• Aucun résultat trouvé

Aristée à Cyrène. Journal des savants. Monsieur André Laronde. Citer ce document / Cite this document :

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Aristée à Cyrène. Journal des savants. Monsieur André Laronde. Citer ce document / Cite this document :"

Copied!
19
0
0

Texte intégral

(1)

Aristée à Cyrène

Monsieur André Laronde

Citer ce document / Cite this document :

Laronde André. Aristée à Cyrène. In: Journal des savants, 2011, n° pp. 3-20;

doi : 10.3406/jds.2011.5908

http://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_2011_num_1_1_5908

Document généré le 27/04/2017

(2)

par André Laronde

Parmi les divinités du panthéon cyrénéen, il en est une qui, bien que singuliè- rement mal connue, n’en occupe pas moins une place de premier ordre. Les écrivains anciens, grecs ou latins, de Pindare à Nonnos de Panopolis, de Trogue-Pompée à Clément d’Alexandrie, en passant par les scoliastes d’Aristophane et d’Apollonios de Rhodes, nous ont narré les aventures multiples et les avatars étranges d’Aristée, fils de la nymphe Cyrène, dont Virgile souligne les talents d’apiculteur et rapporte son amour pour Eurydice, ce qui a rendu son nom familier. La documentation est abondante et contradictoire. Elle a été rassemblée à plusieurs reprises, en premier lieu par K. Blondel1. Elle se retrouve dans le Lexiconde Roscher2, elle est très complète sous la plume de Friedrich Hiller von Gaertringen3. Cette documentation est reprise par Luisa Vitali4; C. Opheim a consacré une dissertation à Aristée5. Il y a également une bonne notice de Pierre Grimal6. Enfin, plus récemment, on consulte avec fruit la notice de Brian F. Cook dans leLIMC7.

Dans l’ensemble, ces témoignages antiques sont souvent confus. Pour s’y retrouver, il vaut mieux les reprendre dans l’ordre de leur apparition dans nos sources, afin de tenter de retrouver une évolution historique à travers l’évolution du mythe, pour clarifier aussi les rapports d’Aristée avec les autresfigures du panthéon, ses principales attributions, sa « situation divine », si l’on peut dire, et enfin la ferveur particulière dont il jouit à Cyrène.

1. K. Blondel, dans Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités I, Paris, 1877,s.v. Aristaeus, col.424sq.

2. W.H. Roscher,Lexikon,1890,s.v. Aristaios,1, p.547-551. 3. Pauly et Wissowa,2 1,1895,s.v. Aristaios,2, col.852-859.

4. L. Vitali,Fonti per la storia della religione cyrenaica, Padoue (Pubblicazioni della facoltà di lettere e losoa,1),1932, p.123sq.,s.v. Aristeo.

5. C. Opheim, dansIowa Studies in classical Philology4,1936;non vidi.

6. P. Grimal,Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris,6eéd.,1979, p.51,s.v. Aristée.

7. B.F. Cook,LIMC3, Zurich, Munich,1984, p.603-607,s.v.Aristaios1.

(3)

Histoire et développement d’un mythe

La généalogie et les aventures d’Aristée ne se laissent pas ramener facilement à une « vulgate » cohérente. Les lignes que lui consacre Friedrich Hiller von Gaertrin- gen sont révélatrices à cet égard. On distingue malaisément, à travers un ensemble au demeurant fort riche, les étapes successives du développement du mythe. Au reste, était-ce bien là l’intention de l’auteur de la note du Pauly-Wissowa ? Cependant, à y regarder de plus près, on peut reconnaître deux traditions principales, autour desquelles l’essentiel du mythe s’organise, une tradition qui remonte à Hésiode d’une part, qui semble bien être d’origine thessalienne et cyrénéenne, et une autre tradition qui vient d’Arcadie et de Céos.

La tradition thessalienne et cyrénéenne nous est connue essentiellement à travers Pindare qui, dans la IXe Pythique, rapporte la naissance et la première éducation d’Aristée. Mais, comme nous l’apprend le scoliaste8, Pindare s’inspirait d’un poème antérieur d’Hésiode qui faisait partie desÉhées9. Fr. Studniczka10s’est efforcé de reconstituer les grandes lignes de cette œuvre perdue sur laquelle s’est fondée durant toute l’Antiquité la partie la plus solide et la plus constante du mythe.

Aristée est le fils de la nymphe Cyrène et d’Apollon. La mère est le seul personnage sur qui toutes nos sources s’accordent. Il est donc clair que, sur ce point, l’autorité d’Hésiode n’a pas été contestée. Pour la paternité attribuée à Apollon, le poète d’Ascra a bénéficié aussi d’une forte audience : bien que Cicéron fasse d’Aristée unfils de Liber11, Aristée était bien lefils d’Apollon pour Apollonios de Rhodes12, pour Trogue-Pompée résumé par Justin13, et enfin pour Virgile14.

Ainsi la tradition hésiodique s’est-elle maintenue à travers toute l’Antiquité.

Comme elle est la plus ancienne, il paraît licite de lui attribuer l’origine première du mythe. Il me paraît certain qu’elle doit être cherchée en Thessalie, dans la patrie d’Hypseus, roi des Lapithes et père de Cyrène. Le jeune Aristée revient là, après sa naissance en Libye, pour être élevé par les nymphes et par le centaure Chiron15. Comme dans le cas analogue d’Asclépios, peut-être pourrait-on remonter à une source plus lointaine. Mais rien dans notre documentation ne l’autorise. Il n’en

8. Schol. Pind. Pyth. IX,6,Απ δΗο α Ησιδου τν στορ αν λαεν Π νδαρο. 9. Hésiode, fragment218Merkelbach/West.

10. Fr. Studniczka,Kyrene, eine altgriechische Göttin, Leipzig,1890, p.40sq.

11. Cicéron,De Signis,57.

12. Apollonios de Rhodes,ArgonautiquesII,506:νθα δÁΑρισταο Φο τ κεν. 13. Justin, XIII,7,ab Apolline raptam.

14. Virgile,Géorgiques, IV,323,pater est Thymbraeus Apollo.

15. Selon Hérakleidès,Fragmenta Historicorum GraecorumII,214,9,2, ce sont les nymphes qui auraient enseigné à Aristée le soin des animaux.

