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Race et nationalité dans le droit colonial français (1865-1955)

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Academic year: 2021

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Copyright

Race et nationalité dans le droit colonial français

(1865-1955)

Yerri Urban

To cite this version:

Yerri Urban. Race et nationalité dans le droit colonial français (1865-1955). Droit. Université de Bourgogne, 2009. Français. �tel-01630611�

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1

UNIVERSITE DE BOURGOGNE

Faculté de Droit et de Science politique

THÈSE

Pour obtenir le grade de

Docteur de l’Université de Bourgogne Discipline : Droit public

par

Yerri URBAN

le 19 juin 2009

Race et nationalité dans le droit colonial français

1865-1955

Directeurs de thèse

M. Patrick CHARLOT, Professeur à l’Université de Bourgogne

M. Patrick WEIL, Directeur de recherche au CNRS

Jury

M. Olivier BEAUD, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

M. Eric GASPARINI, Professeur à l’Université Aix-Marseille III Paul Cézanne Mme Carine JALLAMION, Professeure à l’Université Montpellier I

M. Eric JENNINGS, Professeur à l’Université de Toronto

N° attribué par la bibliothèque | 0 | 0 | M | L | V | | | | | | ©

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A la mémoire de mes grands-parents, français au titre de la loi du 26 juin 1889 et, pour deux d’entre eux, au titre du traité de Versailles du 28 juin 1919 ;

A mon père, français au titre de la loi du 10 août 1927 ; A ma mère, française au titre du décret du 4 décembre 1930 ; A ma sœur, française au titre de l’ordonnance du 19 octobre 1945.

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Une grande similitude diffère d’une petite similitude : c’est ce qu’on appelle petite différence ; que les dix milles êtres soient à la fois en tout point semblables et en tout point différents : c’est ce qu’on appelle grande différence.

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Remerciements

Avant de laisser aux lecteurs le soin de juger ce travail, je tiens à remercier celles et ceux qui, par leurs conseils ou par leur aide, ont grandement contribué à son achèvement :

M. le Professeur Patrick Charlot, qui a accepté de reprendre la direction de cette recherche, lui a apporté son soutien et a fait preuve d’une constante compréhension.

Patrick Weil, qui a pris en charge la co-direction de cette thèse en y apportant sa profonde connaissance de l’histoire de la nationalité, son sens de la critique toujours constructive et l’a encouragée avec une constance qui ne s’est jamais démentie.

Dominique Gros qui, le premier, a pris la direction de ce travail, indiquant des pistes qui se sont avérées fécondes.

Les nombreux bibliothécaires et archivistes qui ont su mettre leur compétence au service des tâtonnements de cette recherche, notamment ceux du Centre des archives d’outre-mer (où M. Dion et Mme Vachier ont su répondre aux questions liées aux premiers bégaiements de ce travail), du Centre historique des archives nationales, de la bibliothèque Cujas, de la Bibliothèque nationale de France et de la Documentation française.

Le Comité d’histoire du Conseil d’Etat, et notamment Nicolas Georges, conservateur en chef de la bibliothèque et des archives de la Haute assemblée, qui m’a permis de bénéficier de conditions de recherche privilégiées sur des questions cruciales, ainsi que les conservateurs Mathieu Arbogast et Geneviève Profit, qui ont fait preuve d’une grande disponibilité.

Mes supérieurs au ministère de la défense, qui ont accepté de m’accorder le temps nécessaire pour mener à bien ce travail, et mes collègues : tous ont fait preuve de beaucoup de compréhension et d’une générosité certaine.

Emmanuelle Saada, qui m’a encouragé dès le commencement de cette recherche, laquelle aura beaucoup profité de nos discussions formelles et informelles.

Jean-Louis Planche qui a relu les passages relatifs à l’Algérie coloniale et qui a constamment soutenu ce travail, lequel doit beaucoup à nos nombreuses conversations.

Mme la Professeure Gwénaële Calvès, qui m’a encouragé à poursuivre cette recherche et a fait preuve d’une grande gentillesse.

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Le regretté Jean Roly, qui m’a décrit avec beaucoup de lucidité et de clarté les mécanismes du droit colonial et la manière dont le « pratiquaient » les administrateurs des services civils de l’Indochine dont il avait fait partie et qui m’a, de plus, orienté vers de solides sources doctrinales.

Ma tante, Catherine Voelckel, et ma cousine, Anne-Christine Voelckel, avec qui j’ai eu de nombreuses et enrichissantes discussions.

Ma sœur, Laure Rozès, qui m’a gentiment apporté son aide.

Mes parents, Emmanuèle et Georges Urban, qui m’ont encouragé, aidé, relu, après m’avoir inculqué l’idée qu’il n’est pas d’histoire sans critique des sources et des témoignages. Il va sans dire que je leur en serai éternellement reconnaissant.

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Résumé

Partant du constat que, sous le second Empire colonial français (qui connaît son apogée sous la IIIème République), la distinction entre colonisateur et colonisé s’exprime par le biais du droit de la nationalité, cette thèse se propose d’étudier l’histoire du droit de la nationalité propre aux colonisés (qu’on appelle alors indigènes), plus particulièrement quant à son articulation avec la notion, parfois ambiguë, de race.

Ce droit émerge au début de la présence française en Algérie avant de voir ses principes posés en 1865 : expression d’un compromis entre mission civilisatrice et principe des nationalités, il doit permettre au colonisé de s’assimiler à la nation française par le biais d’une naturalisation, conçue comme une « conversion à la civilisation ». Toutefois, notamment à cause de la faiblesse numérique des Français d’origine européenne dans les « colonies d’exploitation », la naturalisation sera progressivement régie par des textes de plus en plus sélectifs, visant à la francisation des seules élites.

Si, dans la plupart des territoires sous domination française, aucun texte ne définit l’indigène, il en va autrement en Indochine, où sont adoptées, dans les années 1930, les dispositions les plus complètes, marquées par une représentation du colonisé en termes nationaux et raciaux et par la focalisation sur la question du métissage, aussi bien entre Européens et indigènes qu’entre Chinois et indigènes.

Le droit de la nationalité propre aux colonisés dépérira progressivement par la suite, sous Vichy parce que le régime tend à transformer l’indigène en catégorie raciale, sous la IVème

République parce que ce droit est considéré comme discriminatoire.

MOTS-CLEFS :

DROIT COLONIAL- OUTRE-MER- NATIONALITE- RACE- RACISME- DISCRIMINATIONS- COLONIES- ALGERIE- PROTECTORATS- TERRITOIRES SOUS MANDAT

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RACE AND NATIONALITY IN FRENCH COLONIAL LAW

1865-1955

Abstract

Under the french colonial empire (which was at its peak under the third Republic) the nationality law expresses the distinction between the colonizer and colonized people. This thesis intends to study the history of nationality law of the colonized people (at that time named natives) particularly the link with the ambiguous notion of race.

This law came out at the beginning of the french setting in Algeria before becoming official in 1865: this expresses a compromise between civilizing mission and nationality principles, its aim is to allow the colonized to be assimilated into the french nation via naturalization understood as « conversion to the civilization ». However particularly because of the small number of people of european origin in the « colonies d’exploitation » the naturalization will be gradually governed by more and more selective tests which enable the elites to be « frenchified ».

If in most of the territories under french dominion no text gives a definition of « native», it is different in Indochina where during the thirties, more comprehensive measures where settled. These measures defined the colonized in national and racial terms and focused on the question of inter breeding as well between europeans and native people as between chinese and native people.

The nationality law proper to colonized people will decline gradually afterwards under the Vichy government because the system tends to convert natives into a racial category and then under the fourth Republic because this law was considered as discriminatory.

