mêmes critères et qui seront taxées de primitives ou de sauvages. A quelques exceptions près, toute la littérature des voyageurs européens du XVIIème au XXème siècles illustrent cette approche.. Pour Hall, tous les modèles culturels sont incomplets;les éléments censurés dans une culture sont aussi importants, si ce n’est plus que les éléments non censurés. Il critique plusieurs de ces modèles culturels et pense qu’en occident, par exemple, on se préoccupe davantage du contenu et de la signification du modèle que de sa construction, de sa structure, de son fonctionnement et des objectifs qu’il est supposé atteindre. Chaque culture n’est pas seulement un ensemble intégré, mais possède ses propres règles d’apprentissage. Celles-ci sont renforcées par des modèles différents d’organisation globale. Comprendre une culture différente consiste en grande partie à connaître son mode d’organisation, et à savoir comment s’y prendre pour en acquérir la connaissance dans cette culture-là. On n’y parvient pas si l’on s’obstine à se servir de modèles d’enseignement ou de modèles économiques ou autre hérités de sa propre culture. Dans ce livre, Hall a mis le doigt sur les disfonctionnements culturels et de l’importance de la prise de conscience de «la culture cachée» ou inconsciente nécessaire à l’amélioration des relations interculturelles.

La question la plus importante pour n’importe quelle communauté culturelle est : comment s’effectue le voyage au-delà de la culture ? Il a aussi réfléchi sur des aspects pratiques de la culture qui peuvent engendrer des problèmes.

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C’est le cas de la catégorie de la proxémie ou de l’espace dans la Dimension cachée(7), où il démontre que l’une des grandes sources de malentendus entre les peuples vient de notre rapport à l’espace ; les exemples qu’il donne des arabes, des américains, des scandinaves, des japonais, prouvent que nous n’avons pas le même comportement vis-à-vis de cette catégorie qui participe à la définition culturelle d’un peuple. Les arabes, par exemple, aiment être ensemble, il n y a pas de règles pour la distance, ils aiment s’entasser dans des endroits publics ou même privés. Les scandinaves ou les japonais ont un autre rapport à l’espace ; ils respectent certaine distance et ne peuvent envahir la sphère de l’autre. Dans Le Langage silencieux(8) c’est plutôt la conception du temps qui peut être source de malentendus et de ruptures communicationnels. Il donne un exemple intéressant de la gestion du temps chez les méditerranéens, caractérisés par la lenteur dans le traitement des dossiers et dans les négociations diplomatiques, chose qui est inacceptable chez les américains ou les japonais qui ont une autre conception du temps. Cette gestion du temps a été source de malentendus diplomatiques entre plusieurs pays par méconnaissance réciproque de la culture de l’autre.

Les cultures sont pour E. Hall des entités systématiques (composées de systèmes associés, dans lesquels chaque élément est en relation fonctionnelle et réciproque avec les autres éléments) qui sont fortement reliées au contexte qui rend leur description difficile de l’extérieur. Une culture donnée ne peut être comprise simplement en termes de contenu et de parties. Il faut connaître l’agencement des parties en un tout, le fonctionnement des systèmes et des dynamismes principaux et la nature de leurs relations. Et ceci nous mène à un point capital, celui de l’impossible de parler convenablement d’une culture uniquement de l’intérieur ou uniquement de l’extérieur sans se référer à une autre culture.

Pour Taylor(9), le fondateur des études générales de la culture, celle-ci serait un ensemble complexe qui englobe les connaissances, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et toute autre

capacité et habitude acquise par l’homme, en tant que membre d’une société. La sociologie de la culture, inspirée également de travaux de Tylor puis de Durkheim, a longuement réfléchi à ces questions. Même si les œuvres ne renvoient que par allusion à ce secteur (Chez Emile Durkheim), de manière ponctuelle comme chez Max Weber et son approche de la sociologie de la musique, leur apport est décisif pour la création de ce domaine de recherche. Elle définit la culture comme un ensemble de manières de penser, sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent d’une manière à la fois objectives et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité distincte.

