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LE CIEL SERA SI BEAU!

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Numérisé pour être diffusé gratuitement sur internet

parce qu'il m'a semble que cela correspondait à la finalité de ce fascicule imprimé pour être distribué gratuitement

L E C IEL SERA SI BEAU !

UN MOINE BÉNÉDICTIN

La vie est si courte et le Ciel sera si beau ! Comme nous voudrons avoir peiné et souffert !

Madame Cécile Bruyère, Première Abbesse de Ste Cécile de Solesmes

Préface de Mgr Raymond Centène, Evêque de Vannes

Imprimi Potest Fontgombault, le 18 juin 2006 Fr. Antoine FORGEOT,

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault.

Les Amis de la Fraternité Saint-Pierre

(2)

PRÉFACE

Dans notre monde contemporain, la technique, la réussite et l'efficacité sont des valeurs qui s'imposent. Aussi la mort est souvent occultée, parfois même niée de multiples manières.

Pourtant la mort fait partie de la condition humaine. Elle nous concerne donc tous. Bien souvent l'homme est devant le mystère de la mort, comme devant une énigme. Depuis toujours, l'être humain s'est interrogé sur l'au-delà. L'idée d'éternité n'est pas étrangère à l'homme, elle lui est même naturelle.

Les réponses apportées sont bien différentes selon les périodes, les lieux et les personnes : négation d'une vie après la mort par incroyance ou par idéologie, croyance en la réincarnation.

La foi chrétienne apporte une lumière originale et unique sur l'événement de la mort. Au centre de la foi se trouve le mystère de la Résurrection du Christ qui transcende et dépasse l'histoire. De même que le Christ est vraiment ressuscité des morts et vit pour toujours, il nous donne accès à la vie éternelle et nous ressuscitera tous au dernier jour.

En effet la vocation ultime de tout être humain c'est de voir Dieu dans le face à face, c'est de goûter ce bonheur d'être réunis autour de Jésus et de la Vierge Marie, des anges et de tous les saints. Nous avons été créés pour cette communion avec Dieu et c'est dans cette communion que se réalise le bonheur en plénitude, bonheur auquel nous aspirons tous.

+ Raymond Centène, Evêque de Vannes INTRODUCTION

La vie prend une physionomie différente selon que nous la considérons comme une promenade ou comme un voyage. Dans le premier cas, nous sommes libres de notre allure et de nos mouvements. Si c'est un voyage, si nous avons un but déterminé, et si les conditions mêmes de ce voyage sont telles qu'il doit finir bientôt, peut-être de façon inattendue, et qu'il serait simplement effroyable de n'arriver pas, ne serait-ce pas folie que de cheminer au hasard1 ?

Or, voici que dans sa bonté, le Seigneur lui-même nous montre le Chemin de la vie2. Loin de se cacher derrière les nuages du mystère impénétrable. Il a ouvert les Cieux, Il s'est montré. Il parle avec nous et II est avec nous ; Il vit avec nous. Pour nous sauver des ravins de la mort3, ce divin compagnon a donné sa vie, puis il est allé nous préparer une place dans le Royaume de son Père.

Si donc nous souhaitons faire honneur à l'invitation de la Très Sainte Trinité et échapper au gouffre de l'Enfer, si la compagnie de Jésus, de Notre-Dame, des saints et des anges nous plaît, consentons à remplir les charges d'un vrai citoyen de l'éternité et observons la charte du Royaume des Cieux que nous a donnée le Seigneur dans son Évangile.

Les Apôtres ont reçu cette parole de salut et l'ont transmise à leurs successeurs comme une perle précieuse conservée, en toute sûreté, dans l'écrin de l'Église4.

Gratuitement nous avons reçu ce trésor, gratuitement aussi nous voulons vous en faire part.

Moyennant la générosité de plusieurs, ce livret consacré à ce qu'on appelle nos fins dernières vous est offert gracieusement. Il ne peut être vendu.

Le Royaume des Cieux, quant à lui, est semblable à un négociant en quête de perles fines : ayant trouvé une perle de grand prix, il s'en est allé vendre tout ce qu 'il possédait, et il l'a achetée5.

–––––

Nous remercions vivement la Révérende Mère Supérieure des Servantes des Pauvres d'Angers d'avoir bien voulu mettre à notre disposition les conférences sur les fins dernières données en 1985 aux jeunes sœurs de sa Maison par le Père Paissac (o. p.), de vénérée mémoire. Ces précieuses notes inédites nous ont permis plus d'une fois d'enrichir celles du cours du professeur de dogme de Fontgombault, le Révérend Père Dom Yves Chauveau, dont les pages qui suivent voudraient être un abrégé à l'usage des fidèles.

Nous confions tous ceux qui voudront bien se donner la peine de le lire ce modeste ouvrage, à l'intercession de la vénérable Marie-Pauline Jaricot, fondatrice de l'œuvre des Bons Livres et, avant tout, à celle de Notre-Dame du Bien-mourir.

1 Cf. Dom Delatte, Commentaire sur la Règle de saint Benoît. Éd. de Solesmes, p. 82.

2 Règle de saint Benoît. Prologue.

3 Ps 22, 4.

4 BENOÎT XVI Message pour la XXIe J. M. J., 22 fév. 2006.

5 Mt 13.45-46.

(3)

I

LE MYSTÈREDENOTREDESTINÉE

Que se passe-t-il au delà de notre vie sur la terre ? Qui le sait ? Qui ne désirerait le savoir ? Laissé à lui-même, l'homme éprouve beaucoup de difficulté à établir des certitudes sur ce qui l'attend : c'est le domaine du mystère.

Un mystère caché

Cependant, la croyance à la survie de l'âme a été si universellement répandue, à l'origine de toutes les civilisations, qu'on ne possède aucune preuve de l'existence d'un peuple qui n'ait, d'une façon plus ou moins rudimentaire, adhéré à cette foi.

Il est vrai que cette croyance a été niée, notamment par des philosophes, dans des milieux dits plus évolués : nous sommes les enfants du hasard ; après quoi nous serons comme si nous n'avions Jamais existé6. Parfois, elle est conçue non comme une survie individuelle, mais comme le retour au principe universel, à l'éther lumineux, à l'âme du monde. Ainsi les doctrines asiatiques nient, en général, l'immortalité personnelle de l'âme : la félicité consiste dans la disparition du moi.

S'il s'agit d'immortalité personnelle, l'opinion la plus simple la voit en relation avec le tombeau, qui constitue le dernier séjour du défunt, de son âme. D'où les soins funéraires et le culte des ancêtres.

Ou bien les âmes descendent au séjour des morts, au pays sans retour, région de ténèbres où elles mènent une vie diminuée à l'ombre de la mort.

Certains néanmoins, favorisés des dieux, peuvent être associés à la vie bienheureuse, être introduits aux Champs Élysées comme les héros grecs, ou dans les Champs des Roseaux pour le Pharaon, privilège étendu par la suite (pesée des âmes chez les Égyptiens...). C'est ce bonheur que procure encore l'initiation aux mystères par lesquels l'âme s'unit à Dieu ou s'apparente à lui et obtient l’immortalité bienheureuse.

Mais lorsque l'âme rejoint ainsi le monde divin, ce n'est pas l'union à Dieu qui est recherchée : il s'agit moins de vivre avec les dieux que de vivre comme eux, de jouir de leur repos, de leur félicité. On n'imagine pas de relations d'amitié avec eux.

En ce qui concerne l'avenir collectif de l'humanité, on remarque l'idée fréquente du perpétuel retour des choses : le monde parcourt une série de cycles sans fin...

À cette croyance se joint souvent celle de la métempsychose, ou transmigration des âmes à travers divers corps (incarnations successives) : idée orientale qu'on trouve aussi chez Platon... et chez les Gaulois, au dire de César (de Bello Gallico).

Tout cela montre la transcendance de la vision chrétienne. Elle comble les aspirations de l’homme à un bonheur plénier : elle les dépasse en le faisant entrer dans la vie et l'amitié de Dieu contemplé éternellement. Et à ce bonheur spirituel, le corps lui-même se trouvera associé lors de la résurrection générale qui rassemblera autour du Christ tous les élus dans une même louange et une même allégresse. Mais cette doctrine repose sur la révélation divine et ne fut proposée en plénitude qu'au terme d'un long progrès.