KEYWORDS:

COLONIAL LAW- OVERSEAS- NATIONALITY- RACE- RACISM-

DISCRIMINATIONS- COLONIES- ALGERIA- PROTECTORATES- MANDATED TERRITORIES

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SOMMAIRE

Avertissement ... 15

Introduction ... 19

Première partie :

Instaurer un droit de la nationalité

pour les colonisés

1834-1916 ... 45

TITRE I :UNE CATEGORIE EN CONSTRUCTION1834-1889 ... 52

CHAPITRE 1 :L’EMERGENCE DE L’INDIGENE1834-1870 ... 58

Section 1 :Comment l’indigène est devenuune catégorie du droit de la nationalité en Algérie1834-1860 ... 58

Section 2 :Que faire de la qualité d’indigène ?De la politique du Royaume arabe aux départements français 1861-1870 ... 78

CHAPITRE 2 :DE L’ASSIMILATION A LA MISSION CIVILISATRICE 1870-1887 ... 132

Section 1 :Le moment assimilationniste ... 134

Section 2 :Le moment indochinois ... 157

TITRE II :UNE LEGISLATION PLEINEMENT AUTONOME1889-1916 ... 178

CHAPITRE 1 :LE RENFORCEMENT DE LA DISTINCTIONENTRE POPULATIONS1889-1897 ... 180

Section 1 :La loi du 26 juin 1889 et les indigènes d’Algérie ... 180

Section 2 :Le décret du 7 février 1897 et les indigènes des colonies ... 184

CHAPITRE 2 :ACCENTUATION ET REMISE EN CAUSE DE L’INFERIORITE DE L’INDIGENE1909-1916 ... 192

Section 1 :La naturalisation subordonnée au degré de civilisation ... 194

Section 2 :La remise en cause des arbitrages de 1865 et de 1870 ... 219

Deuxième partie :

Le droit de la nationalité

doit-il ignorer la race ?

1871-1937 ... 245

TITRE I :LA QUESTION DES ETRANGERS ASSIMILESAUX INDIGENESOU COMMENT PRENDRE EN COMPTELA POPULATION INDIGENE ? ... 250

CHAPITRE 1 : EN INDOCHINE ET DANS LES COLONIES : ASSIMILER DES ETRANGERS AUX INDIGENES EN CREANT UNE CATEGORIE DU DROIT DE LA NATIONALITE FRANCAISE ... 253

Section 1 :Qui est Asiatique assimilé? ... 253

Section 2 :L’étranger assimilé à l’indigène, une catégorie du droit de la nationalité française ... 282

CHAPITRE 2 :EN AFRIQUE DU NORD : ENTRE PROJECTION CHRETIENNE ETPROJECTION RACIALE ... 311

Section 1 :La projection chrétienne et les étrangers assimilés dans les protectorats d’Afrique du Nord ... 312

Section 2 :En Algérie :Quel critère d’assimilation à l’indigène ? Etrangers musulmans, étrangers originaires de pays musulmans et étrangers de race indigène ... 323

TITRE II :OÙ ET COMMENT CLASSERLES METIS ET LES ENFANTS DE PARENTS INCONNUS ? ... 339

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CHAPITRE 1 :LES METIS D’EUROPEENS ET D’INDIGENES :

LA QUESTION DE LA RACE BIOLOGIQUE ... 347

Section 1 :Les métis reconnus ... 350

Section 2 :Des métis de parents inconnus aux métis dont un des parents est inconnu ... 357

CHAPITRE 2 :LES METIS DE CHINOIS ET D’INDIGENES : LA QUESTION DE L’ETHNICITE ... 389

Section 1 :La situation incertaine des métis sino-indigènes ... 392

Section 2 :Le revirement du colonisateur : un statut des métis inséré dans une définition de l’indigène ... 401

Troisième partie :

Le dépérissement d’un droit

1918-1955 ... 423

TITRE I :L’IMPOSSIBLE STABILISATION1918-1940 ... 430

CHAPITRE 1 :LA NATURALISATION EN PERPETUELLE EVOLUTION ... 431

Section 1 :Les dernières innovations techniques1918-1923 ... 431

Section 2 :L’inflation législative 1927-1938 ... 447

CHAPITRE 2 :PEUT-ON THEORISER L’INDIGENE ? ... 467

Section 1:La doctrine et l’indigène originaire d’un territoire français ... 468

Section 2 :La doctrine et l’indigène protégé français ... 487

TITRE II :UNE CATEGORIE EN VOIE DE DISPARITION1940-1955 ... 493

CHAPITRE 1 :VICHY :VERS LA TRANSFORMATION DE L’INDIGENE EN CATEGORIE RACIALE1940-1942 ... 495

Section 1 :Les « lois » du 7 octobre 1940 et du 18 février 1942et la définition du juif indigène d’Algérie ... 500

Section 2 :L’article 1er de la « loi » du 17 février 1942 etl’article 6 de la « loi » du 18 février 1942 ... 508

CHAPITRE 2 :L’EFFACEMENT DE L’INDIGENE1944-1955 ... 519

Section 1 :La disparition de l’indigènecomme catégorie du droit de la nationalité ... 536

Section 2 :La disparition de la naturalisation ... 548

Conclusion ... 560

Annexes ... 566

Bibliographie ... 641

GLOSSAIRE ... 681

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SIGLES ET ABREVIATIONS

AEF Afrique équatoriale française AOF Afrique occidentale française

Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles CAC Centre d’Archives contemporaines de Fontainebleau

CAOM Centre des Archives d’outre-mer

CARAN Centre historique des Archives nationales Cass. Cour de cassation

CE Conseil d’Etat

CFLN Comité français de Libération nationale Civ. Chambre civile de la Cour de cassation

Clunet Journal du droit international, fondé en 1874 par Clunet Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation

D. Recueil Dalloz

Dareste Recueil de législation, de doctrine et de jurisprudence coloniale ou Recueil

Dareste

EFO Etablissements français de l’Océanie JA Jurisprudence algérienne

JCP La semaine juridique (Jurisclasseur périodique) JJIC Journal judiciaire de l’Indochine

JR Journal de la jurisprudence de la cour d’appel d’Alger, dit « journal de Robe »

car fondé en 1859 par Eugène Robe

JT Journal des tribunaux de Tunisie

Lebon Recueil des décisions du Conseil d’Etat MRP Mouvement républicain populaire

Penant Recueil général de jurisprudence, de doctrine et de législation coloniale et

maritime ou Recueil Penant

RA Revue algérienne et tunisienne de doctrine, législation et jurisprudence puis

Revue algérienne, tunisienne et marocaine de doctrine, législation et jurisprudence

RCDIP Revue critique de droit international privé

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RJPIC Revue juridique et politique Indépendance et Coopération (ancienne

RJPUF)

RJPUF Revue juridique et politique de l’Union française (ancien Recueil Dareste) S. Recueil Sirey

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Avertissement

A la différence de celui du droit de la nationalité française métropolitain, le vocabulaire du droit de la nationalité propre aux colonisés ne s’est jamais entièrement stabilisé au cours de son histoire : des évolutions importantes ont pu avoir lieu et, au sein d’une même période, de grandes divergences ont pu exister entre vocabulaire législatif ou réglementaire et vocabulaire doctrinal, ainsi qu’entre les vocabulaires des différents courants doctrinaux. Ces évolutions et ces divergences seront expliquées en temps voulu ; la terminologie propre aux textes ou aux auteurs sera bien sûr conservée dans les citations.

Il a toutefois fallu rechercher une certaine uniformité quant aux termes juridiques utilisés au cours de cette thèse et se livrer à des arbitrages entre les exigences de l’analyse juridique, qui a besoin de stabilité, et la nécessité d’éviter tout anachronisme, non seulement en projetant le présent sur le passé, mais aussi en projetant la terminologie, les analyses et les représentations propres à une période historique donnée sur une autre période qui en diffère de manière substantielle : on ne peut, par exemple, attribuer à la IIIème République une terminologie adoptée sous la IVème République ou, au contraire, faire comme si la IVème République conservait une terminologie strictement identique à celle de la République précédente.