(4)

demeure pas moins qu’Aristée, grâce à Hésiode, se présente comme un héros, dont la destinée est liée à la Thessalie et à la Libye, et qui a sans doute des liens avec Asclépios, comme luifils d’Apollon et qui, comme Aristée encore, a bénéficié d’un rituel courotrophique16. Le caractère divin d’Aristée est affirmé avec force par Pausanias17.

L’autre tradition remonte à Apollonios de Rhodes et à son scoliaste18. Dans un belaition, donc dans « le récit d’une histoire mythique, héroïque ou ethnologique qui doit servir d’explication ... à une pratique curieuse ou mémorable », selon la toute récente définition de Morgane Cariou19, Aristée apparaît comme le sauveur de l’île de Céos, dévastée par une sécheresse : appelé par l’oracle de Delphes, Aristée arrive d’Arcadie20, et il obtient de Zeus la pluie et des vents étésiens. Comme sa prière a été exaucée, il reçoit là un culte sous l’invocation de Zeus-Aristaios. Diodore de Sicile, qui s’appuie sur Timée de Tauroménion21, nous fait savoir qu’une famille de Céos prétendait descendre d’Aristée. Ainsi donc la tradition liée à l’Arcadie et à Céos est donc antérieure auivesiècle av. J.-C. Elle établit une relation entre Aristée et Zeus.

Aristée serait donc aussi une épiclèse de Zeus22. L. Malten cite Aristée parmi les figures divines ou héroïques qui démontrent un lien entre l’Arcadie et Cyrène23. La tradition hésiodique n’est pas pour autant oubliée : Apollonios de Rhodes et son scoliaste rapportent soigneusement la généalogie d’Aristée. Comme Pindare ne connaît pas le rôle d’Aristée en Arcadie et à Céos, il est probable qu’Hésiode ne le connaissait pas non plus. Il y a donc là une autre forme du mythe, que les mytho- graphes érudits de l’époque alexandrine ont combiné avec la première version. Le scoliaste d’Apollonios de Rhodes en donne un témoignage frappant24. Ce texte résulte à l’évidence de la contamination du mythe d’Arcadie et de Céos, ignoré de Pindare, avec les vers bien connus du même25.

16. Cf. Fr. Chamoux,Cyrène sous la monarchie des Battiades, Paris (BEFAR,177),1953, p.278et n.1. 17. Pausanias, VIII,2,4.

18. Apollonios de Rhodes,ArgonautiquesII,498, et la scholie qui se rapporte à ce vers.

19. M. Cariou, « Répudiations et réitérations étiologiques dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes »,Bulletin de l’Association Guillaume Budé,2010,2, p.43.

20. Aristée amenait avec lui une véritable colonisation si nous suivons Apollonios de Rhodes,Argonau- tiquesII,520sq.,λαν "γε ρα Παρρ$σιον; ce Parrhasion est expliqué par le scoliaste, l.l.,Αρκαδικν,"π μι%

πλεω Παρρασ ον.

21. Diodore de Sicile, IV,82,λ γουσι δ τνΑρισταον 'κγνου 'ν τ( Κ καταλιπντα. 22. Servius, schol. ad Verg. Georg. I,14,apud Arcades pro Jove colitur.

23. L. Malten,Kyrene, sagengeschichtliche und historische Untersuchungen, Philologische Untersuchungen, 20, Berlin,1911, p.140sq.

24. Schol. ad Apoll.,κα* κατακαλεσ$μενο το+ 'τησ α Ζε+Αρισταο 'κλ.θη κα*ΑπλλωνΑγρε+ κα*

Νμιο.

25. Pindare,Pyth. IX,63-65,θ.σονται τ νιν "θ$νατον Ζ0να κα* 1γννΑπλλωνΑγρ α κα* Νμιον,το δÁ

Αρισταον καλεν.

(5)

Virgile, de son côté, reconnaît la paternité d’Apollon, mais il connait le mythe de Céos26. Le témoignage de Servius vient à l’appui27.

Autour de ces deux versions fondamentales du mythe, il y a toutes sortes de légendes plus ou moins aberrantes, qui ont du moins l’intérêt de nous montrer l’extension considérable prise par cettefigure divine. Dieu pasteur28et protecteur de la fertilité et de la fécondité29, Aristée apparaît dans l’ensemble du monde hellénique : en Béotie, il épouse lafille de Cadmée, Autonoé, dont le nom reparait en Arcadie, à Mantinée ; d’Autonoé, Aristée a unfils, Actéon30.

En Eubée, le culte d’Aristée est venu probablement de Céos, qui a des rapports avec Carystos et Érétrie. En Sicile, Aristée est considéré commeolivae inventor, selon Cicéron, Pline l’Ancien et Oppien31.

En Sardaigne, Aristée arrive de Libye pour délivrer l’île infestée d’oiseaux de proie32.

En Gaule, les fouilles de Jacques Coupry à Olbia, près d’Hyères, ont permis de retrouver un sanctuaire d’Aristée identifié grâce à350 fragments de céramique à vernis noir portant des graffites, dont certains en vers. Mais le matériel reste insuffisamment connu. En fait, bien que l’un des fouilleurs soit disparu et que l’autre ait consacré une thèse toujours inédite à ce matériel, il semble bien qu’il n’y ait pas plus de48inscriptions, ce qui est déjà considérable. Ces graffites sont datés par les inventeurs entre leiiesiècle av. J.-C. et l’époque augustéenne. Le sanctuaire d’Olbia est donc le plus ancien que nous connaissions pour Aristée dans le monde grec d’outremer33.

26. Virgile, Géorg., I, 14 sq., et cultor nemorum, cui pinguia Ceae ter centum nivei tondent dumeta juvenci.

27. Servius, ad Verg. Georg. I,14,Aristeum invocat, i.e. Apollinis et Cyrenae filium, quem Hesiodus dicit Apollinem pastoralem.

28. Voir plus haut n.25

29. Aristote, Mir.838b,γεωρικ2τατο. Cf. W. Rose,Aristotles Fragmenta,1886.

30. Diodore de Sicile, IV,81. L’union avec Autonoé est déjà indiquée par Hésiode,Théogonie,977, et elle est conrmée par Nonnos de Panopolis,DionysiacaV,217; cf. P. Grimal,Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris,6eéd.,1979,s.v. Actéon, p.10.

