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Academic year: 2022

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Est-ce que tu me souviens ?

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Renaud Camus

Est-ce que tu me souviens ?

P.O.L

33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6

e

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© P.O.L éditeur, 2002 ISBN : 2-86744-880-8

www.pol-editeur.fr

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P

RÉFACE

-I

TINÉRAIRE

Est-ce que tu me souviens ? est un livre tout à fait autonome, et ce n’est pas un “hyperlivre”.

Néanmoins c’est une partie de l’immense hyperlivre Vaisseaux brûlés (http:perso.wanadoo.fr/renaud.camus), lui-même extension en arborescence de P.A. (petite annonce), P.O.L, 1997.

Outre P.A. soi-même, qui offre à Vaisseaux brûlés la structure cen- trale de ses 999 paragraphes, sont déjà parus sur papier, tirés du même ensemble en extension permanente, Ne lisez pas ce livre ! (P.O.L, 2000), arborescence du paragraphe 1 de P.A., et Killalusimeno (P.O.L, 2001), arborescence du paragraphe 2.

Est-ce que tu me souviens ?, comme Killalusimeno dont il est lui- même une arborescence, se rattache à ce même paragraphe 2. Ce livre occupe exactement, à l’intérieur des Vaisseaux brûlés, la position 2-2-37-1.

Pour les lecteurs soucieux de géographie et qui n’auraient pas sous la main Killalusimeno, on place ici, en guise de préface éventuelle, l’“iti- néraire” qui, du début de P.A., et donc de Vaisseaux brûlés, conduit au début de Est-ce que tu me souviens ? – étant bien entendu toutefois que la notion de “début”, dans pareil contexte à multiples entrées, n’a de pertinence que très relative…

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[1. Ne lisez pas ce livre ! Ne lisez pas ce livre ! *]

2.Oh ! Laissez-le dormir, je vous en prie ! Laissez-le reposer parmi les arcanes silencieux et profonds, profonds comme quarante univers, quarante mille, quarante millions, de tout l’écrit qui n’est pas lu **

(536) ! Ne l’en arrachez pas pour rien !

2-1. (p. 11 **)Autant qu’aux abysses des bibliothèques, on songera ici au courrier qui nous arrive chaque jour. Passe encore pour les lettres, les vraies lettres, mais elles sont à peine un dixième – et sans doute infiniment moins, en nombre de mots – de ce que nous trouvons dans notre boîte ; et à côté d’elles quelle abondance désespérante de proses commerciales, de dépliants publicitaires, de journaux, de revues, de magazines dont il n’est pas envisageable un seul instant, un seul instant, de prendre sérieusement connaissance ! Pour peu qu’on ait été absent une semaine ou deux il n’est même plus ques- tion d’essayer de repérer, dans cette masse accumulée, ce qui pour- rait être essentiel, ou seulement important. Et la plus étroite noto- riété, ou bien un quelconque pouvoir d’influence, ou de décision, réel ou illusoire, mais qui donne à penser, à telle ou telle catégorie de personnes, que vous êtes à même d’avoir un effet positif sur leur destin – vous organisez des expositions, par exemple, ou bien vous êtes responsable d’un festival (708, 737, 741-749, 754-755, 760-761) – suffisent pour multiplier par dix ou par cent, selon les cas, cet irré- pressible afflux : catalogues, manuscrits, livres en service de presse, revues de presse, coupures, autopromotions diverses, invitations entées d’explications, d’incitations, de tentatives de tentations, de récapitulations vouées à l’échec…

2-2.Si seulement on pouvait se dire avec certitude que rien de tout cela n’a le moindre intérêt ! Mais c’est bien loin d’être assuré. Il y a dans

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* Ne lisez pas ce livre ! (Vaisseaux brûlés, 1), P.O.L, 2000.

** 2-1, p. 8.

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ce déversement des textes d’amis, il peut s’y trouver un essai remar- quable, un premier roman exceptionnel, des poèmes de haute qua- lité, la présentation d’un artiste de génie, ou de très grand talent, et l’information que vous cherchiez partout, depuis des mois, sur la vie de Roman Ungern von Sternberg * avant la Mongolie, sur la néga- tion non disjonctive ou sur le séjour de Frescobaldi à Brescia. Et pourtant il est impossible, impossible, matériellement impossible (539), d’inspecter un dixième de tout cela **, un centième, une frac- tion de plus que l’aliquote part mise sous vos yeux par le hasard.