Cette conception de la culture du point de vue sociologique signifie que le système culturel peut avoir un impact positif ou négatif sur la conduite de l’individu, sur sa capacité d’agir, de réfléchir, de raisonner, de créer et de produire. Cela signifie que lorsque la culture d’une nation ne prend pas en considération certaines valeurs, toute la société s’imprègne du même esprit, celui de la non-considération des valeurs les plus importantes. (Exemple, les discussions autour de la musique dans les pays musulmans, de la sculpture de la danse, du cinéma (les débats sociaux autours des scènes du nu dans certains films), et de certaines formes de peinture (le tableau couvert par le gardien du musée) par certains courants religieux, la destruction des Bouddha géants de Bâmiyân en Afganistan par les Talibans, etc.)

Les réflexions de Pierre Bourdieu sur les différentes manifestations de la culture, art et littérature, éducation, goût et pratiques culturelles, sociologie des médias, etc.

ont donné naissance à des recherches très intéressantes sur les pratiques culturelles en général.

Ces deux conceptions de la culture peuvent nous expliquer la situation complexe de celle-ci dans certains pays comme le Maroc, au passé colonial, où des systèmes culturels se sont affrontés, de manière violente, et où une culture a souvent tenté d’annexer l’autre à défaut de son anéantissement. Ce mariage forcé a généralement engendré une

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situation culturelle complexe et difficilement identifiable avec un débat interminable sur l’authenticité culturelle ou l’alignement sur la modernité mondiale.

La conception de la culture comme système global, pourrait nous aider à comprendre les retards et des dysfonctionnements inhérents à certains systèmes politico-administratifs, à évaluer les différentes attitudes culturelles, chez différentes nations, vis-à-vis de la gestion du temps, du travail, du pouvoir, de l’Etat, de la religion, de la démocratie, de la femme, de l’art et de la vie en général.

Qu’est-ce qu’un modèle culturel réussi?

Le niveau culturel ne se mesure ni par le développement industriel ou le niveau technologique atteints, ni par la richesse (pétrole, or ou autre) et la modernisation de l’infra-structure. On peut même pousser les choses encore plus loin et dire que dans le passé lointain et proche, le rayonnement culturel dont jouissait certains pays n’a pas été le le fruit de la seule démocratie. Il n y a qu’à se rappeler la Renaissance ou le siècle des Lumières, ou l’ex-URSS, la Chine, l’Irak… où le rayonnement culturel s’est fait dans des contextes socio-historiques particuliers en l’absence de toute démocratie et même sous certaines dictatures. Les intellectuels de ces époques ou de ces pays ont vite compris que les arts et la dimension culturelle, ont été un maillon indissociable de leur évolution et ont marqué de leur empreinte toutes les générations qui ont participé à cette Renaissance. Autrement dit, et pour le cas de l’Europe en particulier, ils ont fait des choix culturels clairs, selon les besoins de leurs cultures et de leur peuples, comme le retour aux idées et à l’art antiques, la re- considération de l’être humain, la réforme religieuse, l’encouragement de la recherche scientifique, le choix de la laïcité un peu plus tard pour certains pays, la rupture avec le passé capitaliste, avec un alphabet, avec la religion, avec un système politique… ces résolutions ont permis à beaucoup de nations de faire un grand pas vers l’avant.

Mais aujourd’hui, un peuple doit évoluer dans un milieu culturel équilibré car son épanouissement est la raison principale de

sa créativité. Il faut donc que l’éducation culturelle lui permette d’améliorer ses capacités d’appréciation et de création. Sa verve créatrice ne peut se développer que dans un environnement culturel propice.

Quand un peuple souffre d’un déficient flagrant en activités culturelles, la croissance est fatalement caduque. Le vide permet aux extrémismes de se mettre en place et d’agir.

Tahar Benjelloun(10), pour le Maroc, a longuement analysé l’absence des structures culturelles et de son impact sur le façonnage des jeunes car, selon lui :

« Ils sont disponibles, prêts pour n’importe quelle aventure qu’elle soit celle de l’intelligence et de la découverte ou celle de l’obscurantisme qui remue des instincts primitifs et meurtriers ».