31. Cicéron, De Natuira deorum, 3, 18, 45; Pline l’Ancien, NH 7, 56, 199, considère Aristée comme l’inventeur du pressoir à huile ; Oppien,CynégétiquesIV,269sq, attribue à Aristée la même inven- tion.

32. Diodore de Sicile, IV,81; Pausanias,PériégèseII,3.

33. J. Coupry et M. Giault, « Le sanctuaire d’Aristée », dansHistoire et archéologie56, octobre1981, p.33sq. (SEG,35,1985,1068) ; les mêmes, « La clientèle d’un sanctuaire d’Aristée aux îles d’Hyères »,La Parola del Passato37,1982, p.360-370(SEG,32,1982,1080), à propos de l’onomastique ds dédicants ; la thèse de M. Giault,Un sanctuaire d’Aristée aux îles d’Hyères (Var), Université de Bordeaux III,1987, est toujours inédite ; les graites se lisent commodément dans J.-Cl. Decourt,Inscriptions grecques de la France, Lyon (Travaux de la Maison de l’Orient),2004, p.78-85, no68,1-48, sans photos, qui n’ont pas été communiquées à cet éditeur.

(6)

En Thrace, il est intégré au thiase dionysiaque. C’est là aussi que se place son amour malheureux pour Eurydice34.

Ainsi le mythe est devenu commun dans l’ensemble du monde hellénique, probablement à cause des qualités propres d’Aristée et répondant à des exigences simples, mais ressenties partout dans le monde ancien. Ce sont ces rapports et ces attributions qu’il convient d’examiner maintenant.

La « situation divine » d’Aristée

La tradition littéraire permet de reconnaître des relations ou des affinités entre Aristée et desfigures divines fort variées, telles que Zeus, Apollon, les divinités du monde rural ou sauvage, Dionysos et enfin Asclépios.

Avec Zeus, le mythe venu d’Arcadie et de Céos établit un lien étroit puisqu’Aristée, était originaire de cette région, qui est le domaine par excellence du fils de Cronos, et c’est lui qui, à la demande d’Aristée envoie des pluies bienfaisantes sur Céos desséchée. Pindare lui-même ne néglige pas d’indiquer ce lien quand il écrit que les Heures « le rendront immortel ; il sera un Zeus35». Mais ce n’est qu’une indication rapide et l’influence apollinienne reprend vite le dessus. À vrai dire, le culte de Zeus-Aristée, s’il connut une faveur réelle, ne quitta guère l’Arcadie et Céos.

Les liens d’Aristée et d’Apollon sont bien plus généralement reconnus. Apollon est d’abord le père d’Aristée, dans une tradition qui remonte à Hésiode et que suivent Pindare, Apollonios de Rhodes et Virgile, avec leurs scoliastes36. Mais surtout Apollon a légué quelques-unes de ses attributions à Aristée qui est chasseur et pasteur37; le témoignage de Pindare est suivi par Apollonios de Rhodes38et par Diodore de Sicile39. Aristée laisse donc entrevoir là sa nature première, celle d’une divinité agreste et de la fertilité et de la fécondité. Agreus, il est digne de son père Apollon, vainqueur de Python, et de sa mère, qui dompta le lion. Suivant leurs traces, Aristée est celui qui détruit les oiseaux de proie en Sardaigne, il est invoqué par ceux qui prennent au piège les loups et les ours. Il est enfin le père du chasseur Actéon40.

34. Diodore de Sicile, IV,81, et Nonnos de Panopolis,DionysiacaXVII,359sq.

35. Sur lan de la sécheresse à Céos et sur le rôle d’Aristée, cf. Théophrate,Les Vents14; Pindare, Pyth. IX,63sq. citésupran.25.

36. Scholie ad Pind.Pyth. IV,4, à propos du motΛατο δασινqui signaleτΑπλλωνο κα* Κυρ.νη τν

Αρισταον γεν σθαι; cf. L. Vitali,Fonti per la storia della religione cyrenaica,op. cit. (n.4), p.30. 37. Pindare,Pyth. IX,65,Αγρ α κα* Νμιον.

38. Apollonios de Rhodes,ArgonautiquesII,507.

39. Diodore de Sicile, IV,81,1,τα4τα δ(α Ν4μφαι)τ6 παιδ* τρε 7νομασ α προσ$ψαι· καλεν γ9ρ α:τν Νμιον, ’Αρισταον, ’Αγρ α.

40. Cf.supran.30.

(7)

Nomios, il préside à des activités plus pacifiques : les nymphes et Chiron lui font, comme à sa mère, paître leurs troupeaux sur les pentes du Pélion41. Aristée, que l’on qualifie degéorgikotatos42, fait présent du silphion aux hommes43. Virgile parle dupastor Aristaeus44. Une scholie de Théocrite note : «Α:τα* γ9ρ(α Ν4μφαι) 'κθρ ψασαι τν’Αρισταον 'δ δαξαν τν το< 'λα ου 'ργασ αν κα* μ λιτο45. » Ces épithè- tes sont confirmées à lafin de l’Antiquité par Nonnos de Panopolis, qui le qualifie de Nomios et d’Agreus46. Oppien et Nonnos de Panopolis louent aussi les qualités d’apicul- teur d’Aristée47.

Mêlé si étroitement aux divinités du monde agreste, Aristée comme sonfils Actéon, va parcourir les montagnes et les forêts, et il va rejoindre un thiase dionysiaque : « Selon les mêmes récits mythologiques, Aristée alla rejoindre Dionysos en Thrace, prit part aux orgies et vécut avec lui dans une grande intimité48. » Ce voyage d’Aristée en Thrace s’achève par une disparition merveilleuse, qui lui vaut des « honneurs immortels » :

« Enfin, ayant demeuré quelque temps aux environs du mont Haemos, Aristée devint invisible, et obtint les honneurs immortels, non seulement de la part des Barbares, mais aussi de la part des Grecs49. » Dans le même chapitre, Diodore de Sicile marque le lien qui unit Aristée et Dionysos : « en retour de ces bienfaits, les hommes rendirent (à Aristée) des honneurs divins, comme pour Dionysos50. »

Ces liens entre Aristée et Dionysos vont jusqu’à l’établissement d’une filiation.