Il a donc été choisi, pour les notions les plus importantes, de s’en tenir au vocabulaire législatif et réglementaire et/ou au vocabulaire doctrinal employé à l’époque. Parmi les termes utilisés de manière concurrente, il a été décidé d’employer uniformément pour des périodes historiques données ceux qui ont paru le mieux à même de décrire l’objet étudié et dont l’usage était continu sur la longue durée, afin d’éviter des changements trop fréquents de terminologie. En conséquence, on ne recourra pas aux guillemets pour utiliser des expressions de la période étudiée, même si elles peuvent paraître surprenantes ou choquantes dans le contexte contemporain : il en va ainsi de « nationalité musulmane », de « civilisés », de « non-civilisés », ou de « race blanche ».

S’agissant du mot « race », dont les significations ont évolué au cours de l’histoire, il y a lieu de préciser que son usage sans guillemets relève de la convention adoptée et ne signifie aucunement une adhésion à la thèse de l’existence d’une race biologique, invalidée par la science. La croyance en l’existence des races était très répandue pendant la période étudiée et elle n’impliquait pas forcément le racisme.

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Par ailleurs, on s’en est tenu aux pratiques juridiques dominantes à l’époque, s’agissant des catégories construites à partir de critères religieux : musulman, juif ou israélite seront donc écrits avec une minuscule.

S’agissant des transcriptions en français de mots étrangers (principalement en langues arabe, vietnamienne, cambodgienne et malgache), ce sont celles de l’époque, généralement phonétiques, qui ont été reprises.

Enfin, si les notions les plus importantes du droit de la nationalité propre aux colonisés ne se prêtent pas à l’ « anachronisme des concepts »1, certains concepts contemporains

permettent de « rendre compte, de manière économique, d’une réalité différente de celle pour

laquelle ils ont été d’abord pensés »2. En conséquence, on ne s’interdira pas, par exemple, de parler de « nationalité d’origine » pour décrire certaines dispositions des législations régissant la qualité d’indigène, même si elle n’était pas utilisée à l’époque.

1Michel TROPER, Sur l’usage des concepts juridiques en histoire in M. TROPER, La théorie du droit, le droit, l’Etat, Paris, PUF, 2001, pp. 51-66, p. 65.

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Le 14 juillet 1865, du fait d’un sénatus-consulte adopté à l’initiative de Napoléon III, la nationalité française cesse d’être considérée comme une matière relevant uniquement du droit privé, comme c’était le cas depuis 1803. De même que le mot France pouvait déjà désigner soit la seule métropole, soit la métropole, les colonies et l’Algérie, le terme « nationalité française » prend désormais deux significations différentes : d’une part, il est utilisé pour signifier la seule appartenance au peuple français, régie par les dispositions du Code civil, d’autre part, il désigne l’appartenance à ce peuple de la métropole ainsi que l’appartenance aux peuples originaires de territoires coloniaux annexés par la France. Désormais, le Code civil cesse de régir à la fois la nationalité au sens du droit interne et la nationalité au sens du droit international public : une scission a lieu entre l’appartenance au peuple français et l’appartenance à la France au regard du droit international public.

La France aurait pu, comme la Grande-Bretagne, soumettre peuple colonisateur et peuples colonisés aux mêmes règles quant à la nationalité3, elle a préféré, entre 1865 et 1955, opter pour « la dualité du droit de la nationalité sur une base personnelle » (Pierre Lampué)4.

En outre, elle n’a pas soumis ces peuples colonisés à une seule et unique législation, mais a préféré les concevoir comme originaires d’entités territoriales distinctes, régis par des législations distinctes : il y avait, par exemple, des originaires de Madagascar, des originaires de Cochinchine, mais il n’y avait pas d’originaires des colonies. En conséquence, dans le second Empire colonial français5, constitué entre le XIXème siècle et le début du XXème siècle, la nationalité doit être « comprise au sens large », comme « relation d’appartenance juridique à

un groupe circonscrit territorialement »6, et non au sens de l’appartenance à l’Etat7. Il y avait

3 Ils relevaient de la même définition de la nationalité d’origine ; par contre, la naturalisation des étrangers faisait l’objet d’un système complexe, visant à laisser une certaine marge de manœuvre aux dominions. Cf. Robert KIEFE, La Nationalité des personnes dans l’Empire britannique, Paris, Librairie Arthur Rousseau, 1926, notamment p. 162 ss.

4 Pierre LAMPUE, Le droit de la nationalité française dans les territoires d’outre-mer, R.J.P.I.C 1971, p. 741 ss., p. 747.

5 On distingue traditionnellement le premier Empire colonial, constitué sous l’Ancien régime et réduit à quelques « confettis » en 1815, du second, dont la constitution commence sous la monarchie de Juillet avec la conquête de l’Algérie et d’une partie de l’actuelle Polynésie française, et qui atteint son apogée dans l’entre deux-guerres. Cf. glossaire.

6 Olivier BEAUD, Théorie de la Fédération, Paris, PUF, 2007, p. 217

7 « (…) Inventé au XIXe siècle et lié au concept de nation, le terme de nationalité renvoie immanquablement à celui d’Etat nation (…). Or, par nationalité comprise dans un sens large, on veut seulement décrire la relation d’appartenance à un groupe circonscrit territorialement. Le mot allemand de « Angehörigkeit » autorise une plasticité de sens qui fait défaut à la langue juridique française d’aujourd’hui. Pour briser le lien conceptuel entre nationalité et Etat, on serait presque tenté d’user du mot de « ressortissance » pour mieux traduire le mot allemand de « Angehörigkeit » et pour faire le lien avec le terme de » ressortissants » propre au droit international (…). Mais la crainte d’abuser des néologismes nous conduit à y renoncer ».

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la nationalité du colonisateur et les nationalités des colonisés, la nationalité au sens du droit interne à la partie française de l’Empire et la nationalité au sens du droit international public8. Dans ce cadre, la nationalité ne peut être considérée comme une matière mixte, appartenant à la fois au champ du droit public et à celui du droit privé : elle est, à un degré qui n’aura pas d’équivalent par la suite, une question de droit public, d’autant qu’un peuple colonisé peut être composé de sous-catégories ayant chacune leur propre droit privé9.

Cette forme politique10 qu’est l’Empire, composée de « sous-unités politiques »,

« agrégées par la force » par « un centre politique hégémonique qui impose sa volonté » et

assure son unité pouvait s’accompagner de la diversité des statuts des unités politiques dominées11. On regroupait sous la dénomination de « possessions », de « dépendances

coloniales » ou encore de colonies au sens large12, des entités territoriales qui avaient toutes en commun d’être sous la domination de la métropole, mais qui, soit n’existaient pas au regard du droit international public parce qu’annexées –colonies et cette entité sui generis qu’était

Pour une autre remise en cause de la nationalité comme simple appartenance à l’Etat par rapport au cas fédéral, cf. Christoph SCHÖNBERGER, European citizenship as federal citizenship. Some citizenship lessons of comparative federalism, Revue européenne de droit public, 19/1 (2007), p. 61 ss., notamment pp. 61-63.

8 Comme l’observe Ch. SCHÖNBERGER (art. cité, p. 62), la nationalité comme concept de droit international public favorise une conception de la nationalité focalisée sur le modèle de l’Etat unitaire : (…) Nationality is not only a concept of domestic law but also of public international law. As public international law usually favours a unitary vision of States, it reinforces the unitary and centralized bias of the general legal concepts. However, the Swiss example shows that even States may have multi-level citizenships linked among each other.”