Pour ne pas laisser cette jeunesse livrée à elle- même dans un contexte mondial marqué par la violence et les extrémismes meurtriers, il est temps de penser à des stratégies solides et conséquentes dans le domaine de la culture.

Elaborer des chantiers dans le cadre d’une politique culturelle claire qui constituera, avec l’éducation, la santé, la justice, l’économie…

un système cohérent.

De la nécessité de la politique culturelle On entend par « politique culturelle » un ensemble d’actions réfléchies émanant d’un besoin à la fois intra-culturel et interculturel, qui vise à promouvoir la culture directement ou indirectement. Ces actions peuvent porter aussi bien sur la préservation du patrimoine matériel ou immatériel, que la promotion de la création en soutenant les structures de diffusion de la culture. Cette politique culturelle se doit de prendre en considération dans ses projets toutes les tendances culturelles qu’elles soient classiques ou modernes, majoritaires ou minoritaires, de consommation de masse ou élitistes, c’est- à-dire que chaque citoyen doit trouver son bonheur dans cette politique culturelle. Elle doit partir d’un principe démocratique et non idéologique en se fixant un objectif ultime qui est de faire en sorte que tous les citoyens soient égaux face à la culture par le développement et la multiplication des formes et des espaces

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où il peuvent s’exprimer ou s’épanouir en vue de réduire les inégalités face à la culture . Il appartient à chaque Etat de déterminer sa politique culturelle compte tenu de sa conception de la culture, de la spécificité culturelle par rapport aux cultures avoisinantes, par rapport aux attentes des citoyens et en fonction du système socio- économique.

Suite à cette définition nous pouvons dire que les politiques culturelles sont aussi diverses que les cultures elles-mêmes. Pour comprendre l’importance d’une stratégie politique dans le contexte actuel, nous nous référons, à titre illustratif seulement, à l’exemple d’un pays très proche géographiquement et historiquement car c’est le modèle qu’on connait le mieux et qui a inventé « la politique culturelle ». Il s’agit de la France dont la politique culturelle remonte à très loin. L’Etat, qu’il soit monarchique, impérial ou républicain, s’est toujours soucié d’assurer la continuité des institutions au fil des siècles. On se souvient des interventions de l’Etat au XVIème et XVIIème siècle face au pouvoir religieux (Le mécénat sous Henri VI ou Louis XIV, l’intervention dans l’art et la création dans les domaines suivants : - Constitution d’une culture nationale (langue, système politique…)

- Défense de la diversité culturelle (sur ce point, les avis sont partagés)

- Sauvegarde du patrimoine culturel (La France excelle dans ce domaine).

- Soutien aux créateurs

- Industrialisation de l’art (et non marchandisation de l’art, comme c’est le cas au Maroc)

François premier met en place les fondements de la monarchie absolue et donne au Royaume sa langue officielle, introduit le mécénat et invite Léonard de Vinci en France pour faire profiter la France de son rayonnement. Louis XIV fait de la France une puissance culturelle, un pôle attractif pour les arts et un modèle pour les autres pays européens ou autres. Les républicains introduisent les premières lois visant la protection du patrimoine national, l’éducation du peuple, la diffusion de la

culture et l’organisation des arts. La politique culturelle française prend un réel sens avec la création du ministère de la culture en 1959 par André Malraux. Ce ministère va centraliser les différentes administrations créées depuis plus de cinq siècles. Le rôle attribué au Ministère chargé des Affaires Culturelles est le suivant :

«Il a pour mission de rendre accessible les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre de français; d’assurer la plus grande audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent». (Wallon, 2009).

