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D où vient cet Animal?

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Théâtre de Folle Pensée, Saint-Brieuc référence de cet article date de réalisation

www.rolandfichet.com univers/animal/eep/douvient juillet et novembre 2004

titre auteur nature du document

D’où vient cet Animal ? Marine Bachelot, dramaturge interview

contexte

Fragments d’entretiens avec Roland Fichet

D’où vient cet Animal ?

Entretiens avec Roland Fichet

Ces entretiens ont été réalisés en juillet puis en novembre 2004. Nous avons interrogé Roland Fichet sur la genèse d’Animal, sur l’écriture de trois pièces successives et emboîtées : quel est le chemin qui le conduit de la pièce Famille Huron en 1999, à Ça va en 2000, pour aboutir à Animal en 2004 ?

À cause d’un effacement malencontreux des bandes, une grande partie de l’entretien de juillet a disparu ; ce qui nous a amené à revenir sur nos questions en novembre.

Roland Fichet développe des réflexions et des histoires, qui, sous leurs airs digressifs ou anecdotiques, dessinent en réalité des univers denses, tracent des perspectives dans sa pièce Animal comme dans son oeuvre.

Les débuts : Famille Huron, la langue

(Propos recueillis par Marine Bachelot, Alexandre Koutchevsky, Laurent Quinton, le 2 juillet 2004 à Saint Brieuc)

Marine Bachelot – On voudrait tenter de revenir avec toi sur la genèse d’Animal, qui est longue, puisque que l’on peut dire qu’elle commence avec Famille Huron, en 1999.

Comment les choses ont bougé, qu’est-ce qui t’a poussé à aller vers Animal, avec entre autres l’irruption de l’Afrique dans la pièce ? On te propose d’abord une approche

chronologique, ensuite on pourra revenir à des questions plus précises, sur la stylistique, etc.

Ça te convient ?

Roland Fichet – Oui, enfin… le style est une question centrale. Dans les Notes africaines1 j’ai condensé quelques questions sur Animal, à travers des dialogues plus ou moins fictifs : le dialogue sur le secret et la démence familiale avec Mathieu Montanier, le dialogue avec Kouam Tawa sur le son et le sens, et aussi ce dialogue très important pour moi, provoqué par la statue qu’on a vue au Bénin. À Cotonou un Africain vient vers nous avec une statue de chienne en bois, volée au Congo, complètement fissurée. À partir de cette statue je parle de la façon dont est fissuré le texte dans Animal et de ce vers quoi cette écriture tend. Est-ce que ça tend vers l’éclatement, ou vers le rassemblement ? Il y a une discussion assez vive avec Kouam Tawa là-dessus. Est-ce que la façon dont les mots et les phrases sont taillés raconte paradoxalement une pulsion de fusion ? Dans la pièce il y a des élans de fusion puisque par exemple tous les personnages (sauf Willi) vont se serrer à la fin dans une cabine téléphonique. Il y a une espèce de déconstruction-reconstruction des corps. Est-ce que l’on parle dans Animal pour arriver à renouer le lien, à refaire le contact, ou est-ce que l’on parle pour continuer à creuser la séparation ? Cette tension circule dans toute la pièce.

Elle la tient. En sachant aussi qu’à l’épicentre de la pièce, il y a du son : au point de déséquilibre le plus aigu il y a Willi, et le personnage de Willi c’est du son, de la musique.

Je dis ça pour préciser que le fil des événements, dans l’écriture de la pièce, me semble lié au son, à la construction rythmique. Et ceci dès l’écriture de Famille Huron. La fable s’est construite en relation intime avec l’élaboration de la langue.

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L’impulsion première, je m’en souviens très bien, c’était dans une petite chambre à Saint Etienne, place du Peuple, en février 1999. J’animais un atelier à l’École d’acteurs de la Comédie de Saint Étienne, pendant trois semaines-un mois, et j’avais des plages de temps disponibles, le matin et le week-end. J’avais commencé à écrire quelques textes, qui étaient de petites études de rythmes, de sons, de formes, j’éprouvais des vitesses, des lenteurs, des accélérations, des ruptures... Et j’ai écrit ce premier petit dialogue entre Huron et son fils. Je ne sais pas s’il s’appelait déjà Huron, d’ailleurs. (Roland Fichet lit les premières lignes de Famille Huron.)

Huron. Y’en a des des comme moi y en a qui

Fils. Qui quoi ?

Huron. Roule-moi jusqu’au chemin.

Fils. Bon.

Huron. La brèche de mon champ !

La brèche de mon champ, c’est déjà presque une annonce de l’aspect fissuré du langage…

Ces premiers petits dialogues m’excitaient bien, le mode de profération, la façon de parler me mettaient en branle.

À Saint Etienne, j’ai écrit plusieurs de ces courts dialogues, à partir de petites histoires, de petits faits ou gestes. C’était une première recherche de style et de rythme qui n’est pas sans parenté d’ailleurs avec les Petites Comédies Rurales. C’est le poids des mots dans la bouche de ces gens-là, leur poids de concrétude, qui m’importe. Je veux éviter d’être dans le commentaire de la vie — une sensation que j’ai quelquefois en lisant des textes, des textes qui sont des paroles sur ; qui ne sont pas des paroles adressées ou des paroles dedans.