Cicéron du moins l’affirme dans lesVerrines, quand il nous apprend qu’à Syracuse le temple de Liber comportait une statue d’Aristée : «Aristaeus, qui inventor olei dicitur, una cum Libero patre apud illos eodem erat in templo consecratum51. »

Le même texte établit une différence nette entre le fils de la nymphe Cyrène et Asclépios, puisque leurs statues respectives étaient dans des temples différents :

«signum Paeanis (i.e. Apollinis) ex aede Aesculapii praeclare factum, sacrum et religio- sum, non sustulisti ? ... Ex aede Liberi simulacrum Aristaei non tuo imperio palam ablatum est ?»

41. Pindare,Pyth. IX,64(=γκιστον 7π$ονα μ.λων).

42. Cf.supran.29.

43. Scholie ad Aristophan,Cavaliers894; Souda,s.v. ; cf. L. Vitali,Fonti per la storia della religione cyrenaica,op. cit. (n.4), p.30; Fr. Chamoux,Cyrène sous la monarchie des Battiades,op. cit. (n.16), p.248.

44. Virgile,GéorgiquesIV,317.

45. Schol. ad. Theocrit. V,53; cf. aussi Diodore de Sicile, IV,81, « (Les nymphes) lui enseignèrent l’art de faire cailler le lait, d’élever les abeilles et de cultiver les oliviers. Aristée communiqua le premier aux hommes ces connaissances. »

46. Nonnos de Panopolis,DionysiacaV,215, vers que P. Chuvin, éd. CUF, t.2, Paris,1976, p.118traduit par « Pâtre et Chasseur ».

47. Oppien,CynégétiquesIV,271sq. ; Nonnos de Panopolis,DionysiacaXIII,253-259. 48. Diodore de Sicile, IV,81.

49. Ibid.

50. Ibid.

51. Cicéron,VerrinesIV,57.

(8)

Entre Asclépios et Aristée, il y a des points communs. L’un et l’autre ont Apollon pour père. Leur mère est dans les deux cas une vierge indomptée, dont le dieu s’est épris : Coronis, lafille de Phlégyas, le bon cavalier, et celle d’Hypseus, le roi des Lapithes, Cyrène. L’une et l’autre ont vu leur mythe narré dans deux poèmes desÉhées. Leursfils furent élevés tous deux par le centaure de Magnésie, Chiron, selon le même rituel courotrophique. Aussi n’est-on pas surpris de retrouver chez Aristée les mêmes dons de guérisseur et de devin qui ont fait la célébrité d’Asclépios. Les deux les devaient à la même origine52. Ainsi lefils de la nymphe Cyrène apprit des muses la médecine et la mantique.

Ce rapprochement ne va pas sans quelques confusions : ainsi le scoliaste d’Apollonios de Rhodes,ArgonautiquesII,520, confond-il Cos et Céos. Mais on peut aussi mettre en parallèle l’immigration épidaurienne à Cos53et l’immigration arcadienne à Céos.

Aspects proprement cyrénéens d’Aristée

C’est justement au titre de devin, devates, qu’Aristée apparaît à Cyrène auxiie et iiie siècles apr. J.-C. si l’on en croit Clément d’Alexandrie54. Notons tout de suite le caractère tardif des témoignages proprement cyrénéens. Nous retrouverons cet aspect plus loin à propos des représentations d’Aristée à Cyrène.

Cela ne va pas non plus sans quelques erreurs. La plus remarquable vient de Justin, abréviateur de Trogue-Pompée : «Cyrene autem condita fuit ab Aristaeo, cui nomen Battos propter linguam obligationem fuit55. » François Chamoux a bien montré qu’il s’agit d’une simple confusion de noms entre Aristée et Aristotélés, noms donnés aussi à Battos56. Trogue-Pompée, ou Justin, ont attribué à tort à Battos-Aristotelés le nom voisin d’Aristée.

Ils sont les seuls à commettre ce qu’il faut bien considérer comme une erreur. Ce qui ne veut pas dire que lefils de la nymphe Cyrène n’ait pas été appeléoikistèsde la grande cité de Libye. Je reviendrai sur ce point.

Le même texte de Justin pose aussi la question du dédoublement ou de la multipli- cation d’Aristée. Était-il le seul enfant d’Apollon et de la nymphe Cyrène ? Justin cite en effet quatrefils de Cyrène et d’Apollon : « opinionem veteris fabulae accipiunt, Cyrenen, eximiae pulchritudinis virginem, a Thessaliae monte Pelio ab Apolline raptam perlatamque in ejusdem montis juga, cujus collem occupaverant, a deo repletam quattuor pueros peperisse Nomium, Aristaeum, Autuchum, Agraeum.»

Pour Nomios et Agraeus, il ne fait aucun doute que ce soient simplement les personnifications des épithètes rapportées par Pindare, Apollonios de Rhodes et Diodore de Sicile.

52. Apollonios de Rhodes,ArgonautiquesII,512. 53. Cf. F. Robert,Épidaure, Paris,1935, p.13. 54. Clément d’Alexandrie,Stromates144. 55. Justin, XIII,7.

56. Fr. Chamoux,Cyrène sous la monarchie des Battiades,op. cit. (n.16), p.97, n.2.

(9)

Reste à clarifier la question d’Autuchos dont le nom vient se mêler au mythe. Fr.

Studniczka voit sans hésitation, sur la foi sans doute des deux autres, une nouvelle personnification d’Aristée57. Pourtant, il n’y a pas d’exemple qu’Aristée ait été doté de cette mystérieuse épithète. Il faut signaler que, plus que ses frères fantômes Nomios et Agraeus dont Justin est le seul à nous révéler l’existence, Autuchos apparaît dans d’autres textes. Une scholie d’Apollonios de Rhodes reprend une information tirée d’un auteur, au iiieou auiiesiècle av. J.-C., d’un Péri Kyrénès58: « Akestor dans son ouvrage Péri Kyré- nès, raconte qu’au temps où Eurypylos était roi de Libye, Cyrène fut transportée en Libye par Apollon. Comme un lion dévastait la contrée, Eurypylos promit de donner la royauté en récompense à qui tuerait ce lion. Cyrène le tua et devint reine. Elle eut deuxfils, Autou- chos et Aristée. Selon Phylarque, elle se rendit en Libye avec de nombreux compagnons.