Vous avez tant d’autres choses à faire ! Vous avez tant d’autres pages à lire ! Et même tant d’autres phrases à écrire !

2-2-1. (p. 13**) À Noël 1999, par exemple (mais la situation est à peu près normale, de ce point de vue – ni meilleure ni pire que d’habitude) : 2-2-2. La Barque de nuit. C’est le manuscrit d’un texte de Christian

Combaz, qu’il m’envoie pour que je lui donne mon avis. Or Chris- tian Combaz s’est montré à mon égard, depuis des mois, d’une gen- tillesse extraordinaire. De son temps à lui, qui certainement n’est ni moins précieux ni moins disputé que le mien, il a été, à mon profit, d’une générosité stupéfiante. C’est lui et lui seul qui a mis sur pied ce site, et si ces Vaisseauxpeuvent prendre la mer, tout brûlésqu’ils sont, ce n’est dû qu’à lui. Puis-je, dans ces conditions, ne pas lire immédiatement La Barque de nuit, puisqu’il me fait l’honneur de me demander ce que j’en pense, et qu’il attend ma réponse ? 2-2-3. L’Adversaire, le livre d’Emmanuel Carrère, qu’il m’envoie avec

cette dédicace : « Cher Renaud, je pense que tu as eu tort de mal prendre mon petit texte *** ; je n’en regrette pas moins de t’avoir peiné. Faisons la paix, veux-tu ? » Flatters, qui l’a déjà lu, dit que

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* 2-2-01, p. 16 (de Killalusimeno).

** 2-2-1, p. 9 (de ce livre-ci), p. 91 (de Killalusimeno).

*** 2-2-3-1, p. 107 (de Killalusimeno).

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L’Adversaireest un livre extraordinaire, qui donne une dimension tout autre à l’œuvre et à la personnalité littéraire de Carrère.

2-2-4. Quelques pages tapées à la machine que m’envoie José Cabanis, auquel je viens d’écrire pour le remercier de son Magnificat, récem- ment publié aux éditions Sables, à Toulouse, et qu’il m’avait fait parvenir. Cabanis est l’un de mes plus ardents partisans, pour l’Académie française. De Toulouse où il habite il est allé voter pour moi sous la Coupole, en juin dernier, alors qu’il était très malade et n’avait pas fait le voyage de Paris depuis des mois. Sa cousine Chantal de Vergnette, qui me soutient auprès de lui, veut que nous nous rencontrions dans les semaines qui viennent. Et dans la pen- sée de cette entrevue projetée j’ai acheté à Paris plusieurs livres de lui, L’Escaladieu, Le Crime de Torcy, Petit entracte à la guerre, que je souhaitais lire ou relire *.

2-2-5. Cythereus, Carnets d’éthologie appliquée, 1978-1992, par Charles Chauranne, aux Impressions nouvelles. « Pour Monsieur Renaud Camus, Maître admiré du diarisme contemporain, Hommage de l’Auteur. » Il paraîtrait que “Charles Chauranne” est un pseudonyme, et que “l’Auteur”, qui livre un recueil de notes, d’observations et de réflexions très précises à partir de sa vie sentimentale et sexuelle, est

« un écrivain très connu » – ou bien « quelqu’un de très connu », je ne me souviens plus exactement de ce qu’on m’a dit, mais connu, en tout cas, même si ce n’est pas en tant qu’écrivain. Quoi qu’il en soit ses analyses ont l’air très fines, en tout cas, d’après quelques coups d’œil et de sonde que j’ai pu y jeter.

2-2-6. Deux, rue de la Marine, récit d’Hélène et de Jeanne Bresciani, aux éditions des Vents contraires. « Une enfance corse », dit la bande.

Jeanne Bresciani est une amie de toujours de Jean-Paul Marcheschi, et je l’ai rencontrée par lui. Je pense souvent à sa vie, curieusement.

Elle travaille dans un ministère, à Paris – le ministère des Sports ou

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* 2-2-4-1, p. 110 (de Killalusimeno).

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celui des Travaux publics –, elle habite je ne sais quelle banlieue, elle fait tous les jours la navette, et c’est une vie tellement normale, apparemment, une vie tellement comme sont les vies, que j’en éprouve de la peur, et je devrais lui écrire.