Comment est-on dedans ? Dedans le texte, comme on disait ce matin, dans la poésie, dans l’esthétique, au sens premier du mot, dans l’animalité, et pas autour, sur le mode du

commentaire. C’est un point délicat, difficile.

Dans le milieu rural, ce qui était frappant autrefois, jusque dans les années 60 disons, c’est le rapport complètement brut à la parole de pas mal de gens : la parole était liée à des nécessités pratiques, aux tâches quotidiennes, à une espèce de matérialité des relations. Il y a certainement des chercheurs qui ont travaillé là-dessus. Vraiment de l’émission de sons, de sens, de paroles, et les gens sont dedans, ils ne se posent pas la question de comment ils parlent. Et de temps en temps ils hurlent. Il n’y avait pas de téléphone dans les maisons.

On s’appelait d’un bout du champ à l’autre et quelquefois d’un village à l’autre.

C’est dans les années 60-70 que ça va changer. À partir du moment où les paysans

achètent un agenda, c’est fini. Tant qu’il n’y a pas d’agenda, personne n’écrit rien, il n’y a pas de projection autre que saisonnière et climatique sur le calendrier. On sait quand on va aller planter, à quel moment on va récolter, etc. Ça on le sait, il n’y a pas besoin de l’écrire sur du papier. Les techniciens agricoles vont donc changer la langue.

Laurent Quinton – Même dans le récit d’ailleurs, pas forcément dans le langage de communication quotidien, mais dans la façon de raconter, dans le récit qui est pourtant un acte de reconstruction, d’abstraction, la parole reste brute, dans ce milieu rural dont tu parles.

R.F. – Oui. Ma tante Marie, qui résidait en Israël, voulait que mon père lui écrive. Il ne lui écrivait pas, évidemment. Un autre parent qui allait partir en Israël est venu avec un magnétophone, et mon père a parlé, il a continué à raconter ce qu’il racontait ce jour-là.

C’étaient des histoires, des histoires très drôles d’ailleurs, des histoires de paysans. Ma tante

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était ravie, parce que mon père lui adressait une coupe brute de Saint Brieuc de Mauron, pas de commentaires, pas de « Bonjour Marie, comment tu vas ? on est heureux que… », et ainsi de suite. Juste une coupe brute, des histoires du cru racontées par mon père. Je crois me souvenir que c’était un peu trivial, qu’il y avait l’histoire de Golion, de Georges Golion en vélo qui s’arrête sur la route. C’était un gars du pays qui avait vécu à Paris et qui en était revenu. Il voit un paysan sur la route avec sa vache, le paysan ouvre la gueule de la vache et regarde dedans. Golion, intrigué, descend de son vélo et lui demande : « Elle a mal aux dents votre vache ? » « Non, elle a l’trou du tchu boucheu » répond le paysan. De quoi réjouir ma tante Marie, lui restituer un peu du paysage de son enfance. Pour en revenir à nos moutons, c’est ça le point de départ à mon avis : c’est le renouvellement de cette langue-là, sculpter cette langue-là… C’est de l’énergie que je cherche à capter. Animal c’est un voyage.

Un voyage vers les bords, vers le non-connu, vers ce qui parle à peine en nous ou avec peine, vers ce qui gémit, vers ce qui chante, vers ce qui ne parle pas. Les corps errants d’Animal creusent une langue étrange. Partout dans cette langue s’ouvrent des brèches.

C’est dans les failles, les sauts, les rythmes de cette parole étrange que bondissent les fulgurances de perception, les lueurs de conscience, que surgit la lumière. C’est cela que j’ai cherché, que j‘espère avoir trouvé, vers quoi j’ai cheminé page après page depuis Famille Huron.

M.B. – Il me semble que dans Famille Huron il y a une façon de travailler la langue qui est inédite chez toi, qu’on ne trouve pas dans les autres œuvres, même si on peut en déceler des signes. Tu dis que tu t’inspires de cette parole brute, concrète, du monde paysan : il y a transposition, recherche de concassage, de destruction de la syntaxe. Avec ça, est-ce que tu veux raconter la façon dont parlaient les paysans avant l’arrivée des machines, de

l’entreprise agricole ? ou est-ce que tu veux raconter aussi autre chose, sur l’arrivée d’un désastre ou d’une catastrophe ? On a cette sensation-là dans Famille Huron, que l’on est déjà après une catastrophe, qui a bouleversé la langue, la façon de parler.

R.F. – Cette sensation-là je l’ai ressentie, mais je ne l’ai pas eue comme projet. Il y a une intuition qui me tire physiquement, qui me tire vers cette espèce de fragmentation, le sujet vient s’y loger et pousse à son tour. Le sujet c’est la catastrophe/mort de l’animal, mais parvenu à Animal, il me semble débordé. La tribu d’Animal est emportée dans un flux qui vient d’encore plus loin, un flux qui soulève l’être vivant et vient le projeter contre une vitre dans un aéroport. Tremblement de l’être, chaos, éruptions de vie comme on dit éruptions volcaniques. Elles se tiennent par la main la catastrophe et la vigueur générée par le chaos.