Elle les envoya à la chasse, se joignit à eux, tua le lion et devint reine. Elle eut d’Apollon deuxfils, Autouchos et Aristée. Autouchos resta en Libye. Aristée partit pour Céos. »

Akestor est corrigé en Akésandros par François Chamoux59. Quant à Phylarque, il vivait dans la deuxième moitié duiiiesiècle av. J.-C.60.

Autuchos avait donc une notoriété certaine dès l’époque hellénistique au moins. Cette notoriété est confirmée par le fait qu’une localité de Cyrénaïque portait son nom, Aptou- chou hiéron61.

Qu’Aristée ait bénéficié d’un culte à Cyrène ressort encore d’une scholie de Pindare déjà citée62qui nous apprend queΛατο δασινpeut désigner les Cyrénéens. Dans la cité où il naquit, Aristée recevait donc des hommages en tant que vates, et en tant qu’oikistès, sinon comme fondateur historique de la ville, du moins comme son fondateur, pourrait-on dire, « honoraire ».

Les textes nous transmettent donc une tradition assez mélangée. Les témoigna- ges sont nombreux, mais discordants. Le mythe ne peut absolument pas les réduire à une version unique. Dans cette diversité, on peut toutefois retenir qu’Aristée était unefigure divine pastorale, en rapports étroits mais confus avec Dionysos, Apollon et Asclépios, avec qui il partageait diverses épithètes, propre à jouer envers eux, et selon les circonstances, le rôle d’un double ou d’un substitut. Mais que pouvons- nous ajouter en examinant maintenant la traditionfigurée ?

57. Fr. Studniczka,Kyrene, eine altgriechische Göttin,op. cit. (n.10), p.44.

58. Fragmenta Historicorum Graecorum, II,166, cité par L. Vitali,Fonti per la storia della religione cyrenaica,op. cit. (n.4), p.63no171, et repris par Fr. Chamoux,Cyrène sous la monarchie des Battiades,op. cit.

(n.16), p.77sq., dont je cite la traduction.

59. Fr. Chamoux, p.78, suivant une suggestion de Carl Müller (C. Müller,Fragmenta Historicorum Graecorum, I,285).

60. Jacoby,Fragmenta Historicorum Graecorum, IIA, p.161sq.

61. Ptolémée, IV,4,4, avec mon commentaire, A. Laronde,Cyrène et la Libye hellénistique, Libykai Historiai, de l’époque républicaine au principat d’Auguste, Paris (Études d’antiquités africaines),1987, p.282.

62. Cf.supran.36.

(10)

La tradition figurée

Celle-ci est peu abondante et mal déterminée. Les représentations d’Aristée relevées dans les grands répertoires sont extrêmement douteuses. Il suffit d’ouvrir le Dictionnaire des antiquitésde Daremberg et Saglio, leLexiconde Roscher, ou le plus récentLIMCpour s’en rendre compte. Ces représentations peuvent être classées en plusieurs types, qui tous d’ailleurs illustrent le caractère pastoral et agreste, mais aussi divinatoire, de la divinité.

Il était assez naturel que l’on cherchât à identifier dans la plastique le caractère agreste d’Aristée Nomios. Celui qui garda les troupeaux, comme sa mère, sur les versants du mont Pélion, et vers qui les bergers se tournaient dans leurs prières devait avoir inspiré quelqu’artiste rustique. C’est pourquoi on s’est efforcé de baptiser de son nom diverses statuettes de criophores, comme par exemple un petit bronze du Cabinet des Médailles de Paris63, mais force est de reconnaître qu’un personnage nu et juvénile qui porte sur ses épaules un bélier peut relever de quantité d’identifications. Un tel document doit donc être écarté. Il en va de même pour deux bronzes du Louvre qui représentent un berger vêtu d’une longue peau de mouton et coiffé d’un bonnet conique, et qui porte lui aussi des éléments égarés de son troupeau. Là non plus, rien ne désigne plus particulièrement Aristée64.

Il reste heureusement toute une catégorie de documentsfigurés qui apportent un élément nouveau d’information. Bien des témoignagesfigurés attestent l’anti- quité de la dévotion pour Aristée et qui ont été réunis par Brain F. Cook dans sa notice du LIMC. Le British Museum conserve un ivoire de Sparte que Lila Marangou date vers650av. J.-C.65Un fragment de col d’amphore d’Athènes66est daté vers600av. J.-C. Et un relief de terre cuite provenant de l’héraiond’Argos et conservé à Athènes est daté de lafin duviieou du début duviesiècle av. J.-C.67Un alabatre de Bonn est daté du premier tiers duviesiècle av. J.-C.68À Érétrie, un vase est daté par G. Auberson et K. Schefold vers560av. J.-C.69Un col d’amphore de

63. E. Babelon, J.-A. Blanchet,Catalogue des bronzes antiques de la Bibliothèque nationale,2vol., Paris, 1895; no450.

64. A. De Ridder,Les bronzes antiques du Louvre, Paris,1913, I, p.98, nos711-712.

65. Londres, British Museum,1954-9.10.1; cf. L. Marangou, « Aristaios »,Mitteilungen des deutschen archäologischen Instituts. Athenische Abteilung87,1972, p.77-83.

66. Athènes, Musée de l’Agora, P4727; cf. J.D. Beazley,Attic Black-Figure Vase-Painters, Oxford,1956, 12,26;Hesperia15,1946, p.125, no6.

67. Athènes, Musée National,14214; C. Waldstein,The Argive Heraion,2,1905, p.51-52; S. Papaspy- ridi-Karouzou,Annuario delle Scuola archeologica di Atene e delle missione italiane in Oriente, n.s. no8-10, 1946-1948, p.38-41; S.S. Weinberg,Hesperia23,1954, p.112.

68. Bonn, Akademisches Museum,604; cf. B. Schweitzer,Herakles, Tübingen,1922, Abb.16. 69. Musée d’Érétrie, G. Auberson, K. Schefold,Führer durch Eretria, Berne,1972, p.162sq.