Le dévoilement du mystère L'Ancien Testament

La Révélation s'ouvre par une promesse, la Promesse faite à Abraham. Mais ce que Dieu promet, ce n'est pas le Ciel, c'est une terre, la Terre promise, lot et héritage d'Abraham et de sa descendance. L'horizon reste limité à la vie terrestre.

Quant au sort de ceux qui sont morts, Israël partage les conceptions communes du monde babylonien : ils descendent dans les ténèbres, dans la terre de l'oubli, au shéol, pour y mener une existence ralentie, misérable, où même la louange de Dieu est impossible7. Tel est le sort commun et peu enviable de tous, riches et pauvres, bons et méchants.

6 Sag 2, 2.

7 Ps 6,6 ; 113 B,I7.

(4)

Pourtant, le Dieu d'Israël est juste : il récompense le bien, la fidélité à l'alliance, et punit l'infidélité.

Adam et Eve, Caïn sont châtiés pour leurs péchés. Le déluge, qui punit l'humanité corrompue, épargne le juste Noé. De même Lot, innocent, échappe au châtiment des Sodomites.

Le problème se pose alors : comment se fait-il que l'on voie des méchants heureux et des justes dans l'affliction ? C'est la grande question qui traverse tout le Livre de Job : les réponses traditionnelles sont insuffisantes, mais aucune autre n'apparaît, si ce n'est l'affirmation de la souveraineté absolue de Dieu, pour qui aucun dessein n 'est irréalisable8.

Or c'est aux humbles que Dieu révèle ses desseins, aux pauvres et aux petits qui se confient en Lui et dont la prière s'exprime spécialement dans les Psaumes. Dans l'approfondissement de l'alliance fondée sur l'amour gratuit se dévoile pour eux le mystère d'une union plus forte que la mort : Dieu est le roc de mon cœur et ma part à jamais9.

Les Prophètes déjà avaient annoncé, après le châtiment purificateur du Jour de Yahvé, la survivance d'un reste, prémices d'un peuple nouveau qui goûterait, sur une terre renouvelée et sanctifiée, un bonheur plénier et définitif, dans l'amitié retrouvée avec Dieu ; la douleur, la mort même, suite du péché, seraient vaincues10.

Mais c'est dans le contexte de la persécution violente du temps des Macchabées que se fait la révélation prophétique ultime : Daniel annonce le grand jugement de Dieu, le triomphe final des justes, auquel seront associés ceux qui dorment dans la poussière et qui se réveilleront les uns pour une Vie éternelle, les autres pour la honte et la réprobation éternelle11.

Ainsi à la fin de l'Ancien Testament, l'espérance juive est pleine d'immortalité12, certitude qui transfigure les perspectives traditionnelles : tandis que le pécheur vit pour la terre et ses jouissances passagères, le juste vit pour le Ciel où est sa récompense auprès de Dieu. Le mystère de la souffrance du juste s'éclaire ainsi : Dieu qui le soumet à l'épreuve et à une peine légère, lui donnera, dans l'éternité, la couronne de gloire.

Les esprits sont ainsi préparés à recevoir les enseignements du Seigneur.

Le Nouveau Testament

On trouve dans l'Évangile le thème de la résurrection des morts, que Jésus affirme face aux Sadducéens13. On y trouve surtout le thème du Jugement, principalement le jugement final, qui opère la séparation définitive des bons et des méchants, des brebis et des boucs, du bon grain et de l'ivraie ; celui aussi qui attend chaque âme à la fin de son existence terrestre, comme dans la parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche ; celui enfin qui s'exerce dans le secret du cœur, selon qu'il accueille ou qu'il refuse le Christ.

En conséquence, le Seigneur Jésus annonce les récompenses qui seront dues à chacun selon ses mérites : le Ciel, le Royaume des Cieux pour les justes ; la géhenne de feu, les ténèbres extérieures pour les méchants, là où seront les pleurs et les grincements de dents14.

Cependant, les perspectives anciennes sont renouvelées, et cela en fonction de la Personne divine du Sauveur ressuscité, qui nous a aimés et qui a versé son sang pour chacun de nous. Désormais, attendre le Jugement pour les chrétiens, c'est attendre son Retour. Ce Jugement, c'est à Lui qu'il est remis15 et c'est Lui qui l'opère de façon souveraine. C'est de l'attitude prise à son égard que dépendent les sentences. C'est à sa Résurrection déjà accomplie qu'il s'agit de participer. La récompense, c'est de voir sa gloire, d'être uni à Lui pour toujours, d'être enfin là où II est, dans le sein du Père16, pour être admis, avec son humanité sainte, à la vision face à face17, et voir Dieu tel qu'il est18.

Désormais, les biens célestes sont communiqués en plénitude : l’homme retrouve sa communion filiale, son intimité avec Dieu. Les réalités éternelles ont envahi le monde présent. La mort est vaincue.

8 Job 42, 2.

9 Ps 72, 26.

10 Is 25 et 65.

11 Dan 12. 2-3.

12 Sag 3, 4.

13 Lc 20, 27-40.

14 Mt 25, 30.

15 Jn 3,22 et 27.

16 Jn 1,18 ; cf.Jn 17,24.

171 Co 13.12.

18 1 Jn 3, 2.

(5)

II

LORSQUE DIEUCOUPERALEFILDENOTREVIE

Aux dires de certains, la mort serait le terme absolu et définitif de l'existence humaine : l'homme perdrait son être, entrerait dans le néant ; au mieux la personne se dissoudrait dans un grand tout indifférencié, un nirvana sans retour.

Pour d'autres, au contraire, elle ne serait qu'un terme relatif, la fin d'une étape, d'un épisode, pour une âme qui a encore d'autres vies à vivre, qui poursuit sa route, ses (trans)migrations.

La doctrine chrétienne tient entre ces deux opinions un milieu qui est un sommet : - la mort n'est pas la fin de l'existence personnelle, un anéantissement ;

- elle marque cependant pour l'homme le terme de l'état de voie et de mérite. Les hommes ne meurent qu'une fois, après quoi il y a un jugement (Hb 9, 27). Autrement dit, le sort de l'homme est éternellement fixé en fonction de l'état où la mort l'a trouvé. Il n'y a pas de « réincarnation » après la mort (CEC, n° 1013).

Le « sens » de la mort

Je ne meurs pas, j'entre dans la vie Sainte Thérèse de l'E.- J.

Pourquoi l'homme meurt-il, pourquoi doit-il mourir? S'agit-il d'une loi de nature, nécessaire ; ou est- ce le résultat d'un accident, un châtiment, une peine ?

La réponse à cette question nous est révélée dès les premiers chapitres du Livre de la Genèse où la mort apparaît comme une conséquence de la désobéissance de nos premiers parents. Conformément à l'avertissement que Dieu avait donné à Adam : De l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort, tombe la sentence, après la transgression : Tu retourneras en poussière19.

Saint Paul fait pour toute la descendance d'Adam ce triste constat : C'est par un seul homme que le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, ainsi la mort a atteint tous les hommes20.

Il est intéressant de remarquer ici combien la Révélation justifie l'étonnement commun devant la mortalité de l'homme et son sinistre cortège de souffrances et de drames : tout cela peut-il avoir une cause simplement naturelle et surtout être voulu par le Créateur ? Dieu n 'a pas fait la mort, est-il écrit dans le Livre de la Sagesse, Il ne prend pas plaisir à la perte des vivants [...]. Oui, Dieu a créé l'homme pour l'incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature ; c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde21...

Et pourtant, la mort ne devrait-elle pas être naturelle à l'homme, comme elle est naturelle à tout être matériel, spécialement à tout corps organisé, dont la complexité même fait la fragilité ?

Il en aurait été ainsi en effet, si Dieu, dans sa sagesse et sa bonté, n'avait conféré à l’homme, à titre de don gracieux surajouté à la nature, l'immortalité corporelle. Ce faisant, il lui épargnait la corruption commune aux êtres vivants, en égard à son âme immortelle.