Ça marche ensemble. Je ne veux surtout pas raconter la façon dont parlaient les paysans avant l’arrivée des machines, ce dont je me fiche complètement quand j’écris Animal. La langue que j’écris cherche à se brancher sur le chaos ordinaire, sur le chaos de chacun d’entre nous, sur le chaos qui vient. Elle en est pétrie. Cette langue ne sort pas de nulle part.

C’est un courant littéraire qui a ses ancêtres, ses génies, ses ouvriers. J’hérite comme je peux du geste iconoclaste posé par des écrivains majeurs.

Alexandre Koutchevsky – Beckett ?

R.F. – Par exemple. Et à côté de lui, avant lui et après lui il y a du monde sur cette route-là.

M.B. – Faulkner ?

R.F. – Par exemple. Et Synge…

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M.B. – Pas de français ? R.F. – Si, si, toute une floppée.

L.Q. – La langue qui s’élabore dans Famille Huron puis Ça va puis Animal n’a rien à voir avec ton origine ?

R.F. – Je ne dis pas ça. Je viens d’un endroit sauvage, de rapports sauvages entre les personnes, et de rapports sauvages à la langue. Petit, je traduisais pour les autres ce que tentait de dire ma grand-mère paralysée du côté droit et handicapée sur le plan de la parole.

Même si je peux traduire, rendre à peu près fluide la façon hachée dont parle ma grand- mère, ça n’empêche qu’elle parle de cette façon-là. Elle parle comme ça parce qu’elle est blessée physiquement, mais aussi parce que dans son rapport à la langue, ce n’est jamais gagné. Pour ma grand-mère, comme d’ailleurs à l’époque pour mon père, pour ma mère, pour tous les gens de mon pays, de mon village, ce n’est pas gagné, ce n’est pas gagné de parler, d’arriver à dire les bons mots. Ils ne disaient jamais les bons mots. Ces gens qui parlaient le parler gallo avaient la sensation qu’ils ne disaient pas les bons mots. Cette sensation je l’ai retrouvée au Niger, par exemple. Cet écart signifie, il ouvre un espace de sens. Quand parler n’est jamais gagné c’est une autre langue, celle qui m’émeut, celle que peut-être je cherche. C’est ce qu’ils m’ont donné : ce n’est pas gagné de parler.

De Famille Huron à Ça va

(Propos recueillis par Marine Bachelot et Alexandre Kouchevsky le 24 novembre 2004 à Saint Brieuc)

M.B. – On va reprendre la réflexion sur la genèse d’Animal, pour pallier l’effacement des bandes de l’entretien de juillet… Comment es-tu passé de Famille Huron à Ça va ? Qu’est- ce qui t’a fait reprendre la même matière pour aller plus loin ?

R.F. – J’aimais beaucoup les personnages de Famille Huron, leur langue, leur errance, la déréliction qui les tourmente… La question du sujet historique, qu’on a abordée ce matin dans l’entretien sur Suzanne2, est intéressante pour parler d’eux. Quels sont les bons

porteurs d’histoire, les bons porteurs de l’Histoire ? Quels sont les endroits de frottement, les rapports qui vont générer des étincelles de sens, de son, des étincelles qui libèrent quelque chose, qui font avancer dans la saisie du corps humain et animal ? La quête des

personnages ou des figures est aussi liée à la qualité de ce qu’ils peuvent condenser

comme membres d’un groupe, comme représentants historiques, et comme figures littéraires et théâtrales. Ils sont dans le présent, mais aussi dans le passé et dans l’avenir. Ce qu’on a abordé ce matin : en quoi je suis, en tant que petit bonhomme né à tel endroit à tel moment, une borne, une trace du basculement d’un temps dans un autre, et en quoi cela donne une consistance particulière à un point de vue, à une façon de produire des actes d’écriture, tout cela me paraît une piste... Cette notion de point de vue, d’endroit par où ça passe, par où se regarde quelque chose du passé, de l’avenir, du présent, oblige à affronter l’histoire, ce qui n’est pas un mince problème. Redonner à l’histoire une consistance, avec des formes évidemment qui sont les nôtres, celles de la littérature, du théâtre d’aujourd’hui, faire ressentir intimement dans quelle destinée et quel trajet s’ébroue tout le petit monde d’une pièce comme Animal ou comme Suzanne… Peut-être faut-il ajouter — c’est un autre aspect — que mes personnages ne s’adressent pas seulement à un voisin, une voisine, un

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étranger, mais s’adressent aussi aux éléments naturels, au ciel, au soleil, à la forêt, à l’air, à la nuit.