9 Qu’on pense à l’Afrique noire.

10 Sur la distinction entre forme politique et forme de gouvernement, Cf. O. BEAUD, Théorie de la Fédération, op. cit., notamment pp. 345-349 : « La forme de gouvernement désigne la manière dont est distribuée l’exercice du pouvoir dans un Etat, soit entre les différents pouvoirs publics, soit entre les différents types de gouvernants. » (ibid., p. 345), la forme politique, quant à elle, désigne « la manière dont les pouvoirs centraux et les pouvoirs locaux sont articulés dans un même espace de pouvoir » (ibid., p. 346), la « forme territoriale du pouvoir » (ibid., p. 348) : il peut s’agir de l’Etat, de la Fédération ou de l’Empire.

11 O. BEAUD, La fédération entre l’Etat et l’empire in Bruno THERET (dir.), L’Etat, la finance, le social, Paris, La découverte, 1995, pp. 282-304, p. 289.

Cf. la comparaison entre Empire et Fédération développée postérieurement dans la Théorie de la Fédération (pp. 107-108) : «(…) L’Empire résulte de l’action d’un centre politque hégémonique qui impose sa volonté aux autres Etats alors que la Fédération ne résulte pas de l’action d’un Centre, mais de décisions décentrées prises par une multitude d’Etats qui décident de s’unir. Telles sont les grandes lignes de cette comparaison entre la Fédération et l’Empire qu’on pourrait développer et systématiser mais dont il suffit de retenir le thème ici pertinent : la Fédération est une union libre d’Etats alors que l’Empire est une union coercitive d’Etats ; la Fédération résulte d’un échange de consentements, le plus souvent formalisé (pacte fédératif) tandis que l’Empire repose sur un pur fait, la conquête d’un Etat ou d’un pays, ou la contrainte. »

S’agissant des unités politiques dominées, je préférerai parler d’unités politiques, d’entités politiques ou d’entités territoriales afin de mettre l’accent sur l’hétérogénéité de leurs statuts. S’agissant de l’unité politique dominante, je parlerai de l’Etat métropolitain, de la métropole où de la France.

12 Cf. Louis ROLLAND, Pierre LAMPUE, Précis de législation coloniale, Paris, Dalloz, 1940, pp. 1-5, notamment 4-5. Les auteurs parlent de colonies au sens large, définies comme « des territoires, situés le plus souvent outre-mer, qu’un Etat à civilisation européenne a placés sous sa dépendance plus ou moins complète » (p. 1) et de « colonies françaises proprement dites » (p. 5). Un des intérêts de cette définition « idéal-typique » des colonies au sens large est qu’elle ignore le critère de l’annexion. On verra infra l’importance du critère de la civilisation.

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l’Algérie-, soit voyaient leur existence internationale mise en sommeil par la tutelle française – protectorats, mandats de la SDN.

Dès lors que la France avait choisi de ne pas regrouper peuple colonisateur et originaires des territoires annexés dans une même catégorie, la question de l’articulation entre les colonisés des territoires français et ceux des autres territoires se posait13. Or, comme le colonisé appartenait toujours « à un groupe circonscrit territorialement », le statut particulier de chaque possession coloniale ne rendait pas impossible l’émergence d’une catégorie du droit de la nationalité plus large, regroupant tous les colonisés de l’Empire14. C’est cette catégorie qu’on

allait nommer indigène et dont on propose ici de retracer l’histoire.

Il s’agit tout d’abord de combler un manque15, auquel une analyse limitée à une entité coloniale ou à un ensemble d’entités ne saurait pallier : même si cette histoire est dominée par l’Algérie et par l’Indochine qui diffuseront les modèles qui y seront inventés dans le reste de l’Empire, elle est avant tout faite d’interactions entre territoires et de variations d’échelles. Il faut ainsi passer par l’Algérie pour comprendre un texte relatif aux Malgaches, faire un détour dans les établissements français de l’Inde pour comprendre le Sénégal, passer par l’Indochine pour comprendre un texte relatif aux établissements français de l’Océanie où à l’Afrique occidentale française; certains textes s’appliquent à la majeure partie des territoires de l’Empire, d’autres à des territoires particuliers. Ceci obligera à aborder 8 statuts territoriaux différents16 et 21 unités territoriales faisant l’objet d’une législation spécifique17.

13 Il faut insister sur l’importance des protectorats sous la IIIème République : si les territoires français recouvrent les surfaces les plus vastes, ils sont généralement sous-peuplés (à l’exception de l’Algérie et de la Cochinchine) alors que les territoires protégés, tout en occupant des surfaces beaucoup plus réduites, comportent une population proportionnellement plus nombreuse (le seul Tonkin était l’unité territoriale la plus peuplée parmi les possessions). 14 Même si les protectorats et les mandats B de la SDN donnaient lieu à des difficultés d’analyse, il allait de soi pour tous les juristes qu’ils faisaient partie de l’Empire : tous les manuels de droit colonial traitent de ces catégories de territoires.

15 Les synthèses juridiques contemporaines se limitent à quelques articles. Cf. Christian BRUSCHI, La nationalité dans le droit colonial, Procès n° 18, 1987-1988, pp. 29-83 ; Vincente FORTIER, La nationalité française, instrument d’une stratégie coloniale ?, in Bernard DURAND (dir.), La justice et le droit : instruments d’une stratégie coloniale, T. III, UMR 5815 « Dynamiques du droit », Faculté de droit, Montpellier, 2001, pp. 847-864. Sur l’Algérie, cf. Louis-Augustin BARRIERE, Le statut personnel des musulmans d’Algérie de 1834 à 1862, Dijon, EUD, 1993, notamment pp. 148-192. Cf. aussi Florence RENUCCI, Le statut personnel des indigènes : comparaison entre les politiques juridiques française et italienne en Algérie et en Lybie (1919-1943) , thèse de droit, Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III), 2005.

16 Aux statuts déjà évoqués (Algérie, colonies, protectorat, mandat B), il faut adjoindre le groupement de colonies (terme préférable à celui de fédération employé à l’époque- AOF, AEF) et le groupement de possessions (où cohabitent des territoires français et des protectorats- Indochine), placés sous l’autorité du gouverneur général «dépositaire des pouvoirs de la République » qui voit concentrées entre ses mains les principales attributions normalement dévolues au gouverneur ou au résident (L. Rolland et P. Lampué -op. cit.- parlent de « colonies composées » pour désigner ces entités). Il faut aussi ajouter le territoire colonial français non érigé administrativement en colonie (concessions de Hanoi, Haiphong et Tourane) et le condominium.

17S’agissant de l’AOF (8 colonies) et de l’AEF (4 colonies), il y a une législation propre à chaque groupement, mais pas de législation propre aux colonies les composants. 31 unités territoriales « de base » sont donc concernées.

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Il s’agit ensuite de contribuer à l’abandon d’une représentation trop stato-centrée de la nationalité : on verra ici que les problèmes rencontrés dans un Empire ont peu de choses en commun avec ceux rencontrés dans un Etat-monade ou dans un Etat métropolitain18, qu’ils donnent lieu à des modes de raisonnement différents. Il en va de même pour ceux rencontrés dans une Fédération : bien qu’il s’agisse là aussi d’un système multi-composé, l’égalité des Etats membres implique qu’ils aient un statut identique.

Or, à l’uniformité du droit fédéral répond la « diversité hiérarchisée »19 du droit

impérial. En effet, un Empire, dont l’unité est assurée par le seul Etat métropolitain, ne nécessite aucunement l’uniformité: la plus grande diversité peut exister dans les statuts des territoires et dans les statuts des personnes20, comme dans le degré de domination21. L’introduction d’une plus ou moins grande uniformité y est un choix politique et l’uniformisation n’est menée de manière systématique que lorsqu’il est décidé que l’Empire cessera de se présenter comme tel, empruntant généralement à la forme fédérale22.

La principale difficulté politique rencontrée par le colonisateur est d’éviter que cette hétérogénéité qu’autorise la forme impériale ne soit susceptible de remettre en cause la domination de l’Etat métropolitain.