2-2-7. Dante, Rivedere le stelle, le catalogue de l’actuelle exposition de Jean-Paul Marcheschi à Ajaccio. Ce catalogue comporte de nom- breux textes, dont certains sont tout à fait superbes, me dit-on, comme celui de Jacqueline Risset. On y trouve également un assez long entretien entre Marcheschi et le commissaire de l’exposition, Michel Griscelli – entretien que n’approuve pas notre amie Made- leine, qui le juge trop précieux, et de toute façon inutile : je l’ai par- couru trop rapidement, et trop incomplètement, jusqu’à présent, pour avoir là-dessus des vues bien arrêtées.

2-2-8. Un petit livre dont je m’aperçois que je l’ai égaré, une sorte de cata- logue, lui aussi, sur sept artistes dans sept villages de la Lozère.

2-2-9. Quoi peindre, donc ?, essai d’Évelyne Artaud en marge d’une expo- sition de Jean-Michel Alberola, John-Richard Ballard, Carmen Calvo, Cho Taik-Ho, Philippe Cognée, Philippe Favier, Patrice Giorda, Christine Jean, Rafael Mahdavi, Djamel Tatah à l’Espace Écureuil à Toulouse.

2-2-10. Et à propos de Toulouse et d’artistes, le dossier préparatoire à la première réunion du jury, dont je fais partie, pour le choix des artistes auxquels seront confiées les nouvelles stations du métropolitain.

2-2-11. Ce sont là beaucoup de catalogues, et j’en oublie. Or je viens d’en rapporter beaucoup d’autres de Paris, et qui sont autrement plus épais, en général, autrement riches en textes et en informations, en essais, en chronologies, en commentaires des œuvres, biographies et bibliographies. Ce sont les catalogues des grandes expositions que j’ai vues : Chardinau Grand Palais, Daumierau Grand Palais aussi, Les Fauvesau musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Turner et la Seine au Pavillon des Arts, Matisse et le Marocà l’Institut du

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monde arabe, La Mort n’en saura rienau musée des Arts africains et océaniens, etc. Ces somptueux livres d’art, et qui m’ont ruiné, est- ce qu’il ne serait pas trop bête de les aligner directement à côté de leurs pairs dans la bibliothèque, sans tâcher d’en extraire au passage un peu des informations qu’ils contiennent, et peut-être de la sagesse qu’ils recèlent ? Quant à leurs pairs, au demeurant, ils n’ont pas fait l’objet, le plus souvent, d’une attention beaucoup moins distraite, et beaucoup moins précipitée.

2-2-12. D’autant que ces catalogues ne sont qu’une toute petite partie de ce que je rapporte de ce voyage, en fait de livres. Comme j’ai bénéficié d’une rentrée d’argent inattendue, dont il ne reste à présent plus rien, je me suis offert le Marivaux de la Pléiade, les deux Platon, le Höl- derlin parce qu’il y a les lettres *, le Gobineau. J’ai acheté Les Soirées de Saint-Pétersbourg, en deux volumes. J’ai acheté plusieurs Lévi- nas, et un numéro à lui consacré de Pardès, Philosophie et Judaïsme**. J’ai acheté des Bergson de derrière les fagots, des Hei- degger qui me manquaient, le livre de Lyotard Heidegger et “les juifs”, et le journalde Kierkegaard. Aux Cahiers de Colette j’ai pris le Céline tel que je l’ai vu, de Milton Hindus, Maître Eckart et la mys- tique rhénane, d’Alain de Libera, Le Mariage de Pausole, de Robert Fleury, sur les amusantes amours de Pierre Louÿs et des demoiselles Heredia. Il m’a fallu aller chercher à la librairie de l’Âge d’homme, rue Férou, le “dossier H” sur Evola. De la même source je tiens Méta- physique du sexe et Révoltes contre le monde moderne. Mais je ne sais plus où j’ai trouvé le Voyage à l’île de Rügen, de Carus, sur les traces de Caspar David Friedrich (1-3-8-3-1-1-2-1-11/12).

2-2-13. Penser ensemble, bien sûr. Mais lire ensemble, aussi bien – lier.

Toutes ces contrées du nord-ouest du Massif central, etc. Tous les matins du monde. C’est mon nez qui a déc. De toute façon, j’en oublie, et je n’ai pas le temps de faire ici un effort de mémoire. Il

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* 2-2-12-01, p. 110 (de Killalusimeno).

** 2-2-12-1, p. 211 (id.).

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faudrait dire un mot des revues, des revues que j’achète et que je n’ai pas le temps de lire, et des revues que je reçois, souvent sans savoir pourquoi.