Les personnages de Famille Huron font partie de la catégorie de « ceux qui ne sont pas aimés », qui dérivent, qui ont déboîté, glissé à côté de l’histoire, de l’histoire officielle, la grande histoire. Ils sont abandonnés, mineurs. Mes personnages ne sont pas les produits d’une théorie, d’une analyse. Ils viennent de mon lien intime, physique, avec les gens qui n’ont pas de place, qui en ont très peu, ou qui ne peuvent survivre qu’en se déplaçant, en bougeant infimement, ne serait-ce que dans un groupe familial. Je pense aux commis de ferme... J’aime témoigner du poids humain de ceux qui ne pèsent pas dans l’Histoire.

Finalement les personnages de Famille Huron sont nés très vite, parce qu’il y avait une urgence, celle de remettre le texte à Annie Lucas et aux acteurs, pour qu’ils puissent le monter pour le Festival Quai des artistes3. Il fallait tout remettre pour juin. Annie Lucas a mis en scène Famille Huron dans des hangars. L'espace était très matériel, charnel : du bois, de la pierre ; de la végétation. Les acteurs se sont ébroués dans cette langue avec une

jubilation qui m'a épaté. Ils ont donné d'emblée une grande présence physique aux figures frappées de cette Famille Huron : « Huron père » (Paul Tison), « Huron fils » (Philippe Vieux), « Idiote » (Jeanne François), « Riton-Paul Toudic » (Olivier Hussenet), « Marion Béchu » (Monique Lucas), « Fille Huron » (Delphine Simon). Cette première pièce, ce premier élan ont mis en branle quelque chose de suffisamment puissant pour que j’aie envie de continuer, de reprendre. À cet endroit-là, il y a en moi une condensation d’énergie, une source d’énergie, à partir de laquelle je peux écrire.

En écrivant Ça va, j’ai déplacé presque tout le monde, j’ai changé de personnages, d’appuis, de rapports entre eux. Les personnages de Famille Huron me touchent toujours, je les garde en moi, pour écrire Ça va je me suis appuyé sur eux, ils ont engendré d’autres figures. J’ai gardé des traces : le vieux Huron, devenu Kalonec dans Ça va, est resté sur un fauteuil pendant un certain temps, avant de se mettre debout dans Animal. Dans Ça va, j’ai défini un territoire et des lieux : ce pigeonnier par exemple, où se trouvait Willi, enfermé. Ce

personnage enfermé, une fois libéré, a tout changé : le fait que quelque chose change dans le noyau de la pièce, par ébranlement, change tout le monde.

J’avais la sensation que Famille Huron restait trop ouverte, trop chaotique. J’avais envie de me déplacer par rapport à Famille Huron, donc j’ai écrit Ça va. Je me rappelle très bien les ambiances qui me portaient : en écrivant Famille Huron ce n’est pas du tout la même qu’en écrivant Ça va. Et après les voyages en Afrique, je me suis déporté de Ça va à Animal.

Fricaine, Iche, Nil, Kalonec, Chienne, Willi ont trouvé leur corps.

M.B. – Le grand apport de Ça va pour moi, c’est le sujet de la mort des animaux, qui passe d’abord par Fricaine, personnage nouveau que tu amènes, femme qui nettoie et purifie tout.

La pièce commence par le retour de Kalonec dans sa ferme, où tous les animaux ont été exterminés. Puis il y a une progression de lieu en lieu, jusqu’au pigeonnier, lieu d’une révélation : révélation que tous les personnages ont tué, commis un meurtre originel

d’animal. C’est par l’intermédiaire de Willi, invisible, qu’advient cette révélation. La figure de la mort des animaux apparaît nettement, devient le thème central, quand elle n’était qu’un petit motif dans Famille Huron.

R.F. – La question est bien celle de la tension entre un sujet obsédant et une forme : quelle forme je trouve pour cette matière-là, la mort de l’animal, et sans doute en deça pour une autre matière : un rapport enfance/mort/folie qui me concerne. Cette tension-là aboutit à Animal, c’est certain. Le sujet hommes/animaux, la perte du lien avec l’animal, c’est là depuis toujours chez moi. Il est déjà traité dans les Petites comédies rurales4 dans un style

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plus fluide, recevable dans le champ des petites histoires, des nouvelles. C’est très lisible.

Parvenu à Animal, ça devient difficile. Apparemment du moins. Peut-être les gens liraient-ils plus facilement cette pièce s’ils la lisaient à voix haute. Dès Ça va, pas mal de lecteurs étaient déroutés par ce type d’écriture. Pas tous, heureusement.

Ça va, je l’ai lu à Frédéric Fisbach et Annie Lucas à Saint Brieuc en 2000, puis à Stanislas Nordey chez lui, à Paris, rue Pigalle. Ensuite Stanislas Nordey a fait cette belle mise en espace en janvier 2001, au Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis, avec Valérie Lang, Christophe Brault, Yves Ruellan, Véronique Nordey. À cette occasion, j’ai vu et entendu quelque chose. J’ai discuté avec les uns et les autres, avec Noëlle Renaude notamment. Et quand à Dijon chez Robert Cantarella, après une lecture dans la salle de répétition, Frédéric Fisbach m’a dit qu’il voulait monter la pièce, je me suis senti poussé. J’ai eu envie de mettre encore plus le paquet. Et de Ça va je suis passé à Animal.