Le Paradis perdu

Or cette grâce n'était pas un bienfait isolé ; elle faisait partie de l'état de perfection dans lequel Dieu, par amitié, avait au commencement établi l'homme, dont il faisait son ami. Fondamentalement, cet état, appelé justice originelle, consistait dans la parfaite ordination et soumission de l'âme à Dieu. L'âme unie à Dieu recevait de Lui un surcroît de vigueur qui préservait son corps de la corruption. Au terme d'une vie physique exempte de tout ennui et de toute lourdeur, l'homme serait passé, sans angoisse ni séparation de l'âme et du corps, du Paradis de la terre à celui des Cieux. Dans cette nouvelle naissance, l'âme, admise à la Vision de Dieu, aurait entraîné son corps vers la gloire.

Les déshérités du paradis terrestre que nous sommes ont bien du mal à se remémorer la noblesse de leurs origines et à mesurer les splendeurs de nature et de grâce dont Dieu s'était plu à doter leurs premiers parents, et qu'ils auraient dû transmettre à leurs descendants.

19 Gen 2, I7et 3, 19.

20 Ro 5, 12 ; cf. Concile de Trente. Session V.

21Sag 1, 13 et 23-24.

(6)

Mais Dieu nous l'a révélé et l'Église nous l'enseigne : En créant l'homme et la femme. Dieu leur avait donné une participation spéciale à sa vie divine, dans la sainteté et la justice. Dans le projet de Dieu, l'homme n'aurait dû ni souffrir ni mourir. En outre, il régnait une harmonie parfaite de l'homme en lui- même, entre la créature et le créateur, entre l'homme et la femme, comme aussi entre le premier couple humain et la création22.

Par le péché, l'homme perdit librement l'amitié divine, il perdit donc la grâce et tous les privilèges accordés à l'ami, à l'enfant de Dieu. L'âme rebelle à Dieu perdit la pleine domination sur ses passions, et encore la pleine soumission de son propre corps. Celui-ci fut laissé à sa corruptibilité naturelle.

Jésus, le Bon Samaritain

D'emblée. Dieu a aimé la race humaine d'un amour fou, écrit le cardinal Joumet, jusqu'à vouloir se donner lui-même à elle dans la vision du Ciel. L'offense du premier acte humain méprisant un tel amour est terrifiante. Pourra-t-elle jamais être compensée ? Puisque Dieu ne peut nous contraindre à l'aimer, puisqu'il accepte de jouer avec nous le jeu si périlleux de notre libre arbitre et de notre libre amour donné ou refusé, il faudrait que d'un cœur humain, non touché par nos déchéances - mais ayant expérimenté notre détresse et souffert en sa chair, qui est la nôtre, la tragédie de notre péché - monte pour nous vers le Ciel un acte de libre et infaillible amour d'une telle intensité qu'il surcompense infiniment la première offense : il faudra qu'un Dieu se fasse homme. S'il n'avait pas songé à cette seconde folie de son amour. Dieu n'aurait pas permis la première offense, il n 'aurait même pas créé le genre humain et tout l'univers des choses visibles23.

Quand vint donc la plénitude du temps. Dieu, à cause de l'amour extrême dont il nous a aimés, nous envoya son propre Fils, Jésus-Christ ; lequel ayant pris chair de la Vierge Marie s'est fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la Croix24. Ayant offert avec un grand cri et avec larmes ses prières et supplications à Celui qui pouvait le tirer de la mort, il a été exaucé en raison de sa piété [...], devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent25. Aussi, remontant au Ciel après sa Résurrection, peut-il dire à ses disciples ; Toute puissance m 'a été donnée dans le Ciel et sur la Terre. Allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné26.

En incorporant le croyant au Christ mort et ressuscité, le Baptême détruit la faute originelle et tous les autres péchés ; il en efface la souillure, restituant à l'âme la grâce divine. Il délivre de la peine éternelle qui nous privait de la vision de Dieu.

Quant à la mort, elle ne sera définitivement vaincue qu'à la résurrection générale, mais dès maintenant, la grâce lui dorme un sens nouveau : sans cesser d'être pénible et odieuse à la nature, elle perd pour le fidèle son amertume, elle lui devient douce, précieuse, heureuse. Car ce décès de la vie terrestre lui donne accès à la vie béatifiante : c'est l'entrée dans la vraie vie, c'est le jour de sa naissance, son véritable Noël, c'est l'heure même de la Rencontre ; c'est la joie d'aller au Christ, de souffrir pour Lui, de mourir avec Lui et en Lui, suivant l'ardent désir de saint Paul : Le connaître, Lui, avec la puissance de Sa Résurrection et la communion à Ses souffrances. Lui devenir semblable dans Sa mort, afin de parvenir si possible à la résurrection d'entre les morts27...

… Car, en nous sauvant Dieu n'est pas venu nous dispenser d'aimer ! Au contraire, il nous appelle à aimer dans le Christ, en dormant - nous aussi - notre vie, à entrer dans ce mystère d'amour qui est la gloire du Christ : Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu 'on aime28.

Aux chrétiens qui voulaient empêcher son martyre, saint Ignace d'Antioche écrivait ; Laissez-moi imiter la Passion de mon Dieu !

Je vous écris vivant et désirant mourir : mon amour est crucifié et il n'y a plus en moi d'ardeur

pour la matière, il n'y a plus qu 'une eau vive qui murmure au-dedans de moi et me dit :

Viens vers le Père29 22 Compendium du C. E. C, n°72.

23 La Rédemption, Drame de l'Amour de Dieu. Genève, 1972, p. 27, 24 Phil 2. 8.

25 Hb 5. 7-9.

26 Mt 28, 18-19 et Mc 16, 16.

27 Ph 3, 10-11.

28 Jn 15, 13.

29 Saint Ignace d'Antioche, Epitre aux Romains, VI, 3 et VII, 2.

(7)

L'importance de la mort

Tel qu 'en lui-même enfin, l'éternité le change Mallarmé

Le choix décisif

Avec la mort cessent le temps du mérite et la possibilité de la conversion. C'est là une vérité que l'Église a toujours professée explicitement et expressément30. Elle est de foi. Elle s'oppose aux doctrines de réincarnation et aux théories selon lesquelles les mauvais anges et les damnés, à la fin, se convertiraient.

Nous devons tous comparaître devant le tribunal du Christ, écrit saint Paul, afin que chacun recueille le prix de ce qu 'il aura fait pendant qu 'il était dans son corps, soit en bien, soit en mal31.

C'est chose assurée, lit-on sous la plume de saint François de Sales, que l'état auquel nous nous trouverons à la fin de nos jours, lorsque Dieu coupera le fil de notre vie, sera celui où nous demeurerons pour toute l'éternité32.

Déjà saint Benoît, commentant l'Évangile (cf. Jn 12, 35), nous avertissait en ces termes : Si nous voulons échapper aux peines de l'enfer et parvenir à la vie éternelle, tant que nous sommes encore dans ce corps et que nous pouvons, à la lumière de cette vie, accomplir tout cela, il nous faut courir et faire maintenant ce qui nous profitera pour l'éternité33.

Le sort de l'homme est donc définitivement fixé au dernier instant de sa vie corporelle. La fin vers laquelle tend l'âme au moment où elle se sépare de son corps devient sa fin irrévocable pour le bien ou pour le mal. Cet instant de la mort est l'analogue de celui où les anges, en un acte unique, se portèrent au bien ou au mal, fixant sans retour leur sort éternel. Seulement l'épreuve humaine, que l'instant de la mort termine, aura duré toute la vie terrestre34.

A l'approche de la mort, Satan et les anges rebelles s'efforcent d'entraîner à la perdition la pauvre âme qui se débat et qui, trop souvent, ne s'est guère préparée au choix décisif auquel désormais elle ne peut plus se soustraire. Ceux qui assistent les mourants peuvent en témoigner : même après la mort apparente, le visage trahit parfois la lutte qui semble se livrer mystérieusement jusqu'à ce que l'âme quitte le corps.

Appelons saint Michel et les saints anges à notre secours, pour qu'ils nous arrachent aux pièges du Prince des Ténèbres :

Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat, afin que nous ne périssions pas au jour du Jugement redoutable35 !