2-2-14. Jamais je n’ai été l’hôte du Centre culturel français de Cologne, par exemple, ni de celui de Valence, en Espagne. Or ces institutions m’envoient régulièrement leurs bulletins, qui paraissent tout à fait bien faits, et qui abondent en informations sur des récitals en ces villes, des concerts, des expositions, des conférences dont sont don- nés des extraits, entre des entretiens avec les artistes invités, les intellectuels de passage, des écrivains et philosophes que je connais quelquefois, et qui très souvent m’intéressent. Il est fait part de pro- jets d’extension, d’aménagements de nouveaux locaux, de nouvelle politique culturelle et de présence plus marquée dans la ville et dans le pays. Il y a des photographies de personnalités, des photogra- phies de bâtiments, des photographies d’événements, de vernis- sages, de cocktails, et des photographies pour la photographie.

2-2-15. Or combien y a-t-il de centres culturels français dans le monde ? Et combien publient d’assez jolies revues, dont il n’y aucune raison de penser qu’elles sont moins bien faites que celle de Cologne ou de Bilbao, et qu’on ne pourrait pas les feuilleter avec autant d’intérêt ? 2-2-16. Connaissez-vous Le Cahier du refuge, que publie le Centre inter- national de poésie de Marseille, avec une prolixité rare ? Le temps que j’arrive à me persuader, non sans regrets, que je dois ranger le numéro 81, bien que je l’aie à peine ouvert, voici sur mon bureau le numéro 82, consacré à Jean-Luc Parant.

2-2-17. Connaissez-vous L’Intersyndicaliste, “pour une économie distri- butive par l’abolition du salariat” ? D’avoir écrit et publié Qu’il n’y a pas de problème de l’emploi m’en vaut depuis maintenant des années deuxexemplaires de chaque numéro.

2-2-18. Connaissez-vous Mark Alizart, et sa petite revue M.U.L.

(Macramé-Urbanisme-Littérature) ? Comité de rédaction : ça

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dépend. Alizart a vingt ans, peut-être vingt-cinq depuis le temps. Je l’ai rencontré une ou deux fois, et rien n’interdit de se persuader que peut-être il est un génie. Il rédige seul la revue, je crois bien, et elle est éblouissante. Elle semble mettre un point d’honneur à traiter, qui plus est, de sujets qui m’ont toujours passionné : ainsi la question du nom propre, l’histoire d’Ulysse et de Polyphème, À la recherche du temps perducomme traité de théologie. « Le lecteur à qui l’on pro- pose une nouvelle édition de L’Odyssée se sent peut-être dans la situation absurde du préfet de Police invité par le facétieux Dupin à chercher de nouveau dans l’hôtel du ministre la lettre volée du célèbre conte homonyme d’Edgar Poe, alors qu’il vient de lui expliquer en détail, et quel détail! qu’il n’y a plus lieu d’y retourner. » Polyphème- Dupin en deux coups, ainsi qu’on dit dans Pale Fire(2-2-019-20). Et Dieu sait quels hauts faits ne pourraient pas s’ensuivre. Augustin ou Le maître est là, roman de Joseph Malègue. Jean-Pierre Lefebvre,

« “Ich verulme, verulme” – Paul Celan rue d’Ulm (1959-1970) », dans Michel Espagne (éd.), L’École normale supérieure et l’Alle- magne, Leipzige Universitätsverlag, 1995, p. 265-288. Le guide de la cathédrale écrit par Ferdinand Thräm décrit méticuleusement le moindre détail, « depuis les frises des colonnes jusqu’au produit de la vente d’une paire de pantalons offerte par un pieux fidèle, le meu- nier Wammes, pour les travaux de l’église (6 shillings et 2 centimes) (2-2-12-03-29) – – und, fernhin, ehe es alles geschieht / Verkünd ich dir’s und sage: – – (et avant que se déroule ce qui doit arriver, je te l’annonce de loin et je te dis : …Aux sources du Danube). Je prends la liberté de terminer la lettre (2-2-12-03-19). Nous l’organisons de nouveau et nous partons nous-mêmes en (et nous tombons nous- mêmes et nous brisons) (1-3-8-5-2-5, 2-2-12-03-19, 251, 254) (pas de capitale) tard dans la nuit assis devant la fenêtre ouverte je pou. Alors que Le Palace: I. INVENTAIRE. Et à ce moment, dans un brusque frois- sement d’air aussitôt figé (de sorte qu’il fut là, les ailes déjà repliées, par. Dich, Mutter Asia! Aie pitié de ton petit enfant malade. « Les visites sont faites à des mots » (Bollack) : le menuisier (« Zimmer- mann »), portant le nom de la chambre (« Zimmer »), a été noyé, comme les tours ; il dérive dans l’eau. C’est tout un ensemble. Et plus on y réfléchit plus on se rend compte de l’évidence, à savoir que ce