Par ailleurs, cette vocation à l’hétérogénéité explique l’absence de théorie de l’Empire en droit public : les juristes de la IIIème République oscillent le plus souvent entre stato-centrisme et « pragmatisme » impérial ; ils insistent tantôt sur l’annexion tout en traitant les autres statuts territoriaux par analogie avec la colonie, tantôt sur le rapport de domination, qui

18 Cf. Patrick WEIL, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, 2ème éd., Paris, Gallimard, coll. « folio histoire », 2004 (1ère éd. Grasset 2002).

19 J’emprunte cette expression à O. BEAUD (Théorie de la fédération, op. cit., p. 255).

20 Alors que dans la Fédération, « il existe, par définition, une double nationalité : la nationalité fédérale et la nationalité fédérée » (O. BEAUD, ibid.., p. 219 et plus largement, sur la nationalité dans une Fédération, pp. 217-231), la dualité de nationalité existant pour les indigènes des territoires français (un indigène malgache appartient à la fois à la colonie de Madagascar et à la France au sens du droit international public) réalise simplement un des choix politiques qui s’offraient au pouvoir métropolitain. Cette dualité n’existe pas dans toutes les colonies (les habitants de certaines sont tous membres du peuple français) et elle tend souvent à devenir secondaire, dès lors que l’accent est mis sur la domination : un indigène de Cochinchine est au moins autant un indigène de l’Indochine qu’un indigène d’un territoire français.

21 Eu égard à la diversité des formes de domination occidentale qui existent dans le droit international public de l’époque, il y a lieu de souligner que la réponse à la question de savoir quelles sont les limites de l’Empire n’est pas aisée. On s’en tiendra ici aux formes les plus accentuées de domination (la « dépendance plus ou moins complète » évoquée par Rolland et Lampué – cf. note supra) mais les Capitulations ou les zones d’influence, par exemple, qui seront évoquées infra, sont elles aussi des formes de domination.

22 Cf. infra, les débats lors de l’élaboration de la Constitution de 1946, pendant lesquels sont distinguées une tendance unitaire et une tendance fédérale.

Pour une comparaison entre la citoyenneté et la nationalité dans les Fédérations et dans les systèmes post-coloniaux, cf. O. BEAUD, ibid., p. 220 qui constate l’absence de véritable pluricitoyenneté dans ces derniers, « dans la mesure où il manque le principe fondamental d’égalité réciproque entre tous les ressortissants des Etats membres ».

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entraîne la reconnaissance de la diversité des statuts territoriaux et donc de ceux de leurs originaires23.

La question de l’uniformité n’en est pas moins posée : Faut-il un statut par possession ? Un statut pour les originaires des territoires annexés ? Un statut pour tous les originaires de l’Empire, quel que soit leur territoire d’origine ?

En conséquence, on cherchera à évaluer ici dans quelle mesure et, le cas échéant, de quelle manière le droit de la nationalité a répondu à cette question de l’uniformité dans un Empire hétérogène.

Il s’agit aussi d’appréhender le rôle du concept, souvent ambigu, de race dans le droit de la nationalité régissant les indigènes. L’établir permettra de répondre à cette autre question : quelle a été la place de la race dans ce droit spécifique ?

L’histoire de ce droit est tributaire de multiples contraintes, génératrices de tensions, qui rendent sa formulation rétive aussi bien à une présentation strictement chronologique qu’à une présentation strictement thématique (§1). En être conscient est la condition nécessaire, mais pas suffisante, pour pouvoir la penser et la restituer (§2).

§1 Une histoire tributaire de multiples contraintes

Ces contraintes sont au nombre de quatre : le concept de civilisation24, justification contraignante des diverses formes de domination occidentale (1°) ; celle des régimes législatifs propres aux possessions françaises (2°) ; la contrainte géographique et géopolitique (3°) et celle du Code civil de 1804 par lequel la qualité de Français implique la soumission à une loi civile commune, qui définit l’appartenance à « la nation comme prolongement politique de la

famille »25 (4°).

23 Cette oscillation est particulièrement tangible dans le Précis de législation coloniale de L. ROLLAND et P. LAMPUE (op. cit) : alors qu’ils définissent les colonies au sens large comme « des territoires, situés le plus souvent outre-mer, qu’un Etat à civilisation européenne a placés sous sa dépendance plus ou moins complète » (p. 1), ils affirment fermement ensuite (pp. 52-56) l’appartenance des colonies au territoire de l’Etat contre les auteurs qui la remette en cause : Jellinek (théorie des fragments d’Etat), Hauriou (théorie de la dualité des territoires) et Scelle (théorie de l’investiture internationale).

24 Cf. glossaire.

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1°) La civilisation, une justification contraignante

Comme le montrent l’exemple des territoires peuplés exclusivement ou quasi-exclusivement d’Européens26 ou celui des anciennes colonies esclavagistes, dans un Empire, la hiérarchie des territoires et la territorialité du droit qui l’accompagne n’impliquent pas nécessairement une hiérarchie des peuples : la territorialité des droits n’implique pas la personnalité des droits. Or c’est la hiérarchisation des peuples qui va justifier aussi bien la grande vague de colonisation du XIXème et du début du XXème siècle que des formes de

domination plus atténuées. Elle repose sur un critère : la civilisation, concept générateur d’ambigüités multiples, aussi bien en droit international public (A) qu’en droit colonial français (B).

A) Civilisation et droit international public27

La seconde moitié du XIXème siècle voit se développer un droit international public qui

a pour fonction d’organiser la mise en place de la domination occidentale tout en régulant les rivalités entre puissances. Le monde se trouve divisé en trois catégories d’entités politiques, en fonction du critère de la civilisation.

L’Etat civilisé28 jouit du droit à l’égalité souveraine entre nations civilisées, consacré

après 1848. Associé au christianisme dans la première moitié du XIXème siècle, il devient progressivement une notion sécularisée, surtout à partir des années 1870.

Pour appartenir à cette catégorie, deux critères doivent être remplis : l’entité politique doit être un Etat, entendu comme « conjonction d’un pouvoir central, effectif et d’une

population attachée à un territoire dont les frontières sont clairement déterminée »29 , et

26 Je pense ici à la plupart des dominions britanniques (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande). Dans le cas du second Empire colonial français, un seul territoire est peuplé exclusivement d’Européens : Saint-Pierre et Miquelon, dont les habitants sont membres du peuple français.

27 Cf. Slim LAGHMANI, Histoire du droit des gens. Du jus gentium impérial au jus publicum europaeum, Paris, Pedone, 2004, pp. 148-221 ; Antonio TRUYOL y SERRA, Histoire du droit international public, Paris, Economica, 1995, pp. 107-110 ; Dominique GAURIER, Histoire du droit international. Auteurs, doctrines et développement de l’Antiquité à l’aube de la période contemporaine, Rennes, PUR, 2005, pp. 399-413 ; Marco MORETTI, Le droit international public et les peuples nomades, Paris, Publibook, 2006, pp. 113-165 ; Robert CHARVIN, Le droit international tel qu’il a été enseigné. Notes critiques de lecture des traités et manuels (1850-1950), Mélanges offerts à Charles Chaumont, Paris, Pedone, 1984, pp. 135-159 ; Emmanuelle JOUANNET, Du droit des gens au droit international, in Denis ALLAND, Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF-Lamy, 2003 ; Norbert ROULAND (dir.), Stéphane PIERRE-CAPS, Jacques POUMAREDE, Droit des minorités et des peuples autochtones, Paris, PUF, 1996 ; Henri LEGOHEREL, Histoire du droit international public, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1996.

28 Je recourrai aussi au synonyme de nation civilisée.

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27

disposer « d’un ordre juridique interne de type occidental ».30 Cette conception, qui fait du droit occidental le critère de la civilisation, contribuera de manière importante à l’adoption partielle ou totale de ce droit par les Etats demeurés indépendants. C’est en 1945 que tout Etat membre de l’Organisation des Nations Unies se verra présumé « nation civilisée » et jouissant, à ce titre, du droit à l’égalité souveraine31.