Au cours de chaque vie humaine, de manière plus ou moins explicite, les prévenances et les invitations de la grâce divine ne manquent jamais. Le temps qui s'écoule nous dorme libéralement le loisir de nous convertir et de répondre enfin par des actes à Celui qui nous a aimés d'un amour éternel. Le dernier acte de la vie terrestre, celui de la mort, devrait alors consacrer et mettre le sceau de l'irrévocable à cette personnalité spirituelle qu'avec l'aide de Dieu, l'homme a été à même de se former au cours de son existence.

N'est-ce pas ignorer l'intention même de la vie que de la faire servir à des délais sans fins, d'autant plus périlleux que la trame peut se déchirer soudainement36 ? Qui peut se promettre aujourd'hui d'être encore vivant demain ? Insensé, dit le Seigneur au riche de la parabole, cette nuit même on va te redemander ton âme37.

30 Cf. Synode de Constantinople (543). LEON X (1520), CEC, n" 1013, 31 2 Co 5. 10.

32 Sermon pour le Vendredi Saint. Ed. d'Annecy, t, IX, p. 283, 33Prologue de la Règle.

34 Envisager un instant au-delà de la mort où l'âme séparée pourrait encore se convertir serait une dangereuse illusion, contraire à la Sainte Écriture, à la Tradition et à la condition naturelle de l'agir humain où le corps est intimement uni à l'âme. Ce serait assimiler cette dernière à un esprit pur et cela aboutirait à dépouiller la vie terrestre de sa portée d'éternité, la réduisant à un stage plus ou moins long dans un monde tranquillement profane, où l'homme serait comme un enfant incapable de s'engager vraiment dans un choix décisif.

35 Verset de l'Alléluia de la fête de Saint-Michel.

36 Dom Delatte, Commentaire sur la Règle de saint Benoît, op. cit., p, 19.

37 Lc 12, 20.

(8)

Tenez-vous prêts !

Comprenez bien ceci, nous dit encore Jésus : si le maître de maison savait à quelle heure le voleur doit venir, il ne laisserait pas percer le mur de la maison. Vous aussi tenez-vous prêts, car c 'est à l'heure que vous n'y pensez pas que le Fils de l'homme va venir38.

Nous tenir prêts, c'est nous rappeler sans cesse notre condition mortelle, et considérer chaque jour de notre vie comme un sursis accordé par Dieu pour notre conversion ; c'est vivre constamment sous le regard de Dieu et donner à chaque instant son poids d'éternité et d'amour. Les saints n'ont pas fait autre chose39, et c'est de cette façon qu'ils ont pu rendre les plus grands services à l'humanité.

Le monde, au contraire, s'emploie à endormir nos consciences, à camoufler la mort et à faire oublier la vie future. Les mortels, disait Bossuet, n'ont pas moins soin d'ensevelir les pensées de la mort que d'enterrer les morts mêmes40.

Même lorsque la réalité de la mort s'impose de manière brutale, à l'occasion d'un accident par exemple, le corps médical a la consigne de s'appliquer à restaurer l'illusion de l'immortalité chez les survivants. Ceci s'enseigne très officiellement, du haut de la chaire de Médecine légale, à l'Université41.

Le croira-t-on ? Certains vont jusqu'à espérer que les progrès de la science permettront d'échapper un jour à la mort elle-même. Cette illusion non avouée d'une possible immortalité de l'homme sur terre, écrit Damien Le Guay, d'un accès imminent à un paradis ici-bas, sans dieux, sans fin, sans peur, est une illusion vénéneuse. Elle vient polluer les débats et corrompre la réflexion. Nous avons perdu la mort comme cérémonie sociale d'accompagnement, nous sommes en train de perdre, petit à petit, de petits mensonges en flatteuses avancées scientifiques, la certitude que l'homme est mortel et qu 'il nous faut nous préparer à cette fatale évidence42.

Une telle constatation rejoint l'analyse de Jean-Paul II : La civilisation contemporaine, dit-il, fait tout ce qui est en son pouvoir pour détourner la conscience humaine de l'inéluctable réalité de la mort en tentant de pousser l'homme à vivre comme si la mort n 'existait pas ! La réalité de la mort est cependant évidente. Il n 'est pas possible de la faire taire ; il n 'est pas possible de dissiper la peur qui l'accompagne.

L'homme craint la mort, comme il craint ce qui vient après la mort. Il craint le jugement et la punition, et cette crainte a une valeur salvifique : elle ne doit pas être effacée de l'homme43.

Priez !

Sur notre planète, il meurt environ mille huit cents personnes tous les quarts d'heure44, soit deux décès par seconde. Demandons pour elles, dans notre prière quotidienne, des grâces spéciales de lumière et de conversion. Invoquons spécialement Notre-Dame. Jésus n'a pas dédaigné son secours maternel lorsque son heure fut venue : Debout, au pied de la Croix, se tenait sa Mère45. Comment les chrétiens pourraient-ils négliger d'avoir recours à Elle à cet instant suprême ? C'est bien ce qu'ils lui demandent tous les jours dans le Je vous salue Marie : « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort».

Quant à saint Joseph, il eut la grâce de mourir entouré de la présence et de l'affection de Marie, dont il était le virginal époux, et de Jésus lui-même, son fils adoptif. Tout chrétien rêve d'une pareille compagnie pour le jour de son trépas et c'est pourquoi il prie saint Joseph, patron de la Bonne Mort.

Cependant nous ne pourrons affronter dans la paix cette ultime épreuve si nous négligeons de nous y préparer en étant fidèles, jour après jour, aux engagements de notre baptême, aux vérités de la foi et à la pratique de la charité. Aujourd'hui encore, le Christ ne cesse de nous y aider, par l'intermédiaire de ses représentants sur la terre (voir infra : Un vade-mecum pour le Paradis).

38 Lc 12, 39-40.

39 S. Antoine le Grand disait : Chaque jour, en nous levant, pensons que nous ne subsisterons pas jusqu'au soir, et le soir, en nous couchant pensons que nous ne nous réveillerons pas (Vie, 19.)

40 Sermon pour le vendredi de la IVe semaine de Carême 1666, Exorde.

41Cf. cours donné le 25 mars 2005 dans le cadre du 3" cycle à des médecins spécialistes dans une faculté française, 42 Qu'avons-nous perdu en perdant la mort ? Éd. du Cerf. 2003, p. 15.

43 Homélie du 23 avril 1995. ORF n° 8.

44 Cf Encyclopédie de la population mondiale. Syrinx 1999.

45 Jn 19.25.

(9)

Actes d'offrande de sa mort

O Jésus,

Adorant votre dernier soupir, je Vous prie de recevoir le mien.

Ignorant actuellement si j'aurai le libre usage de mon intelligence quand je quitterai ce monde, je Vous offre dès maintenant mon agonie

et toutes les douleurs de mon trépas.

Vous êtes mon Père et mon Sauveur, je remets mon âme entre vos mains.

Je désire que mon dernier moment soit uni à celui de votre mort

et que le dernier battement de mon cœur soit un acte de fervent amour pour Vous.

Seigneur, mon Dieu, dès aujourd'hui j'accepte volontiers et justement de votre main le genre de mort qu 'il Vous plaira

avec toutes ses douleurs, ses peines et ses angoisses.

Ainsi soit-il.

Saint Pie X

Si un jour la maladie devait envahir mon cerveau et anéantir ma lucidité, déjà, Seigneur, ma soumission est devant Toi et se poursuivra en une silencieuse adoration.

Si un jour un état d'inconscience prolongée devait me terrasser, je veux que chacune de ces heures que j'aurai à vivre soit une suite ininterrompue d'actions de grâces et que mon dernier soupir soit aussi un soupir d'amour. Mon âme, guidée à cet instant par la main de Marie, se présentera devant Toi pour chanter tes louanges éternellement

Le serviteur de Dieu Jean-Paul II

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III

L’EXAMEN FINALDEL’ÂME

Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier46 qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification, soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du Ciel, soit pour se damner immédiatement pour toujours. Telle est la foi de l'Église, fondée sur les affirmations du Nouveau Testament.

Une sentence immédiate

Jésus, dans la parabole du pauvre Lazare, nous dépeint en effet le mauvais riche souffrant, du vivant de ses cinq frères, les tourments de l'Enfer, tandis que Lazare reçoit déjà sa consolation47. Et du haut de la Croix, Il déclare solennellement au bon larron : En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis48.