(11)

Cassel est daté vers 54070. Un cothon tripode conservé à New York est daté du deuxième quart duviesiècle av. J.-C.71Des vases béotiens conservés à Athènes sont datés eux aussi dans le deuxième quart duviesiècle av. J.-C.72

Il faut nous tourner à présent vers toute une série d’origine cyrénéenne, et qu’on peut dénommer « les représentations d’Aristée guérisseur ».

La première identification est due aux explorateurs britanniques E.A. Smith et R.M. Porcher lors de leurs recherches de1860-186173. Cette hypothèse d’identifi- cation a été suivie par A.H. Smith dans le catalogue du British Museum74. Entre- temps, Warwick Wroth75 était revenu sur la question et pensait quant à lui à un Asclépios imberbe. Mais en1893, W. Furtwaengler76rapprochait les documents conservés en Grande-Bretagne, un bronze du Cabinet de Paris77, et reconstituait un type original qu’il identifiait avec Aristée. Les découvertes impressionnantes réali- sées par les Italiens à Cyrène ont permis à Luisa Vitali78de reprendre la question et de compléter la liste avec les découvertes nouvelles. Tel est l’historique de cette question d’histoire religieuse et de sculpture. Tout au plus peut-on ajouter à la liste de la savante italienne un marbre du British Museum et un autre d’Édimbourg, tous deux de provenance cyrénéenne79. Ainsi dispose-t-on à présent d’une série qui présente un certain nombre de traits caractéristiques : une tête couronnée de tours, la pose de la main droite sur la hanche, une draperie disposée transversalement et laissant à nu la poitrine et l’épaule droite, la retombée sur l’épaule gauche d’un pan de l’himationqui forme un pli en zig-zag, et enfin, sous l’aisselle gauche, un bâton entouré d’un serpent.

Nous avons donc une série homogène, qui dérive d’une œuvre originale dont les caractères se laissent retrouver. Mais de quellefigure divine s’agit-il ?

70. Cassel, Staatlische Kunstsammlung,679; J.D. Beazley,Paralipomena, Oxford,1971,111,25bis ; H. Mommsen,Der Affeater,1995, p.97.

71. New York, Metropolitan Museum,60.11.10; J.D. Beazley,Paralipomena, p.15; B.F. Cook,Bulletin of the Metropolitan Museum of Arts, n.s.,21,1962, p.31.

72. Athènes, Musée National,12037; J.D. Beazley,Attic Black-Figure Vase-Painters,29,3; toutes ces références et celles qui précèdent depuis la n.65sont données par B.F. Cook,LIMC,3, p.603-607.

73. E.A. Smith et R.M. Porcher,History of the Recent Discoveries at Cyrene, Londres,1864, p.103no74, p.107no127.

74. A.H. Smith,Catalogue of Sculpture in the Department of Greek and Roman Antiquities in the British Museum, II, Londres,1900, p.260sq., no1497; pour les œuvres de provenance cyrénéenne conservées au British Museum, cf. J. Huskinson,Roman Sculpture from Cyrenaica, Londres,1975.

75. W. Wroth, « A statue of the youthful Asklepios »,Journal of Hellenic Studies4,1883, p.46-52. 76. A. Furtwaengler,Meisterwerke griechischen Plastik,1897, p.488-490et pl.28,1-2et32,3.

77. E. Babelon, J.-A. Blanchet,Catalogue des bronzes antiques de la Bibliothèque nationale, Paris,1895, no623.

78. L. Vitali, « Una divinita della Cirenaica : Aristeo »,Africa Italiana2,1928, p.17-29. 79. A.H. Smith,Catalogue of Sculpture,op. cit. (n.74), nos17-18.

(12)

La présence du bâton sur lequel vient s’enrouler le serpent fait invinciblement penser à Asclépios. C’est en effet l’attribut couramment représenté de ce dieu. C’est ce qui a frappé Warwick Wroth qui écrit : « Le bâton est évidemment le bâton d’Asclépios, mais le visage est le visage d’Apollon80. » Vu que la tête est imberbe, le savant britannique pensait à un Asclépios jeune. Il est certain qu’Asclépios était bien connu des Cyrénéens, et il n’est pas nécessaire d’insister sur ce point81.

Mais Aristée est aussi oikistès. S’il n’est pas le fondateur historique, il a une position équivalente, et c’est ce qui rend compte de la couronne tourrelée sur son chef, comme les Tychés des cités hellénistiques, et comme en Cyrénaïque, la Tyché de Ptolémaïs qui apparaît tourrelée sur des monnaies de bronze du ier siècle av.

J.-C.82 Il s’agit d’un type de représentation qui ne peut remonter qu’à l’époque hellénistique. Aristée est le seul hérosoikistèsde Cyrène ; il est aussi une sorte de doublet d’Asclépios, et ces deux aspects rendent compte de sa tête ornée de la couronne de tours et du bâton qu’il tient avec le serpent enroulé. Adolf Furtwaen- gler, en reprenant l’hypothèse première de E.A. Smith et de R.M. Porcher, a établi une solide réalité, que le travail de Luisa Vitali a confirmé, en dépit de faiblesses de présentation de cet article.

Je voudrais prendre comme exemple de cette série une tête conservée au musée de sculpture de Shahat (Cyrène), qui fut retrouvée par les Italiens le31avril1915, au sud-est de l’Acropole (fig.1). Cette tête en marbre de Paros mesure33cm de haut83. Selon Enrico Paribeni, le visage est rigide et atone. Cette œuvre de médiocre valeur artistique a indéniablement une inspiration polyclétéenne, mais elle date à l’évidence de l’époque impériale. Il y a dans ce sens un argument d’importance : la couronne de tours. Cet attribut n’apparaît pas avant l’époque hellénistique. Cette tête présente une autre particularité, la chevelure. On peut observer les mèches épaisses disposées avec une grande régularité, qui couvre la moitié du front, particularité qui avait retenu l’attention de Adolf Michaelis sur la tête d’Édimbourg, de provenance cyrénéenne, conservée au Royal Scottish Museum84. Adolf Furtwaengler avait aussi noté ce détail de la chevelure. En suivant une indication d’Hésiode, Luisa

80. W. Wroth, art. cit. (n.75), p.47.

81. Cf. Fr. Chamoux,Cyrène sous la monarchie des Battiades,op. cit. (n.16), p.225et368; à la seconde page citée, il évoque un Asclépios sans barbe.