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voyage, même s’il a bel et bien été conçu, était inconcevable : il n’impliquait rien d’autre en effet que cette monstruosité, en l’occur- rence : un dénouement heureux.

2-2-19. D’ailleurs Alizart écrit aussi des livres, j’imagine que cela va sans dire. Il aimerait les voir publiés, et ne manque pas de m’en envoyer les manuscrits. C’est là que nos relations se gâtent, se sont gâtées, vont se gâter, car je ne puis pas faire grand-chose pour les pousser dans le monde, d’une part, et surtout je n’ai pas le temps de les lire.

Ce n’est pas l’envie qui m’en manque. L’envie ne me manque jamais, ça non. Mais il y a déjà tant de manuscrits en attente ! Et pendant ce temps continue d’arriver Le Monde, tous les matins, et Le Nouvel Observateur, toutes les semaines. Pour les quelques instants d’atten- tion qu’ils reçoivent, dans le meilleur des cas, est-ce qu’il vaut bien la peine de rester abonné ? Ne disons rien de la Revue du Louvre, d’Art-press, de Beaux-Arts, de Demeure historique ou de la jolie revue de Vieilles maisons françaises, qui explore chaque fois un nouveau département, pierre par pierre – ou qui essaie, car comment être exhaustif ?

2-2-20. Ma mère accumule les journaux, elle ne veut jamais les jeter. Elle dit qu’elle constitue des archives. C’est là un des moyens de son affreux désordre (124, 125, 390, 399-400). Toutes les pièces où elle séjourne sont envahies au bout de quelques jours par des piles pré- caires de quotidiens mal repliés, et elle ne veut pas qu’on y touche.

Si on en jette deux ou trois paquets, pour faire de la place et lutter contre le chaos, elle pousse les hauts cris. J’essaie de lui expliquer que les journaux sont faits pour qu’on en prenne connaissance et qu’on s’en débarrasse, que c’est un bon exercice pour la mémoire ; et qu’ils n’ont rien à voir avec les livres, qui eux sont destinés à la conservation, et à la fréquentation régulière, étalée dans le temps ; mais elle ne veut rien entendre.

2-2-21. Cependant les livres eux-mêmes, si différents qu’ils soient par nature de tout ce qui relève de la presse, et qui pourrait donc être rangé, sans trop de perte, dans la catégorie du périssable, les livres

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échappent à toute emprise. Ceux que je viens de rapporter de Paris, et tous ceux qui sont arrivés pendant mon absence – tiens voilà Les Plaisirs de la vie, envoi de Dominique Noguez –, je sais bien que je n’accéderai jamais à leur lecture tant soit peu sérieuse, et complète encore bien moins, dans un avenir prévisible en tout cas. C’est peu dire qu’il y a plus urgent, hélas, et ce n’est pas leur faire injure.

2-2-22. Il avait été convenu, assez vaguement Dieu merci, que je remettrais le 31 décembre un petit livre sur Albers. Je n’en ai pas écrit une seule ligne. Il me semble qu’avant de songer à m’y mettre j’ai cent choses à lire en guise de préparation, et par exemple la correspondance d’Albers avec Kandinsky. Or celle-ci me convainc, à peine com- mencé-je à la feuilleter, qu’il est essentiel de me reporter d’urgence à Du spirituel dans l’art, et sans doute aussi à Point, Ligne, Plan, qui existe heureusement en édition de poche, et dont j’ai rapporté de Paris un exemplaire.

2-2-23. Las, quelle que soit la nécessité de songer sans délai au petit livre sur Albers, il y a des obligations plus pressantes encore, même si elles sont plus triviales. Ma méchante affaire fiscale (780-781) doit être évoquée bientôt devant la Cour administrative d’appel de Bor- deaux. J’ai reçu en octobre le mémoire de la partie adverse, en l’occurrence la Direction des Impôts. J’avais un mois pour y répondre. C’est moi qui rédige personnellement le mémoire en réponse, car je n’ai pas les moyens de prendre un avocat et je ne suis pas convaincu, de toute façon, qu’il serait d’un grand secours.