La création du Ministère des Affaires Culturelles n’est pas la première tentative de l’État pour gérer l’Art et la Culture, mais c’est un tournant important dans l’histoire des politiques culturelles françaises. Depuis 1870, l’art et la culture ont souvent été intégrés aux compétences étatiques, dans le cadre d’une direction des Beaux-Arts ou d’un secrétariat d’État à l’expression nationale. La France a, par exemple connu un Ministère des Arts, Sciences et Lettres en 1870 sous le second Empire, puis un Ministère des Arts, en 1881-1882, confié au peintre Antonin Proust et qui a élargi ses fonctions à l’artisanat et aux industries d’Arts. Plus récemment un Ministère de la Jeunesse, des Arts et des Lettres en 1947. Actuellement, le souci majeur de la politique culturelle française c’est la notion de diversité des cultures, émanant des nombreuses vagues d’immigrés venant de différentes contrées, parallèlement à ce problème, la France cherche à se protéger de l’hégémonie de la culture américaine.

Elle connaît aussi des périodes de crises de gestion mais ses intellectuels n’hésitent pas à remettre en question la politique culturelle pour la faire avancer et la préserver d’un potentiel dépassement par les cultures avoisinantes.

Les pays qui connaissent aujourd’hui un épanouissement culturel, ont compris, il y a longtemps déjà, l’importance que joue l’influence de la culture dans le rehaussement et le raffinement du goût des masses populaires. Et même en période d’austérité économique ou de restriction budgétaire, le

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soutien alloué par l’Etat à la maintenance du niveau et du rythme des activités culturelles ne diminue jamais. Le changement de gouvernements et des tendances politiques n’affecte en rien les acquis fondamentaux dans le domaine culturel. Au contraire, on s’attend toujours à des idées originales qui apporteront un plus à la vie culturelle du pays sous tel ou tel gouvernement, ajouter à ceci tout le travail des municipalités qui s’occupe du rayonnement culturelle de chaque ville, dans le cadre d’une politique culturelle générale, qui ouvre la voix devant la compétition créative des citoyens dans n’importe quelle région du pays. La culture n’est pas centralisée, mais plutôt démocratisée au même titre que n’importe quel secteur..

Quelle place occupe La culture au Maroc ? Si l’histoire de la politique culturelle d’un modèle comme la France est longue, ce n’est pas le cas des pays qui ont subi la colonisation et qui ont du se battre pour sauvegarder une identité nationale et territoriale. C’est le cas du Maroc et de la majorité des pays du continent africain. Le Maroc a subi deux colonisations, celle de la France et celle de l’Espagne (au Nord du Maroc et au Sahara), Ce passé est donc intégré dans sa structure culturelle par la force de l’histoire même si certains nient cette composante. Il partage une histoire méditerranéenne où des civilisations ont défilé non sans laisser leur trace dans le patrimoine commun de ces peuples.

Après l’indépendance du Maroc, en 1956, Les nouveaux défis pour la reconstruction du pays, dans un environnement nouveau ouvert au monde, auquel le Maroc doit s’adapter, sont donc immenses. Mais la culture ne fait pas partie des priorités politiques étant donnée l’étendue des réformes à entreprendre, et pourtant, une politique culturelle se dessinait en filigrane et orientait le champ culturel.

L’avenir culturel du Maroc est déterminé par deux types de facteurs : des facteurs externes liés à la religion, à la langue ou à l’appartenance géographique, et des facteurs internes liés essentiellement à sa spécificité culturelle. Nous allons développer ces deux points pour montrer comment la question culturelle au Maroc est complexe et qu’il ne

suffit pas d’opter pour un modèle ou pour un autre pour avancer mais il qu’il faut penser à tout un système qui prendrait en compte ces différents constituants.

La complexité culturelle du Maroc ne vient pas seulement des problèmes budgétaires ou des politiques culturelles tronquées ou mal pensées mais elle est partiellement engendrée par son appartenance culturelle multiple. Le Maroc fait partie de plusieurs sphères géoculturelles, le monde islamique, le monde arabe, l’Afrique, la Méditerranée et le Maghreb. Le devenir culturel du Maroc se joue à l’intersection des ces ensembles.