82. E.S.G. Robinson,Catalogue of the Coins of the British Museum.29,Cyrenaica, Londres,1929, p.206 et pl. XLII,10.

83. E. Paribeni,Catalogo delle sculture di Cirene. Statue e rilivi di carattero religioso, Rome (Monograe di archeologia libica,5),1959, p.87, no219et pl.116.

84. Édimbourg, Royal Scottish Museum, no1456,363; cf. A. Michaelis, « Ancient marbles in Great Britain »,Journal of Hellenic Studies5,1894, p.157, no1.

(13)

Vitali85y voit une marque des divinités chthoniennes et oraculaires : elle retrouve ce signe sur d’autres représentations de divinités infernales, comme l’Hadès Sérapis de Bryaxis, et sur l’Eubouleus d’Éleusis. On pourrait ajouter encore l’Hestia Giusti- niani du musée Torlonia, à Rome86, et le Sérapis de l’Ermitage de Saint-Péters- bourg87. Le fait que nous retrouvions ce dispositif chez Aristée n’a rien pour surprendre, compte tenu de son caractère pastoral et prophétique.

Ce qui nous conduit au prétendu Apollon Pythien publié par Silvio Ferri en 1927, retrouvé dans les grands thermes de Cyrène lors des fouilles italiennes (fig.2) ; cette statue de2,04m de haut (avec la base) ornait le grand salon de ces thermes, en même temps que la statue d’Alexandre le Grand elle aussi retaillée dans une statue de Dioscure, et avec aussi la fameuse Aphrodite de Cyrène88. Cette statue dite d’Apollon Pythien est maintenant présentée au musée de Shahat (Cyrène), où j’ai eu l’occasion de l’examiner.

La statue qui nous occupe maintenant est retaillée sur un Asclépios dû à Thémisôn. La partie arrière n’a jamais été achevée, et l’inscription dédicatoire du premier monument se lit encore sur le revers de la base89. De plus, cette statue est fort plate. La poitrine et le ventre sont sur le même plan, sans véritable volume. Le sculpteur a dû recourir à des artifices, notés par Enrico Paribeni qui émet un jugement sévère sur cette œuvre : les proportions anatomiques sont invraisembla- bles, comme la largeur exagérée des épaules ; la dissymétrie est totale entre le côté droit de la poitrine et le côté gauche, dont l’étroitesse est dissimulée par l’artifice du manteau qui le recouvre. En dépit de ces défauts, il faut reconnaître que la sculpture a grande allure en raison de sa haute taille, de la nudité héroïque et de la ligne harmonieuse de la draperie qui forme le fond. Il faut aussi rappeler le regard aux yeux vides et la lourde chevelure ceinte d’un bandeau. Malgré une incontestable habileté technique, il reste une impression d’éclectisme. Silvio Ferri y voyait la marque d’un temps d’incertitude religieuse ; je n’irais pas jusque là, mais une datation vers le milieu duiiesiècle apr. J.-C. me paraît raisonnable.

Déjà E. Strong90 et W. Amelung91 avaient insisté sur l’unité d’une série de copies remontant au type de l’Apollon à l’omphalos. W. Amelung hésitait entre

85. Hésiode,Théogonie977; L. Vitali, art cit. (n.78), p.308etg.13-14.

86. H. Brunn et Bruckmann,491; Vagn Häger-Poulsen,Der Strenge Stil,1937, p.29et123. 87. O. Waldhauer,Die Antike Skulpturen der Ermitage, I, Berlin,1928, no39.

88. S. Ferri,Africa Italiana, I,1927, p.116-122; cf. E. Paribeni,Catalogo delle sculture di Cirene,op. cit.

(n.83), no144et pl.86. 89. SEG,9,74.

90. E. Strong, « On an Apollon of the Kalamidian School, », dansStrena Helbigiana, Leipzig,1900, p.294-298.

91. W. Amelung, « Von Meister des Omphalos-Apollo und seiner Schule », dansFestschrift P. Arndt, Munich,1925, p.87-95.

(14)

Fig.1.¢Tête d’Aristée trouvée à Cyrène (d’après E. Paribeni,Catalogo delle sculture di Cirene. Statue e rilievi di carattere religioso, Rome,1959, pl.116no219).

(15)

Pythagoras et Calamis, mais E. Amelung attribuait sans doute l’œuvre à un modèle de Calamis, et toute la critique s’est rattachée à cette façon de voir92. L’Apollon trouvé à Rome et aujourd’hui au British Museum présente des ressemblances frappantes avec celui de Cyrène. Les cheveux sont bas sur le front et ils forment, sur les oreilles, une large masse tout comme chez l’Apollon Pythien des grands thermes de Cyrène. Le même bandeau ceint les deux têtes, sans redescendre derrière la nuque sur le cou. C’est donc un symbole royal, et non un signe de victoire. Mais, derrière la tête, les cheveux diffèrent sensiblement : à Londres, ils forment une masse com- pacte ; à Cyrène, ils descendent en tresses parallèles jusqu’au niveau des omoplates.

Or cet arrangement des cheveux est de type libyen. Il y a là un indice du caractère local de l’œuvre, retaillée par un sculpteur cyrénéen.

D’autres indices vont dans le même sens. Les cheveux se partagent sur le front qu’ils couvrent à moitié, en deux masses égales, deux grosses boucles régulières qui remontent un peu vers les tempes. Cette disposition rappelle celle des têtes attri- buées à Aristée. Dès lors, l’idée d’une interprétation nouvelle peut naître : peut-on rechercher les traces de la couronne tourrelée qui orne la tête d’Aristée ? Comme le haut de la tête a disparu, selon une ligne circulaire, ce qui fait écrire à Silvio Ferri que

« manque, par suite d’un défaut du marbre, la partie supérieure de la calotte crânienne ». Il se pourrait fort bien qu’il y eut là une réparation antique, voire un collage, comme cela s’observe sur l’épaule gauche, qui est réparée avec un marbre à veinures bleuâtres, très différent de celui du reste de la statue. Pourtant, la régularité de la cassure ne laisse pas d’étonner. Si l’on avait rapporté le morceau minime qui manque, aurait-on pris soin, pour supporter un poids somme toute réduit, de creuser le haut de la tête qui présente une sorte de vasque ? On peut donc être conduit à penser que la partie manquante avait plus d’importance. Or, elle se trouvait à la hauteur où l’on attendrait une couronne de tours, et dans ce cas, le personnage représenté serait Aristée et non Apollon.