J’ai écrit à Bordeaux pour demander un délai jusqu’au 15 décembre. Ce délai est maintenant dépassé. Mais je n’arrive pas à clore mon mémoire, qui doit être accompagné d’une lettre déter- minante de Patrick Modiano, qui me l’a promise avec beaucoup d’enthousiasme il y a un mois. Or je ne l’ai toujours pas reçue.

2-2-24. Alors répondre aux lettres de vœux… Et simplement répondre aux lettres… Oh ! Je sais bien qu’il fautrépondre aux lettres, que ce serait plus gentil, plus correct, plus prudent aussi, dans certains cas. Mais est-ce qu’il n’est pas aussi impératif de veiller à ses

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affaires, pour une fois, au lieu de les laisser aller à vau-l’eau, alors qu’on est menacé des pires catastrophes financières, et que le temps qui vous est imparti pour vous défendre est légalement écoulé, sinon tout à fait épuisé en pratique ? Ou bien si décidément c’est à l’écriture de ce petit livre qui vous a été commandé il y a trois mois, et payé à l’avance, même, à votre vive satisfaction d’alors, qu’il convient de donner la priorité ? Et donc aux lectures préalables qu’il implique ?

2-2-25. Lui-même n’est qu’un préalable, au demeurant. Ce petit livre sur Albers, ce n’est pas lui que j’aurais envie d’écrire en ce moment, mais je dois m’acquitter au plus vite de cette tâche, avant de me mettre au vrai travail.

2-2-26. Le “vrai travail” ce serait Du sens, à quoi je pense depuis des mois, et qui pourrait bien relever de ma part – son titre monumen- tal l’implique assez – d’une ambition intellectuelle exagérée. Quoi qu’il en soit Du sensexige des lectures innombrables. Et j’entends rédiger cet ouvrage en parallèle avec 325 g, nouvelle version de L’Ombre gagne, vieux travail plus ou moins maudit, en tout cas jamais publié. Les deux livres forment selon mes plans une sorte de diptyque. Je ne mentionne même pas ces Vaisseaux, qui s’accom- moderaient pourtant de beaucoup d’énergie et de temps.

2-2-27. Au lieu de quoi voici les épreuves du Répertoire des délicatesses.

Il faut s’y atteler toute affaire cessante. Pourtant j’en suis encore, quant à ce livre-là, à me débattre avec des ajouts. Mais je sais bien que je n’y aurai pas mis la dernière main, la vraiment dernière main, si une telle chose est concevable, qu’arriveront les épreuves du jour- nalde 1994, La Campagne de France : les deux volumes doivent paraître à peu près en même temps, bien que ce soit chez des éditeurs différents.

2-2-28. Que serait-ce si j’avais une situation, une vraie situation, avec des horaires de bureau, et des trajets à accomplir ? Et comment faisait le général de Gaulle, quand il était président de la République, et qu’il

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avait une guerre sur les bras, ou des élections à préparer, tout un pays à gouverner, une place à lui rendre dans le monde, pour écrire aux écrivains qui lui envoyaient leurs livres, à Mauriac, à Montherlant, à beaucoup d’autres et moins fameux, des lettres dont on voit bien qu’elles ne sont pas de simple politesse, mais sont le reflet de vraies lectures, et pleine d’attention ?

2-2-29. D’autant qu’il n’y a pas que les livres, qu’ils soient à écrire ou à lire. Il n’y a pas que la lecture, il n’y a pas que l’écriture, quelque envie qu’on ait parfois que la vie se limite exactement à cela, ou coïncide avec cela (771). J’ai beau m’être dégagé autant que je l’ai pu des responsabilités administratives de l’association Pli selon Pli(737-769), c’est encore moi qui la fais tourner, pour l’essentiel ; et c’est à moi qu’il revient de prendre toute les décisions, concer- nant son action culturelle.