L’Etat semi-civilisé32 se voit reconnaître la capacité de passer des traités ayant une valeur juridique, mais pas la qualité de sujet plénier du droit international.

Appartient à cette catégorie l’entité politique à laquelle on reconnaît la qualité d’Etat, mais dont le droit interne n’est pas de type occidental. Dans la pratique, il s’agit d’Etats d’Afrique ou d’Asie. On considère généralement qu’ils n’appartiennent à la communauté internationale que dans la mesure où ils sont liés par traité avec des Etats civilisés.33

Cette catégorie est celle qui pose le plus de problèmes, dans la mesure où elle recouvre des situations variées, résultant de traités généralement signés sous la contrainte. En effet, l’Etat semi-civilisé peut demeurer indépendant, tout en subissant des traités inégaux et une ou plusieurs des techniques juridiques qui leurs sont associées34 : Capitulations, concessions, « porte ouverte », zone d’influence. Mais il peut aussi, par un traité de protectorat, renoncer à sa souveraineté externe et à une partie de sa souveraineté interne.

Les peuples sauvages ne se voient reconnaître aucune existence internationale à partir

de la seconde moitié du XIXème siècle, ce qui constitue une rupture avec la doctrine et la pratique juridique antérieure.35

Appartiennent à cette catégorie les entités politiques considérées comme ne constituant pas des Etats, c'est-à-dire les peuples, nomades ou sédentaires, d’Afrique et d’Océanie, dont on considère qu’ils « n’offrent qu’un embryon d’organisations sociales, qui n’ont pas toujours des

frontières terrestres nettement délimitées »36.

30 Jean SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001.

31 Article 2 §1 de la Charte des Nations Unies : « L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres ».

32 La doctrine internationaliste pouvait aussi recourir à la qualification de barbare. Cf. notamment S. LAGHMANI, Histoire du droit des gens, op. cit., p. 200 et plus largement, pp. 195-205.

33 S. LAGHMANI, Histoire du droit des gens, op. cit., pp. 200-205. 34 Pour les techniques énumérées dans ce passage, cf. glossaire.

35 M. MORETTI, op. cit., pp. 69-165; D. GAURIER, op. cit., pp. 307-311; N. ROULAND (dir.), Droit des minorités et des peuples autochtones, op. cit., pp. 359-388.

36 J. LORIMER, cité in S. LAGHMANI, op. cit., p. 201. Cf. par ailleurs, les réflexions d’Olivier BEAUD sur l’opposition entre une conception normativiste indifférente à la territorialité quant à la définition de l’Etat et une conception institutionnaliste qui lie l’Etat à la sédentarité (La puissance de l’Etat, Paris, PUF, 1994, pp. 122-124).

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28

L’inexistence internationale des peuples sauvages a plusieurs conséquences : d’une part, le territoire qu’ils habitent est considéré comme un territoire sans maître et, à ce titre, susceptible de passer sous la souveraineté d’un Etat civilisé ; d’autre part, les documents par lesquels ils cèdent des territoires n’ont pas la valeur de titres internationaux. Les territoires sans maître donnent lieu à la fin du XIXème siècle, à des rivalités exacerbées entre puissances occidentales qui se les partageront en recourant d’abord au critère classique de l’occupation effective puis, à partir des années 1890, à la technique de la sphère d’influence ou, par le biais d’un

condominium, exerceront conjointement la souveraineté sur un territoire. Enfin, avec la création

de la Société des Nations (SDN) en 1919, se met en place le régime des mandats B et C : l’Etat civilisé exerce la mission civilisatrice au non de la communauté internationale, sur un territoire qu’il ne peut annexer.

B) Civilisation et droit colonial français

La mission civilisatrice est inventée par Bonaparte lors de ce moment crucial qu’est l’expédition d’Egypte (1798-1801) 37, application du messianisme révolutionnaire à des peuples non-européens. Les tensions inhérentes à cette nouvelle idéologie coloniale s’y manifestent déjà.

C’est au Caire, le 4 octobre 1798, en portant un toast lors de la fête du 13 vendémiaire, que Bonaparte formule le plus clairement cette idée 38 :

A la civilisation de l’Egypte,

Nous donnerons au monde le premier exemple d’un législateur conquérant. Jusqu’à nous, les vainqueurs avaient toujours adopté les lois des vaincus. Remportons sur eux le triomphe de la raison, plus difficile que celui des armes et montrons-nous autant supérieurs aux autres nations, que Bonaparte l’est à Gengis.

Autrement dit, la mission civilisatrice sera achevée lorsque les vaincus pourront être soumis à la « loi idéale » élaborée par les Français.

Toutefois, le même Bonaparte conçoit, plus tard, la mission civilisatrice comme métissage culturel et juridique39.

37 Cf. Henry LAURENS, L’expédition d’Egypte. 1798-1801, Paris, Seuil, coll. « Points », 2ème éd. (1ère éd., Armand Colin, 1989), 1997.

L’importance de cette expédition est soulignée à plusieurs reprises par Jacques LAFON qui la juge, dans son projet de manuel d’histoire du droit colonial, « capitale pour la genèse de la colonisation » (cf. le recueil Itinéraires. De l’histoire du droit à la diplomatie culturelle et à l’histoire coloniale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, pp. 341-343, p. 342).

38 Ibid., pp. 172-173.

39 Se confiant, sous le Consulat, à madame de Rémusat (Mémoires de madame de Rémusat, Paris, Calmann-Lévy, 1880, p. 274), il déclare à propos de son séjour en Egypte « (...) Je me trouvais débarrassé du frein d’une

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Cette coexistence entre une mission civilisatrice-francisation et une mission civilisatrice-métissage culturel se retrouve aussi quant à la formulation de la finalité institutionnelle de cette mission, qui peut être aussi bien l’absorption par la France40 que la constitution d’un Etat-nation indépendant41. Cette ambivalence a un corollaire : faudra-t-il, finalement, émanciper un peuple ou émanciper des individus ?

Bien qu’elle se solde par un échec, l’expédition d’Egypte aura formulé les idées qui présideront à la constitution du second Empire colonial. Elles auront alors le temps de s’exprimer en droit.

Dans ce nouvel Empire, la mission civilisatrice est une justification de la domination coloniale et de l’infériorité juridique des colonisés ainsi qu’ un programme de francisation-occidentalisation que l’on cherche à traduire dans une certaine mesure dans le droit. Le droit colonial, parce qu’il est conçu comme une transition vers la norme occidentale, a vocation à l’instabilité. Le despotisme du colonisateur ne peut être que transitoire, même si l’on en ignore la durée. Cette tension entre le droit positif et sa finalité va caractériser la pensée juridique coloniale.

La hiérarchie des peuples est par ailleurs un facteur de complexification : on a présent à l’esprit l’exemple des indépendances américaines, menées par des créoles42, et l’on peut chercher à mettre en place un système évitant qu’un phénomène analogue ne se reproduise.

Comme on l’a évoqué, la plus grande difficulté réside sans doute dans la définition du rapport des possessions à l’Etat métropolitain. S’agissant de l’ensemble des possessions, la diversité des statuts territoriaux est un problème théorique qui ne sera jamais résolu au-delà du

civilisation gênante. Je rêvais toutes choses et je voyais les moyens d’exécuter tout ce que j’avais rêvé. Je créais une religion, je me voyais sur le chemin de l’Asie, parti sur un éléphant, le turban sur ma tête et dans ma main un nouvel Alcoran que j’aurais composé à mon gré. J’aurai réuni dans mes entreprises les expériences des deux mondes (…) ».

Cf. H. LAURENS, Bonaparte et l’Islam, in Orientales I. Autour de l’expédition d’Egypte, Paris, CNRS Editions, 2004, pp. 147-164.