Quant à saint Paul (et, à son exemple, les martyrs et les saints), il considère la mort comme un gain, car elle lui donne le Christ, qui est sa vie49. Nous savons, écrit-il, que résider en ce corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur [...], aussi préférons-nous nous exiler de ce corps pour aller résider auprès du Seigneur50. Et saint Thomas commente : Ce serait en vain que les saints désireraient et se réjouiraient de quitter leur corps si, délivrés de ce corps, ils n 'étaient point admis en la présence de Dieu. Il faut donc dire que les saints, aussitôt après la mort, voient Dieu en son essence et sont dans la demeure céleste.

Un véritable jugement, au Tribunal de la Vérité

D'autre part, la rétribution des âmes au moment de la mort, en tant qu'œuvre de justice, suppose et implique un véritable jugement : non pas encore le jugement général du dernier jour à la résurrection des corps, dont nous parlerons plus loin, mais un jugement particulier pour chaque âme.

Ce jugement s'effectue au premier instant de la vie de l'âme séparée. Il est l'œuvre du Christ, à qui le Père a donné le pouvoir d'exercer le jugement parce qu'il est Fils d'homme51. Si le jugement prévoit bien évidemment la possibilité d'une condamnation, disait Jean-Paul II, Il est toutefois confié à celui qui est « Fils d'homme », c'est-à-dire à une personne pleine de compréhension et solidaire de la condition humaine. Le Christ est un juge divin avec un cœur humain, un juge qui désire donner la vie. Seul l'enracinement impénitent dans le mal peut l'empêcher de faire ce don, pour lequel II n 'a pas hésité à affronter la mort52.

Le jugement particulier ne ressemble pas à ceux de nos tribunaux : nul besoin de paroles, a fortiori de discours. Il s'agit d'un jugement tout intérieur, où la conscience, dégagée de toutes ses ignorances et de ses dissimulations, devient un pur écho du jugement de Dieu.

Ce qu'il y a pour nous de plus redoutable dans ce jugement, dit saint Jérôme, ce n'est ni la majesté du juge, ni sa puissance, ni sa grandeur, mais sa vérité, cette vérité qui nous confondra.

La lumière de Dieu tombera d'aplomb sur tous les actes libres que nous aurons posés au cours de notre existence : pensées, paroles et actions les plus secrètes. Elle éclairera instantanément l'âme sur ses mérites et ses démérites et sur la sentence qui en résultera nécessairement :

- ou bien la bénédiction et la récompense définitive (au besoin, à travers une purification) : le royaume préparé pour les justes depuis la création du monde ;

- ou bien la malédiction et le châtiment définitif : le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.

Ce sont les sentences que le Christ prononcera solennellement lors du Jugement Dernier53, mais qui s'appliquent à chaque âme dès qu'elle quitte son corps.

46 CEC, n° 1022.

47 Lc 16, 19-31.

48 Lc 23, 43.

49 Phil 1, 21.

50 2 Co 5, 6 et 8.

51 Jn 5,27.

52 Audience Générale du 22 avril 1998.

53 cf. Mt 25, 31-46.

(12)

Dans cette même chambre où vous aurez rendu l'âme et où Jésus-Christ vous aura jugé, on dansera, on mangera, on jouera et on rira comme auparavant. Et votre pauvre âme, où se trouvera-t-elle alors ?

Saint Alphonse de Liguori Sachant donc de la certitude de notre foi que notre âme sera jugée et cela avant même que notre corps soit froid, travaillons à notre salut avec crainte et tremblement54. Car c'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant55.

Comment le caractère si débonnaire de notre Sauveur, du charitable médecin de nos âmes, s'est-il ainsi transformé, s'interroge Dom Guéranger ? « Retirez-vous de moi maudits ; allez au feu éternel56 ! » Et c'est dans l'Evangile même, le code de la loi de l'amour, que l'Église a trouvé ce formidable récit.

Cependant, pécheur, ne vous y trompez pas ; lisez attentivement, et vous reconnaîtrez avec épouvante en Celui qui prononce cet affreux anathème, le même Dieu dont le Prophète vous a décrit la miséricorde, la patience, le zèle pour toutes ses brebis57... Le Fils de Dieu veut remplir la charge du berger jusqu'au dernier jour. Mais les conditions sont changées, il n'y a plus de temps, l'éternité ouvre ses profondeurs ; le règne de la justice commence : justice qui accorde aux amis de Dieu la récompense promise ; justice qui précipite le pécheur impénitent dans l'abîme sans fond. Il serait trop tard alors de songer à la pénitence, elle n 'a lieu que dans le temps, et le temps n'est plus [...]. En vérité, l'homme est à lui-même son plus cruel ennemi, lorsqu'il écoute avec insensibilité cette parole de son Sauveur présent, de son Juge à venir : « Si vous ne faites pas pénitence, vous périrez tous »58.

La Crainte de Dieu, commencement de la sagesse et Don du Saint-Esprit, s'est estompée dans la conscience de l'homme moderne. Il en est venu à oublier qu'il aura un compte à rendre à son Créateur.

Comment, dans ces conditions, ne se laisserait-il pas bercer par les illusions des prétendues spiritualités alternatives ? Dans le Nouvel Age, dit un document romain, il n'existe pas de distinction entre le bien et le ma. Les actions humaines sont le fruit soit de l'illumination, soit de l'ignorance. En conséquence, personne ne doit être condamné, et personne n 'a besoin d'être pardonné59.

Cette « doctrine » est un pur écho du mensonge glissé par le serpent à l'oreille de notre première mère : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais [...] vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal60. On connaît la suite...

Cependant Jésus nous a rachetés du pouvoir du diable et nous a rouvert le chemin de la Patrie céleste. Dans son amour inventif et afin de nous sauver tous, il a institué un tribunal de miséricorde, où tous ceux qui, dans un repentir sincère, anticipent volontairement le jugement en s'accusant eux-mêmes, reçoivent le pardon de leurs péchés : c'est le sacrement de la Pénitence et de la Réconciliation...

Seuls notre manque de foi et notre endurcissement dans le péché pourraient empêcher le Christ de nous sauver.

Maudits de Dieu ! Dieu dira aux réprouvés : « Allez, maudits ! »...

Maudits de Dieu ! Ah ! Quel horrible malheur ! Comprenez-vous, mes enfants ?

Maudits de Dieu !... de Dieu qui ne sait que bénir ! Maudits de Dieu, qui est la bonté même ! Maudits sans rémission ! Maudits pour toujours. Maudits de Dieu !

Quand nous nous lasserons de nos exercices de piété et que la conversation avec Dieu nous ennuiera, allons à la porte de l'Enfer, voyons ces pauvres damnés qui ne peuvent plus aimer le Bon Dieu. Si un damné pouvait dire une seule fois :

« Mon Dieu, je vous aime ! », il n 'y aurait plus d'Enfer pour lui... Mais, hélas ! Cette pauvre âme ! Elle a perdu le pouvoir d'aimer qu 'elle avait reçu, et dont elle n 'a pas su se servir. Son cœur est desséché comme la grappe quand elle a passé sous le pressoir. Plus de bonheur dans cette âme, plus de paix, parce qu 'il n'y a plus d'amour. Ce n'est pas Dieu qui nous damne, c 'est nous pour nos péchés. Les damnés n'accusent pas Dieu ; ils s'accusent eux-mêmes ; ils disent : « J'ai perdu Dieu, mon âme et le Ciel, par ma faute ».

Le Saint Curé d'Ars 54 Phil 2, 12.