De Ça va à Animal

M.B. – Qu’est-ce qui te frappe quand tu vois et entends Ça va mis en espace par Stanislas Nordey ? Qu’est-ce qui t’incite à reprendre, à vouloir réécrire la pièce ?

R.F. – C’est toujours plus complexe que ce que l’on peut dire… Animal est un texte qui remue, fondé sur un remuement des mots, des affects, des émotions ; il y a une secousse existentielle particulière pour moi chez les personnages, qui explique ce remuement des mots. Le remuement des mots est aussi lié à l’ancrage historique des personnages comme je l’ai dit tout à l’heure. Ce sont aussi des produits historiques. Ce n’est pas par hasard que leurs mouvements intérieurs se traduisent par des scansions physiques, des micro-séismes corporels, verbaux. Ils sont la façon dont ils parlent.

Et il m’a semblé que dans Ça va, la traduction de cela, quand j’ai vu la mise en espace, n’était pas suffisamment précise. Il n’y avait pas un rapport assez puissant, net, entre tout ce remuement, ce mouvement, ces secousses, cette mise en vibration des affects, des

émotions, et l’ancrage dans le réel. Cette espèce de condensation du monde qu’ils portent avec eux, cette coupe sur le monde. On était davantage emporté par des effets de langue, voire des jeux de mots. On était emporté par une euphorie, un vertige lié au style, à la dynamique stylistique de la pièce. Du coup j’avais l’impression de trahir quelque chose. De trahir un rapport engagé depuis longtemps avec mes personnages, c'est-à-dire la Dernière personne5, Vigre6, les personnages de Terres promises7, l’ange rebelle8, tous les

personnages qui passent dans mes pièces et qui sont de la même famille, qui agglomèrent, qui agrègent des fragments d’histoire, et qui, à partir de cette agrégation, font ressentir, c’est du moins ce que je cherche, l’état de l’être humain cassé, de l’être au monde errant, de l’être humain pris dans un rapport qui le tue. J’ai une sympathie intime, profonde, pour une

catégorie précise de gens, pour des gens démunis, tragiques dans leur être même, drôles parce que cette tragédie constitutive les amène à être drôles : les gens qui titubent sur les routes le soir, les piliers de bistrot qui vaticinent, vocifèrent, exhalent leur plainte… On s’en tapait presque tous les jours à la maison, on habitait dans le bourg, on voyait passer tout le monde… Ces femmes et hommes qui de toute façon n’ont pas d’attaches, qui dérivent, comme s’ils n’avaient pas de prise sur la vie, sur leur vie. La fiction de la saisie constante de l’humanité toute entière, qui se raconterait en direct tous les jours à la télévision, dans les journaux, comme si tout un chacun pouvait parler, avait prise sur sa vie, sur son histoire, est un mensonge construit, idéologique. Il y a énormément de gens qui savent qu’ils ne sont pas dedans, qu’ils ne seront jamais dedans, dans cette humanité. Ils ne sont pas prévus, et même quand on produit des statistiques, ils n’y sont sans doute pas. J’ai envie de dire, je me

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laisse aller, que ce peuple-là fuit instinctivement l’idéologie du bonheur, c’est ce qui m’éblouit, m’enthousiasme. En Afrique, bien sûr, tout ça prend une force…

Entendant Ça va, je craignais un peu l’overdose d’effets. J’aime bien traquer les dérapages, l’euphorie incontrôlée des êtres vivants quand ils parlent, le chaos de la langue, mais je sais aussi que quelquefois du coup la langue bascule dans l’énigmatique. Ça ne me plaît pas. Je ne choisis jamais d’être obscur. Je tends vers la clarté : ce chaos c’est un projet poétique et un projet de sens. Les mots voilent et dévoilent de la clarté. C’est dans leur nature et leur mouvement. Quand Noëlle Renaude me disait « Ce qui est bien dans cette pièce, c’est qu’elle est pétrie d’énigme, elle continue jusqu’au bout à tenir son énigme », ça ne me rassurait pas. Quelle énigme ? Est-ce que la partie immergée des personnages est

suffisamment forte, pour que ça porte ? C’est ça que je ressens chez Tchékhov : il y a une épaisseur humaine, qui va bien au-delà des différentes circonstances de la vie des

personnages mis en jeu. Plutôt que de corriger, de bricoler, d’améliorer, je me suis dit : « Je réécris tout ».

L’irruption de l’Afrique

R.F. – Donc j’ai libéré Kalonec de son fauteuil roulant… Et je suis aussi parti en Afrique… Je l’ai décidé. Le personnage de Fricaine, présent déjà dans Ça va me poussait à aller là-bas.

Je suis allé au Festhef au Togo au mois d’août 2001. Je suis aussi allé au Bénin et au Cameroun, où j’ai voyagé avec Kouam Tawa. Au retour d’Afrique, en septembre, j’ai fait quelques ultimes modifications dans ma pièce L’Africaine, qui se passe en Bretagne... Puis j’ai redémarré Ça va. Ça ne s’appelait pas encore Animal, mais j’avais dans le corps le matériau qui allait transformer la pièce précédente.