Face à cette diversité culturelle le Maroc n’a pas toujours su gérer cette multiplicité, il a fallu essayer plusieurs politiques à commencer par une politique d’émancipation de la culture française et d’installation d’une culture nationale avec le choix de l’arabe comme langue officielle. A partir de ces décisions, d’autres problèmes culturels vont émerger et nécessiter de nouvelles politiques culturelles comme la reconnaissance de l’Amazigh comme langue nationale et de la judaïté comme une composante de la culture marocaine.

L’action culturelle du gouvernement, depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui, s’articule autour de quatre grands axes : - Le patrimoine et la sauvegarde des monuments avec la création des musées.

- La production artistique avec une clarification du statut des artistes et des subventions pour soutenir la production, en audio-visuel.

- Les infrastructures avec la construction, la réhabilitation des lieux pour la culture à travers le pays et la création de nombreux centres culturels

- L’animation avec la mise en place d’événements au rayonnement national, voire international. (la politique des festivals) Face à ces nombreuses préoccupations, le budget alloué au ministère de la culture est très faible en comparaison avec les autres secteurs. Ce qui pousse les ministres à faire appel à des fonds privés pour couvrir les grandes actions culturelles, sinon devant

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des actions de grande envergure comme le festival du cinéma de Marrakech, Mawazine, le Festival des musiques sacrées de Fès, les Andalouses d’Essaouira, Tanjaaz, le Salon du cheval à El Jadida ou le Salon du livre de Casablanca. Le financement est pris en charge partiellement par le secteur public, semi- public ou privé, sinon, le budget du Ministère est utilisé, en particulier, dans le domaine de l’animation et de la restauration du patrimoine matériel. Le secteur privé n’investit que dans certaines formes artistiques, comme les arts plastiques ou les festivals les plus prestigieux (les banques, Maroc Télécom, Méditel…).

Malgré toute la bonne volonté des différents ministres de la culture qui se sont succédé, de Mohamed El Fassi jusqu’à Amine Sbihi, la culture souffre malheureusement de ce tâtonnement entre les projets des ministres, la liste de leurs priorités et des programmes généralement irréalisables, face à un budget misérable qui ne dépasse jamais 1% du budget général de fonctionnement. Tous les grands projets culturels mettent plusieurs années à voir le jour si ce n’est souvent l’abandon des travaux qui l’emporte, comme c’est le cas de plusieurs centres culturels qui ont été abandonnés. Le musée des arts du Maroc, prévu pour 2005, vient juste de voir sa concrétisation, en 2015, et il a toujours du mal à intéresser la masse, vu que l’éducation artistique ne figure pas parmi les priorités des programmes de l’éducation nationale. Et devant cette insouciance de la nécessité d’une politique culturelle échafaudée sur des bases solides et visant des objectifs déterminés dans une période délimitée, la culture est devenue une affaire des bonnes volontés d’organismes, d’associations, de fondations et même de chercheurs et d’amateurs de la culture isolés…. Les intellectuels qui sont généralement eux-mêmes les observateurs de la culture marocaine, ont souvent, à des périodes différentes, de l’histoire du Maroc, exprimé leur profonde désillusion et leur grande amertume face au cumul des déceptions. En 2010 par exemple, Abdellatif Laabi, animé par un élan de citoyenneté, a fait circuler une pétition « Culture toute » ou « Pour un pacte national de la culture » signée par la majorité des citoyens soucieux de l’avenir culturel du Maroc et réunissant

beaucoup de grandes figures de la culture marocaine et arabe pour exprimer leur ras- le-bol devant ce manque d’intérêt que l’Etat manifeste vis-à-vis de la culture(11).

Le Maroc connait certes un progrès indiscutable sur les plans urbanistique, économique, agricole, technologique, où des politiques claires et réfléchies étaient engagées, mais ces progrès restent handicapés par une quasi-absence d’une politique culturelle explicite et ininterrompue. Surtout qu’il est admis aujourd’hui c’est dans la culture que l’on trouve les principaux ingrédients du développement. La réussite économique va de pair avec l’éclat culturel, Ces deux éléments sont appelés à évoluer en symbiose.