2-2-30. Il conviendrait de trancher avant la fin de l’année, par exemple, de ce que sera l’exposition de l’été prochain, entre ces murs. Je suis allé récemment à Bonn, afin d’y retrouver Gilbert & George, dont on inaugurait un accrochage, au musée, à l’occasion de l’exposition

“Zeitwenden”. Là-dessus est survenue une très vague ouverture quant à la possibilité de montrer plutôt Bacon, et spécialement toute une série de Papes, du meilleur cru. Des offres nous sont faites d’exposer Olivier Debré. Les indispensables demandes de subven- tion devraient être déposées dans les jours qui viennent, avec un projet précis. Mais aucune décision n’est prise, car on attend des réponses, qui n’arrivent pas. Nos propres réponses en sont retardées d’autant, selon le classique processus.

2-2-31. Ainsi il serait bon d’écrire aux membres, qui doivent se demander ce que nous faisons. Mais si l’on s’adresse à eux, mieux vaudrait leur donner des nouvelles, justement. Encore faudrait-il en avoir, pour en donner, et que les décisions soient prises.

2-2-32. L’architecte des Bâtiments de France réclame avec insistance que je prenne un parti, lui aussi, quant à certains devis qu’il m’a fait par-

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venir, à propos du toit. Lui dire si oui ou non nous nous lançons dans ces travaux comment serait-ce possible, avant de savoir quels sont les fonds dont nous pourrions bien disposer ?

2-2-33. Ma mère est ici, depuis trois semaines. Elle ne conduit plus. Il serait gentil d’essayer de la distraire un peu, de la promener, de la conduire chez des amies à elle. Et puis c’est la saison des cérémo- nies de vœux : je ferais bien d’aller chez le préfet, chez le sous- préfet, chez le maire de Lectoure, auxquels nous demandons des subventions, plus ou moins directement, et qu’il serait grossier de paraître ignorer, pour ne pas dire impolitique.

2-2-34. Et puis maintenant j’ai tous ces chiens, je ne peux pas ne pas m’en occuper. Il y en a toujours un qui a une petite misère, il faut l’emme- ner chez le vétérinaire. Le vétérinaire est à quarante kilomètres. C’est chaque fois toute une matinée qui sombre en ces expéditions ou les trois quarts de l’après-midi. Les autres jours il faut bien promener ces bêtes. Ce n’est pas du tout une corvée, bien au contraire. Toutefois je n’écris pas Paludes, tandis que je bats avec eux la campagne ; ni le petit livre sur Albers, et le gros Du sens encore moins.

2-2-35. La vie morale n’est pas un combat entre le bien et le mal – pas intellectuellementen tout cas. Il y a bien quelques ambiguïtés, mais dans l’ensemble on sait à quoi s’en tenir. Et si conflit il y a il est purement pratique, sur ce point, entre soi et soi (417-3). C’est une affaire de volonté, et d’intendance qui suit ou ne suit pas. Ça n’a pas d’intérêt pour la pensée. En esprit la vraie lutte oppose le bien au bien, ou le bien au meilleur, et au moins bien.

2-2-36. L’emploi du temps est la seule vraie question morale, celle qui contient toutes les autres. Dis-moi ce que tu fais de tes journées, je te dirai ce que tu vaux. Promener sa mère ; mais pendant ce temps- là on ne corrige pas ses épreuves, on n’écrit pas le petit livre sur Albers, on ne brûle pas ses vaisseaux. Et si l’on emmène le Horla chez le vétérinaire, l’affaire Bacon n’avance pas d’un iota.

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2-2-37. Il est indispensable aussi de perdre un peu de temps. Mais com- bien ? Si nous perdons tout notre temps nous n’avons pas de valeur, ou bien le temps n’a pas de sens, il faut choisir. Si nous avons une valeur le temps est le sens au contraire. Etc. * (2-3.)

2-2-37-1. Est-ce que tu me souviens ?

* 2-2-37-1, p. 20, p. 21, p. 27 (de ce livre-ci).

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Achevé d’imprimer en mars 2002

dans les ateliers de Normandie Roto Impression s.a.s.

à Lonrai (Orne) N° d’éditeur : 1773 N° d’imprimeur : 020755

Dépôt légal : avril 2002 Imprimé en France

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Renaud Camus

Est-ce que tu me souviens ?

Cette édition électronique du livre Est-ce que tu me souviens ? de RENAUD CAMUS

a été réalisée le 27 juillet 2011 par les Éditions P.O.L.

Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage, achevé d’imprimer en mars 2002

par Normandie Roto Impression s.a.s.

(ISBN : 9782867448805

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Numéro d’édition : 2605).

Code Sodis : N46453

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ISBN : 9782818009956 Numéro d’édition : 230889.

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