40 La « Préface historique » de la Description de l’Egypte affirme ainsi que « l’Egypte pouvait devenir en peu de temps, non seulement une colonie, mais en quelque sorte une province française, et offrir à ses nouveaux habitans l’image de leur propre patrie ». Cité in H. LAURENS, Les Lumières et l’Egypte, in Orientales I, op. cit., pp.49-54, p. 54.

41 Napoléon, à Sainte Hélène, décrivant ce qu’aurait été l’Egypte après le demi-siècle de civilisation qui aurait suivi l’issue victorieuse de l’expédition, imagine un pays prospère où une immigration venue de l’Europe comme de l’Orient quadruplerait la population. Cette population cosmopolite ferait de l’Egypte la maîtresse du monde. « Mais j’entends dire qu’une colonie aussi puissante ne tarderait pas à proclamer son indépendance. Sans doute, une grande nation, comme au temps de Sésostris et des Ptolémées, couvrirait cette terre aujourd’hui désolée (…) » Correspondance de Napoléon Ier. Tome XXIX. Œuvres de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, Paris, Imprimerie impériale, 1869, pp. 512-514.

42 J’entendrai par le terme « créole » la personne d’origine européenne, regardée comme étant de race blanche, originaire des colonies. Le mot est employé dans ce sens en 1670 par le gouverneur des Antilles, M. de Baas, écrivant à Colbert : « personne de pure race blanche née aux colonies ». Cf. CNRS, Trésor de la langue française informatisé, http : //atilf.atilf.fr/tlf.htm.

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consensus existant sur la domination métropolitaine et sur l’appartenance à l’Empire ; s’agissant des territoires annexés, l’existence d’une Algérie composée à partir de 1870 de trois départements atténue, sans la faire disparaître, la distinction entre le territoire métropolitain et le territoire colonial, la Constitution de la IIIème République est silencieuse sur les colonies et surtout, la forme républicaine de gouvernement est moins propice que d’autres à la formulation de fictions articulant métropole et colonies.

En effet, les monarchies britannique ou néerlandaise ont recouru à la fiction de la double-couronne et de l’appartenance des colonies à un domaine de la couronne strictement distinct du territoire national ; en France, au XIXème siècle, la Monarchie de Juillet et surtout le Second Empire ont recouru à cette idée s’agissant de l’Algérie, sans toutefois que cela soit sanctionné par un texte constitutionnel. Les Républiques, quant à elles, qu’il s’agisse de la République française ou de la République fédérale américaine43, ne peuvent que formuler une domination44.

Il n’en demeure pas moins que cette différence sera conceptualisée par Hauriou : avec sa théorie de la dualité des territoires, il distingue le territoire de la nation et le territoire de l’Etat. La métropole est le territoire de la nation, où le droit de cité des membres du peuple français est le plus élevé, et constitue un élément constitutif et nécessaire de l’Etat ; le territoire colonial, où le droit de cité des membres du peuple français est inférieur, est, quant à lui, objet de domination ou de puissance. Seule la métropole est le territoire propre de l’Etat.45

Si Hauriou ne prend en compte que le critère des droits des Français, il n’en souligne pas moins la subordination des colonies à l’Etat métropolitain, dont le régime législatif est le principal symptôme.

2°) Le régime législatif dans les possessions françaises

43 Sur la transformation des Etats-Unis en fédération impériale et la jurisprudence de la Cour suprême relative à cette question, cf. O. BEAUD, Théorie de la fédération, op. cit., pp. 251-258, qui observe (p. 255) que « L’uniformité du droit fédéral de 1787 cède ici la place à une diversité conçue néanmoins comme une diversité hiérarchisée (…) ».

44 Le recours à la fiction de la double-couronne n’empêche pas des conceptions différentes en matière de nationalité : alors que le colonisé ne constitue pas une catégorie du droit de la nationalité dans l’Empire britannique, il en constitue une dans l’Empire néerlandais. Ce qui amène à conclure que la forme de gouvernement d’un Empire n’a pas d’influence sur la conception globale de la nationalité.

Par contre, on verra par la suite que la forme de gouvernement peut avoir, dans le cas français, une influence sur la manière dont on se représente la catégorie du droit de la nationalité « indigène » : accent mis sur la pluralité des peuples sous la Monarchie de Juillet et surtout sous le Second Empire, accent mis sur la distinction entre citoyens français et sujets français sous la IIIème République, accent mis sur la race sous Vichy.

45 Maurice HAURIOU, Principes de droit public, Paris, Sirey, 1910, p. 603 ; Précis de droit administratif et de droit public, 10ème éd., Paris, Sirey, 1921, p. 294 ss. Cf. aussi infra.

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Le régime législatif dans les dépendances coloniales, quel que soit leur statut, repose toujours sur la territorialité combinée, dans certains contextes, avec la personnalité des lois.

A) Le régime législatif dans les territoires français46

Le principe fondamental, d’origine coutumière, est le principe de spécialité47.

Il signifie qu’une loi s’applique nécessairement en métropole mais qu’elle doit, pour être applicable aux colonies, le spécifier par une disposition expresse. Ceci n’empêche pas l’Assemblée nationale de voter des lois applicables aux colonies, mais elle préféra s’en abstenir. De ce fait, les colonies sont régies essentiellement par des décrets simples, c’est-à-dire dire des décrets signés par le président de la République et revêtus du contreseing des ministres compétents – les règlements d’administration publique étant quant à eux soumis nécessairement à l’avis de l’Assemblée générale du Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat admet, avec hésitation à partir de 190848, sans hésitation à partir de 193349, les recours pour excès de pouvoir contre ces textes et, ce faisant, leur caractère

réglementaire.

Mais les lois ou décrets explicitement applicables aux colonies doivent encore franchir deux étapes pour entrer en vigueur : il faut que le gouverneur général ou le gouverneur les promulgue dans le territoire placé sous son autorité50.

De plus, la loi ou le décret doit voir son arrêté de promulgation publié au journal officiel de la colonie.

46 Cf., ainsi que pour les territoires étrangers sous domination française, L. ROLLAND, P. LAMPUE, Précis de législation coloniale, op. cit., pp. 141-200 ; Pierre DARESTE (dir.), Traité de droit colonial, T.1, Paris, 1931, pp. 227-340.

47 Sur les origines du principe de spécialité et son évolution jusqu’à la Monarchie de Juillet, cf. Bénédicte FORTIER, La naissance de l’instruction publique aux vieilles colonies. Du Code noir vers l’émancipation-assimilation, Paris, Dalloz, 2003, pp. 13-82 ; cf. aussi B. FORTIER, 1799-1830. Ruptures et continuités du régime législatif des quatre vieilles colonies françaises, in Yves BENOT & Marcel DORIGNY (dir.), Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises. 1802. Aux origines de Haïti, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, pp. 505-522.

48 A l’origine, le Conseil d’Etat rejette le recours pour excès de pouvoir contre un décret colonial car il considère qu’il a un caractère législatif (CE, 16 novembre 1894, Conseil général de la Nouvelle-Calédonie, Lebon, p. 593). Le revirement a lieu le 29 Mai 1908 (Gouverneur général de l’AOF, Lebon, p. 576). Cf. aussi CE, 10 mars 1922, Lebon, p. 219 ; CE, 18 mai 1923, Lebon, p. 415 ; CE, 25 novembre 1925, Lebon, p. 928. Cf. Bernard PACTEAU, Colonisation et justice administrative, in Jean MASSOT (dir.), Le Conseil d’Etat et l’évolution de l’outre-mer français du XVIIIème siècle à 1962, Paris, Dalloz, 2007, pp. 49-71, notamment pp. 62-67 ; Bernard DURAND, Les décrets coloniaux étaient-ils des lois ou des réglements ? Une controverse aux frontières du droit et de la politique, Cahiers aixois d’histoire des droits de l’outre-mer français n°3, 2007, pp. 11-54.