Animal commence dans une ancienne concession coloniale en Afrique. D’une certaine façon, je suis en Afrique depuis que je suis né… Je savais que j’irais là-bas, depuis tout petit je n’ai jamais eu de doute sur le fait que j’irais en Afrique à un moment ou à un autre… J’ai toujours été lié à l’Afrique. C’est bizarre, c’est curieux à dire, peut-être même indécent, mais c’est comme ça. Des membres de ma famille vivaient dans plusieurs régions du monde, dans plusieurs pays : Cameroun, Haute Volta (Burkina Faso), Grèce, Israël, Birmanie, Viêtnam… Petits, on entendait des tas d’histoires. Notre chez-nous était constitué de plusieurs pays, on le ressentait comme ça. L’Afrique c’était particulièrement fort.

Il y a des jours où je me dis « pourquoi je n’habite pas Saint Brieuc de Mauron ? ». Habiter Saint Brieuc de Mauron9, je sais très bien que c’est absolument impossible, que ça me brûlerait les pieds, que je n’y passerais pas trois jours… En Afrique je retrouve Saint Brieuc de Mauron et autre chose, quelque chose qui est interdit, dont on n’a même pas le droit de parler.

C’était nécessaire pour moi d’aller physiquement en Afrique avant d’emporter les

personnages de la pièce en Afrique. Je n’avais jamais ancré de personnage en Afrique, mais j’en avais appelé un Fricaine, donc c’était difficile d’y échapper… C’est d’ailleurs quelque chose qui continue à me travailler : Fricaine en Afrique ce n’est pas le même personnage que Fricaine dans une ferme de Bretagne, ça n’a pas le même sens. J’ai hésité à garder le nom; c’est presque un drapeau, Fricaine. Dans mon pays, tout le monde a des surnoms : Blum, De Gaulle, Jobloup, que j’ai utilisé10, le Grand Tchesbiet, le Grand Zibou, transformé et utilisé dans Suzanne, et puis des noms de personnalités échoient à des gens, à des

chevaux ; le cheval de mon grand-oncle s’appelait Voltaire… Il y a des noms comme ça aussi en Afrique : un des acteurs de Niamey s’appelle Philo, il s’est donné comme nom Philosophe. Un autre, Béto, ne s’appelle pas Béto : mais Diallo dit Béto. Au début je croyais qu’il s’appelait Bétodi, mais pas du tout. Il a pris ce surnom. Diallo ce n’est pas son nom non

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plus, c’est le nom de son père. Il fait partie de la famille des Diallo mais son nom sur son passeport c’est Oumarou Aboubakari. La piste des noms est difficile à suivre. Les parents ne s’appellent pas comme les enfants. L’auteur Kouam Tawa s’appelle Constantin Liberté Kouam Tawa. Son prénom c’est Liberté ou Kouam. Son père l’appelle plutôt Tawa ou Ancien…Tout est insaisissable et solidement codé en même temps, dans le même mouvement.

A.K. – Et de ne t’appeler que Roland Fichet en Afrique ça ne t’embête pas ?

R.F. – Très vite ils m’ont trouvé un autre nom. Et même plusieurs. Mais pour revenir à notre propos, la raison pour laquelle je passe d’une pièce à l’autre, de Ça va à Animal, c’est sans doute que dans la première pièce je ne trouve pas encore les bons équilibres. Je ne veux pas que ça pèse, que ça raconte trop… Dès que ça se met à raconter, je retaille, j’enlève, parce que je ne veux pas que les personnages viennent témoigner, je veux qu’ils sentent, fassent sentir, vivent leur vie…Je cherche une épaisseur.

La cristallisation des mots dans Animal, la cristallisation sonore et émotionnelle je voulais aussi c‘est vrai qu’elle alerte, qu’elle accroche un refoulé historique, même s’il n’y a pas une pancarte pour dire « attention histoire » ou « on parle de la colonisation », etc. Au contraire.

J’ai effacé toutes les traces de ça, car ce n’est pas de le dire qui m’intéresse, mais qu’on le ressente, que ça se cristallise dans les phrases, dans les mots des personnages, dans la façon dont c’est agencé. J’ai une sympathie sincère pour Kalonec. Parce qu’il est autant un abandonné de l’histoire, un déchet de l’histoire, que Fricaine et les autres. Il y a sur nombre de corps africains l’empreinte du désastre. Il y a aussi tous ces gens qui partent dans des aventures dont ils ressortent couillonnés, brisés. Tout d’un coup on leur dit : « c’est fini il faut rentrer chez vous »… C’est ce qui se passe en Côte d’Ivoire ces temps-ci. De ce côté-là aussi il y a de la casse.