55 Hb 10,31.

56 Mt 25.41.

57 Il s'agit d'Ézéchiel, au chapitre 34.

58 Année Liturgique, lundi de la 1re semaine de Carême.

59 Jésus-Christ, le Porteur d'eau vive, 2003.

60 Gen 3, 4-5.

(13)

IV

LES TÉNÈBRES EXTÉRIEURES

Jésus parle souvent de la « géhenne », du « feu qui ne s'éteint pas », réservée à ceux qui refusent jusqu'à la fin de croire et de se convertir, et où peuvent être perdus à la fois l'âme et le corps. Jésus annonce en termes graves qu 'Il « enverra ses anges, qui ramasseront tous les fauteurs d'iniquité [...], et les jetteront dans la fournaise ardente » et qu'il prononcera la condamnation: «Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel61 ! »

Une vérité de foi

L'existence de l'Enfer, châtiment des pécheurs morts impénitents, est une vérité de foi. C'est l'enseignement de la Sainte Écriture, c'est le pur Évangile. On a cherché à le nier ou à le faire oublier, comme toute vérité gênante. Il y en a qui perdent la Foi, disait le Curé d'Ars, et ne voient l'Enfer qu 'en y entrant62. La Mère de Dieu, quant à Elle, n'a pas craint de montrer l'Enfer aux petits enfants de Fatima. Et sainte Faustine, l'apôtre de la Miséricorde canonisée en l'an 2000, a écrit ces lignes impressionnantes dans son Petit Journal (Manuscrit, p. 168): Moi, sœur Faustine, par ordre de Dieu, j'ai été dans les gouffres de l'Enfer, pour en parler aux âmes et témoigner que l'Enfer existe [...]. J'ai remarqué une chose : qu 'il y a là-bas beaucoup d'âmes qui doutaient que l'Enfer existe. Quand je suis revenue à moi, je ne pouvais apaiser ma terreur de ce que les âmes y souffrent terriblement, c 'est pourquoi je prie encore plus ardemment pour la conversion des pécheurs, sans cesse j'appelle la miséricorde de Dieu pour eux63.

Puisque nous ne pouvons douter de l'Enfer, il ne nous reste qu'à le craindre par dessus tout et à l'éviter à tout prix : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps mais ne peuvent tuer l'âme : craignez plutôt celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la géhenne64. Et si ton œil est pour toi une occasion de péché, arrache-le : mieux vaut pour toi entrer borgne dans le Royaume de Dieu que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne, où le ver ne meurt point et où le feu ne s'éteint point65.

Il faudrait avoir perdu la foi pour rester indifférent à ces mises en garde répétées du Sauveur. Elles ne doivent pas pour autant, selon les expressions de Jean-Paul II, créer de psychose ni d'angoisse, mais elles représentent un avertissement nécessaire et salutaire à la liberté, au sein de l'annonce selon laquelle Jésus le Ressuscité a vaincu Satan, nous donnant l'Esprit de Dieu, qui nous fait invoquer : « Abba, Père ».

Cette perspective riche d'espérance, poursuivait le Pape, prévaut dans l'annonce chrétienne. Elle est effectivement reprise dans la tradition liturgique de l'Èglise, comme en témoignent, par exemple, les paroles du Canon Romain. « Acceptez avec bienveillance, ô Seigneur, l'offrande que nous vous présentons, nous, vos ministres et toute votre famille [...]. Sauvez-nous de la damnation éternelle et accueillez-nous dans le troupeau de vos élus66 ».

Cela dit, combien estiment encore nécessaire de prier le Seigneur de les délivrer de la damnation éternelle ? Dans les esprits, le troupeau des élus tend à s'identifier avec le genre humain tout entier. Il nous souvient d'un prédicateur de retraites qui, dans les années soixante-dix, enseignait à son auditoire que l'Enfer était vide d'âmes : puisque Dieu est Amour, disait-il, il ne peut abandonner aucun homme aux tourments de l'Enfer. Thèse bienveillante et pleinement rassurante pour les pécheurs que nous sommes !

Des âmes en Enfer

Mais qu'en est-il en réalité ? Les anges rebelles seraient-ils les seuls à peupler l'Enfer ? C'est la question que se pose Monsieur l'abbé Jean-Marc Bot dans un livre récent. Nous n'avons rien à ajouter à sa réponse : Nulle part on ne trouve dans l'Ecriture la problématique qui domine la pensée actuelle sur l'existence seulement hypothétique d'un Enfer peuplé [...]. L'existence des êtres humains damnés est affirmée comme une évidence jamais remise en cause. Quand cette affirmation n 'est pas directe, elle est implicite.

61 CEC, n° 1034.

62 Pensées choisies du Curé d'Ars. Éd. Téqui, p, 40.

63 Cf. Témoignage de Sœur Lucie, in Le message de Fatima. Congr. Doctr. de la Foi, 2000.

64 Mt 10, 28.

65 Mc 9, 47-48.

66Audience Générale du 28 juillet 1999.

(14)

Par exemple, Jésus précise, en réponse à une question sur le nombre des sauvés, qu 'il y aura beaucoup de gens perdus : « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas67 ». De même, à la fin du grand tableau sur le Jugement dernier, Jésus conclut :

« Et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle ». On n 'imagine pas la Parole de Dieu lançant des discours et des avertissements sur un ensemble vide ! De deux choses l'une : ou bien il y a des damnés ou bien il n'y en a pas. S'il n'y en a pas, tout le langage de l'Écriture sainte apparaît comme le plus odieux : des avertissements se présentant comme des prédictions et induisant les lecteurs en erreur.

Dieu nous menace d'un risque imaginaire pour nous faire marcher droit! [..] Et comment imaginer qu 'il faille attendre dix-neuf siècles pour entrer dans l'intelligence véritable de l'Évangile sur un point aussi important68 ?

Mais comment peut-on en arriver là ?

Comment l'homme, si faible, si limité, peut-il mériter le châtiment éternel de l'Enfer ? Celui-ci n'est- il pas disproportionné à sa faute, et en cela contraire à la Justice de Dieu, et plus encore à sa Miséricorde infinie ?

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de comprendre ce qu'est le péché, dont l'Enfer est le châtiment. Le péché est un acte volontaire, libre, mais mauvais parce que désordonné. Le péché par excellence, c'est-à-dire le péché mortel, est un acte par lequel nous nous détournons de Dieu, notre fin dernière, pour nous attacher à une créature. L'homme place ainsi son bien souverain dans la créature, en lui- même. Il préfère la créature au Créateur.

Le péché mortel consomme ainsi la séparation d'avec Dieu. De soi, celle-ci est absolue, sans remède.

L'âme reste dans son péché, dans sa souillure, et donc livrée au châtiment qui n'est autre que la privation du Bien divin librement refusé.

Cependant l'homme, par nature, est apte à rectifier son choix, y compris celui qui porte sur la fin dernière. Et Dieu lui accorde la grâce nécessaire à cette conversion qui est une résurrection. Au moment même de la mort, l'homme est capable d'un dernier sursaut, d'un dernier regard. Mais il est capable aussi de persister, de s'obstiner. C'est là le mystère de la liberté. Et Dieu ne veut jamais, ne peut jamais obliger quelqu'un à l'aimer. Et c'est là le mystère de l'amour, que nous pouvons soupçonner par notre vie : il n'y a rien de plus odieux que d'imposer son amour à quelqu'un, car c'est aller contre l'amour même.

Délivrée de son corps, l'âme en état de péché mortel se fixe dans l'orientation qui est la sienne au dernier moment de sa vie corporelle. La lumière qu'elle reçoit après la mort ne suffit pas à rectifier son orientation. Cette rectification n'est plus possible. Elle sait avec certitude que Dieu est le bien final de toute créature spirituelle, elle sait que Dieu pourrait être sa joie parfaite, mais elle persiste dans le refus de Dieu. Il n'y a plus pour elle de conversion possible, de voyage à continuer. Elle est arrivée au terme de son voyage, de sa course, elle est butée, au but. Elle entre dans l'éternité en état d'aversion à l'égard de Dieu ; elle y demeure69.

Cette terrible éventualité témoigne du sérieux de notre existence : l'homme n'est pas un être qui, durant sa vie mortelle, serait cantonné dans l'éphémère et le relatif, pour déboucher enfin par la mort dans l'absolu et l'éternel. Il vit déjà l'éternel et l'absolu dans le temps. C'est là sa grandeur. La mort ne fait que manifester cette profondeur cachée. Si vous n 'étiez pas si grand, écrivait Julien Green, vous ne pourriez vous damner70.

Mystère de la liberté et mystère de l'amour : ce sont eux seuls qui peuvent nous aider à comprendre comment la mauvaise disposition obstinée du pécheur est capable de tenir pour ainsi dire en échec la miséricorde divine elle-même. Celle-ci ne trouve plus, dans la créature qui se soustrait à elle, son point d'application. Jésus a versé inutilement le sang de son cœur pour elle.