49 CE, Sect., 22 mai 1933, Maurel, Lebon, p. 1226.

50 Sans arrêté de promulgation, la loi ou le décret ne sont pas applicables ; et comme aucun texte n’impartit de délai pour effectuer cette promulgation dans la colonie ou la fédération de colonies, le gouverneur dispose d’une arme pour empêcher l’entrée en vigueur d’un texte qui lui déplait. Certes, le ministre peut lui donner l’ordre de promulguer le texte, mais il peut aussi ne pas le faire.

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En outre, les gouverneurs et gouverneurs généraux ont un pouvoir réglementaire qui leur est propre : ils peuvent prendre des arrêtés qui, selon la matière, devront où non se conformer aux textes supérieurs, c’est-à-dire les décrets ou les lois. Enfin, rien n’empêche le pouvoir réglementaire impérial ou local de déclarer une loi métropolitaine applicable dans la colonie ; mais elle n’aura alors, au sein de la colonie, que la valeur d’un décret ou d’un arrêté. Peu importe la situation du texte transposé dans la hiérarchie des normes métropolitaine, seul le statut de l’acte qui transpose le texte compte.

Le régime législatif en vigueur en Algérie possède de nombreux traits communs avec celui en vigueur dans les colonies : là aussi, le principe de spécialité s’applique ; là aussi, en l’absence de loi, le territoire est régi par des décrets ou des arrêtés gubernatoriaux.

Mais il s’en distingue par quelques spécificités : on considère, pour des raisons pratiques, que la régence d’Alger a été annexée par une ordonnance du 22 juillet 183451 et que toutes les lois en vigueur en métropole à cette date ont été promulguées en bloc à cette date là. Mais elles ont valeur réglementaire, puisqu’elles sont censées avoir été transposées par une ordonnance et non par une loi, et ne sont pas applicables aux indigènes. La jurisprudence fait un tri entre les différents textes, les considérant comme inapplicables ou partiellement applicables.

Par ailleurs, quand une loi est déclarée applicable en Algérie par une loi ou par un décret, les lois modificatives et abrogatives s’y appliquent en principe automatiquement, même si la loi ne la mentionne pas. Toutefois la jurisprudence, à l’origine de cette situation, distingue parmi les lois modificatives celles qui sont simplement modificatives, qui se substituent de plein droit aux dispositions antérieures, et les lois profondément innovatoires qui doivent, pour s’appliquer, être introduites en Algérie. De ce fait, le domaine relevant de la compétence législative est plus large en Algérie. S’agissant des lois introduites par décret, le fait que les dispositions simplement modificatives se substituent de plein droit aux dispositions antérieures n’empêchent pas le texte de conserver son caractère réglementaire.

Enfin, à la différence des colonies, l’Algérie n’est pas soumise à la règle de la promulgation spéciale et à celle de la publication spéciale.

51 Au regard du critère de la conquête ou au regard de celui de l’occupation effective, alors admis par le droit international public, la date de 1834, où seuls quelques territoires côtiers étaient occupés, n’est bien sûr pas pertinente : l’essentiel du territoire de la Régence n’est définitivement conquis qu’en 1847, et la Grande Kabylie n’est conquise qu’au début du Second Empire (1857). Cf. infra.

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Par contre, dans les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, le sénatus-consulte du 3 mai 1854, qui a valeur législative, garantit un domaine réservé au parlement.

B) Le régime législatif dans les territoires étrangers sous domination française

Dans les protectorats, le pouvoir législatif appartient au souverain local, mais les dispositions législatives adoptées n’entrent en vigueur que si elles ont été approuvées et visées par le représentant de la France, le résident52.

La compétence législative peut être limitée ratione personae : ainsi, dans les protectorats d’Indochine, les Français et les étrangers de droit commun relèvent directement de la puissance protectrice. Par contre, en Afrique du Nord, les lois locales peuvent être applicables à tous les habitants du pays, uniquement aux nationaux, ou, dans le cas du Maroc, applicables aux Français et aux étrangers.

Toutefois, en Tunisie, on considère que les Français sont régis par les lois françaises métropolitaines « d’intérêt général et d’ordre public » en vigueur en 1883 (date de l’établissement du protectorat et du remplacement de la juridiction consulaire française par des tribunaux français), dans toutes les matières où la législation tunisienne ne comporte pas de disposition s’appliquant à eux.

Par ailleurs, l’Etat protecteur est directement compétent en ce qui concerne les services relevant directement de la résidence, ou dans les matières où l’Etat protégé a abandonné une compétence spéciale en sa faveur.

L’Etat protecteur intervient alors par la voie de décrets simples ou même de lois. Dans les territoires sous mandat B du Togo et du Cameroun53, la SDN confère à la puissance mandataire les pleins pouvoirs de législation. En conséquence, deux décrets du 22 mai 1924 ont rendu applicables au Togo les lois et décrets promulgués en AOF avant le 1er janvier 1924, et au Cameroun, les lois et décrets promulgués en AEF avant le 1er janvier 1924.Bien qu’étant des territoires étrangers (mais anciens territoires sans maître), le Togo et le Cameroun relèvent du principe de spécialité législative et sont régis par des décrets.

3°) La contrainte géographique et géopolitique

52 Louis ROLLAND, Pierre LAMPUE, Précis de législation coloniale, , op. cit., p. 83. 53 Sur le cas du condominium des Nouvelles-Hébrides, cf. infra.

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La constitution d’un Empire colonial relève avant tout de la politique de puissance et, dans le cas de la France, de la volonté de laver l’humiliation de 1814-1815, puis de conserver son statut de puissance mondiale après la défaite de 1870. Dans le cadre de cette politique de puissance, certains territoires sont jugés plus importants que d’autres, car liés à de plus lourds enjeux : l’Afrique du Nord est associée au poids de la France en Méditerranée et dans l’Empire ottoman, l’Indochine à la Chine, à l’Asie orientale et au Pacifique Par ailleurs, la question de la nationalité ne sera pas forcément abordée de la même manière selon que les territoires frontaliers sont des colonies étrangères ou des Etats semi-civilisés, qu’ils soient indépendants ou non.

4°) La qualité de Français dans le Code civil de 180454

Le Code a le statut ambigu de loi réalisant l’unité nationale55 et de loi ayant vocation à devenir le droit commun de l’Europe56. Les conflits de lois sont traités par l’article 3 :

Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire.

Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française.

Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant à l’étranger.

L’alinéa 1er servira de fondement, en droit international privé, à la notion d’ « ordre public », qui consiste à rejeter l’application de la loi étrangère régissant le statut personnel57 de

l’étranger, considérée comme étant de nature à compromettre un intérêt français.58

L’alinéa 3 constitue une rupture par rapport à la vieille théorie des statuts : au lieu de rattacher le statut personnel au domicile, il retient le critère de la nationalité. Les Français ne peuvent frauder par rapport à la loi nationale dans un pays étranger.59

54 Pour les lignes qui suivent, Cf. P. WEIL, Qu’est-ce qu’un Français ?, op. cit., pp. 37-52 ; Peter SAHLINS, Unnaturaly French. Foreign citizens in the Old Regime and after, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2004, pp. 291-312 ; Jean-Louis HALPERIN, Histoire du droit privé français depuis 1804, Paris, PUF, 1996 ; du même auteur, Entre nationalisme juridique et communauté de droit, Paris, PUF, 1999 ; L’impossible Code civil, Paris, PUF, 1992.

55 « Que nos ennemis frémissent, qu’ils désespèrent de nous diviser, en voyant toutes les parties de la République ne plus former qu’un seul tout » s’exclame Portalis lors de son dernier discours du 26 ventôse an XII. Cité in J.-L. HALPERIN, Entre nationalisme juridique et communauté de droit, op. cit., p. 19.

56 Il sera appliqué dans le Royaume d’Italie, dans le Royaume de Naples et en Pologne. 57 Cf. glossaire.

58 Il en ira ainsi du divorce sous la Restauration.Ibid., pp. 32-33. 59 Ibid., p. 25.

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