Géographies de Bretagne et d’Afrique

M.B. – On pourrait revenir à l’ancrage géographique d’Animal, au passage que tu réalises, de la cour de ferme bretonne à la concession en Afrique… Dans Ça va, on était dans un espace très concret et très étrange à la fois : la fosse à purin, la montagne de graisse, le pigeonnier… Animal amène d’autres paysages. Tu disais je crois l’autre jour que les lieux d’Animal étaient pour toi autant liés à des paysages de Bretagne que d’Afrique…

R.F. – Tout comme les personnages d’Animal sont des êtres mixtes, les paysages sont mixtes aussi. Je sais très bien d’où viennent certains paysages, en Bretagne et en Afrique, et comment je les associe. Mais il y a aussi des paysages totalement imaginaires, précis dans ma tête, dont je ne sais pas d’où ils viennent : le fleuve avec ses deux arbres c’est une vision que je porte depuis le début, d’où vient-elle ?

Ce sont des vies intérieures et des voix déjà présentes en toi, qui sont nourries, réveillées par ce que tu vois, par ce qui te parvient de l’extérieur. Il y a des gens qui peuvent rester dans leur chambre, moi j’ai besoin d’aller vers l’étrange, l’étranger, vers des mondes que je ne connais pas, de vivre avec, de marcher, d’être physiquement partie prenante. Ce n’est pas forcément facile, la confrontation avec la réalité est parfois rude, mais le moment où tu manges du singe avec des gens que tu ne connais pas au bord d’une forêt est précieux, j’en ai besoin. Tout ça construit des sensations, des rapports, qui après, quand je rentre en France, se déposent, se mêlent à d’autres sensations plus bretonnes.

Saint Brieuc de Mauron est un endroit où il y a des bois : la forêt de Brocéliande n’est pas loin. La forêt d’Animal n’y est pas étrangère je suppose. À Saint Brieuc de Mauron il y a

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aussi trois métairies : la Métairie de la Porte, la Métairie de la Lande, la Métairie sous le Bois.

Je les connais par cœur, mon oncle était le métayer de la Métairie de la Porte, celle qui entrait dans le bois. C‘est d’ailleurs par cette métairie qu’on passait quand on était gamins pour aller dans le bois, vers le Gros Chêne, et plus haut vers les Roches Blanches. La proximité de la forêt, la respiration de la forêt, la peur de la forêt le soir, le sentiment

d’inquiétude… On restait jusque très tard près du chêne. Tu reviens chez toi sous les arbres, il fait noir, avec juste ta petite sœur, tu te dis ouh là là on va être attaqués, il y a les bêtes que tu entends fuir, plein de tout petits gestes héroïques… La forêt africaine recrée ce lien-là quelque part. Il faut aller en Afrique pour revenir chez soi. Ça c’est banal, tout le monde le sait, le voyage sert souvent à ça.

Je sens bien comment ça résonne, comment se combinent les gens, les langues, les paysages africains et bretons… la forêt, le fleuve, la mer... La concession en Afrique, j’y ai aussi mis les pieds d’une certaine façon. Je suis allé en 2001 chez le Sultan Njoha, dans sa ville/royaume de Foumban au Cameroun, ça m’a beaucoup impressionné. La lumière était magnifique, la cour, le palais, la ribambelle d’enfants, les familles autour, le marché si beau, si vivant, multicolore, on a visité le sultanat, Kouam Tawa me racontait des histoires… Il y avait des bois, des forêts, la police, des camions, l’ambiance prenait sans que j’y pense. Ça n’a pas été difficile pour moi de passer de Ça va à l’Afrique. C’était bien de sentir

physiquement les briques par exemple : le sultan Njoha a fait fabriquer des briques en terre et résine. Au début du XXème siècle il a vu les bâtiments construits par les Allemands, en parpaings. Il a voulu lui aussi construire son palais en dur, avec des briques. Et c’est comme ça qu’ils inventent les briques, qu’ils découvrent la résine comme liant. Je les introduis dans Animal, après avoir discuté, chez le sultan Njoha, du matériau avec lequel ils ont construit ce palais. Les briques dont Nil parle, « Fricaine elle est douée pour les briques », ce sont celles- là. Il y a des briques et des parpaings partout. Tout le monde fabrique des briques grises ou rouges, de petits parpaings, dans les pays où je suis passé. Le mur vient peut-être de là. Et la germanité de Iche. Elle s’appelait Iche avant d’être d’origine allemande. D’où c’est venu Iche, ce nom ?

À y réfléchir, la géographie d’Animal est beaucoup moins abstraite que celle de Ça va. Ça va avançait une proposition géographique composée d’éléments assez abstraits comme le grand cône de graisse blanche, le pigeonnier, il y avait un jeu sur la rondeur, la cour de la ferme… Animal déploie des espaces qui pour moi traduisent un engagement plus fort dans le minéral, le végétal, etc. Dans Animal, on nage littéralement dans la matière, dans du physique.