Et puisqu'il n'y a en Dieu ni fausse bonté, ni faiblesse, il ne peut laisser le pécheur tranquillement installé dans le refus du pardon, dans le mal. Ce serait lui donner raison ; ce serait le triomphe du mal sur le bien. Heureusement pour les élus, les ennemis de Dieu ne pourront troubler impunément l'ordre qui règne dans le Ciel. La Justice exige leur châtiment. À un désordre sans remède doit répondre une peine sans fin. Le Bon Dieu n'est pas méchant, disait le Curé d'Ars, mais il est juste71. - Je le veux bien, dira-t-on, mais l'homme

67 Lc 13, 24.

68 Osons reparler de l'Enfer, Éd. de l'Emmanuel, 2002, p, 129 à 135.

69 Cf. Père Paissac, Cours sur les Fins Dernières, Angers, 1985.

70 Cité par le Cal Journet, in Le Mal. p. 212.

71 Op. Cit. p. 15.

(15)

est si faible ! - La Justice de Dieu prend aussi en considération cette faiblesse, comme l'écrit sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus : Quelle douce joie de penser que le Bon Dieu est juste, c'est-à-dire qu'il tient compte de nos faiblesses, qu'il connaît parfaitement la fragilité de notre nature72.

Ici, il convient de distinguer les péchés de faiblesse, d'infirmité, provenant d'une disposition passagère due à la passion (emportement...), et les péchés de malice, qui ont pour cause une disposition volontaire, réfléchie, déterminée. Non que ceux-ci seuls puissent être fautes mortelles, mais ce que nous savons de la miséricorde divine, de son équité, permet de penser que la grâce assiste plus spécialement celui dont le cœur n'est pas ancré dans ses mauvaises dispositions. Nul ne sera damné qui ne l'aura pleinement mérité. Cependant la répétition des fautes de faiblesse conduit le pécheur à s'installer dans la recherche de soi, la satisfaction systématique de ses désirs : adoration de son corps par la luxure, la gourmandise, la vanité

; adoration de sa pensée, de sa volonté. Le pécheur s'enfonce alors dans une malice dont seules des grâces de plus en plus extraordinaires pourront le retirer.

La malice humaine peut ainsi atteindre des degrés extrêmes de résolution et d'obstination, jusqu'à fixer sa fin en soi-même de façon plénière et, par là, définitive. Là où je suis, écrit un auteur moderne, là est ma volonté libre et là où est ma volonté libre, l'Enfer absolu et éternel est en puissance73. C'est Dieu qui crée le paradis, commente Michel Carrouges, mais c'est la créature qui crée l'Enfer. C'est Dieu qui crée la liberté, mais les créatures peuvent librement en user pour créer l'Enfer. [...] L'Enfer n'est que l'horrible garantie de la liberté humaine74.

L'Enfer n'en reste pas moins l'œuvre de la Justice et de la Sagesse de Dieu, puisque c'est contre elles que se heurte désespérément l'obstination du pécheur. Il faut aller plus loin: il est l'œuvre de l'Amour. En effet, l'ordre que le pécheur bafoue n'est pas seulement l'ordre de la Justice divine, mais encore plus profondément l'ordre de l'Amour. L'Amour infini de la Bonté infinie est au principe de toutes les œuvres de Dieu et les oriente vers leur fin. C'est à cet ordre que le pécheur fait obstacle. Et c'est contre la Bonté infime elle-même qu'il se dresse en méconnaissant son droit d'être aimée par-dessus tout. Et c'est l'Amour infini de cette Bonté infinie qui le rejette dans les ténèbres extérieures75.

Les peines de l'Enfer

Au témoignage de l'Écriture, le châtiment fondamental des damnés est d'être exclu du Royaume, banni de la présence divine, de la présence du Christ et des élus : Je ne sais d'où vous êtes ; éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l'injustice76. Ceux-là, dit saint Paul, seront châtiés d'une perte éternelle, éloignés de la face du Seigneur77.

Outre cette peine, qui est une privation et que les théologiens ont appelée la peine du dam, l'Évangile et tout le Nouveau Testament mentionnent, sous des termes divers, des tourments positifs : la flamme, la fournaise ardente, l'étang de feu et de souffre, le feu surtout : Allez au feu éternel78.

La peine du dam représente l'essentiel de la damnation : elle fait le « damné ». C'est l'exclusion de la vision et de la jouissance de Dieu, auxquelles l'âme était appelée et qui devaient constituer sa béatitude parfaite. Ce châtiment est de soi infini – perte du Bien infini – et le même pour tous les damnés. Mais comment ce châtiment est-il ressenti en Enfer ? Car, ici-bas, les pécheurs ne se mettent guère en peine d'être éloignés de Dieu. Pour les damnés, au contraire, la perte du souverain Bien est la souveraine douleur.

C'est d'abord le vide immense d'une âme faite pour Dieu, que Dieu seul est capable de rassasier et qui, au moment de le rejoindre, au moment où disparaissent tous les biens créés qui pouvaient lui faire illusion et tromper sa faim de Dieu, se voit à jamais séparée de Lui.

C'est plus encore la contradiction qui déchire intérieurement l'âme du damné. En effet, cette âme séparée se connaît désormais elle-même intuitivement comme les esprits purs. Elle connaît aussi Dieu naturellement et de façon beaucoup plus haute que dans son état d'union au corps. Non seulement elle le connaît, mais elle l'aime naturellement, nécessairement, comme le principe de tout être et de tout bien. Elle n'ignore pas non plus que ce Dieu se serait donné à elle, pour son Bien, éternellement.

72 Histoire d'une Âme, ms. A, 83 v°.

73 Marcel Jouhandeau, cité in Enfer, Foi vivante, 1950, p 69.

74 Ibid, p,70.

75 Mt 25, 30.

76 Lc 13, 27.

77 2 Th l,9.

78 Mt 25,41.

(16)

Or ce Dieu, vers lequel elle tend foncièrement, de tout son être et de tout son appétit de bonheur, c'est Lui qu'elle rejette de toute sa volonté libre rivée à son égoïsme effréné et à son orgueil. L'âme s'enfuit loin de Dieu de toute la force de sa volonté, et se trouve ramenée à Lui de tout l'élan de sa nature, comme le

papillon de nuit vers la flamme, dans un déchirement affreux et sans issue.

Saint Thomas nous dit cependant que dans la condamnation des réprouvés elle-même, la miséricorde de Dieu se manifeste par une certaine atténuation de la peine, car Dieu punit en deçà de ce qui est mérité79. Il se montre encore miséricordieux envers nous, lit-on dans le Manuscrit de l'Enfer, en ne nous contraignant pas à nous approcher de Lui plus que nous le sommes en ce lieu retiré de l'Enfer, cela diminue le tourment80.

Pourtant, du fond de cet abîme. Dieu apparaît au damné comme Celui qui le repousse et le prive d'un bonheur qu'il sait ne pouvoir trouver qu'en Lui. Déçu, son amour naturel pour Dieu se tourne en haine délibérée.

Tout est à charge au damné et d'abord lui-même. Il a horreur de lui-même. Il sait ne devoir s'en prendre qu'à lui-même de son malheur. Sa conscience lui reproche toutes les miséricordes, toutes les grâces et toutes les bontés dont Dieu l'a poursuivi avec la plus attentive tendresse, et qu'il a repoussées librement. Il est poursuivi désormais par la honte et rongé par un remords stérile, où l'on peut reconnaître le ver qui ne meurt pas de l'Évangile (Mc 9,48).

Il déteste de même tous les autres : haine envieuse des élus et de leur bonheur ; haine même des autres damnés, témoins de sa honte et de la justice de Dieu, et dont il sait n'avoir à attendre aucune compassion.

Enfin à la haine s'ajoute le désespoir, désespoir atroce d'avoir manqué pour toujours sa véritable fm, d'être rejeté définitivement du bonheur éternel. Il y aura, dit le Seigneur, des pleurs et des grincements de dents81.

La peine du sens

On désigne par là des peines positives infligées aux damnés et que l'Écriture exprime le plus souvent sous le nom de feu.