La culture est indissociable du développement général d’une société. Elle ne peut être réformée indépendamment des autres secteurs pour la seule raison qu’elle les traverse tous.

Elle est l’âme de tous les secteurs. Cela veut dire qu’elle ne peut être réformée que dans une approche globale, si elle connaît des défaillances ou une gestion estropiée, cela se reflète fatalement sur les comportements et les attitudes du citoyen vis-à-vis de toutes les manifestations de la culture de ce pays.

L’observation des comportements et des attitudes des marocains sont de nature à nous éclairer sur les rapports que les individus entretiennent avec des valeurs essentielles à l’évolution culturelle d’une société, comme le travail, le temps, l’espace, le progrès, l’innovation et la modernité, la femme, l’Etat, la religion, etc. La culture c’est tout cela, c’est un processus de développement et de transformation sociale et non seulement un ensemble d’acquis historiques qu’on sauvegarde au prix de refuser le progrès ou de le diaboliser.

Le Maroc dispose de beaucoup d’atouts attractifs qui peuvent favoriser son évolution culturelle et surtout la visibilité de cette évolution. Il suffit juste de les observer, de les analyser pour ensuite les intégrer dans un système de valeurs. Parmi les points sur lesquels une politique culturelle marocaine doit focaliser son attention :

- Réfléchir à un modèle culturel à partir des

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besoins spécifiques des marocains et ne pas copier des modèles culturels faits pour une autre société.

- Exploiter l’élément humain qui est d’une richesse surprenante, mais il faut d’abord l’armer de connaissances utiles, moderniser le système éducatif et le repenser en fonction des besoins actuels du citoyen. Ce deuxième point est conditionné par l’alphabétisation de la société.

- Démocratiser la culture, libérer l’expression et favoriser le contexte de créativité.

Ali Sedjari(12), dans un livre important sur la gouvernance et la gestion du changement, a consacré une place importante à la gouvernance culturelle au Maroc et il rattache la question de la culture à la gouvernance générale des différents secteurs. Pour lui, s’il y a des réformes à faire, il faut qu’elles portent, non pas sur la culture, mais sur l’ensemble du système, il est insensé de parler d’une réforme de la culture sans la rattacher à l’ensemble du système. Une réforme culturelle sera vouée à l’échec si on ne réforme pas déjà les lois, le système éducatif, introduire plus de libertés…Bref, la culture fait partie d’un tout et il est insensé de vouloir moderniser sa culture, sans moderniser les structures qui la sous-tendent.

Et Si on veut réellement réformer la politique culturelle, on doit également, prendre en considération quelques obstacles relatifs à la culture marocaine vis-à-vis du pouvoir, du rapport au temps, du rapport au travail et du rapport à la responsabilité :

- La question du rapport à l’autorité, qui est déterminé par un héritage archaïque, le Makhzen, qui cherche à maintenir des situations acquises et à protéger des intérêts catégoriels

- Le rapport au temps, car au Maroc, « il est

toujours temps de faire, rien ne presse… », c’est la démarche de tout gestionnaire qui crée un rapport particulier à l’action et aux prises de décisions. Et pour ne pas briser les habitudes du rapport au pouvoir, Les responsables apprennent à cultiver le

« flou » et l’imprécision dans la conduite des politiques publiques qui rend la gestion publique impénétrable.

- Le rapport au travail : La notion d’effort a perdu toute sa signification, en particulier dans le secteur public où la tendance à la paresse et au désengagement est dominante.

Beaucoup font semblant de travailler, d’autres dépensent beaucoup d’énergie pour ne rien faire et d’autres encore travaillent énormément sans résultat concret d’autres enfin donnent le meilleur d’eux-mêmes sans être véritablement récompensés.

- Le rapport à la responsabilité reste ambigu et mal défini. En principe la responsabilité est partagée mais vu que la rapport au pouvoir n’est pas clair, le rapport à la responsabilité est vite évacué.