La mort des animaux

M.B. – J’aimerais également qu’on repasse par cette chose importante, le thème du massacre des animaux, qui ne renvoie pas tellement pour toi à une actualité ou un

phénomène historique, mais avant tout à une scène primitive de ton enfance, dans l’histoire de ta famille…

R.F. – C’est difficile de revenir à la trace qu’a laissé en moi cette mort des animaux dans l’enfance. Il ne s’agit pas que de la mort des animaux… Il y a plusieurs événements violents, et au cœur de ces événements qui ont jeté toute la famille dans un désarroi proche du chaos, l’exécution de toutes les vaches. Elles étaient atteintes de la tuberculose. On a tué tout le troupeau. Tu ressens à un moment de ton enfance, vers huit-neuf ans, un chagrin qui s’étend aux animaux qui vont mourir, qui ont été tués, qui étaient là à côté de toi et puis tout

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d’un coup n’y sont plus. Et s’ouvrent en toi aussi d’autres perceptions. De l’autre côté de ce chagrin il y a la force qui vient des morts. Le rire aussi peut-être. Les secousses de rire que suscite le chaos, que les morts nous inspirent.

Peut-être que j’ai effectivement grandi après la catastrophe, par la catastrophe.

La rage de Fricaine, la vengeance

M.B. – Le personnage de Fricaine est habité par une fureur qui semble nourrie par une grande douleur, notamment le fait que les animaux l’ignorent, ne la reconnaissent pas.

Qu’est-ce qui pour toi provoque sa rage à tuer tous les animaux, à l’origine ?

R.F. – Il y a d’abord la colère, classique, violente, qu’on trouve dans les grands récits, dans l’Odyssée, dans les contes ou épopées bretonnes, dans Médée, etc. Il y a tout d’un coup une crise, et on tue tout : les chiens, les animaux, les esclaves, les enfants… L’homme qui a le sentiment d’être abandonné des dieux ou des hommes, d’être humilié, bafoué, l’homme ou la femme dont la passion est piétinée, se venge sur tout ce qui lui tombe sous la main, sur l’autre, sur l’autre qui a l’audace de continuer à vivre. Et même quand l’homme n’a plus besoin de se venger il continue, il organise des chasses… Ça s’étend aux êtres humains aussi. Tout s’effondre sous les pieds de Kalonec et du coup sous les pieds de Fricaine. Il faut imaginer ce que c’est aujourd’hui en Côte d’Ivoire : il y a des Ivoiriens qui doivent être dans un état de désespoir, d’abandon, de rage… Des Ivoiriens noirs et des Ivoiriens blancs.

Pourquoi Fricaine tue les animaux? Elle tue ce qu’elle aime le plus, ce à quoi elle est le plus intimement liée mais dont elle se sent séparée de façon irréversible. La rage de Fricaine l’habite intimement, elle circule dans toutes les fibres de son corps. C’est une grande figure Fricaine. Une force. Une puissance.

La réaction de Fricaine me rappelle aussi Urien, le commis manchot de ma grand-mère.

Quand il a dû quitter sa maison, dans le tout petit village où je suis né, il a tout détruit, brisé en morceaux tous ses meubles, tout ce qu’il y avait dans cette maison. Il n’a rien emporté et rien voulu laisser après lui. C’est un geste dont aime se souvenir ma mère.

L’autre dimension c’est la contamination, la maladie que Kalonec porte avec lui. Kalonec, l’occidental, le constructeur, introduit dans ce coin d’Afrique un germe destructeur. Sans doute que beaucoup de gens dans le monde ne peuvent que se sentir agressés, humiliés, par le comportement occidental. Comment ne pas avoir envie de se venger globalement?

C’est la gifle globale de Cripure dans Le sang noir de Louis Guilloux.

Pour Fricaine c’est tragique, puisqu’elle est partie prenante, elle a épousé le goût du meurtre de Kalonec. Elle a le goût du meurtre.

Le surgissement de Chienne au milieu de tout ça renverse la perspective. Pris dans le regard de Chienne, ils rapetissent. Les hommes sont plus petits que les animaux. Ils ne peuvent plus atteindre Willi. Ils rapetissent. La rupture avec l’animal réduit l’homme à un zombi d’aéroport - Iche, irriguée d’une ivresse d’anéantissement, jouit de cet état : l’animale dénuée de tout, la plus petite personne. La vengeance de Fricaine reprise par Chienne prend une autre dimension, elle ouvre encore davantage cette vengeance, et peut-être qu’au bout du compte c’est Gaïa elle-même, la terre-amante-mère, qui se venge.

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1 Roland Fichet, Notes Africaines, publiées dans LEXI/textes n°6, Théâtre de la Colline, L’Arche, 2004.

2 Roland Fichet, Suzanne, Éditions Théâtrales, 1993.

3 Famille Huron est en effet créée par Annie Lucas en juillet 1999, lors du Festival Quai des Artistes à Saint Brieuc, sous un hangar près du port du Légué.

4 Petites comédies rurales, éditions Théâtrales, 1998.

5 Personnage de la pièce Suzanne (éditions Théâtrales, 1993).

6 Personnage du commis dans De la paille pour mémoire (éditions Théâtrales, 1985).

7 Terres promises, éditions Théâtrales, 1989.

8 Voir La Chute de l’ange rebelle, éditions Théâtrales, 1990.

9 Saint Brieuc de Mauron est le village d’origine de Roland Fichet.

10 Dans De la paille pour mémoire.

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