Bien que de nature différente, ce feu mystérieux comporte une certaine analogie avec notre feu terrestre, causant chez les damnés des souffrances aiguës que l'on peut comparer à nos brûlures corporelles.

Ce feu agit d'abord sur les âmes. De même qu'une réalité matérielle, l'eau du baptême, est pour l'âme l’instrument de la miséricorde de Dieu, ainsi le feu de l'Enfer devient pour elle l'instrument de sa justice, enchaînant et inhibant ses facultés spirituelles.

Cette peine est extrêmement grave et lourde, et pourtant convenable et juste. l'humiliation pour l'esprit d'être ainsi soumis à une réalité inférieure est un juste châtiment de son orgueil impénitent. C'est aussi la juste expiation de l'usage sans frein qu'il a fait de sa liberté, et spécialement à l'égard des choses corporelles dans lesquelles il a mis ses délices et qui se retournent justement contre lui. Chaque âme est tourmentée d'une façon terrible et indescriptible par ce en quoi ont consisté ses péchés82.

Après la résurrection générale, les corps qui auront le malheur de se voir réunis à une âme damnée seront à leur tour justement tourmentés pour avoir été les instruments dès fautes de cette âme et pour avoir participé à ses jouissances coupables. Les anges les jetteront dans la fournaise ardente ; là seront les pleurs et les grincements de dents. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre83.

Imaginer un enfer tolérable, sinon confortable, relève de l'enfantillage et fait le jeu du prince des ténèbres.

Ici-bas, les secours de la grâce, le désir du Ciel et les soins affectueux sont capables d'adoucir les souffrances les plus grandes et de rendre la mort elle-même tolérable et précieuse, comme en témoigne, par exemple, le mouroir des Missionnaires de la Charité à Calcutta.

À l'inverse, le mépris définitif de l'amour de Dieu, les rigueurs inévitables de sa justice et la compagnie forcée de Satan des démons et des autres damnés sont causes d'une souffrance absurde, indicible

79 Cf. Somme théologique, la pars. q. 21, a. 4, ad 1m.

80 Manuscrit de l'Enfer, Lettre de l'Au-delà, Librairie du Carmel, 1964, reproduit en annexe du livre Osons reparler de l'Enfer (op, cit).

81 Mt 25, 30.

82 Sainte Faustine, op. cit., p,160.

83 Mt 13.41-43.

(17)

et irrémédiable. C'est la seconde mort dont parle l'Apocalypse84. Elle est éternelle.

La vision de l'Enfer

Sœur Lucie de Fatima disait de sa petite cousine, la bienheureuse Jacinta Marto :

La vision de l'Enfer l'avait horrifiée à tel point que toutes les pénitences et les mortifications lui paraissaient peu de chose, pour arriver à préserver quelques âmes de l'Enfer... Souvent elle s'asseyait par terre ou sur quelque pierre et, toute pensive, elle se mettait à dire : « Oh, l'enfer ! Oh, l'enfer ! Que j'ai pitié des âmes qui vont en enfer ! Et les gens qui sont là, vivants, à brûler comme le bois dans le feu ! » Et, toute tremblante, elle s'agenouillait, les mains jointes, pour réciter la prière que Notre-Dame nous avait enseignée :

« Ô mon jésus ! Pardonnez-nous, préservez-nous du feu de l'enfer et attirez toutes les âmes au ciel, principalement celles qui en ont le plus besoin »...

La Sainte Vierge insistait :

Priez, priez beaucoup, et faites des sacrifices pour les pécheurs ! Rappelez-vous que beaucoup d'âmes vont en Enfer, parce qu'il n'y a personne qui prie et fasse des sacrifices pour elles !

Qui sont menacés du châtiment de l'Enfer ?

Le Seigneur a tenu à nous en avertir, n'entreront pas dans le Royaume des Cieux :

Ceux qui refusent de croire à l'Évangile et de faire pénitence, comme Capharnaüm et les villes maudites du lac de Tibériade : Je vous le dis, on sera moins dur au jour du jugement pour le pays de Sodome que pour toi85.

Ceux qui refusent les préceptes de l'Évangile, en particulier le grand commandement de la charité fraternelle : J'ai eu faim et vous ne m 'avez pas donné à manger86, etc.

Ceux dont la justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, dont Jésus dit : Serpents, engeance de vipères, comment pourrez-vous éviter d'être condamnés à la géhenne87 !

En définitive, ceux qui refusent le Seigneur, et sa Croix : Celui qui sauve sa vie la perdra ; celui qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi rougira de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges88.

Saint Paul dorme trois catalogues de fautes qui privent de l'héritage du Royaume et vouent à la colère de Dieu. Citons, par exemple, la première Épître aux Corinthiens (6, 9-10) : Ne savez-vous pas que les injustes n 'hériteront pas du Royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas : ni fornicateurs, ni idolâtres, ni adultères, ni dépravés, ni sodomites, ni voleurs, ni cupides, pas plus qu'ivrognes, insulteurs ou rapaces, n'hériteront du Royaume de Dieu... à moins qu'ils ne se convertissent comme les chrétiens de Corinthe, car saint Paul poursuit : Et cela, vous l'étiez bien, quelques-uns. Mais vous vous êtes lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus-Christ et par l'Esprit de notre Dieu (V, 11).

Quant à ceux qui ferment résolument leur âme à la lumière et refusent de se convertir, il n'y a plus de pardon possible ni dans ce monde, ni dans l'autre89. C'est le péché éternel, irrémissible, non que la miséricorde de Dieu soit impuissante à pardonner un péché, quel qu'il soit, mais parce que ce péché témoigne d'un état d'endurcissement, de raidissement contre la miséricorde, parce qu'il exclut le Saint-Esprit, par lequel s'opère la rémission des péchés.

De même, pour les apostats qui, après s'être convertis, retournent sciemment et volontairement à leurs péchés, il ne reste que l'expectative effrayante du jugement et le feu ardent qui doit dévorer les rebelles90.

84 Ap 20, 14.

85 Mt 11. 20 et sq.

86 Mt 25,41 et sq.

87 Mt 5,20 et Mt 23,33.

88 Mt 16, 2.5 et Mc 8. 38.

89 Mt 12,32.

90 Hb 10. 26-27.

(18)

– A Paris, en 1827 –

Une pauvre servante avait l'habitude de faire dire une messe par mois pour les âmes du Purgatoire.

Mais elle perdit sa place et n'eut bientôt plus que vingt sous : de quoi payer son dîner. Cependant elle se rappela, en allant prier à l'église Saint-Eustache, qu'en ce mois elle n'avait pas fait dire sa messe ordinaire pour les défunts. Que faire ? Ce fut en elle un combat entre sa piété et sa faim. La piété l'emporta. Elle va régler sa messe, y assiste. En sortant de l'église, elle ne sait pas même quelle direction prendre, lorsqu'un jeune homme s'approche d'elle et lui dit :

Vous cherchez une place ? - Oui, Monsieur. - Eh ! bien allez à telle rue, tel numéro, je crois que vous trouverez là de l'emploi et que vous y serez bien.

Quelques heures plus tard, elle se présentait à l'adresse indiquée. À ce moment même, la maîtresse de maison venait justement d'être mise dans l'obligation de renvoyer une domestique insolente. Surprise de ce secours inattendu, elle se demandait quel pouvait être ce jeune homme qui avait su prévenir sa détresse et lui envoyer cette bonne servante. Mais celle-ci, levant à ce moment les yeux sur le mur, aperçut un portrait :

Tenez, Madame, dit-elle, ne cherchez pas plus longtemps : voilà exactement la figure du jeune homme qui m 'a parlé ; c'est de sa part que je viens vous voir.

Stupéfaite, la vieille dame se fait redire toute l'histoire ; celle de la dévotion aux âmes du Purgatoire, de la messe du matin, de la rencontre du jeune homme ; puis, se jetant au cou de la pauvre fille, elle l'embrasse avec tendresse et lui dit :

Vous ne serez pas ma servante ; vous êtes, dès ce moment, ma file ; c'est mon fils, mon fils unique que vous avez vu ; mon fils, mort depuis deux ans, que vous avez délivré du Purgatoire, Je ne puis en douter.

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