Cette identification que je propose avec prudence rendrait compte de détails techniques de la coiffure et de la calotte crânienne. Elle rend compte aussi de la présence sur les sandales d’ornements en peau de panthère, si caractérisés que l’on voit, sur la cheville droite, la minuscule tête de l’animal. Car Aristée, nous l’avons vu, a rejoint le thiase dionysiaque. Le serpent que l’on observe à droite sur une sorte de support semi-cylindrique, prend alors une valeur plus précise et plus riche que pour un Apollon. Il s’agit alors du serpent d’Asclépios, conservé pour l’effigie d’un autre dieu qui est très proche de lui.

92. Sur les repliques de Calamis cf. Ch. Picard,Manuel de sculpture grecque,2,1, Paris,1939, p.54- 58.

(16)

Fig.2.¢Statue du prétendu Apollon Pythien (cl. A. Laronde).

(17)

Enfin, si comme tout porte à le croire, notamment à cause de l’inscription primitive conservée au dos de la base93, l’œuvre initiale était bien un Asclépios, on comprend mieux la transformation en un Aristée, alors que l’on ne peut que rester surpris de l’idée de transformer un Asclépios en Apollon, certes père d’Asclépios, mais avec des symboles si différents de ceux de sonfils.

Tout devient plus clair si on interprète la statue comme un Aristée. Elle ornait, on le sait, le salon central des bains d’Hadrien, si riche en œuvres d’art : je rappelle seulement que c’est là que se trouvaient les statues d’Alexandre le Grand et de la célèbre Aphrodite de Cyrène. Or, le siècle des Antonins voit un retour de la cité vers ses plus vieillesfigures divines. Certes, on pouvait faire venir un marbre neuf de Grèce ou d’Asie Mineure, mais à quel prix ! Mais plutôt, réutiliser une vieille offrande à Asclépios pour en faire une dieufils du même père, élevé de la même façon, ayant pour mère la nymphe éponyme de la cité,oikistèslui-même. Le style archaïsant s’accorde avec les goûts du temps. Le lien avec le Péloponnèse n’avait jamais disparu. À Sicyone, il y avait une statue chryséléphantine d’Esculape imberbe due à Calamis94: n’aurait-elle pas pu servir de modèle ?

Je rapprocherais volontiers de cette statue une statuette de provenance cyré- néenne, trouvée par R.M. Smith et E.A. Porcher qui ne donnent malheureusement pas le lieu exact de découverte. Cette statuette complète de65,5cm de haut est d’un marbre assezfin dont Janet Huskinson ne donne pas la provenance95(fig.3). Elle est travaillée de tous les côtés. L’himationcouvre le côté gauche du corps. Cette draperie couvre en partie l’omphalosdont la présence ne fait guère de doute. Du même côté, on note le bâton avec le serpent et, sur la tête, en dépit d’une cassure, la couronne de tours. La chevelure présente les particularités notées précédemment. Bien que la savante britannique hésite entre Aristée et Asclépios, le doute ne me paraît pas permis, et du reste Luisa Vitali a intégré cette œuvre dans l’article mentionné plus haut96.

Cette étude de lafigure d’Aristée montre donc comment les textes viennent à l’appui de la documentationfigurée qu’ils permettent d’interpréter. Le culte d’Aris- tée a tenu sans nul doute une place importante à Cyrène. La documentationfigurée de Cyrène est souvent de date basse, de la pleine époque impériale, mais cela s’explique, sans nulle hésitation, par l’effort de reconstitution dont leiiesiècle apr.

J.-C. donne tant d’exemples, après la révolte juive, et par un retour de Cyrène,

93. Cf.supran.89.

94. Pausanias,PériégèseII,10,3.

95. J. Huskinson,Roman Sculpture from Cyrenaica in the British Museum, Londres,1975, p.11, no19et pl.7, qui donne la bibliographie antérieure.

96. L. Vitali, art. cit. (n.78), p.21, no7.

(18)

Fig.3.¢Statuette d’Aristée trouvée à Cyrène (d’après J. Huskinson,Roman Sculpture from Cyrenaica in the British Museum, Londres,1975, pl.7no19).

(19)

comme dans d’autres cités grecques de la période antonine, vers ses cultes le plus anciens, ainsi que je l’ai montré ailleurs97. Pour autant, l’antiquité de la vénération dont Cyrène entourait Aristée ne doit pas être minimisée.

97. A. Laronde, « La Cyrénaïque romaine des origines à lan des Sévères,96av. J.-C.-235apr. J.-C. », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt2,10,1,1988, p.1052-1058surtout.

Références

Documents relatifs

Il est très vite apparu qu’il nous fallait intégrer cette démarche dans une ligne d’édition qui nous ouvrait pour l’avenir un large champ d’action, en ne limitant ni

C’est le cas en particulier de ceux que l’on appelle aujourd’hui les « Parisiens d’Odessa » – ces peintres, sculpteurs, dessinateurs, caricaturistes mais aussi

Les armateurs hornacheros, liés pour les capitaux aux Juifs de Salé et des Pays-Bas, confiaient la « maistrance » des navires aux Andalous, mais la

The purpose of this document is to express what the engineering community as represented by the IETF expects of Internet Service Providers (ISPs) with respect to security.. It

While the process described in this document can be used to create Word format documents, using the editions of Microsoft Word for Windows or the Apple Macintosh, the actual

If your solution involves address prefixes distributed using BGP4+, does it interact with the use of AS numbers and, if so, how.. Will it require additional

Files identified by the MIME [MIME1] type defined in this document MUST contain, in their compatible brands list, a brand defined in a standard (issued by 3GPP2) that can apply

This document defines the Pseudo-Random Function (PRF) for the Kerberos V mechanism for the Generic Security Service Application Program Interface (GSS-API), based on the