Pour conclure, je dirai que l’Etat doit penser sérieusement une politique culturelle continue, qui ne soit pas l’apanage d’un ministre ou d’un parti politique. Il devient urgent de penser à une véritable réforme du secteur de la culture au lieu de colmater les brèches et de fonctionner en bricolant des politiques qui ne sont ni claires ni continues et surtout faire prendre conscience que la culture n’est ni futile ni aléatoire. La matière culturelle est là, elle est même riche et dense et ne demande qu’à être mise en valeur et enrichie par ses nouvelles formes. Les marocains doivent recevoir cette éducation culturelle par laquelle on peut mesurer son véritable développement si on veut éviter au Maroc la crise cardiaque dont les économistes ne cessent de nous alerter !

Bibliographie : Benjelloun, Tahar, « Maroc, désertification

culturelle », Chronique de 2007 Hall, Edward, Le Langage silencieux, Seuil, 1984 ( The Silent Language, 1959) La Dimension cachée, Seuil, 1971

((en) The Hidden Dimension, 1966) Au-delà de la culture, Seuil, 1979 - rééd.

2016 (en) Beyond Culture, 1976

La danse de la vie, temps culturel, temps vécu, Seuil, 1984 (The Dance of Life: The

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Other Dimension of Time, 1983)

Laabi, Abdellatif, Combat pour la culture, Rabat, Marsam, 2010

Massaïa, Ahmed, Un désir de culture.

Essai sur l’action culturelle au Maroc, Casablanca, La Croisée des chemins, 2013 Sedjari, Ali, Gouvernance, réforme et

gestion du changement, Paris, l’Harmattan, 2008

Pierre Bourdieu, Les règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992

L Encyclopédie Universalis pour les articles : « sociologie de la culture » et

« Taylor », NOTES

1- Cf. l’important travail de Ahmed Massaia, Un désir de culture. Essai sur l’action culturelle au Maroc, Casablanca, La Croisée des chemins, 2013

2- The Moroccan Character ةيبرغملا ةيصخشلا Sous la direction de Mohamed Dahbi, Abderrahim Youssi et Lahcen Haddad, paru en 2003

3- Comment peut-on être marocain ? sous la direction de Abdeslam Cheddadi, paru en 2011.

Chacun des participants à ces ouvrages, (Kébir Ammi, Bellamine, Benjelloun, Jalil Bennani, Kilito, Fouad Laroui, Laabi et autres)

4- CF. Les différents articles du collectif Comment peut-on être marocain ?, ibib.

5- Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet – 6 août 1982.

6- Edward Hall, Au-delà de la culture, Seuil, 1979 7- Edward Hall, La dimension cachée, Seuils 1971 8- Edward Hall, Le Langage silencieux, Seuil, 1984

9- Anthropologue britannique (1832-1917), le premier à avoir considéré la culture comme un fait universel en se détachant du sens français qui définit la culture comme l’expression d’une distinction « un être cultivé »

10- Tahar Benjelloun, Chronique, « Maroc : désertification culturelle « 2007

11- (Adonis, écrivain (Liban) Abdellatif Laâbi, écrivain (Maroc) Issa Makhlouf, écrivain (Liban) Amin Maalouf, écrivain (Liban) Vénus Khoury- Ghata, écrivaine (Liban) , Kamal Boullata, peintre (Palestine) Tahar Ben Jelloun, écrivain (Maroc) Waciny Laaredj, écrivain (Algérie),Salah Stétié, écrivain (Liban) Mohammed Bennis, poète (Maroc) Habib Selmi, écrivain, journaliste (Tunisie), Fouad Laroui, Ahmed Bouzfour, écrivain (Maroc) Zineb Laouedj, écrivaine (Algérie) Fouad Bellamine, peintre (Maroc) Faouzi Bensaïdi, cinéaste (Maroc), ) Mahi Binebine, peintre (Maroc) , Amin Salih, écrivain (Bahrein) , Fouad Laroui, écrivain (Maroc).

12- Ali Sedjari, , Gouvernance, réforme et gestion du changement, Paris, l’Harmattan, 2008, pp.35- 36

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